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Légende de saint Nicolas et des enfants au saloir

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Légendes, Superstitions
Légendes, superstitions, croyances populaires, rites singuliers, faits insolites et mystérieux, récits légendaires émaillant l’Histoire de France
Légende de saint Nicolas
et des enfants au saloir
(D’après « Le Pèlerin » du 3 décembre 1893, « La Tradition :
revue générale des contes, légendes, chants, usages,
traditions et arts populaires » paru en 1889,
« Grande vie des saints » (par Jacques-Albin-Simon Collin
de Plancy) Tome 23 paru en 1874 et « Revue des traditions populaires » paru en 1898)
Publié / Mis à jour le mardi 5 décembre 2023, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
Issue d’une légende née au XIIe siècle mettant originellement en scène des marins, la Complainte de Saint-Nicolas nous raconte comment le bon saint Nicolas, évêque de Myre, ressuscita trois petits innocents victimes d’un boucher cupide, devenant le saint protecteur des enfants

Autrefois, la fête de saint Nicolas était joyeusement célébrée par les corporations qui avaient choisi ce saint pour leur patron ; et ces patronages étaient nombreux, ce qui a fait dire que saint Nicolas était un des saints les plus occupés du ciel. Qu’on en juge par l’énumération suivante, de ceux qui reconnaissaient ce saint évêque pour leur protecteur ; encore ne citons-nous que les plus connus :

Enfants, écoliers, maîtres d’écriture et de calcul, jeunes filles à marier, pompiers, marins, pèlerins, bateliers, pêcheurs, emballeurs, tonneliers, marchands grainiers, marchands de blé, meuniers, parfumeurs, bouchers, merciers, tisserands, toiliers, drapiers, avocats, procureurs, greffiers, clercs, notaires, épiciers, fabricants de chandeliers, pharmaciens, marchands de vins, brasseurs.

Miracle de saint Nicolas : la tempête. Enluminure extraite du Speculum historiale composé par Vincent de Beauvais au XIIIe siècle, chronique universelle de la Création jusqu'au milieu du XIIIe siècle, intégralement traduit par Jean de Vignay entre 1315 et 1332 (manuscrit français n°15942 de la BnF)
Miracle de saint Nicolas : la tempête. Enluminure extraite du Speculum historiale
composé par Vincent de Beauvais au XIIIe siècle, chronique universelle
de la Création jusqu’au milieu du XIIIe siècle, intégralement traduit
par Jean de Vignay entre 1315 et 1332 (manuscrit français n°15942 de la BnF)

On l’invoquait, en outre, pour les maljugés et la délivrance des captifs ; contre les périls de la mer, les désastres causés par l’eau, l’incendie, les orages, les puissances de l’enfer, les rhumatismes, etc.

Les peintres représentent ordinairement saint Nicolas avec trois petits enfants dans un baquet. Ce ne sont pas, comme l’ont présumé quelques-uns, les trois citoyens de Myre que le saint retira des mains du bourreau, ni les trois tribuns qu’il délivra de la fausse accusation intentée contre eux, ni trois enfants qu’il arracha aux flots.

Vivant au XVIe siècle, le théologien flamand Johannes Molanus est fort embarrassé dans son Traité des Images, d’expliquer pourquoi l’on représente ainsi saint Nicolas. Il ne sait si c’est une figure des personnes injustement condamnées à la mort que saint Nicolas délivra, ainsi que l’affirma saint Eustathius — qui vécut au VIe siècle — avant Syméon Métaphraste — historien vivant au Xe siècle, auteur de la plus importante compilation hagiographique du Moyen Âge byzantin, si c’est une représentation mal formée des trois filles pauvres qu’il dota, ou encore si ce n’est pas pour figurer les trois enfants qu’une femme avait taillés en pièces et mis dans un saloir et qui furent par le saint évêque.

Molanus n’aurait pas hésité à dire que la représentation des trois jeunes gens tous mis auprès de ce saint, vient de ce que souvent on représentait au théâtre l’histoire de la résurrection des trois jeunes gens, qui fut faite par le saint prélat. Il était naturel que les artistes figurassent ensuite les choses comme ils les avaient vu ainsi représenter au théâtre. Les traditions populaires avaient un peu varié là-dessus, puisqu’en certains pays on disait que c’étaient trois enfants dont les chairs avaient été taillés en morceaux et salées.

