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22 janvier 1917 : mort de Bérenger Saunière, inventeur supposé du trésor des Templiers

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22 janvier 1917 : mort de l’abbé
Bérenger Saunière, inventeur supposé
du trésor des Templiers
(D’après « Rennes-le-Château. Une autre approche de l’énigme »
(par Claude Palmeti et Lena Mirlova), paru en 2008)
Publié / Mis à jour le lundi 22 janvier 2024, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 16 mn
 
 
 
C’est en 1885 que Bérenger Saunière, jeune prêtre de 33 ans né à Montazels, dans l’Aude, prend possession de sa nouvelle paroisse de Rennes-le-Château dont il connaît jusqu’au dernier sentier. Commence alors l’aventure du « curé aux milliards », érudit, facétieux, antirépublicain, découvrant de mystérieux parchemins puis mettant la main sur un inestimable trésor lui permettant notamment, selon la légende, de restaurer à grands frais l’église de la commune.

Le 11 avril 1852 naît à Montazels, petit village de l’Aude, Bérenger Saunière. Son père, Joseph, alors âgé de 29 ans, cumule les fonctions de régisseur du Marquis de Cazemajou, de gérant de la minoterie du manoir de Montazels et plus tard de maire du village. Cette situation importante et enviée procure une certaine aisance à la famille.

Depuis 1696, les Cazemajou et leurs cousins, les Nègre d’Ables, sont co-seigneurs de Niort. Marie de Nègre d’Ables, dont il sera question à Rennes-le-Château, est la fille de François de Nègre d’Ables. En épousant, le 5 novembre 1752, François d’Hautpoul-Rennes, elle lui apporte en dot de mariage une partie de Niort.

Comme la France profonde de 1852, cette famille Saunière est attachée aux principes de la monarchie légitimiste paternelle. Elle ne voit pas avec indifférence la Ville Éternelle aux mains des insurgés et le Pape chassé de ses États. Aussi, lorsque le Prince-Président décide de délivrer le pape Pie IX prisonnier de la jeune république italienne, pour cette France catholique, c’est une immense satisfaction.

Bérenger Saunière. Dessin d'après photographie réalisé par Travis Simpkins (2017)

Bérenger Saunière. Dessin d’après photographie réalisé par Travis Simpkins (2017).
© Crédit illustration : http://www.artcrimeillustrated.com

De 1852 à 1860, l’enfance de Bérenger n’est pas perturbée par le climat de formidable répression antirépublicaine engagée par le Prince-Président. Comme tous les enfants de son âge, il est insouciant et avide de découvertes. Lors de la proclamation de la IIIe République, le 4 septembre 1870, Bérenger a dix-huit ans. Désireux de devenir prêtre — à cette époque, la prêtrise, c’est la sécurité matérielle mais aussi la considération et le prestige attachés au sacerdoce —, il va constituer et fournir avant le 15 juin 1874, son dossier de candidature au Grand Séminaire de Carcassonne. Il réussit son examen d’admission au mois de juillet suivant. Son frère Alfred suivra la même voie et fera lui aussi beaucoup jaser. Il est soupçonné d’avoir détourné à son profit l’héritage d’une richissime famille de Coursan dans l’Aude et fera l’objet d’un procès.

Le 20 février 1878, l’Église Romaine Catholique a élu en la personne de Léon XIII le successeur de Saint-Pierre. Il restera pape jusqu’en 1903. Bérenger Saunière est ordonné prêtre en juin 1879. En vertu de l’ordonnance du 13 mars 1832, son traitement est de 900 francs par an ; le 16 juillet 1879, il est nommé vicaire à Alet-les-Bains. Pour le jeune prêtre, la cité romane d’Alet sera le point de départ d’une carrière ecclésiastique qui durera 29 ans. Dans cet ancien évêché, le jeune vicaire visite les ruines majestueuses de la vieille cathédrale et du réfectoire incendiés en 1577, auxquels le pillage systématique des pierres infligera des dégâts si importants que toute restauration deviendra, selon Viollet-le-Duc, impossible.

L’abbé, peu enclin à vibrer au rythme des fifres républicains, nourrit des idées royalistes solidement ancrées dans son esprit. Aussi va-t-il chercher à contrecarrer de toutes ses forces le nouvel état d’esprit républicain qui engendre, selon lui, des sentiments nouveaux et dangereux auprès des populations, comme le patriotisme ou le culte de la personnalité. Monseigneur Félix Arsène Billard succède à Mgr Luilleux le 21 juillet 1881 à l’évêché de Carcassonne et nomme Saunière curé de Le Clat le 16 juin 1882. Ce dernier y restera jusqu’en 1885.

