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5 février 1822 : mort de Llorente

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5 février 1822 : mort de Llorente
Publié / Mis à jour le lundi 22 février 2010, par LA RÉDACTION
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 

Les persécutions qu’éprouva ce vertueux et savant ecclésiastique le conduisirent au tombeau ; elles prouvent que ce parti si énergiquement désigné par M. de Montosier, et qui, depuis l’origine de la civilisation, travaille à diriger celle-ci à son profit, est implacable, principalement à l’égard des hommes revêtus du caractère de prêtre.

Né en 17 56, près de Calahorra, dans le royaume d’Aragon, province d’Espagne, don Juan Antonio Llorente appartenait à la hialgie ou noblesse, puisqu’il avait des armoiries qu’on trouve gravées en tête de l’un de ses ouvrages. Destiné de bonne heure à la prêtrise, et ses progrès dans les études théologiques ayant été prodigieux, il obtint la tonsure dès l’âge de quatorze ans. Sa vaste érudition se fit remarquer dans quelques essais qu’il publia de très bonne heure, niais qui, n’ayant trait qu’à des intérêts de localités ou de familles, ne l’eussent pas tiré de l’oubli, si la philosophie, dont quelques rayons pénétraient en Espagne malgré les efforts du Saint-Office, ne fût venue éclairer son esprit. Dès l’âge de vingt-deux ans il savait douter dans un pays où l’on ne doute de rien : chez un prêtre espagnol c’était presque un miracle. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’avec ses doutes et sa philosophie, Llorente devint l’un des commissaires de ce Saint-Oflice même, qui poursuivait à outrance les philosophes. Ou devine qu’il n’abusa pas de sa charge pour tourmenter des malheureux. Il y employa beaucoup de temps à préparer cette Histoire de l’Inquisition, un peu diffuse, mais si précieuse à consulter, et que nous avons vu publier à Paris de 1817 à 1818, en ’quatre volumes in-8°. Aussi généreux et humain que tolérant dans un emploi avec lequel la tolérance et l’humanité semblaient être des vertus incompatibles, non-seulement il ne persécuta qui que ce soit pour des opinions dont Dieu seul doit être le juge, mais il accueillit avec une bonté empressée les prêtres qui, persécutés en France sous le régime révolutionnaire, venaient se réfugier en Espagne. Il leur procurait des asiles quand il ne leur pouvait procurer des cures ou autres emplois ; il les aidait de sa bourse, et personne ne l’implora vainement ; aussi l’avons-nous entendu plus d’une ibis nous-mêmes désigner dans son pays par le titre de père des ecclésiastiques français de l’émigration.

Passé du tribunal de Logrogno à celui de Madrid, dont il fut nommé secrétaire, Llorente finit par devenir suspect à cause de ses liaisons avec divers prélats et autres personnages éminents qu’on soupçonnait de jansénisme. Il fut bientôt dépouillé de ses emplois, à l’occasion d’un plan de réforme qu’il avait rédigé, et d’après lequel la publicité des procédures devant le Saint-Office eût été reconnue comme principe. Après un emprisonnement et un exil, pendant lequel l’inquisiteur déchu put apprécier ce que valait l’institution dont il avait fait partie, Lloreiite, puissamment protégé à la cour, rentra eu grâce ;il devint chanoine de Tolède, où il acquit des dignités lucratives dans le chapitre, et jusqu’au cordon de l’ordre de Charles III, qu’il venait de recevoir, précisément lors de l’invasion des troupes impériales en Espagne. Sa position, devenue éminente, le porta à cette junte de Bayonne, qui, durant les scandaleux différends d’un père et d’un fils devenus prisonniers de leur médiateur, rédigeaient pour l’Espagne une constitution illusoire.