L’introduction du culte de saint Nicolas en Europe n’ayant débuté qu’à la fin du XIe siècle, la légende des enfants dans le saloir s’est donc élaborée au cours de la première moitié du XIIe siècle et certainement à partir d’un autre miracle du saint, cette fois-ci bien connu : invoqué par des marins perdus en pleine tempête, le saint leur apparaît et les sauve d’une mort certaine. Le miracle est illustré, parfois de manière fort simple : trois petits personnages, pouvant être pris pour des enfants, sont représentés sur l’eau salée, dans une barque ayant la forme simple d’un bac, forme pouvant rappeler celle des saloirs.

Saint Nicolas ressuscite les trois enfants. Lithographie du XIXe siècle de la fabrique de Pellerin
Saint Nicolas ressuscite les trois enfants. Lithographie du XIXe siècle de la fabrique de Pellerin

D’un côté, Saint Nicolas étant thaumaturge, un pouvoir de résurrection peut lui être alors facilement associé ; de l’autre, de nombreuses légendes locales aiment à raconter les pratiques douteuses et macabres des aubergistes, bouchers ou pâtissiers ayant tendance à cuisiner de la chair humaine par souci d’économie ou en période de disette... L’interprétation erronée d’un imagier naïf associée aux légendes populaires vivaces laissent à penser que la Complainte de Saint-Nicolas est l’aboutissement de ces deux éléments combinés.

On trouve les premières traces de la légende des trois innocents au saloir au XIIe siècle, sous la plume du trouvère Robert Wace, qui consacre un de ses poèmes au miracle de saint Nicolas, de façon très sommaire, mais qui suppose l’existence préalable d’un conte pieux.

Cette histoire est ensuite développée dans un court mystère latin intitulé Secundum miraculum Santi Nicholai et contenu dans un manuscrit du XIIIe siècle de la Bibliothèque de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire recueillant un grand nombre de ces anciennes représentations.

Dans ce mystère, les jeunes gens sont des écoliers que le manuscrit appelle du nom de clercs, car autrefois l’étude et la science s’appelaient clergie, et les étudiants ou savants étaient des clercs. Ces trois écoliers ou clercs étant surpris par la nuit demandèrent à loger à un vieil aubergiste qui se trouva sur leur route. Ce vieillard de mauvaise humeur faisant de la difficulté, ils s’adressèrent à l’hôtesse qui n’était pas moins âgée, l’assurant que si elle pouvait obtenir de son mari qu’il leur donnât le couvert, peut-être Dieu permettrait-il qu’elle mît un fils au monde.

Les trois écoliers furent retenus à souper et couchés. Cependant que les jeunes écoliers étaient dans leur premier somme, l’aubergiste entra dans leur chambre, prit leurs besaces et persuada sa femme qu’il n’y aurait pas grand mal à s’approprier l’argent qui y était renfermé. Sa femme y consentit, et ne trouva pas d’autre expédient pour relever leur fortune que de leur faire couper le cou par son mari.

Saint Nicolas ressuscitant les trois enfants. Enluminure extraite du Livre d'heures de Jacques de Langeac (manuscrit n°5154 de la Bibliothèque municipale de Lyon, 1465-1468)
Saint Nicolas ressuscitant les trois enfants. Enluminure extraite du Livre d’heures
de Jacques de Langeac (manuscrit n°5154 de la Bibliothèque municipale de Lyon, 1465-1468)

C’est une action qui s’opérait derrière la toile du théâtre. L’auteur du récit fait ensuite paraître à la porte de la même auberge, saint Nicolas qui demande à se loger. L’aubergiste, après avoir consulté sa femme, reçoit saint Nicolas sur son air d’honnête homme. Il lui est offert quantité de mets différents, mais le saint dit qu’il ne souhaiterait qu’un peu de chair fraîche. Le vieux cabaretier lui dit : « Pour de la viande, je vous la donnerai telle que je l’ai, car de la fraîche je n’en ai pas un morceau ! — Ah ! Pour le coup, dit saint Nicolas, voilà le dernier mensonge que vous avez fait de la journée, car pour de la chair fraîche, je sais que vous en avez à foison ! Ah ! Que l’argent fait faire les choses ! »

Aussitôt, l’hôte et l’hôtesse se prosternèrent aux pieds du saint, le priant de leur obtenir le pardon. Le saint évêque se fit apporter les trois corps, ordonna au meurtrier de se mettre en pénitence tandis que lui se mettait en prière, et demanda à Dieu de les ressusciter. Ils ressuscitent, et on chante le Te Deum.

