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1er novembre 1755 : tremblement de terre à Lisbonne

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1er novembre 1755 : tremblement
de terre à Lisbonne
Publié / Mis à jour le mercredi 31 octobre 2012, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 3 mn
 

L’année 1755 sera éternellement mémorable, par les tremblements de terre qui se firent sentir dans plusieurs endroits de l’Europe, mais d’une manière plus terrible à Lisbonne qu’ailleurs. Cette ville fut presque entièrement renversée sur ses habitants ; il y périt plus de trente mille personnes, parmi lesquelles fut compris, en se sauvant, l’ambassadeur d’Espagne avec neuf de ses domestiques. Le palais royal fut du nombre des édifices renversés ; mais le roi et sa famille en étaient sortis un moment avant qu’il s’écroulât. Ils se retirèrent à Belem, maison de campagne voisine de la capitale. Pendant plus d’une semaine la famille royale n’eut d’autre asile qu’une berline et des tentes placées dans le jardin.

Cependant Lisbonne était dans un état épouvantable : presque tous les édifices étaient renversés ; les débris couvraient des milliers de cadavres, et les vaisseaux s’étaient brisés dans le port. Un incendie affreux s’était joint à tant de désastres, et consumait ce que les secousses de la terre avaient épargné. Le comte d’Ogeras, depuis marquis de Pombal, premier ministre, conserva seul le sang froid nécessaire dans cette circonstance. « Ce ministre, dit un historien, ne prenant aucun repos, n’ayant pour demeure, pour lit, pour bureau qu’un carrosse, se porta partout, encouragea, consola les malheureux habitants. Il fit en huit jours plus de deux cent trente ordonnances pour les différentes précautions à prendre. On a rassemblé ces ordonnances en un gros livre intitulé Providencias sobre os terremotos. Il fit éteindre le feu, mettre dans de la chaux vive, ou plonger en haute mer tous les cadavres qu’on put découvrir, et former, des chemins au travers des ruines.

« Il rendit le courage à la garnison. Les bandits qui profitaient du désordre pour piller, furent exécutés militairement par ses ordres. Il fit venir des provinces et par mer des subsistances : il arrêta, par son exemple et sa fermeté, le peuple qui voulait aller s’établir ailleurs, et abandonner un terrain si malheureux, déjà dévasté plusieurs fois par ce fléau. Cependant, malgré tous les soins du comte d’Ogeras, outre la perte des personnes, des effets et des meubles, il se perdit en marchandises ou en argent, ou par les banqueroutes qui suivirent cette catastrophe, plus de cent cinquante millions de livres, réparties entre les différentes familles commerçantes, et le commerce fut ruiné. »

Ce fléau s’étendit en Espagne ; la petite ville de Sétubal fut presque détruite ; Grenade, Séville, Cordoue furent endommagées ; on vit dans le moment de la première secousse les eaux du Tage s’élever de dix pieds à Tolède, qui est à cent lieues de Lisbonne ; et les eaux de la mer monter de vingt-deux pieds de hauteur, perpendiculairement à Cadix. Les secousses de la terre qui ébranlaient l’Europe se firent sentir de même en Afrique ; et le même jour que les habitants de Lisbonne périssaient, la terre s’ouvrit auprès de Maroc ; une peuplade entière d’arabes fut ensevelie dans les abîmes ; les villes de Fez et de Mequinez furent aussi maltraitées que Lisbonne.

Ce fut dans ce terrible désastre que Louis Racine perdit un fils unique, sa plus douce espérance, un fils vraiment digne de son père et de son aïeul, et qui promettait de répandre un nouvel éclat sur le nom de Racine. Il se trouvait alors à Cadix, et fut malheureusement entraîné par le gonflement subit de la mer, au moment où il passait en poste le long du rivage, pour se rendre à une fête où il était invité. Avec lui s’éteignit le nom de Racine. Son père en fut toujours inconsolable ; il écrivait en 1766 ces lignes qu’on ne peut lire sans la plus vive émotion :

« Un fils m’était cher, non parce qu’il était unique, mais parce qu’il promettait beaucoup : obligé de travailler à la fortune, il s’était déterminé, par un choix sagement médité, au commerce maritime, où les richesses qu’on peut gagner ne sont point, comme il me le disait, celles de l’iniquité. L’espérance qu’il ferait une fortune honnête, et en honnête homme, m’avait adouci la douleur de sa séparation, lorsqu’il partit pour Cadix, où, à peine arrivé, il vient de m’être enlevé par cet affreux tremblement de terre dont on parlera longtemps ; et les circonstances qui l’ont fait périr sont si cruelles, qu’elles contribuent à le faire regretter de tout le monde, dans sa patrie et en Espagne, où il s’était déjà fait estimer. Dieu me l’avait donné, Dieu me l’a ôté : oui, Dieu me l’a ôté, et même par un de ces coups imprévus qui rendent la mort terrible à tout âge, et surtout dans l’âge des passions.

« Cependant la vertu de mon fils, la bonté de son cœur, la droiture de ses sentiments, la sagesse de ses mœurs, tout me fait espérer que Dieu l’a pris dans sa miséricorde, et que c’est moi qu’il a frappé par ce grand coup, afin que me trouvant seul, je ne sois plus qu’à lui, et que je passe le reste de mes jours à implorer pour moi cette miséricorde, que ne mérite point une vie si peu conforme aux grandes vérités, que dès ma jeunesse j’ai eu la hardiesse d’annoncer dans ma poésie. Puisse l’affliction dans laquelle je passerai le reste de cette vie, m’être utile pour l’autre ! Puisse cette religion que j’ai chantée arrêter les larmes que la nature veut à tout moment me faire verser sur mon fils, et me faire verser les siennes sur moi-même ! »

 
 
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