Cette paisible bourgade, isolée des berges de l’Aude par une éprouvante montée, vit de l’élevage du mouton. Pour ce prêtre de 30 ans, cet isolement forcé est propice à l’étude et à la réflexion. En août 1883, l’annonce de la mort du comte de Chambord — qui le 29 juillet 1872 avait refuser de « devenir le roi légitime » de France sous le nom de Henri V —va le tirer de sa torpeur passagère. Toute son enfance remonte d’un coup à la surface. Avec elle, le souvenir de son père qui lui a souvent parlé d’Henri V et de ses nombreuses tentatives de restauration de la monarchie. Mais en cet été 1883, la République est solidement instaurée. Néanmoins, plusieurs comités royalistes vont, par souscriptions privées, ériger des monuments à la mémoire du comte de Chambord.

Le destin n’oublie pas Bérenger Saunière et va le ramener vers sa vallée de Couiza. Le 1er juin 1885, Monseigneur Billard, encore lui, le nomme curé desservant à Rennes-le-Château. Cette nomination inattendue emplit de joie le cœur de l’abbé Saunière, qui retrouve du même coup sa famille et son pays natal. À l’approche des fortes chaleurs de l’été, il redécouvre sa montagne et elle lui semble plus belle que jamais. L’été se passe sans que rien ne vienne troubler la douce quiétude de ce bourg écrasé de soleil.

Les élections législatives du mois d’octobre 1885 fournissent au curé Saunière, ardent et passionné, l’occasion de monter en chaire pour inciter les fidèles à voter antirépublicain. D’une voix ferme, il désigne l’adversaire : « Les Républicains, voilà le Diable à vaincre et qui doit plier le genou sous le poids de la Religion et des Baptisés. Le signe de la croix est victorieux et avec nous... ». Les Républicains triomphent et l’abbé provocateur est « dénoncé au Préfet de l’Aude, pour incitation au désordre et pressions électorales ». L’abbé Saunière n’est pas le seul à être compromis dans cette affaire des élections législatives de 1885 et trois autres prêtres du diocèse, légitimistes réactionnaires, convaincus eux aussi, ont réagi de la même manière, en voyant le Languedoc glisser progressivement vers le radicalisme anticlérical. Ils en attribuent la responsabilité à la petite bourgeoisie, souvent proche de la franc-maçonnerie.

Aussi, Bérenger Saunière et ses confrères, les prêtres Jean, Tailhan et Delmas, se voient notifier par le Préfet de l’Aude une décision ministérielle qui supprime leur traitement à partir du 1er décembre 1885. Déçu, sans ressources, il s’adresse à Mgr Billard qui, comprenant la gravité de la situation, lui avance une somme de 200 francs et le nomme professeur au Petit Séminaire de Narbonne. Il occupera ce poste jusqu’en juillet 1886, date à laquelle le Préfet lève la suspension et lui rétablit son maigre traitement de 75 francs par mois.

C’est nanti d’une subvention de 1 000 francs attribuée par la comtesse de Chambord — cette somme sera multipliée par trois dans l’actif de la situation financière de l’abbé Saunière établi par le docteur Huguet, son défenseur au cours de ses procès — que ce dernier reprend ses fonctions de desservant à Rennes-le-Château. Cette donation pieuse arrive au bon moment pour lui permettre d’engager les travaux de réparations de l’église et du presbytère. En 1885, l’état de l’église, consacrée en 1059, est déplorable : des planches remplacent les vitraux cassés par les rafales de vent, la toiture est délabrée et il pleut sur le prêtre et les fidèles pendant les offices. Le presbytère est inhabitable et contraint le curé à s’installer chez une paroissienne. À cause de ses faibles ressources, la mairie n’a pu réaliser que des travaux minimes au moment où l’abbé entreprend la restauration de son église. Celle-ci, répartie entre deux périodes, de 1886 à 1891 et de 1892 à 1898, durera 12 ans.

Les travaux préliminaires
C’est par l’autel alors constitué d’une table primitive de pierre ciselée sur la tranche, reposant sur un pilier creux et sculpté, que l’abbé Saunière commence ses restaurations. Ce pilier, datant d’une époque comprise entre le Ve et le VIe siècle de notre ère, est décoré de la croix que les Goths avaient coutume d’appeler Croix du Silence.

