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Légendes, croyances, superstitions. Mirepoix, Philippe de Lévis et Sire à la main sanglante. Clocher et palais épiscopal

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Légendes, Superstitions
Légendes, superstitions, croyances populaires, rites singuliers, faits insolites et mystérieux, récits légendaires émaillant l’Histoire de France
Sire à la main sanglante (L’esprit du)
rôderait-il autour du palais
épiscopal de Mirepoix ?
(D’après « Légendes et traditions populaires de la France », paru en 1840)
Publié / Mis à jour le lundi 29 juin 2020, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 7 mn
 
 
 
Bâti au XVe siècle à la demande de Philippe de Lévis, le palais épiscopal de Mirepoix devrait sa splendeur à l’attention toute particulière qu’on porta à sa confection, suggérée par un mystérieux messager en rémission des crimes commis jadis par le célèbre Sire à la main sanglante, qui laissait une trace indélébile dans toutes les mémoires

L’imagination populaire, tout inépuisable qu’elle est, offre pourtant des reproductions fréquentes de certaines inventions. Les mêmes récits sont appliqués à des personnages très divers, placés à des distances très éloignées. Ampère n’a pas manqué de le faire remarquer dans son Histoire littéraire. En voici un exemple puisé au cœur des traditions populaires du Midi ; un récit rappelant un fait analogue à celui de Gabrielle de Vergy, qui se termine par une tradition que les frères Grimm ont trouvée en Allemagne.

Mirepoix est une des plus anciennes petites villes du midi de la France. Les habitants du pays donnent à son nom une origine tout orgueilleuse. Comme la colline sur laquelle le château a été construit présente un aspect imposant et dominateur, les passants s’arrêtaient en disant : « Admire cette cime, Mira pech. » Le château prit peu à peu le nom de Mirapech, Mirepoix — il sera plus tard connu sous le nom de château de Terride. La ville qui vint se mettre sous la protection de ses redoutables murailles, reçut le même nom. Les guerres de religion la soumirent à de grandes vicissitudes. Guy de Lévis, maréchal de la foi, l’obtint pour apanage au commencement du XIIIe siècle. Elle resta depuis lors presque toujours dans sa famille.

Château de Terride (Mirepoix)

Château de Terride (Mirepoix)

Au siècle suivant, les malheurs qui suivirent la descente des Anglais en France, firent éprouver leur contre-coup à la petite ville de Mirepoix. Les sommes énormes et les provinces qu’il fallut livrer pour le rachat du roi Jean épuisèrent la France au point qu’il devint impossible d’acquitter la solde des gens de guerre qu’on avait mis sur pied pour résister à l’Anglais. Ces troupes se débandèrent et organisèrent le pillage et le brigandage sous différents chefs qu’elles choisirent. Une de ces bandes s’abattit sur les terres de Mirepoix, et y séjourna depuis 1359 jusqu’en 1363.

Elle avait pour chef un homme résolu, nommé Jean Petit, qui fit trembler souvent les suzerains du voisinage. Gaston Phoebus fut obligé de traiter avec lui pour le faire sortir du royaume. Mais le jour de son départ, ce brigand pilla et incendia la ville qu’il quittait. Fortifiée depuis pour résister à de pareilles tentatives, elle fut entourée de larges fossés, et enceinte d’une muraille percée de quatre portes et défendue par quatre tours. On en voit encore aujourd’hui quelques vestiges.

Le souvenir des maux causés par Jean Petit est resté profondément gravé dans l’esprit de la population du pays. Il y est connu sous le nom du Sire à la main sanglante ; et l’imagination du peuple en a fait un héros dans le genre du Corsaire. Voici ce qu’elle raconte à son sujet.

Jean Petit s’étant emparé du château et de la ville de Mirepoix, voulut se donner toutes les allures des seigneurs qu’il avait chassés. Il jeta les yeux autour de lui pour chercher une femme qu’il pût lier à son sort ; il ne tarda pas à découvrir la plus fine fleur des damoiselles de la contrée, Marie de Monségur. Marie réunissait tous les avantages que rêve un époux ; elle était belle, riche ; et, ce qui était d’un plus grand poids pour Jean Petit, elle appartenait à une ancienne et noble famille.

