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Lunettes : instrument du Moyen Âge à l'obscure genèse

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Inventions, Découvertes
Inventions et découvertes dans les domaines des sciences et des arts. Origine des travaux de recherche ou des trouvailles fortuites.
Lunettes : instrument du Moyen Âge
à l’obscure genèse
(D’après « Les besicles de nos ancêtres » (par Alexandre Bourgeois) paru en 1923,
« Histoire des lunettes » (par Pierre Pansier) paru en 1901
et « Manuel des myopes et des prebythes, contenant des recherches historiques
sur l’origine des lunettes ou besicles » (par Charles Chevalier) paru en 1841)
Publié / Mis à jour le dimanche 19 avril 2020, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 9 mn
 
 
 
Si les auteurs ayant écrit sur les instruments d’optique s’accordent à placer l’invention des lunettes vers la fin du XIIIe siècle, ils ont longtemps différé d’opinion au sujet de leur inventeur, optant après moult recherches pour le moine savant Roger Bacon qui transmit l’instrument issu de ses travaux à des frères dominicains qui le vulgarisèrent en s’interdisant toutefois de citer son géniteur dont il était dangereux de se réclamer car en mauvais termes avec le Saint-Siège

Quelques auteurs, entraînés par leur amour excessif de l’antiquité, ont avancé que les anciens avaient peut-être connu les lunettes, bien qu’ils eussent omis de transmettre leurs procédés de fabrication. Comment concevoir que parmi les précieux débris exhumés à diverses époques, on n’ait trouvé aucun vestige des lunettes ? Comment, tant de médailles, d’anneaux, de camées, etc., et jamais un verre ou une monture de besicles, tandis qu’on a trouvé plusieurs verres colorés et taillés de diverses manières ?

Le médecin, naturaliste et écrivain Francesco Redi (1626-1697) s’étonne de ne pas rencontrer un seul mot sur cet instrument, ni dans les comiques grecs, ni dans les latins ; il ne saurait se rendre compte du silence de Pline, qui n’aurait pas omis une pareille découverte dans son chapitre : des Inventeurs et des choses, si réellement les lunettes eussent existé de son temps. Dans aucune peinture, sur aucune sculpture antique, on ne retrouve de traces de cet instrument.

Portrait du dominicain Hugues de Saint-Cher (cardinal-évêque d’Ostie mort en 1263)
extrait d’une fresque de la salle du chapître de l’église San Nicolò de Trévise (Italie),
oeuvre peinte par Tommaso da Modena en 1352. S’il s’agit de l’une des
plus anciennes oeuvres peintes montrant un personnage portant des lunettes,
cette caractéristique est anachronique, puisque les lunettes
n’existaient pas du temps de Hugues de Saint-Cher

Néanmoins, on a cherché à prouver qu’il était connu des anciens, en se basant sur les expressions Faber ocularius ou oculariorius que l’on trouve sur les inscriptions et dans les auteurs. Il est facile de prouver, par ces mêmes inscriptions, que l’on voulait désigner un fabricant d’yeux, et l’on sait que souvent les statues antiques les avaient en cristal, en verre, en pierres fines ou en métaux précieux. Le Faber ocularius était celui qui fabriquait ces yeux et non des lunettes.

On a prétendu que l’expression ocularium, qui se rencontre dans les ouvrages anciens, désignait clairement les lunettes ; mais les auteurs qui ont écrit peu après 1200, entendaient par ocularium les trous ou fentes des visières. Thomas Reinesius, dans ses annotations à son ouvrage sur les Inscriptions, dit que, par ocular, oculare, ocularium, on entend cette partie d’une boîte en fer qui, placée au niveau des yeux, permet de voir les objets environnants, quoique toute la face soit couverte.

Ainsi, les lunettes étaient complètement inconnues des anciens médecins, puisque les Arabes, les Grecs et les Latins n’en ont rien dit, tandis qu’ils donnaient à profusion des recettes contre les maladies des yeux et les altérations de la vue. Jusqu’à la fin du XIIIe siècle en effet, ils se contentaient d’indiquer contre la presbytie des traitements internes variés ou des collyres.

