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Lionne Barroteau, victime consentante d'une tragique erreur judiciaire en 1633 à Bourg-sur-Gironde

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Événements marquants
Evénements ayant marqué le passé et la petite ou la grande Histoire de France. Faits marquants d’autrefois.
Lionne Barroteau, victime consentante
d’une tragique erreur judiciaire en 1633
(D’après « Revue philomathique de Bordeaux et du sud-ouest », paru en 1906)
Publié / Mis à jour le mercredi 19 août 2015, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 7 mn
 
 
 
Des pittoresques maisons qui s’élevaient en 1633 dans la Grande rue de Bourg-sur-Mer, aujourd’hui Bourg-sur-Gironde, une surtout attirait les regards, d’abord parce qu’elle était mieux bâtie que les autres, ensuite parce qu’elle avait, au-dessous des fenêtres de son premier étage, une enseigne portant, avec les armes de la ville (les trois fleurs de lys de France avec deux lions pour support), l’inscription suivante en gros caractères gothiques : Jehan Barroteau, marchand. Un marchand dont la fille connut un destin tragique, s’accusant, pour sauver son amant, d’un parricide qu’elle n’avait pas commis.

Jehan Barroteau : ainsi se nommait le propriétaire de cette maison. C’était un notable de Bourg, un commerçant très estimé, possesseur, disait-on, d’une importante fortune. Pendant une absence, il avait épousé, on ne savait où, une jeune fille de grande beauté, et il était récemment revenu avec elle et un gentilhomme, son beau-père, que l’on n’avait jusque-là jamais vu à Bourg et dont on ne savait même pas le nom. Une vieille domestique prenait soin du ménage.

Porte du Port de Bourg-sur-Gironde

Porte du Port de Bourg-sur-Gironde

Deux années s’écoulèrent. Barroteau et sa femme paraissaient unis comme au premier jour de leur mariage ; quant au beau-père, il était resté pour tous un personnage énigmatique. On racontait que son origine était illustre, qu’il s’était trouvé mêlé à une conspiration et que Barroteau lui avait sauvé la vie. On continuait d’ailleurs à ne pas connaître sa personnalité réelle et on ne le désignait que par le surnom de Gascon de Trenqualioun, sans que personne eût pu indiquer quand et pourquoi ce surnom lui avait été donné.

Quoi qu’il en fût, Barroteau était très heureux, d’autant plus heureux que sa femme était devenue enceinte et, qu’il désirait ardemment un garçon. Ce bonheur ne tarda pas à s’évanouir, car l’accouchement fut très pénible et la jeune femme mourut au bout de quelques heures, après avoir donné le jour à une gentille petite fille. Le désespoir de Barroteau fut d’abord effrayant, et tous ceux qui le connaissaient pensèrent que s’il survivait à sa douleur, il perdrait la raison. Toutefois, avec le temps et la présence de son enfant aidant, sa douleur s’apaisa et il ne lui resta, avec le souvenir d’une épouse bien-aimée, qu’une grande mélancolie que ne purent dissiper ni les préoccupations commerciales, ni les soucis et, les satisfactions que procurent les fonctions publiques.

Outre que sa clientèle s’étendit, que sa fortune augmenta, Barroteau devint, en effet, membre de la Jurade. Ce mandat municipal lui fut même confié à plusieurs reprises. Son enfant, à laquelle avait été donné le nom de Lionne, devint en grandissant une aimable et très gracieuse fillette dont tout le monde à Bourg chanta bientôt les louanges. Grâce à elle, grâce au charme qui se dégageait de toute sa petite personne, la maison s’éclaira comme d’un sourire et Barroteau retrouva en partie son bonheur disparu. Un jour — l’enfant avait alors huit ans —, un second événement se produisit qui causa au père et à la fille une vive surprise et un profond chagrin. Le grand-père, Gascon de Trenqualioun, partit après leur avoir fait ses adieux. Ou ne le revit jamais.