Le seigneur de Monségur accueillit avec horreur la demande de Jean. Il s’en inquiéta fort peu ; s’étant procuré des intelligences dans le château, il se rendit maître par un enlèvement de la belle Marie. Dès qu’elle fut arrivée à Mirepoix, il l’épousa malgré elle. Cependant le fiancé de Marie voulut essayer de la soustraire à un sort aussi épouvantable. Il ne fallait pas penser à user de violence : Jean Petit était le plus fort. Muni des pouvoirs du sire de Monségur, le fiancé s’achemina vers le château de Mirepoix pour entamer la voie des négociations. La tradition ne lui donne pas d’autre nom que celui d’Albert.

Jean Petit, prévenu de son arrivée, le reçut avec un grand appareil. Il avait pris les armoiries de Mirepoix, et les faisait porter à ses hommes d’armes ; il se piquait d’équité, et il voulut en donner un exemple à Albert. Quand celui-ci parut, Jean tenait une espèce de lit de justice, et il jugeait sans appel les délits qu’on venait lui soumettre. Parmi les délits qui lui furent soumis ce jour-là, il s’en rencontra un qui donna lieu à un singulier acte de justice, tout à fait dans les mœurs du temps.

On avait amené un homme qui avait été trouvé maraudant dans une des vignes de la seigneurie de Mirepoix. Jean Petit le fit approcher, et lui demanda quelle excuse il avait à faire valoir pour ce fait.

— Monseigneur, répondit le paysan, je n’ai pris qu’une grappe de raisin à votre vigne ; pour un si mince dommage, monseigneur me fera-t-il mourir ?

— Non, reprit Jean ; mais ta punition sera mesurée au dommage que tu as fait à ma vigne.

Cela dit, il se leva, pria Albert de le suivre, et se rendit sur le lieu où le délit avait été accompli. Arrivé là, il fit attacher à un poteau le pauvre diable qui tremblait de tous ses membres ; puis il ordonna que chaque passant serait arrêté, qu’on lui présenterait une pince avec laquelle il arracherait un seul poil de la barbe du coupable. Puis il se tourna vers lui, et lui dit : « Si chaque passant avait fait à ma vigne ce qu’il va faire pour ta barbe, ma vigne serait vendangée. »

Après cet arrêt qui ressemble assez à un apologue, le châtelain regagna le château. Albert voulut profiter de cette circonstance pour entamer sa négociation.

— Messire , dit-il à Jean, j’augure bien pour moi d’une pareille équité ; vous êtes trop juste pour me refuser un bien que la violence seule a fait tomber en votre pouvoir.

— Je ne sais à quoi vous faites allusion, sire chevalier, reprit Jean ; si c’est à la dame de Mirepoix, notre femme, je ne puis admettre ce reproche. Madame Marie est ici de son plein gré, et nul ne la retient ; vous allez l’entendre de sa bouche même.

Jean fit un signe, et Marie parut quelques instants après.

— Madame, lui dit Jean, voici un jeune seigneur qui croit que vous êtes retenue ici malgré vous. Dites-lui ce qu’il en est, et si vous n’êtes pas traitée comme la souveraine maîtresse de céans.

— Cela est vrai, répondit Marie pâle et tremblante ; le devoir m’enchaîne aujourd’hui à la fortune de monseigneur : je ne dois pas le quitter.

Cathédrale Saint-Maurice de Mirepoix

Cathédrale Saint-Maurice de Mirepoix

Albert ne put soutenir la vue de cette pauvre victime qu’il aimait de toutes les forces de son âme. « Je n’ai plus rien à faire ici, s’écria-t-il le cœur brisé ; je dois respecter une décision faite avec une apparence de liberté. » Puis mettant un genou en terre : « Madame, dit-il, cette main qui vous était destinée, cette main qui peut serrer une épée ne vous fera jamais défaut. Voici mon gant ; je le laisse en défi à celui qui se dit sire de Mirepoix. »

Marie se précipita sur le gant.