Arnaud de Villeneuve ne connaît qu’un remède contre cet inconvénient de la vieillesse, le fenouil (De conservatione juventutis et retardatione senectutis) ; Vincent de Beauvais, Pierre d’Abano, pas plus que les oculistes de cette époque, depuis l’ophtalmologiste arabe Ali ibn Isa (940-1010) — appelé Jésus Hali par les écrivains occidentaux du Moyen Âge — jusque à Sulaymân ibn Hârith al-Qûtî (Congregatio sive liber de oculis, 1159) — connu sous le nom latin d’Alcoatin — et le médecin italien Benvenutus Grapheus (XIIe siècle ou commencement du XIIIe siècle) — connu sous le nom de Bienvenu de Jérusalem, il étudia ou professa la médecine à la célèbre école de Salerne — ne conseillent d’autres palliatifs. C’est vers la fin du XIIIe siècle que nous trouvons les lunettes indiquées dans les traités de médecine.

Bernard de Gordon — médecin de Montpellier, ayant vécu au XIIIe siècle et au tout début du XIVe —, le premier dans son Lilium medicinæ, terminé en 1305, mentionne les besicles. Il dit, parlant d’un collyre : « Il est si efficace qu’il met le vieillard à même de lire de petits caractères sans lunettes. » Guy de Chauliac, dans sa Grande Chirurgie (1363), dit de même : « Si ces collyres n’agissent pas, il faudra recourir aux lunettes de verre ou de bérils. »

Descente du Saint-Esprit (Pentecôte). Détail de l'oeuvre de Konrad von Soest (1403)
Descente du Saint-Esprit (Pentecôte). Détail de l’oeuvre de Konrad von Soest (1403)

Les lunettes apparaissent dans les actes publics à peu près en même temps que dans les œuvres médicales. Dans les archives de l’ancienne abbaye de Saint-Bavon-lez-Gand, on trouve qu’en 1282, Nicolas Bullet, prêtre, s’aida de lunettes pour signer un compromis réglant un différent survenu entre l’abbaye et les habitants de la paroisse de Saint-Christ. Le médecin, naturaliste et écrivain Francesco Redi (1626-1697) nous a conservé quelques autres témoignages historiques. Dans un sermon prononcé par le Frère Giordano da Rivalto, le 23 février de l’an 1305, Redi a relevé les paroles suivantes : « Il n ’y pas encore 20 ans qu’on a découvert l’art de faire des lunettes ».

En outre, Redi possédait un manuscrit intitulé Traité de conduite de la famille, écrit en 1299 par un citoyen florentin et au commencement duquel l’auteur écrit : « Je suis tellement accablé par l’âge, que je ne puis lire ni écrire sans des verres nommés lunettes (okiali), nouvellement découverts pour la commodité des pauvres vieillards dont la vue s’affaiblit. » Ces différents témoignages concordent, et nous conduisent à admettre que l’usage des lunettes date environ des vingt dernières années du XIIIe siècle.

Mais qui en est l’inventeur ? Redi, dans une vieille chronique latine du couvent des Dominicains de Sainte-Catherine de Pise, a trouvé, consignée en ces termes, la mort de Frère Alessandro della Spina, en 1313 : « Frère Alexandre Spina, homme modeste et bon, avait le talent de reproduire tout ce qu’il voyait ou tout ce qu’on lui décrivait. Il fit lui-même des lunettes, dont l’inventeur ne voulait pas enseigner la fabrication, et communiqua de bon cœur ses procédés. » Il résulte de ce passage que, si Frère Alexandre Spina ne fut pas le premier inventeur des lunettes, il trouva du moins, sur la seule inspection de cet instrument, la manière de le construire, et contribua à sa vulgarisation.

L’hypothèse la plus crédible donne le moine anglais Roger Bacon (1214-1294) comme inventeur des lunettes. Ce célèbre savant était entré, en 1240, dans l’ordre des Franciscains, sa science prodigieuse l’ayant fait surnommé le Docteur admirable. Accusé de sorcellerie, il passa en prison une grande partie de sa vie. Il fit des expériences de physique nombreuses et coûteuses ; nous savons qu’il a dépensé pour cela la somme énorme de 20 000 livres. Il est le seul qui ait étudié les verres plan concaves et plan convexes.

Il indique, à la suite de ses expériences, l’emploi de ceux-ci sous forme de loupe, pour remédier aux inconvénients de la vieillesse, à la presbytie. Plus tard, l’âge arrivant, quand Bacon ne put plus lire, il dut se rappeler ses expériences d’antan et user de la loupe. De la loupe volumineuse, tenue à la main ou placée sur l’objet, à des loupes plus légères placées sous les yeux et fixées par une monture soit au nez, soit à la barrette, comme l’indiquent les vieux auteurs, il n’y avait qu’un pas. Bacon insiste sur ce fait qu’on observe mieux les effets qu’il décrit avec de petits segments de sphère, des loupes faibles, qu’avec des instruments comprenant la moitié ou plus d’une sphère. Il avait donc entre les mains des verres plan convexes, aptes à corriger sa presbytie, et il s’en servit.