Quand l’abbé Saunière décide de déplacer l’autel primitif, contemporain du sanctuaire, pour lui substituer l’autel en terre cuite avec ciborium peint que l’on voit aujourd’hui, ce sont des fragments d’os que le carillonneur Antoine Captier découvre.

Ensuite l’abbé entreprend de sonder l’édifice. Il commence par ôter le pavement de la nef et du chœur. Il est aidé dans ses travaux de démolition par plusieurs personnes qui seront les témoins oculaires d’une découverte importante qu’il va faire : celle d’anciens parchemins dissimulés selon les uns dans la cupule creusée dans le pilier wisigothique, et destiné à abriter les reliques de quelque saint ; selon d’autres, dans un balustre de bois creux d’époque renaissance qui existe toujours et qui appartient à la famille Corbu-Captier, légataire universel de Marie Denarnaud, la servante de l’abbé Saunière.

Ce détail d’apparence anodine et au contraire d’un grand intérêt. Voici pourquoi : ces parchemins, qui depuis lors ont fait couler beaucoup d’encre, ont mystérieusement disparu. Cette disparition ne cesse, à juste titre, d’intriguer et d’agacer tous ceux qui s’intéressent de près à cette ténébreuse affaire. Le doute aidant, leur existence même est remise en cause. Le lieu où l’abbé Saunière en personne — ou quelqu’un d’autre — les trouva pourrait nous renseigner sinon sur leur provenance, du moins sur leur ancienneté présumée. En effet, si l’emplacement de la découverte est bien le pilier wisigothique soutenant l’autel primitif, ils ne peuvent être qu’antérieurs au XIe siècle, époque probable de la consécration de l’église. En revanche, si le balustre Renaissance en bois creux, plus facilement amovible, est à retenir, comme le pense la majorité des auteurs, plutôt que le pilier wisigothique dont l’espace intérieur est insuffisant pur y cacher des parchemins contenus dans une bouteille, leur âge reste indéterminé.

Arrière de l'église Sainte-Marie-Madeleine de Rennes-le-Château (Aude)

Arrière de l’église Sainte-Marie-Madeleine de Rennes-le-Château (Aude).
© Crédit photo : http://bibleetdecouvertes.free.fr

Après la prétendue découverte des parchemins, l’abbé Saunière reprend ses travaux et localise au pied de l’autel une tombe recouverte d’une dalle dont la face sculptée est tournée vers le sol. Dans cette tombe, Saunière découvre quelques bijoux anciens, divers fragments osseux, ainsi qu’un pot de grès rempli de pièces d’or. À la vue de cette trouvaille, l’abbé renvoie les deux ouvriers présents en invoquant un prétexte fallacieux. Cette dalle, dite dalle des Chevaliers est aujourd’hui visible dans le petit musée de Rennes-le-Château. D’époque mérovingienne ou carolingienne, elle est composée de deux panneaux. Sur celui de gauche, un personnage sonne de la trompe, tandis que l’animal au repos s’abreuve. Sur celui de droite, deux cavaliers chevauchent le même cheval, ce qui n’est pas sans rappeler le sceau primitif des Templiers.

Polémique autour d’un voyage
La découverte des parchemins supposés anciens dans l’église a bien sûr attiré l’attention des habitants du village et de son maire en particulier qui ne tarde pas à les revendiquer. Saunière lui rétorque qu’il convient tout d’abord de les déchiffrer et de les traduire, ce qu’il s’engage à faire rapidement. Devant l’insistance du maire, il lui promet de lui fournir des copies de ces documents. Il tiendra parole, du moins en apparence. En réalité, rien ne prouve que le prêtre n’ait pas conservé quelques documents jugés par lui trop révélateurs pour être divulgués. C’est là le récit généralement admis, avec son inévitable aspect mensonger.

L’abbé Saunière, qui n’est pas paléographe, échoue vraisemblablement dans sa tentative de déchiffrement. Mais comme il pressent toute l’importance de sa découverte, il va, semble-t-il, sur les conseils de son évêque, Mgr Billard, qui va même jusqu’à financer son séjour de ses propres deniers, se rendre dans la capitale pour rencontrer un spécialiste en décryptement. Pour Gérard de Sède — premier auteur à avoir porté cette affaire sur la place publique —, celui-ci est un jeune oblat alsacien, du nom de Emile Hoffet.

« Emile Hoffet, dit-il, est né le 11 mai 1873 à Schiltigheim ; il rentre au Noviciat des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée à Saint Gerlach (Hollande) le 14 août 1892, et il est ordonné prêtre le 18 juillet 1898. On ne le retrouve à Paris qu’en 1914, lors de la Grande Guerre. Au moment de la prétendue découverte des parchemins dans le pilier sculpté du Maître autel en 1887, Emile Hoffet avait quatorze ans et il n’avait pas encore pu s’adonner à des études poussées de linguistique ».