Douze années s’écoulèrent encore. Lionne était maintenant une jeune fille superbe, au profil et au port de reine, à la chevelure magnifique, aux yeux noirs et d’un éclat sans pareil. D’une éducation parfaite, d’une instruction soignée pour l’époque, elle faisait l’admiration de tous et la joie de son père pour lequel elle manifestait un profond respect et une très grande affection. Ce dernier n’était cependant pas complètement satisfait, car Lionne était considérée comme très fière et comme désireuse de s’élever au-dessus de sa condition.

Elle avait déjà éconduit plusieurs jeunes gens appartenant à des familles notables qui avaient demandé sa main. Elle avait même opposé un refus net et absolu à la demande en mariage qu’un homme occupant une situation importante à Bourg lui avait adressée. Cet homme, que son père aurait été heureux de voir agréé par elle, était Omfroy Rudel, procureur-syndic de la ville et descendant de Geoffroy Rudel, illustre troubadour et seigneur de Blaye, dont les ballades se chantaient encore à dix lieues à la ronde.

En 1653, par une délicieuse matinée de printemps, Jehan Barroteau quitta son logis pour aller donner ses ordres dans une petite propriété qu’il avait achetée près de Bayon. Au bout de quelques heures, Lionne, qui s’ennuyait seule, sortit à son tour. Elle monta à cheval et se dirigea vers la campagne afin de chasser au vol, plaisir auquel les bourgeois de Bourg avaient le droit de se livrer en vertu des privilèges que Charles VII, après la conquête de la Guyenne, avait octroyés à leur ville. Elle chassa longtemps et se trouva bientôt sur le domaine du comte de Lansac.

Plus que tous ses ancêtres, Carl Andron, comte de Lansac et seigneur de Bourg, avait la réputation d’être impitoyable pour ceux qui se permettaient de chasser chez lui sans autorisation. Très hautain vis-à-vis de ses égaux, il était d’une dureté excessive pour les bourgeois et les manants qui se trouvaient avoir des torts envers lui. On racontait de nombreuses anecdotes qui prouvaient non seulement son orgueil indomptable, mais la cruauté à laquelle il pouvait, dans certaines circonstances, se laisser entraîner.

Ce ne fut donc pas sans appréhension que la jeune fille aperçut, venant à sa rencontre, un gentilhomme de haute taille, jeune encore, à la démarche imposante, au visage noble et sévère, qui paraissait tout étonné de la présence chez lui de cette gracieuse et fière visiteuse qu’il ne connaissait pas. Quand ils se trouvèrent face à face et que le comte l’eut questionnée d’un ton farouche, Lionne s’empressa de décliner son nom et de présenter ses excuses. Il la regarda alors plus attentivement. Son ton de voix s’adoucit et, au lieu des menaces ou des paroles injurieuses qu’elle attendait, il répliqua par quelques mots courtois, presque galants, sans d’ailleurs dissimuler l’impression profonde qu’elle avait faite sur lui. Il termina en l’autorisant, une fois pour toutes, à chasser sur ses terres, soit seule, soit avec ses parents et ses amis.

Ils se saluèrent et Lionne reprit toute pensive la route de Bourg. Toute la nuit suivante, l’image du comte de Lansac la poursuivit. Elle ne dormit guère et se leva le lendemain aux premières lueurs de l’aurore. La matinée lui parut un siècle. Impatiemment, elle s’occupa du ménage et servit les clients qui se présentèrent au magasin de son père. Puis, après le déjeuner de midi, elle sella son cheval et, comme elle avait fait la veille, elle sortit de la ville et se mit à tirer quelques oiseaux, se rapprochant assez rapidement du château de Lansac dont les tours massives semblaient la fasciner.

Elle se trouva bientôt face à face avec le comte qui, de son côté, n’avait fait que penser à elle ou en rêver depuis leur première et très courte entrevue. Ils se parlèrent, restèrent cette fois plusieurs heures ensemble et ne se séparèrent qu’après s’être promis de se revoir et s’être juré un fidèle et éternel amour. A partir de ce jour, ils eurent de nombreuses entrevues et s’attachèrent de plus en plus l’un à l’autre, sans que d’ailleurs Lionne consentît à céder aux instances du comte.