Roger Bacon. Gravure du XVIIIe siècle

Dans son Opus majus, qui date de 1268, Roger Bacon parle des verres lenticulaires ; mais comme en bien d’autres choses, il n’en expose que la théorie sans en donner les règles géométriques. Voici ce qu’il en dit : « Nous pouvons tailler des verres de telles sortes et les disposer de telles manières à l’égard de notre vue et des objets extérieurs, que les rayons soient brisés et réfractés dans la direction que nous voudrons et ainsi, à la plus incroyable distance, nous lirons les lettres les plus menues à cause de la grandeur de l’angle sous lequel nous les verrions : car la distance ne fait rien directement par elle-même, mais seulement par la grandeur de l’angle. »

En dehors de Bacon, qui possédait des notions d’optique ? Le savant se plaint amèrement de l’ignorance de ses contemporains dans toutes ces questions : « Ce qu’il nous faudrait, ce seraient des gens qui entendissent l’optique. » La Perspectiva et l’Oculus moralis de Johannes Pithsanus nous donnent une idée de ce qu’était la science de ceux qui, en dehors de Bacon, pouvaient prétendre à enseigner l’optique.

Dans le passage évoqué précédemment et fixant la date de l’invention des lunettes, le Frère Giordano da Rivalto ajoute : « J’ai vu celui qui le premier découvrit et fabriqua des lunettes et m’entretins avec lui. » Il faut savoir que Roger Bacon était l’intime ami d’Henri de Gand (Goethals), surnommé le Docteur solennel, que le moine anglais aurait fait bénéficier le premier de son invention. En 1285, Goethals était député en Italie par les frères de son ordre pour présenter une supplique au pape. Arrivé en Toscane, il apprenait la mort de Martin IV et était obligé pour remplir sa mission d’attendre l’élection de son successeur.

Goethals séjourna alors à Pise chez son compatriote et ami, le prieur des Dominicains. Là, le frère Alessandro della Spina aurait vu les lunettes de Goethals et les imita, car, l’eût-il voulu, Goethals ne pouvait lui livrer le secret d’une fabrication qu’il ignorait lui-même. D’autre part, à cette époque, Bacon expiait en prison les crimes de son génie, et son nom était un mauvais patronage, surtout en Italie. Aussi dut-il le taire soigneusement.

En effet, âgé et ayant déjà beaucoup souffert de l’envieuse et ignorante méchanceté des hommes, Roger Bacon écrivait à cette époque : « Je me repens de m’être donné tant de peine dans l’intérêt de la science, la vérité importune tout esprit ignorant, et malus semper ignorans. » Il avait vu, par ordre de ses supérieurs, ses livres enchaînés aux tablettes de la bibliothèque d Oxford jusqu’à ce qu ils tombassent mangés par les vers : il ne devait plus avoir grande envie de répandre ses découvertes. Ses démêlés avec le Saint-Siège l’avaient rendu suspect.

Autant de raisons expliquant pourquoi le Frère Giordano et le Frère Spina, quoique ayant vu et connu celui qui le premier porta des lunettes, ne pouvaient donner le nom de leur inventeur.

C’est vers le milieu du XIVe siècle que les lunettes devinrent d’un usage courant. C’est à partir de cette époque, nous dit de Laborde dans sa Notice sur les émaux du Louvre (1853), que les personnages de l’Ancien Testament apparaissent dans les peintures, les sculptures et les vitraux, armés de bésicles. Celles-ci sont mentionnées dans les actes publics, inventaires, testaments. En 1372, le compte du testament de la reine Jeanne d’Évreux porte : « Pour un vericle encerné en manière de lunettes, prisé XX francs. »

Roger Bacon, emprisonné à Paris, envoie en secret, à la demande du pape Clément IV et malgré les interdits, le manuscrit de son Opus majus en passant par un messager
Roger Bacon, emprisonné à Paris, envoie en secret, à la demande du pape Clément IV
et malgré les interdits, le manuscrit de son Opus majus en passant par un messager