Si ce voyage à Paris s’est bien déroulé au cours de l’été 1891, Emile Hoffet est alors âgé de dix huit ans. Ce jeune ecclésiastique, qui deviendra plus tard l’auteur d’études très sérieuses sur les Sociétés secrètes et leurs implications politiques, pouvait très bien avoir acquis, à cette époque là, les connaissances linguistiques nécessaires pour procéder au déchiffrement desdits parchemins. Il semblerait que sa rencontre avec Saunière ne fasse aucun doute si l’on en croit Gérard de Sède qui est en possession d’une partie des archives ayant appartenu au jeune oblat alsacien. Si l’on écarte la version Emile Hoffet, alors de qui Bérenger Saunière a-t-il reçu les informations lui permettant de déchiffrer et de traduire les documents trouvés ? Il est douteux que l’on ne sache jamais le fin mot de cette affaire.

Une question reste en suspens en ce qui concerne ce voyage à Paris. Comment cet humble curé de campagne, dépourvu de fortune s’est-il trouvé subitement introduit dans la société parisienne la plus huppée ? Que dire de l’anecdote selon laquelle Emma Calvé, la cantatrice adulée, alors au faîte de sa gloire, se serait liée d’amitié avec le prêtre au cours de son bref séjour dans la capitale ?

Comme nous venons de le voir, il est peu probable que ce soit Emile Hoffet qui ait pu faciliter l’admission de l’abbé Saunière dans ce monde privilégié, à moins qu’il n’ait été en relation avec un personnage fréquentant ce cénacle de poètes, musiciens et écrivains célèbres. Alors, si ce voyage à Paris a réellement eu lieu, justifié ou pas par le décodage des parchemins, et si Bérenger Saunière a rencontré la cantatrice Emma Calvé, à quel personnage faut-il attribuer l’initiative de cette rencontre ? Le fait que la Diva, originaire du Rouergue, soit occitane comme lui ne suffit pas à expliquer que l’abbé ait pu parvenir aisément jusqu’à elle et moins encore qu’elle ait, plus tard, accepté de séjourner à Rennes-le-Château. Son hôtel particulier de Cours-la-Reine est le lieu de rencontre de tous les grands noms de la musique, du théâtre, des lettres et de la peinture. On y côtoie Massenet, Gounod, Daudet, Sarah Bernard, Mistral, Verlaine, Mallarmé et bien d’autres encore. Or, Bérenger Saunière n’est qu’un anonyme à l’esprit aventureux, certes, mais sans aucune renommée. Seul, l’intérêt d’Emma Calvé pour l’occulte qui la pousse à acquérir le château de Cabrières apporte un éclairage nouveau dans la mesure où l’on prête à Bérenger Saunière de l’attrait pour l’occulte. Or, de cela, nous ne savons rien.

Une mise au point est venue, en 1983, des Éditions Grandes Causses qui ont publié une excellente biographie de la célèbre cantatrice, signée Georges Girard, qui a à sa disposition toutes les archives de la Diva. Un chapitre est bien consacré à Emma Calvé et Bérenger Saunière, mais uniquement d’après Gérard de Sède dans le Trésor maudit de Rennes-le-Château (1968). Georges Girard, interrogé à ce sujet par les Éditions Bélisane, fait la réponse suivante par courrier en date du 29 juin 1988 : « En ce qui concerne le cas particulier des relations entre la cantatrice et l’abbé Saunière, tout ce qui m’a été permis de connaître de ces relations, je l’ai employé pour la rédaction d’un chapitre qui leur est consacré. Rien dans l’abondante correspondance d’Emma Calvé que possède notre Association, rien dans ses carnets d’adresses, aucune mention, la plus petite soit elle, ne figure dans cette accumulation de documents divers ».

Puisque les archives sont muettes, où l’auteur de La Cantatrice a-t-il puisé les renseignements qui lui ont permis de relater cet épisode à sensation de la vie du curé de Rennes-le-Château ? À moins que ne soient produits des documents nouveaux et authentiques, nous ne pouvons qu’être perplexes. Il est vrai que dans ces années là, l’occultisme est à la mode, surtout parmi les artistes et scientifiques de haut niveau. Ainsi, l’astronome Camille Flammarion, Richer, le professeur de médecine, le colonel Rochas, directeur de l’Ecole Polytechnique, le docteur Gérard d’Encausse, dit Papus, Josephin Peladan, qui se fait appeler le Sar, c’est-à-dire le Mage, sont les vedettes en 1889 du premier congrès spirite de Paris.