— C’est moi qui le relèverai, dit-elle ; une dernière fois, je serrerai votre main en signe d’amitié ; c’est un adieu à mon père et à mes espérances du passé. Si mon seigneur et maître fait quelque cas de moi, il regardera cette provocation comme non avenue.

— C’est bien, reprit Jean brutalement. Beau cavalier, vous avez entendu le désir de madame Marie ; ce désir est le nôtre. Vous êtes libre de repartir.

Le soir de ce jour, Albert en proie au plus violent désespoir, quittait le château de Mirepoix. Arrivé sur la lisière de la forêt de Bélène, il fut accosté par un chevalier qui lui demanda à chevaucher quelque temps avec lui. Albert eut l’imprudence d’accepter. Quand ils furent arrivés à un endroit épais, éclairé par un rayon de la lune, le chevalier leva la visière de son casque, et il dit d’une voix sourde : « Je suis celui que tu appelles Jean Petit, le ravisseur de ta fiancée. Tu l’as dit ; ta main lui appartient, et je viens la chercher. »

A peine avait-il achevé ces mots, que d’un coup de hache il abattit le poignet du malheureux Albert. Le lendemain matin, cette main fraîchement coupée fut présentée sur un coussin à la pauvre Marie. « Je ne me refuserai jamais à aucun de vos désirs, lui dit son barbare époux : vous avez ramassé le gant de cette main, la main devait suivre le gant. »

On dit que Marie survécut peu de temps à cette scène affreuse. Quant à Jean, le sang d’Albert avait laissé sur sa main des taches qu’il ne put jamais effacer. Depuis lors, on ne l’appela plus que le Sire à la main sanglante.

Un an après, il quitta Mirepoix, en lui laissant pour dernier adieu le pillage et la mort. Les bruits les plus étranges accompagnèrent cet acte de destruction. Il devint dans le pays de notoriété publique que le Sire à la main sanglante avait lassé la patience divine par ce dernier crime, et qu’il en avait été puni aussitôt. Les uns prétendaient qu’il avait été emporté par le diable ; les autres, qu’il avait succombé sous les coups d’un chevalier inconnu qui ne frappait que de la main gauche. Tous s’accordaient à placer la fin de ce drame dans les sombres retraites de la forêt de Bélène, située à quelques lieues de Mirepoix.

Cependant la famille de Lévis était rentrée en possession du château et de la ville ; Philippe de Lévis en était alors le suzerain. Philippe était un noble et puissant seigneur, aussi remarquable par sa valeur que par sa piété. Lui seul ne redoutait pas la forêt de Bélène, et il y faisait de longues chasses avec une suite nombreuse. Un jour, il s’était laissé emporter fort loin par son cheval, en poursuivant un sanglier. Le jour commençait à tomber, et le crépuscule donnait aux grands arbres et aux immenses allées l’aspect le plus sinistre. Comme Philippe cherchait à s’orienter, il se trouva dans un carrefour qui lui était inconnu.

Tout à coup un homme se présenta devant lui. Il portait une longue robe ; sa barbe tombait sur sa poitrine ; ses cheveux étaient ras. A la vue de ce sinistre personnage, Philippe fit un signe de croix. « Ne crains rien, lui fut-il répondu ; suis-moi si tu as du cœur, et aucun mal ne te sera fait. » Cela dit, l’étrange interlocuteur de Philippe sauta en croupe derrière celui-ci, et le cheval, malgré ce double faix, partit avec une vitesse inouïe. Ils arrivèrent bientôt à une grande avenue, au bout de laquelle on apercevait un château magnifique. A mesure qu’ils approchaient, ils rencontraient toutes sortes de gens qui paraissaient s’y rendre. C’étaient de nobles dames suivies de pages blasonnés, des chevaliers à la riche armure, des prélats en grand costume. Cette foule était silencieuse ; et pas un mot n’était échangé entre tous ces personnages.