Le moment arriva où celui-ci fut obligé de quitter Lansac pour rejoindre l’armée royale à la frontière. Carl se comporta vaillamment pendant toute la campagne et fut l’objet des plus flatteuses marques d’estime de la part du général en chef. La guerre terminée, il s’tempressa de rentrer dans son domaine et il recommença à voir Lionne avec d’autant plus de facilité que la famille Barroteau était pour quelque temps installée à Bayon. Comme il fallait s’y attendre, la jeune fille ne tarda pas à succomber et à consentir à des rendez-vous dans sa chambre ou son amant pénétrait à l’aide d’une échelle de corde qu’elle attachait à la fenêtre.

Une nuit que le comte venait d’arriver ainsi auprès d’elle, un domestique qui avait été témoin de l’escalade vint prévenir Barroteau déjà profondément endormi. Celui-ci qui, depuis quelque temps, n’était pas sans avoir des soupçons, s’habilla hâtivement, s’empara d’un poignard et d’une hache et se dirigea vers la chambre de Lionne, dans laquelle il entra après avoir enfoncé la porte. Les deux jeunes gens étaient endormis. Barroteau se précipita, et saisi d’une juste fureur en présence de l’homme qui avait déshonoré sa famille, il leva sa hache afin de lui fendre le crâne.

Se réveillant en sursaut et se soulevant à moitié hors de sa couche, Lionne voulut faire de son propre corps un rempart à son amant. Elle supplia son père de faire grâce, mais il l’écarta violemment et porta un coup terrible qui, par suite de la demi-obscurité qui régnait dans la chambre, n’atteignit le comte de Lansac qu’à l’épaule. La jeune fille poussa un cri déchirant. Grièvement blessé mais non abattu, ranimé par le danger qu’il courait et soutenu par l’instinct de la conservation, Carl saisit son épée, qui se trouvait près du lit, à sa portée, et en dirigea la pointe vers le jurat.

Lionne se leva alors d’un bond. Elle saisit cette épée à pleine main, afin d’éviter que son amant ne versât à son tour le sang de son père. Mais Barroteau s’était élancé de nouveau, son poignard prêt à frapper. Il fit quelques pas, et s’enferrant lui-même sur l’arme que tenait Lionne, il s’abattit lourdement sur le parquet pendant que le comte reculait stupéfait, et que Lionne tombait auprès de lui, évanouie.

A ce même moment, plusieurs personnes armées faisaient irruption dans la chambre en poussant de grands cris. C’était le domestique que suivaient quelques voisins. Comme tout ce monde s’empressait autour de Barroteau et de sa fille, Carl, que sa présence d’esprit n’avait pas abandonné, bien qu’il eût déjà perdu du sang en abondance, se traîna comme il put vers la fenêtre afin de descendre par l’échelle de corde. S’apercevant alors que cette échelle avait été enlevée, il prit à peine le temps de la réflexion et, se précipita plans le vide. Il eut la chance de ne pas se tuer. Se relevant tout meurtri, il profita de l’obscurité et rejoignit lentement, péniblement son château, pendant que la maison du jurat se remplissait de bruit et de gémissements et que la nouvelle d’un crime horrible se répandait d’abord dans la Grande rue et peu après dans la ville tout entière.

Ancien Hôtel de la Jurade

Ancien Hôtel de la Jurade

Lorsque le procureur—syndic, qu’on était allé réveiller, arriva sur le lieu du drame, accompagné de quelques soldats de la milice bourgeoise, Lionne était enfin revenue à elle. Elle se trouvait toutefois plongée dans une stupeur telle qu’elle ne répondit à aucune des questions que le magistrat lui posa. De sorte que, sous l’incitation du domestique de Barroteau et des bourgeois présents, qu’il avait toutes les peines du monde à empêcher de faire un mauvais parti à Lionne, Omfroy Rudel se décida à donner l’ordre de conduire cette dernière dans la prison de la ville, la considérant ainsi, jusqu’à preuve du contraire, comme coupable de parricide.