Mais à côté de ces manifestations officielles, il existe des réunions publiques animées par des gourous à l’opportunisme évident, où se côtoient des gens venus d’horizons différents. Elles sont propices aux échanges et aux rencontres. Dans ce microcosme de lettrés d’avant-garde bouillonne tout un fatras d’idées qui annonce déjà la venue plus tard du mage Alester Crowley et de l’étrange et mystérieux G. I. Gurdjieff.

Les occultistes ne sont pas les seuls à avoir pignon sur rue. Le spiritualisme, né aux États-Unis en 1848, fait son entrée en France sous le nom de spiritisme. Atlan Kardec, de son vrai nom Hyppolyte Rivail, en est le grand initiateur et propagateur. Pour lui, le spiritisme est axé sur la réincarnation. Grâce à des moyens techniques conçus par lui, il entre en communication avec les esprits qui lui donne l’ordre de compiler leurs réponses dans un ouvrage intitulé Le Livre des Esprits paru en 1857. Son succès fut immédiat et international, ce qui ne manqua pas d’attirer la foudre sur son auteur, certains détracteurs ne retenant de cette doctrine que l’aspect mercantile. Son successeur, Léon Denis, débordera la pensée du Maître et, poussant les théories kardécistes dans leurs plus extrêmes conclusions, ira jusqu’à nier explicitement la divinité de Jésus et à tourner en dérision la religion romaine.

De retour dans sa cure de Rennes-le-Château, l’abbé Saunière se fait rapidement de nouveaux amis. Parmi les invités régulièrement présents à la villa Bethanie, on rencontre des francs-maçons languedociens notoires comme Dujardin-Beaumetz, propriétaire du château de la Bézole et affilié à la loge La Clémente Amitié. Il y a aussi le sculpteur Giscard, spécialisé dans l’imagerie religieuse. La façade de la maison de cet artiste où chaque pierre ouvragée a une signification symbolique, semble au premier abord entièrement dédiée à la gloire de la franc-maçonnerie. En réalité, il ne s’agit peut être que du Chef d’Oeuvre d’un compagnon, comme cela se fait couramment à l’époque. En effet, devenu société secrète après la Révolution pour pouvoir continuer d’exister, le compagnonnage impose des épreuves bizarres aux initiés afin de tester leur fidélité et leur discrétion absolues.

La Villa Béthanie de l'abbé Saunière, avec son potager, à Rennes-le-Châeau (Aude). Béranger Saunière pose devant le bassin circulaire. À droite, l'église

La Villa Béthanie de l’abbé Saunière, avec son potager, à Rennes-le-Châeau (Aude).
Béranger Saunière pose devant le bassin circulaire. À droite, l’église.
© Crédit photo : http://www.rennes-le-chateau-archive.com

Ce n’est pas à cause de son hypothétique appartenance à l’Ordre maçonnique que Saunière choisit Giscard comme décorateur pour son église Sainte Marie-Madeleine, mais uniquement parce que celui-ci est le fournisseur habituel du clergé. Du reste, aucune preuve tangible ne permet d’affirmer que l’abbé ait été, à un moment ou à un autre, membre d’une société initiatique. N’oublions pas qu’en cette fin du XIXe siècle, l’Eglise catholique et la franc-maçonnerie en particulier, ne cessent de s’adresser mutuellement des invectives plutôt cuisantes. S’il n’a pas été franc-maçon, peut-être a-t-il été rosicrucien. Là encore, il n’existe pas d’archives prouvant son appartenance à l’ordre de la Rose-croix. Pourtant, tout dans l’église de Rennes-le-Château incite à le croire : l’ornement de son tympan, les personnages rajoutés de son chemin de croix, la présence insolite de son diable grimaçant, les inscriptions latines volontairement tronquées ou les omissions significatives. Pour certains auteurs, il s’agit d’un symbolisme peu orthodoxe pour une église. D’autres pensent même que ce lieu de recueillement n’ouvre pas nécessairement la porte du Ciel, contrairement à ce que laisse supposer la phrase du porche.

« Hic domus dei est et porta coeli »
En français, « Ici, est la maison de Dieu et la porte du Ciel ». Pour ceux là au contraire, son obscurité liée à son agencement sont davantage propices à la célébration d’étranges mystères qu’à la communion intense avec Dieu, dans les volutes mystiques de l’encens.