L’inventaire de Charles V, en 1379, mentionne « deux bericles, dont un a le manche de bois, et un bericle ront, plat, environné de corne noire » ; l’inventaire du duc de Bourgogne, en 1400 : « Ung bezicle en une queue d’or. » Les pièces relatives au règne de Charles V citent « un besicle ront, plat, enhanté en une queue d’or ». L’étui à béricle est mentionné dans les comptes des ducs de Bourgogne de 1454 : « Un estuy de lunectes pour monseigneur le Duc. » Entre les mains de saint François de Paule, les bésicles opèrent des cures miraculeuses. L’hagiographe de ce saint (1436-1507) raconte le fait merveilleux suivant : « Le P. Angelus avait perdu la vue. François de Paule lui envoya de France des lunettes : dès qu’il les eut mises, il recouvra instantanément l’usage de ses yeux. »

La forme la plus usitée aurait été le pince-nez : c’est du moins celle que nous trouvons toujours reproduite dans les œuvres des peintres. Dans le tableau de Jean de Bruges, représentant la Vierge, saint Georges et saint Donat (tableau qui daterait de 1423), les bésicles déposées sur le livre d’un des sujets sont en forme de pince-nez. On portait les lunettes suspendues au cou ou bien dans sa poche, et quelquefois dans la reliure du livre d’heures : « Forgé une platine d’argent doré, pour mettre ez ées du livre du duc, pour mettre ses lunettes, afin qu’elles ne fussent point cassées » (Archives de Dijon, 1403).

Il y avait aussi des bésicles qui s’attachaient au chapeau, aux oreilles, à l’aide de fils métalliques ou de lanières de cuir. La forme loupe était également employée, ainsi qu’en témoignent les comptes du duc de Bourgogne de 1454 : « Une garniture en façon d’un cercle ront, à garnir une pièce de béricle à lire sur un livre. »

Les lunettes du XIIIe siècle étaient en bois, en corne, en fer, en argent ou en or. Celles montées en or ou en argent étaient quelquefois richement ciselées : tel le bésicle de Marguerite d’Autriche, « garni le manche d’argent et en dessous dudict manche ung petit lion douré, pour lyre sur ung livre. » Les étuis étaient aussi plus ou moins ornementés selon la fortune ; le duc de Bourgogne possédait « ung estuy à œillez d’argent niellé, escript dessus : Y me tarde, garni de bericles » (Compte de 1420). Les étuis précieux se faisaient en argent, en ébène incrusté ; les étuis communs étaient en cuir ou en maroquin, en corne ou en papier.

Saint Antoine l'Ermite portant des lunettes. Détail d'un cycle de fresques du choeur de la cathédrale Santa Maria Assunta à Atri, en Italie (vers 1480)
Saint Antoine l’Ermite portant des lunettes. Détail d’un cycle de fresques du chœur
de la cathédrale Santa Maria Assunta à Atri, en Italie (vers 1480)

Le mot besicle vient du mot béryl. Le béryl était le nom donné par les anciens aux variétés d’émeraudes non colorées. Parmi les silicates albumineux les béryls de France, de l’île d’Elbe en particulier, étaient les plus blancs et incolores. Les anciens savaient déjà travailler et tailler le béryl au burin. Plus facile à polir que le verre, ne présentant pas l’inconvénient de la double réfraction du cristal de roche, il dut, au début, alors que les lunettes étaient encore des objets de luxe et de prix, être préféré comme matière première pour la taille de verres : c’est ce que d ailleurs nous indique nettement les actes publics : « Une douzaine de lunectes de bericle fines avec deux estuys » (1454, Inventaire des ducs de Bourgogne) ; « Des lunectes d’or garnies de bericles » (1433, Chambre des comptes de Nantes) ; « Pour dix paires de lunettes apportées à deux fois audit seigneur Roy audit lieu de Bar, dont y en avoit trois paires de cristal et les autres de beril » (1502, Compte des ducs de Lorraine).

Guy de Chauliac le constate dans les mêmes termes, quand il nous dit : Recurrendum est ad ocularios vitri aut berillorum. Enfin, Tortelli raconte qu’on taillait les disques de lunettes soit dans le verre, soit dans le cristal, soit dans le béryl.