Dès lors, l’affaire suivit son cours. Son devoir de magistrat, aussi bien que l’affection qu’il avait jadis pour la victime, ordonnait à Rudel de faire tout le possible pour découvrir le véritable coupable. D’autre part, l’amour qu’il avait encore pour Lionne lui commandait de garder la fière jeune fille au cachot, malgré qu’il eût le pressentiment, sinon la preuve matérielle de son innocence. En effet, il n’avait pas été sans deviner les relations qui s’étaient nouées entre le comte de Lansac et la fille du jurat ; il avait, par suite, voué une haine féroce au gentilhomme qui l’avait supplanté. Grâce aux menaces, à la terreur et en cas de besoin aux supplices, il espérait forcer Lionne à se donner à lui et à dénoncer son amant afin de n’être pas condamnée comme complice.

Ces calculs furent déjoués. Quand, au bout de quelques jours, elle fut interrogée de nouveau, Lionne s’abstint d’abord de répondre aux questions du procureur-syndic. Elle aurait été, en effet, en disant la vérité, obligée de parler de son amant, et elle se rendait bien compte que c’était surtout celui-ci que Rudel voulait atteindre. Mais lorsque, devinant son système, Rudel lui parla de son amour et fit miroiter à ses yeux une mise en liberté sous la condition qu’elle accéderait à ses désirs, elle ne lui dissimula pas l’horreur qu’il lui causait et le mépris qu’elle avait pour lui.

Elle se cantonna pendant quelques jours dans un mutisme absolu ; puis, fatiguée de ces interrogatoires répétés, désespérée de la mort de son père, comprenant parfaitement que le procureur-syndic ne lui pardonnerait pas ses dédains, elle se décida à un aveu de culpabilité et répéta cet aveu au milieu des supplices de la question, sans que d’ailleurs aucune promesse, aucune menace pût lui faire reconnaître qu’elle avait un complice.

En vertu des privilèges. que les rois d’Angleterre avaient concédés à Bourg et que les rois de France avaient tous confirmés, la Jurade exerçait dans la ville et dans la banlieue non seulement la justice en matière civile, mais encore la justice criminelle, haute, moyenne et basse. Ses arrêts ne pouvaient être cassés ou réformés que par le parlement de Bordeaux. La Jurade se réunit donc le 16 mai 1654 pour juger Lionne Barroteau.

Aux questions que lui posa le maire, la jeune fille répondit, comme précédemment, en s’avouant coupable, sans complices, de la mort de son père. Le procureur-syndic prononça ensuite un réquisitoire éloquent et sévère, et la Jurade se retira pour délibérer. Elle revint quelques instants après dans la salle de ses séances et le maire donna la lecture d’une sentence condamnant Lionne « à estre traisnée et conduitte par l’executteur de la haulte justice au deuant des portes de l’esglize parroissiale de Sainct-Giron, de l’hospital Sainct-Lazare et de l’hostel commun de la presante ville, et là, à genoux, les fers aux pieds, la hart au col, teste nue, ayant une chemise de toile vestue et une torche de cire jaune au poing du poids de deux livres, demander pardon à Dieu, au Boy et à la Justice, et declarer que temerairement et malicieusement elle a commis le crime de parricide dont est question et, ce faict... traisnée et conduitte sur une claie par les cantons et carrefours accoutumés de la presante ville et menée au deuant le marche et place publique pour là estant pandue et estranglée par ledict executteur de la haulte Justice à une potence qui sera à ces fins par lui posée et dressée, et de là son corps porté par ledict executteur aux fourches patibulaires pour estre exposée à la voirie. »

Cette sentence fut exécutée le lendemain.

 
 
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