Au sujet de son voyage dans la capitale, Saunière reste muet. Il semble même qu’il ait tout fait pour en dissimuler le véritable motif. La fameuse photo truquée évoquée par certains auteurs et visible chez lui, comment se présente-t-elle ? Elle n’a ni date fixe, ni adresse précise à Paris. En faisant effacer sur un second tirage effectué par un studio de Limoux la signature d’un studio parisien qui figurait sur la photo originale, Saunière a tenté de cacher à ses visiteurs occasionnels ou à ses familiers sa présence à Paris à un moment précis de sa vie. Il semblerait qu’il n’y ait pas une autre explication à ce truquage. Pourtant, à propos de cette photo, l’abbé Bruno de Monts apporte une précision intéressante qui a même valeur de démenti :

« Pour expliquer les voyages à Paris de l’abbé Saunière, on invoque des photographies signées Vaugon, 27 rue du Faubourg Montmartre, Paris. Il importe de souligner que beaucoup de ces photos sont des agrandissements. Or, avant la dernière guerre, des commis voyageurs de maisons de photographie de Paris visitaient nos presbytères, nous offrant de faire des agrandissements, moyennant finances, des photos que nous pouvions avoir. On est incapable de donner des dates exactes de ses séjours, s’il y a eu plusieurs voyages de l’abbé Saunière à Paris ».

Dans la revue de l’Association Terre de Rhedae (n°8, octobre 1994), Alain Féral, auteur de quatre ouvrages sur Rennes-le-Château, démontre, preuves à l’appui, que la photo régulièrement utilisée pour représenter l’abbé Bérenger Saunière dans les diverses publications concernant Rennes-le-Château est en réalité celle de son frère Alfred. Ce distingo apporte une précision non négligeable.

1891, l’année décisive
Chaque jour, accompagné de sa fidèle servante Marie, Saunière se livre à d’étranges besognes. Une hotte sur le dos, il se rend dans la combe de Bals où serpente le Ruisseau de Couleurs. Là, il fait provision de pierres et quand il rentre, le soir venu, épuisé d’avoir gravi la rude montée avec son fardeau pesant, il explique aux habitants rencontrés par hasard, qu’il va construire, près du cimetière, une grotte identique à celle de Lourdes.

Plus étrange encore. La nuit, il s’enferme dans le cimetière, toujours accompagné de Marie. Là, il déplace la stèle et la pierre tombale de Marie de Nègre d’Ables, épouse de François d’Hautpoul, Marquis de Blanchefort, décédée le 17 janvier 1781, et les transporte à l’extrémité opposée du cimetière. On prétend même qu’il s’est efforcé de gratter la stèle pour en effacer l’épitaphe. Ensuite, il fait disparaître la pierre tombale. Si ces faits sont réels, on peut dire que l’abbé Saunière s’est donné beaucoup de mal pour rien, car le texte de l’inscription funéraire, relevé auparavant par des archéologues, nous est parvenu intact malgré lui. Une reproduction en sera publiée dans le Bulletin de la Société des Études Scientifiques de l’Aude, de sorte que nous connaissons parfaitement le texte original.

Mais pourquoi toutes ces fouilles insolites et nocturnes qui finissent par agacer, à juste titre, les habitants de la commune ? Pourquoi tant d’efforts répétés pour seulement mettre au jour quelques ossements sans intérêt apparent ? Seuls les parchemins trouvés dans le balustre, s’ils ont existé, fourniraient à coup sûr une réponse. Mais hélas, nous ne savons rien d’eux.

Un fait est certain. L’abbé Saunière découvre bien une sépulture le 21 septembre 1891. Mais il décide de tenir secrète sa découverte, tellement celle-ci est exceptionnelle. Seule une phrase laconique rappelle ce fait dans son journal : « Lettre de Granes. Découverte d’un tombeau. Le soir, pluie ». Dans ce même journal, à la date du 29 septembre, on lit : « Vu curé de Nevian. Chez Gélis. Chez Carrière. Vu Cros et Secret ». Dans la notation du 29 septembre 1891, une chose paraît troublante. Le "S" majuscule de secret. Quel est donc ce secret auquel l’abbé fait allusion ? L’explication fournie par Corbu-Captier selon laquelle une amitié authentique liait le franc-maçon Ernest Cros et l’antirépublicain Saunière est sans fondement. Ainsi, « Vu Cros et Secret » pourrait être lu dans le sens « Vu le vicaire général Cros et son Secrétaire », ce qui écarte alors toute interprétation tendancieuse.