Les lunettes apparaissent dans les actes publics en même temps que dans les œuvres des littérateurs. Pétrarque nous raconte qu’il avait toujours eu bonne vue, et que, contre toute espérance, elle se maintint telle jusque vers l’âge de 60 ans ; mais, à ce moment (c’est-à-dire en 1364), la vue commença à lui faire défaut et il dut avoir recours aux lunettes. François Villon, dans son Testament composé en 1461, lègue ironiquement ses grandes lunettes aux Quinze-Vingts, afin qu’ils puissent mettre à part, dans le cimetière des Innocents, les gens de bien d’avec les déshonnêtes :

Item, je donne aux Quinze-Vingts,
(...)
Sans les estuis mes grans lunettes,
Pour mettre à part, aux Innocens,
Les gens de bien des deshonnestes.

Citons encore la ballade de Charles d’Orléans (1391-1403) sur les lunettes :

Par les fenestres de mes yeux,
Ou temps passé, quand regardoye,
Advis m’étoit, ainsi m’aid Dieux,
Que de trop plus belles veoye
Qu’à present ne fais ; mais j’estoye
Ravy en plaisir et lyesse
Es mains de madame Jeunesse.

Or, maintenant que deviens vieulx,
Quand je lis ou livre de joye,
Les lunettes prens pour le mieulx,
Par quoy la lettre me grossoye,
Et n’y voy ce que je soloye :
Pas n’avoye ceste foiblesse,
Es mains de madame Jeunesse.

Jeunes gens, vous deviendrez tieulx,
Se vivez, et suivrez ma voye.

Les premières besicles portaient des verres convexes, corrigeant donc l’hypermétropie. En revanche, nous ne trouvons les verres pour myopes (concaves) mentionnés que vers la fin du XVe siècle. Le pape Léon X (1475-1521) était myope. Grand amateur de chasse, il se servait dans ces occasions d’un verre concave qui augmentait sa puissance visuelle, au point de lui faire distinguer les objets les plus éloignés mieux que tous autres. Ajoutons qu’au témoignage de Luc Gauric, « il voyoit sy bien en l’air haut eslevez les esperviers, veautours et aigles avec des lunettes, mais encore il lisoit la lettre auprès du nez. »

Le marchand de lunettes au XVIe siècle. D'après Jean Stradan. Gravure extraite de Histoire des lunettes (par Pierre Pansier) paru en 1901
Le marchand de lunettes au XVIe siècle. D’après Jean Stradan. Gravure extraite
de Histoire des lunettes (par Pierre Pansier) paru en 1901

Leur usage était moins répandu que celui des verres convexes, et les auteurs du XVe siècle, tel Alexandre Benedictus — contemporain cependant du pape Léon X —, s’ils connaissaient le moyen de pallier les inconvénients de la presbytie, déclarent la myopie incurable (De oculurum caligine). Ce n’est que vers le XVIe siècle que les ouvrages médicaux font mention des verres de myopes : « Je suis lusciosus et myope, écrit Gesner à son confrère Placomius ; aussi, pour voir les objets un peu éloignés, je me sers de ce genre de verres de lunettes qui, condensant le spiritus, font voir les choses plus petites » (lettre du 27 mars 1557).

Plater, vers la même époque, connaît les verres de presbytes et de myopes, expliquant qu’il peut arriverqu’on ne distingue plus les objets de proche, comme le vieillard, ou inversement. Et, ajoute-t-il, ce défaut qui réside dans le cristallin, qui est la lunette de l’œil, peut être corrigé par l’emploi de lunettes. Au XVIIe siècle, les verres de myopes étaient d’un usage courant.

L’usage des lunettes se généralisant, les ouvrages médicaux durent les mentionner et essayer surtout d’expliquer leurs effets sur la vue. La plupart des médecins admettaient dans toute sa pureté la théorie de la vision de Galien. « Le cristallin, nous dit du Laurens, est le principal instrument de la veüe, l’âme de l’œil, la lunette interieure. » Cette lunette intérieure est l’organe essentiel de l’œil : « C’est en ce cristallin que se fait la rencontre des deux lumières, de l’extérieure et de l’intérieure. » Toutes les autres parties de l’œil sont sous sa dépendance : « La cornée lui sert de vitre, la prunelle de fenestre, l’uvée de jardin pour s’esgayer quand il est trop lassé, l’aranée de plomb pour retenir ses espèces... l’humeur vitrée de cuisinier lui préparant et blanchissant sa viande, le nerf optique de courrier ordinaire lui portant du cerveau commandement et puissance de voir... les muscles sont ses chevaux qui le promènent partout où il luy plaist » (Discours sur la conservation de la vue, par André du Laurens, 1600).

 
 
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