5 août 1715 : naissance du moraliste Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues

Issu d’une famille noble, Vauvenargues naquit à Aix en Provence. Il avait à peine dix-sept ans, lorsqu’il entra comme sous-lieutenant dans le régiment du roi, et fit ses premières armes en Italie, dans la campagne de 1734 : celle de 1741, en Allemagne, acheva de détruire sa constitution, proportionnellement aussi faible que son âme et son intelligence étaient vigoureuses. Rentré en France, après la mémorable retraite de Prague, dont les fatigues l’avaient épuisé, promu au grade de capitaine, il se vit contraint de quitter le service.

Alors, sans autre recommandation que son mérite, sans autre protecteur que lui-même, il voulut tenter la diplomatie. Il écrivit deux lettres, l’une au ministre, l’autre au roi, et n’obtint pas de réponse. Une seconde lettre adressée à Amelot lui valut au moins des promesses. On y lisait entre autres choses remarquables : « J’ai passé, Monseigneur, toute ma jeunesse loin des distractions du monde, pour tâcher de me rendre capable des emplois où j’ai cru que mon caractère m’appelait ; et j’osais penser qu’une volonté si laborieuse me mettrait du moins au niveau de ceux qui attendent toute leur fortune de leur intrigues et de leurs plaisirs. »

Vauvenargues était retourné dans le sein de sa famille attendre l’effet de sa noble confiance et des promesses ministérielles, qui probablement seraient demeurées sans résultat. Mais la nature, à force de se montrer injuste, dispensa le ministre de l’être. Une petite-vérole de l’espèce la plus maligne ayant attaqué Vauvenargues, le défigura entièrement, et le laissa en proie aux douleurs les plus aiguës. Désormais privé de tout espoir de fortune, il se plongea dans la philosophie ; le petit nombre d’écrits tracés par lui dans l’intervalle de ses souffrances, lui assigne une place à côté de nos plus illustres moralistes.

Telles sont, et la profondeur de pensée, et la justesse d’observation d’un homme qui n’avait presque pas fait d’études, que Voltaire a pu dire sans exagération aucune, qu’à vingt-cinq ans il avait atteint la vraie philosophie et la vraie éloquence. Un critique moderne, Suard, l’a ainsi caractérisé, en le comparant aux grands modèles dont il était devenu le rival : « La Rochefoucauld humilie l’homme par une fausse théorie ; Pascal l’afflige et l’effraie du tableau de ses misères ; La Bruyère l’amuse de ses propres travers ; Vauvenargues le console et lui apprend à s’estimer. »

Quelques pages de l’éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741, ont beaucoup fait pour la gloire de Vauvenargues. Voltaire les a empreintes d’une chaleur d’enthousiasme et d’amitié, dont il n’était pas prodigue. Il a aussi popularisé plusieurs des pensées du guerrier-écrivain, parmi lesquelles on distingue les suivantes : « Les grandes pensées viennent du cœur. — La conscience des mourants calomnie leur vie. — La pensée de la mort nous trompe, car elle nous fait oublier de vivre. — La plus fausse des philosophies est celle qui, sous prétexte d’affranchir les hommes des embarras des passions, leur conseille l’oisiveté. — Nous devons peut-être aux passions les plus grands avantages de l’esprit. — On ne peut pas savoir d’un homme qui n’a pas les passions ardentes, s’il a de la force d’esprit : il n’a jamais été dans des épreuves assez difficiles. »

Le premier fruit de la retraite philosophique de Vauvenargues avait été l’Introduction à la connaissance de l’esprit humain, ouvrage nécessairement incomplet, mais qu’un esprit supérieur pouvait seul concevoir et écrire. Ses Réflexions sur divers auteurs attestent du goût et de l’aptitude : dans ses Caractères, il égale Théophraste, sinon La Bruyère. Si, en général, il ne brille pas par la poésie de l’expression, il n’en séduit que plus vivement, quand tout-à-coup il déploie ce genre de mérite. « Voyez, dit-il à propos de la passion des exercices, voyez l’âme du pêcheur, qui se détache en quelque sorte de son corps pour suivre un poisson sous les eaux et le pousser au piège que sa main lui tend. Qui croirait qu’elle s’applaudit de la défaite du faible animal, et triomphe au fond du filet ? »

Vauvenargues avait écrit quelque part : « La fermeté ou la faiblesse à la mort dépend de la dernière maladie. » C’est peut-être la seule de ses maximes que lui-même ait démentie. Les plus longues et les plus cruelles tortures n’exercèrent aucune influence sur son esprit ; il vit tranquillement la mort s’approcher, et le consumer lentement, pièce à pièce. Livré à la croyance du pur déisme, un jour, dans un cercle d’amis, disputant Sur Bossuet, il avait soutenu qu’on pouvait parler des cultes positifs avec majesté et enthousiasme, sans y croire. On le défia de le prouver, et il écrivit la prière et la méditation qui se trouvent dans ses œuvres.

A la veille de sa mort, un jésuite se présenta chez lui. « Qui vous a envoyé ici ? lui dit le philosophe. — Je viens de la part de Dieu », répondit l’autre. Vauvenargues le congédia ; puis se tournant vers ses amis, et faisant allusion au prosélytisme qui animait la société des jésuites à cette époque, il dit :