Les divers objets et bijoux donnés par Saunière à des amis, que ce soit la collection de pièces anciennes remise à l’abbé Courtauly de Villarzel-du-Razès (Aude), le calice en or du XIIIe siècle, dont il fait cadeau à l’abbé Grassaud de Saint Paul de Fenouillet (Pyrénées Orientales), ou encore, le bracelet et le collier d’or de facture wisigothique donnée à une nièce de Marie Denamaud, madame Georgette Roumens-Talon, qui connaîtra une fin tragique en 1974, ne permettent pas d’affirmer que nous sommes en présence d’un inestimable trésor. Néanmoins, la sœur de lait de Marie Denarnaud prétend avoir vu un jour dans la cave de la villa Béthanie plusieurs lingots d’or rangés sur une étagère. Affabulation ou pas, personne n’ayant confirmé ou démenti ses dires, il convient de rester dubitatif.

Pourtant, dès l’année 1886, Bérenger Saunière se fait bâtisseur à ses frais, et il voit grand, très grand même. Il commence d’abord par restaurer la charpente, la voûte et la toiture de l’église. Ensuite, il fait poser un nouveau pavement dont les dalles alternativement noires et blanches font penser aux cases d’un échiquier géant. Enfin, il fait installer une chaire et un lampadaire central.

L’église ainsi restaurée, il reste à la décorer. L’abbé Saunière fait appel au sculpteur toulousain Giscard, spécialiste en imagerie religieuse. Il lui commande un tympan, un bas-relief, des statues et un chemin de croix. Pour ce qui est des vitraux, leur confection est confiée au Maître verrier Henri Feur, de Bordeaux. Loin de vouloir prouver que l’abbé Saunière a appartenu à un ordre quelconque de franc-maçonnerie, on est tout de même en droit de se poser des questions quant aux bizarreries rencontrées dans les oeuvres de ces artistes. La présence d’un personnage cornu et grimaçant, abusivement baptisé Asmodée, démon de l’amour impur dans le Livre de Tobie, sitôt franchie l’entrée de l’église, laisse perplexe.

Pourquoi le sac percé, sur le grand haut-relief où un Christ ouvre ses bras aux malades regroupés à ses pieds sur un parterre de fleurs ? Plus étrange encore est le chemin de croix où l’on rencontre des personnages qui n’ont pas leur place dans les Évangiles de la Passion. Ainsi, à la 9e station, on voit un chevalier romain. Or, le seul chevalier romain du légendaire chrétien est Saint-Martin. Pour Gérard de Sède, il s’agit du Chevalier Bienfaisant que l’on rencontre dans le Rite maçonnique Écossais rectifié. En ce qui concerne l’enfant vêtu d’un tissu écossais de couleur bleue, nous pensons que ce coloriage peut très bien avoir été réalisé après coup par un facétieux ou par quelqu’un chargé de faire accréditer la thèse du symbolisme maçonnique dans l’église de Rennes-le-Château.

Dans son article Le symbolisme maçonnique dans l’affaire de Rennes-le-Château paru en 1988 dans les cahiers de Rennes-le-Château, André Goudonnet écrit : « Ces anomalies sont propres à ce chemin de croix. Jean Pierre Monteils a photographié à Saint Pierre et Saint Paul (Aveyron) un chemin de croix sorti du même moule et elles n’y figurent pas. À Rennes-le-Château, on les a ajoutées en les peignant sur fond plat ». Evidemment, nous laissons à cet auteur l’entière responsabilité de son article.

Plus tard, l’abbé Saunière achète en même temps dans le village six terrains au nom de Marie Denarnaud. Sur ce domaine nouveau et d’un seul tenant, il fait appel à l’architecte Tiburce Caminade et à l’entrepreneur Elie Blot pour ériger un ensemble de constructions d’un luxe parfois ostentatoire et agressif. Il y a d’abord la tour Magdala qui, par son nom, évoque la Galilée. C’est une tour de style néogothique à deux étages. Carrée et crénelée, elle est surmontée d’un belvédère et flanquée d’une échauguette. Dans cette bâtisse, le curé installe sa bibliothèque de livres rares et son bureau. Un chemin de ronde de forme semi-circulaire se dresse à l’emplacement des anciens remparts. On y accède par un escalier à double révolution entourant un bassin. À l’une des extrémités se trouve la tour Magdala à l’autre une grande orangerie chapeautée d’une verrière conique. Cet ensemble de constructions délimite au sud un vaste parc orné d’un second bassin. En sortant de ce parc, pour se diriger vers l’église, on rencontre un autre édifice très bourgeois et à trois étages, la villa Béthanie. Meublée en style Napoléon III, elle servait à loger les invités du prêtre Saunière.