Llorente, après y avoir juré fidélité, ne fut pas du moins de ceux qui trahirent le roi Joseph, au sort duquel il demeura, au contraire, fidèlement attaché, qui le nomma conseiller d’état, et qui le jugea, par sa probité, par ses talents et par son influence, digne de grandes faveurs. Llorente composa sous le règne de ce prince plusieurs écrits remarquables, dans le but de prouver que l’Espagne payait des subsides onéreux à la cour de Rome ; 2° que l’opinion des gens sensés repoussait l’Inquisition, dont l’influence tendait à abrutir les Espagnols ; 3°que la régence de Cadix, tout en parlant d’indépendance et de liberté, n’était qu’un instrument du cabinet britannique pour déchirer la Péninsule ; 4° que la dynastie de Napoléon valait bien toute autre dynastie étrangère, qui ne se serait établie au sud des Pyrénées qu’à force d’intrigues et de sang versé. La plume de Llorente ne fut pas d’un secours plus efficace que les trois cent mille Français qu’on dépensa pour renouveler, après un siècle, une scène des règnes de Louis XIV et de Philippe V.

Joseph Napoléon ayant été obligé d’abandonner son trône chancelant, Llorente fut du nombre des Espagnols proscrits qui durent à sa suite chercher un asile en France. Il y vécut d’abord, comme avaient vécu en Aragon, sous son égide, ces pauvres prêtres bannis qu’il avait accueillis depuis 1791 jusqu’à 1793, confessant, disant des messes, et donnant des leçons de langues dans quelques pensions pieusement dirigées, où son habit et sa tonsure lui avaient donné accès.

Un membre du côté droit s’étant fortement élevé à la tribune de la Chambre des Députés contre les secours que le gouvernement accordait aux réfugiés espagnols, en traitant ceux-ci de rebelles, et s’étant évertué à faire un pompeux éloge de l’Inquisition, qu’il disait nécessaire d’établir dans toute la chrétienté, Llorente, qui recevait des secours, qui n’avait jamais été un rebelle, et qui connaissait bien le tribunal qu’on préconisait, Llorente, ému d’indignation, publia un écrit plein de force, dans lequel il démontra « que le bénin tribunal avait seulement dans le dernier siècle, et » sous le règne des princes de la maison de Bourbon, brûlé quinze » cent soixante-dix-huit personnes, c’est-à-dire plus de quinze par année ; en outre plus de sept cent vingt-huit brûlées en effigie, et onze mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit condamnées à des peines plus ou moins graves : total, quatorze mille trois cent soixante-quatre victimes, du consentement des petits-fils de Louis XIV. Et comme aucune loi sur l’Inquisition n’a été révoquée, ajoutait l’auteur, M. Clausel de Coussergues est d’autant plus mal fondé dans son apologie que, si en raison de la maturité des lumières, les supplices rigoureux ne sont plus infligés publiquement, une foule de malheureux sont condamnés à vivre pendant une longue suite d’années entre quatre murailles, sans aucune communication avec les vivants, et à y mourir sans avoir connu d’accusation, sans avoir subi un procès. »

Le succès obtenu par la Lettre à M. Clausel de Coussergues, dans une langue en laquelle Llorente n’avait encore rien fait imprimer, le détermina à publier son Histoire critique de l’Inquisition d’Espagne : le public l’accueillit avec empressement ; mais de son apparition data la cruauté avec laquelle l’auteur fut tourmenté par cette secte hypocrite, qui ne veut même pas souffrir qu’on signale les scélératesses religieuses des siècles passés. Les supérieurs ecclésiastiques du diocèse de Paris interdirent d’abord à Llorente la faculté de confesser, ensuite celle de dire la messe ; et quand il voulut réclamer contre un pareil abus de la force inquisitoriale, établie secrètement en France, on lui défendit d’enseigner la langue espagnole dans aucun pensionnat de la capitale. Celui que les prêtres français avaient, au temps de leur misère, appelé leur père, parce qu’il les avait protégés ou nourris, se vit privé de ses derniers moyens d’existence par des prêtres français : mais la courageuse victime du clergé ultramontain de Paris trouva dans sa plume des ressources qui valaient bien pour vivre honorablement celles du confessionnal et de l’autel ; et parmi le grand nombre de livres qu’il vendit assez bien à des libraires, on doit remarquer l’édition des Œuvres complètes de Barthélémy dé Las Casas, évêque de Chipa, défenseur de la liberté des Américains, précédée de sa vie, accompagnée de notes historiques, etc., et les observations critiques sur le roman de Gilblas de Santillane.

