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Faire le cheval d'Aristote. Origine, signification proverbe, expression populaire. Dictionnaire locutions

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Expressions, Proverbes
Proverbes et expressions populaires d’usage courant : origine, signification d’expressions proverbiales de la langue française
Faire le cheval d’Aristote
(D’après « Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique
des proverbes et des locutions proverbiales de la langue française »
(par Pierre-Marie Quitard), paru en 1842)
Publié / Mis à jour le vendredi 14 octobre 2022, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 3 mn
 
 
 
Pénitence imposée jadis dans certains jeux de société, consistant à prendre la posture d’un cheval, afin de recevoir sur son dos une dame qu’on doit promener ainsi dans le cercle où elle doit être embrassée par les joueurs

L’expression singulière désignant cette pénitence doit son origine à un fabliau intitulé le Lai d’Aristote, attribué à Henri d’Andelys, trouvère du XIIIe siècle, conte tiré d’un auteur arabe qui l’a intitulé Le Vizir sellé et bridé, l’usage absurde de substituer Aristote à un vizir étant venu, suivant Chenier, de l’autorité même qu’Artistote avait acquise dans les écoles du XIIIe siècle. En voici le canevas :

Alexandre le Grand, épris d’une jeune et belle Indienne, semblait avoir perdu le goût des conquêtes. Ses guerriers en murmuraient, mais aucun d’eux n’était assez hardi pour lui en exprimer le mécontentement général. Son précepteur Aristote s’en chargea : il lui représenta qu’il ne convenait pas à un conquérant de négliger ainsi la gloire pour l’amour ; que l’amour n’était bon que pour les bêtes, et que l’homme esclave de l’amour méritait d’être envoyé paître comme elles.

La sagesse dissipée par l'amour : Aristote chevauché par Phyllis. Enluminure extraite des Romans arthuriens (1270-1290), manuscrit français n°95

La sagesse dissipée par l’amour : Aristote chevauché par Phyllis.
Enluminure extraite des Romans arthuriens (1270-1290), manuscrit français n°95

Une telle remontrance fit impression sur le monarque qui se décida, pour apaiser les murmures de son armée, à ne plus aller chez sa maîtresse ; mais il n’eut pas le courage de défendre qu’elle vînt chez lui. Elle accourut tout éplorée pour savoir la cause de son délaissement, et elle apprit ce qu’avait fait Aristote. « Eh quoi ! s’écria-t-elle, le seigneur Aristote a de l’humeur contre le penchant le plus naturel et le plus doux ? Il vous conseille d’exterminer par la guerre des gens qui ne vous ont fait aucun mal, et il vous blâme d’aimer qui vous aime ! C’est une déraison complète, c’est une impertinence inouïe qui réclame une punition exemplaire, et, si vous voulez bien le permettre, je me charge de la lui infliger. »

Son amant ne s’opposa point à ses projets, et dès ce moment elle mit tout en œuvre pour séduire le philosophe. Ce que veut une belle est écrit dans les cieux, et l’égide de la sagesse ne met pas à couvert de ses traits vainqueurs. Le vieux censeur des plaisirs l’apprit à ses dépens. Son cœur, surpris par les galanteries les plus adroites, se révolta contre sa morale. Vainement il crut l’apaiser en recourant à l’étude et en se rappelant toutes les leçons de Platon : une image charmante venait sans cesse se placer devant ses yeux et détournait vers elle seule toutes les méditations auxquelles il se livrait.

Aquamanile de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle représentant Aristote chevauché par Phyllis

Aquamanile de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle représentant
Aristote chevauché par Phyllis. © Crédit photo : Metropolitan Museum of Art

Enfin il reconnut que l’étude et Platon ne sauraient le défendre contre une passion si impérieuse, et son esprit subtil lui révéla que le meilleur moyen de la vaincre était d’y succomber. Dès l’instant il laissa là tous les livres et ne songea qu’aux moyens d’avoir un entretien secret avec la jeune Indienne. Un jour qu’elle faisait une promenade solitaire dans le jardin du palais impérial, il accourut auprès d’elle, et à peine l’eut-il abordée qu’il se jeta à ses pieds, en lui adressant une pathétique déclaration. L’enchanteresse feignit de ne pas y croire pour se la faire répéter.

Obligée enfin de s’expliquer, elle répondit qu’elle ne pouvait ajouter foi à des aveux si extraordinaires sans des preuves bien convaincantes. Toutes celles qu’il était possible d’exiger lui furent offertes. « Eh bien, reprit-elle, après cela, il faut satisfaire un caprice. Toute femme a le sien : celui d’Omphale était de « faire filer un héros, et le mien est de chevaucher sur le dos d’un philosophe. Cette condition vous paraîtra peut-être une folie ; mais la folie est à mes yeux la meilleure preuve d’amour. »

Il fut fait comme elle le désirait. Qu’y a-t-il en cela d’étonnant ? Le dieu malin qui change un âne en danseur, comme dit le proverbe, peut également changer un philosophe en quadrupède. Voilà notre vieux barbon sellé, bridé, et l’aimable jouvencelle à califourchon sur son dos. Elle le fait trotter de côté et d’autre, et pendant qu’il s’essouffle à trotter, elle chante joyeusement un lai d’amour approprié à la circonstance.

Le cheval d'Aristote. Gravure publiée dans Le petit savant de société, ouvrage dédié à la jeunesse des deux sexes, contenant la manière de jouer tous les jeux innocents dont on s'amuse en société, et les pénitences qui s'y ordonnent, avec la manière de s'y conformer en les exécutant. Recueil extrait des manuscrits de M. Enfantin, et corrigé et augmenté par M. de Belair, seconde édition, tome IV paru en 1810

Le cheval d’Aristote. Gravure publiée dans Le petit savant de société, ouvrage dédié à la jeunesse
des deux sexes, contenant la manière de jouer tous les jeux innocents dont on s’amuse
en société, et les pénitences qui s’y ordonnent, avec la manière de s’y conformer en les
exécutant. Recueil extrait des manuscrits de M. Enfantin, et corrigé et augmenté
par M. de Belair
, seconde édition, tome IV paru en 1810

Enfin, quand il est bien fatigué, elle le presse encore et le conduit... devinez où ? Elle le conduit vers Alexandre, caché sous un berceau de verdure d’où il examinait cette scène réjouissante. Peignez-vous, si vous le pouvez, la confusion d’Aristote, lorsque le monarque, riant aux éclats, l’apostropha de cette manière : « Ô maître ! est-ce bien vous que je vois dans ce grotesque équipage ? Vous avez donc oublié la morale que vous m’avez faite, et maintenant c’est vous qu’il faut mener paître. »

La raillerie semblait sans réplique ; mais l’homme habile a réponse à tout. « Oui, c’est moi, j’en conviens, répondit le philosophe en se redressant. Que l’état où vous me voyez serve à vous mettre en garde contre l’amour. De quels dangers ne menace-t-il pas votre jeunesse, lorsqu’il a pu réduire un vieillard si renommé par sa sagesse à un tel excès de folie ? »

Cette seconde leçon était meilleure que la première. Alexandre parut l’approuver, et il promit de la méditer auprès de la jeune Indienne. C’était là qu’on lui reprochait d’avoir perdu sa raison, c’était là qu’il devait la retrouver. Il y réussit, mais ce fut, dit-on, par l’effet du temps, plutôt que par celui de la leçon. Le temps, pour guérir de l’amour, en sait beaucoup plus qu’Aristote.

 
 
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