Tour Magdala, à Rennes-le-Château (Aude), construite vers 1900 par l'abbé Bérenger Saunière comme bibliothèque

Tour Magdala, à Rennes-le-Château (Aude), construite vers 1900 par l’abbé Bérenger Saunière
comme bibliothèque. © Crédit photo : Jorge Alves (http://www.panoramio.com/photo/76321726)

Pour réaliser son rêve de grandeur, Saunière ne lésine pas sur les moyens. Alors que la pierre abonde aux alentours, il fait acheminer à dos de mulet, après l’avoir fait tailler, du granit de Saint-Sauveur. Quand il ne dessine pas lui-même les plans, comme pour l’orangerie, il passe des journées entières sur les chantiers à donner des conseils aux ouvriers, à veiller au moindre détail, faisant preuve parfois d’une minutie excessive. Plus tard, les travaux terminés, il prend un réel plaisir à faire visiter son domaine. Les hôtes qui séjournent à la villa Béthanie sont accueillis de façon souvent fastueuse. Aussi, n’en finissent-ils pas de s’extasier sur les charmes de cette oasis bucolique installée sur un plateau rocailleux et aride. Ils en repartent avec l’impression agréable d’avoir vécu des heures enchanteresses, riches et variées.

Il est vrai qu’à cette époque là, Bérenger Saunière agit comme s’il disposait d’un pactole inépuisable. Ces invités, qui sont-ils ? Il y a bien sûr des ecclésiastiques de la région, les abbés Antoine Gélis et Henri Boudet, respectivement curés des paroisses voisines de Coustaussa et Rennes-les-Bains. Peut-être y a t il eu Emma Calvé, la célèbre cantatrice dont le portrait est suspendu dans la villa Béthanie ? G. Girard, l’auteur de Emma Calvé, la cantatrice sous tous les ciels, que nous avons déjà cité écrit : « Lors d’une visite à Rennes-le-Château, il y a quelques années, des personnes avaient attesté de la présence, à plusieurs reprises, d’Emma Calvé dans le village et ce, d’après le témoignage de leurs parents ». On pouvait être mélomane, habiter Rennes-le-Château et se rendre au Capitole à Toulouse pour assister à la représentation d’un opéra. Pourquoi pas ! il est également possible, même à cette époque là, de suspendre chez soi le portrait d’un artiste ou d’un homme politique, sans pour cela entretenir des relations d’une quelconque nature avec lui.

Hormis les curés du voisinage, tous ces invités sont riches et d’un rang social élevé. Ce n’est donc pas le luxe et le faste déployés par l’abbé Saunière au cours de ses réceptions qui les attirent principalement à Rennes-le-Château. Certes, la table est bonne car Marie est un vrai cordon bleu. Et la cave ? Elle est irréprochable. Quoi donc ? sinon la nécessité ou le plaisir de s’entretenir de sujets particuliers ? Une fois encore, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses. Ce qui n’est nullement hypothétique, c’est le montant des dépenses faites par Bérenger Saunière. Grâce aux factures adressées par l’abbé à l’évêché de Carcassonne lors de ses procès et conservées depuis, ainsi qu’aux livres de comptes du prêtre, dont certains sont devenus la propriété des familles Corbu et Captier, légataires universels, qui les ont publiés, on aurait dû pouvoir les établir avec précision. Hélas, ils n’existent aucune concordance entre eux.

Entre l’année 1886, date où il commence ses constructions, et l’année 1917, date de sa mort, l’abbé Saunière, selon Corbu-Captier ; dépense la somme exacte de 639 413 francs or, soit plus de 2 millions d’euros. Le bilan fourni par le docteur Huguet au cours des quatre procès de Bérenger Saunière est beaucoup plus modeste : pour les dépenses, il avance 193 000 francs or et pour les recettes 193 150. Une différence de 150 francs en 25 ans dans la balance entre les dépenses et les recettes laisse perplexe. Les comptes fournis à l’évêché sont manifestement « faux et inexacts », surtout quand on sait que le montant de dépenses comprend uniquement les frais de construction. Pourquoi avoir passé sous silence les dépenses relatives à la décoration et l’ameublement de la villa Béthanie et de la tour Magdala, ainsi que les dépenses journalières du ménage, alors que dans les recettes, on comptabilise les fonds de la famille Denamaud mis en commun avec ceux de l’abbé Saunière.

 
 
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