Dans ce dernier volume, l’auteur a voulu démontrer que le meilleur des romans attribués à Lesage n’est pas de lui, mais que cet habile metteur en œuvre l’a exhumé de quelque manuscrit espagnol. Les raisons que donne Llorente à l’appui de cette opinion sont péremptoires, pour qui, connaissant parfaitement l’Espagne et un peu de littérature, n’est pas aveuglé par ce faux orgueil national que l’on confond, jusque chez les nations les plus éclairées de l’Europe, avec du patriotisme. Déjà le padre Isla, frappé de la vérité des tableaux et de la connaissance des lieux, qui font l’un des caractères les plus saillants du Gilblas, avait deviné que cet admirable livre venait d’une source espagnole ; mais, au lieu de rechercher cette source, il se borna à traduire le Gilblas du littérateur français, presque mot à mot, en castillan et avec cette addition au titre : « Ouvrage dérobé à l’espagnol, et rendu à sa langue maternelle par un patriote zélé,qui ne souffre pas qu’on se moque de sa nation. » Dans une préface fort mal faite, parce qu’une bonne préface est plus difficile à faire qu’on ne le pense communément, le traducteur de l’inimitable roman cherche, comme Llorente, à prouver le larcin ; mais il le fait d’une manière à ne convaincre que de son ignorance dans notre langue. Celui qui passe pour un assez bon écrivain dans son Ombre Félis et autres œuvres originales, se montra fort misérable écrivain quand il tenta de faire passer les finesses du style de Lesage dans son idiome natal ; on y trouve le mot à mot du français tellement décoloré,que le moindre écolier ne ferait pas plus mal, et la traduction de nôtre Gilblas en espagnol serait une présomption contre l’opinion de Llorente beaucoup plutôt qu’un témoignage en sa faveur. Malheureusement l’érudit a été prolixe. N’ayant pas toujours insisté sur les bonnes raisons qu’il donnait, ayant négligé ou laissé échapper des preuves matérielles qui jaillissent de chaque page, ayant mis beaucoup d’importance à clés choses qui en ont peu, son livre n’a convaincu personne ; il a été très-légèrement réfuté, mais il sera utilement consulté par quiconque voudra fixer à cet égard l’opinion des personnes qui cherchent sincèrement à s’instruire, et que la question pourrait intéresser.

Accueilli par les plus honnêtes gens de Paris, quand les prêtres le repoussaient ; consolé par de nombreux appréciateurs de ses rares qualités et de son savoir, quand des fanatiques l’insultaient ; trouvant enfin des moyens d’existence dans les plus honorables occupations, quand ses confrères l’eussent voulu réduire à mourir de faim, Llorente venait de mettre au jour le principal, le meilleur de ses écrits, quand le dernier, mais le plus furieux orage éclata sur sa tète. A peine ses Portraits politiques des Papes depuis l’établissement du saint Siège eurent-ils paru eu deux volumes, que la cabale, qui l’avait jusqu’alors sourdement poursuivi, jeta les plus hautes clameurs ; elle usa de son empire irrésistible sur le pouvoir ; elle exigea que Llorente reçût l’ordre de quitter Paris dans vingt-quatre heures, et la France dans cinq jours : tous les efforts que des personnes très-considérables firent pour parer le coup ne purent aboutir qu’à l’obtention d’un sursis de vingt- quatre heures. Les ordres d’outremont furent ponctuellement exécutés : on vit, au plus fort d’un hiver rigoureux, un vieillard de soixante-dix ans arraché brusquement à sa demeure, ravi à ses amis, jeté dans une voiture publique, surveille’ par la police, transporté sans autre formalité hors des frontières, et déposé sur la grande roule d’Yrun, au milieu de la neige des Pyrénées. « C’est ainsi, dit une excellente notice nécrologique, que le fiel des dévots fit chasser d’une terre jusqu’alors hospitalière un des hommes qui ont le plus honoré la religion chrétienne et l’Espagne, et qui de plus avait acquis des droits sacrés à la reconnaissance de ce même clergé français, lorsqu’il était dans le malheur, et exilé du sol natal. »

Llorente fut frappé à mort par cette sorte de déportation ; la rigueur de la saison acheva sur le glacial plateau de Burgos ce qu’avait si bien commencé la police de France ; il n’arriva à Madrid que pour rendre le dernier soupir. Ferdinand VII y était alors roi constitutionnel : ses obsèques furent dignes de l’éclat que ce savant avait fait rejaillir sur sa patrie.

Bory De Saint-vincent.

 
 
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