On trouve également trace de cette légende dans un sermon attribué à saint Bonaventure (mort en 1274) : son récit, court et peu circonstancié, fait état de deux (sic) écoliers nobles et riches, faisant route vers Athènes et s’arrêtant à la ville de Myre. L’hôte qui les héberge (il n’est pas fait allusion à sa femme), après les avoir occis dans leur sommeil, « les taille en morceaux comme viande de porc et met leurs chairs au saloir ». Saint Nicolas, averti par un ange, les vient ressusciter.

Enfin, sur une verrière de la cathédrale de Bourges, le miracle est figuré dans un médaillon en deux parties : à gauche, trois enfants couchées, un homme qui s’apprête à les tuer à coups de hache, une femme auprès, tenant une corbeille ; à droite, les trois enfants debout dans une sorte de huche (le saloir) et saint Nicolas bénissant. Cette version date du XIIIe siècle.

Ces divers documents, issus plus ou moins directement d’une source commune, sont indépendants les uns des autres. Du rapprochement de ces quatre formes secondaires, il est facile d’induire les éléments du récit original, qui étaient tels : trois écoliers ambulants sont logés un soir dans une auberge ; l’hôte, par le conseil de sa femme, les tue pendant leur sommeil, puis les dépèce et les sale ; saint Nicolas, averti surnaturellement, entre dans l’auberge, demande à manger de la chair fraîche, et avec une telle insistance que le meurtrier éperdu confesse son crime ; repentir des deux coupables, résurrection des jeunes gens.

Saint Nicolas ressuscite les trois enfants. Lithographie du XIXe siècle de la fabrique de Pellerin
Saint Nicolas ressuscite les trois enfants. Lithographie du XIXe siècle de la fabrique de Pellerin

Ce prototype du miracle coïncide en tous points avec la complainte, le chansonnier ayant remplacé les clercs voyageurs par des enfants jouant aux champs, l’aubergiste par un boucher, et qu’il a mis entre le forfait de ce dernier et la visite de saint Nicolas un intervalle de sept années. Cette version « moderne » de la légende fut ainsi consignée en 1842 par Gérard de Nerval dans la publication La Sylphide : journal de modes, de littérature, de théâtres et de musique :

Il était trois petits enfants
Qui s’en allaient glaner aux champs.

S’en vont au soir chez un boucher.
— Boucher, voudrais-tu nous loger ?
— Entrez, entrez, petits enfants,
Il y a de la place assurément.

Ils n’étaient pas sitôt entrés,
Que le boucher les a tués,
Les a coupés en petits morceaux,
Mis au saloir comme pourceaux.

Saint Nicolas au bout d’sept ans,
Saint Nicolas vint dans ce champs.
Il s’en alla chez le boucher :
— Boucher, voudrais-tu me loger ?

— Entrez, entrez, Saint Nicolas,
Il y a d’la place, il n’en manque pas.
Il n’était pas sitôt entré,
Qu’il a demandé à souper.

— Voulez-vous un morceau d’jambon ?
— Je n’en veux pas, il n’est pas bon.
— Voulez-vous un morceau de veau ?
— Je n’en veux pas, il n’est pas beau !

Du p’tit salé je veux avoir ;
Qu’il y a sept ans qu’est dans l’saloir !
Quand le boucher entendit cela,
Hors de sa porte il s’enfuya.

— Boucher, boucher, ne t’enfuis pas,
Repens-toi, Dieu te pardonn’ra.
Saint Nicolas posa trois doigts
Dessus le bord de ce saloir :

Le premier dit : — J’ai bien dormi !
Le second dit : — Et moi aussi !
Et le troisième répondit :
— Je croyais être en paradis !

Dans les différentes versions existantes de cette légende, la trame du récit macabre est identique, les chansonniers populaires ayant privilégié les enfants et non plus spécifiquement les écoliers.

POUR EN SAVOIR PLUS : Saint Nicolas : vie, miracles, légendes

 
 
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