Nos deux cavaliers arrivèrent bientôt au pont-levis. Le compagnon de Philippe sauta à bas de cheval, plaça sa main devant sa bouche, et fit entendre un bruit étrange qui retentissait comme le son de dix cors. Aussitôt le pont-levis s’abaissa, et un écuyer se présenta pour tenir le cheval de Philippe. Son compagnon ne le souffrit pas ; il prit lui-même la bride du cheval, et il l’attacha à un anneau scellé dans le mur de la première cour. Il y avait déjà un grand nombre de chevaux ainsi attachés. « Suis-moi, dit-il ensuite à Philippe ; et quoi qu’on te dise, ne réponds pas ; quoi qu’on t’offre, n’accepte pas. »

Palais épiscopal de Mirepoix

Palais épiscopal de Mirepoix (Crédit photo : http://belcikowski.org/ladormeuseblogue2/?p=1680)

Philippe et son mystérieux compagnon pénétrèrent dans un vestibule immense où se tenaient toutes sortes de gens d’armes, de pages et d’écuyers. Les uns jouaient aux dés ; les autres fourbissaient leurs armes ; ceux-ci paraissaient causer à voix basse ; ceux-là allaient et venaient comme des serviteurs empressés. Après ce vestibule, nos deux voyageurs traversèrent plusieurs salles remplies de chevaliers et de nobles dames qui ne paraissaient pas voir les nouveau-venus. Ils entrèrent enfin dans une pièce moins vaste que les autres, où il y avait une table dressée autour de laquelle circulaient des visages plus sinistres encore que ceux qu’ils avaient vus.

Un seul homme était assis à cette table. Philippe n’eut pas de peine à le reconnaître, c’était le Sire à la main sanglante. Il était là, sombre et silencieux, l’œil hagard et immobile. A l’arrivée de Philippe, il se leva lourdement, et lui fit signe de la main de s’asseoir vis-à-vis de lui. Le sire de Lévis frémit d’horreur : cette main était toujours tachée de sang.

On servit un splendide festin. Malgré la faim qui le dévorait, de Lévis n’acceptait aucun mets ; quant au Sire à la main sanglante, il n’y touchait pas non plus, aucun n’étant placé devant lui. A chaque service, un écuyer vêtu de noir déposait devant son maître une main fraîchement coupée, posée sur un riche coussin. Quand ce sinistre repas fut terminé, le singulier convive de Philippe se leva ; il jeta un regard de souffrance et de désespoir sur celui-ci, et se retira, précédé du même écuyer qui portait devant celui-ci une main encore saignante.

Philippe leva les yeux ; il vit les murs tapissés de ce sanglant trophée. Cependant il ne restait plus personne dans la salle. Le guide de Philippe le prit par la main, l’amena dans la cour détacher son cheval, et lui fit signe de monter. Quand ils eurent fait quelques pas dans la forêt, Philippe l’interrogea sur le spectacle dont il venait d’être témoin. Voici ce que son compagnon lui répondit :

— Il y a sept ans que celui que tu viens de voir subit le châtiment qu’il avait mérité par ses crimes. Lui, et tous ceux qu’il avait associés à sa vie, ne souffrent pas d’autre torture que de se trouver en présence de leur victime. Cependant le ciel a pris en pitié leurs souffrances ; la sainte Marie de Monségur a obtenu leur pardon, à condition qu’un légitime possesseur du château et de la ville de Mirepoix ferait bâtir un lieu de prières, en expiation des crimes du Sire à la main sanglante. Il peut refuser, ou consentir : Dieu lui en laisse la liberté.

Cela dit, l’esprit disparut.

Arrivé à Mirepoix, Philippe assembla les notables de la ville, et leur raconta ce qu’il avait vu. Tous décidèrent d’une commune voix que, puisque le ciel consentait au pardon des crimes dont ils avaient été victimes, il serait impie à eux de refuser ce pardon. L’année même de cette étrange rencontre, les travaux d’agrandissement de la cathédrale de Mirepoix furent entrepris. Mais Philippe de Lévis ne borna pas sa munificence à cela, joignant à l’édifice un magnifique clocher (achevé en 1506), et faisant construire un beau palais épiscopal, ces constructions témoignant aujourd’hui de l’ancienne importance de Mirepoix.

 
 
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