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23 mars 1747 : mort de l’aventurier devenu pacha Alexandre de Bonneval

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23 mars 1747 : mort de l’aventurier
devenu pacha Alexandre de Bonneval
(D’après « La Mosaïque du Midi », paru en 1841)
Publié / Mis à jour le mercredi 23 mars 2022, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 9 mn
 
 
 
De noblesse ancestrale, Alexandre de Bonneval est sans contredit le plus célèbre aventurier du XVIIIe siècle, menant une vie romanesque et féconde en épisodes bizarres : adepte des coups d’éclat, tournant tout en dérision, professant le plus grand mépris pour les convenances sociales, portant les armes contre la France et abjurant la religion de ses pères, il fut cependant d’une valeur à toute épreuve, se distinguant par son esprit vif et son indomptable fierté, conservant un fond d’ « honneur français » au milieu des cours étrangères qui payèrent son épée

Au XIXe siècle, les aventuriers furent si nombreux et réussirent si facilement, que leurs destinées, qui autrefois auraient paru fabuleuses, n’eurent pas même le mérite de piquer notre curiosité, ni de soulever le moindre doute. Ne vit-on pas un matelot de la marine royale devenir roi de Madagascar ? Le capitaine Dumont-d’Urville ne raconte-t-il pas, dans son Voyage autour du Monde, qu’il rencontra dans le royaume de la Cochinchine un vieux Mandarin qui n’avait pas encore oublié le patois de la Gascogne, son pays natal ?

Mais, au XVIIIe siècle, le goût des aventures n’avait pas encore opéré tant de prodiges, et on mettait presque au rang des héros de la Fable, les hommes qui s’expatriaient pour explorer les pays étrangers ou y fixer leur séjour. Néanmoins, sous le règne de Louis XIV, quelques hommes, les uns poussés par la curiosité, les autres frappés de proscription, s’expatrièrent et portèrent le nom français jusqu’aux extrémités du monde.

Château de Coussac-Bonneval (Haute-Vienne)
Château de Coussac-Bonneval (Haute-Vienne)

L’origine de la famille de Bonneval remonte à la dynastie carolingienne. Leur terre est signalée dans les chroniques comme l’une des quatre grandes châtellenies du Limousin : le fait est consacré par ce dicton populaire dans le département de la Haute-Vienne :

Pompadour pompe,
Ventadour vente,
Bonneval triomphe,
Château-Neuf
Ne le dépasse pas d’un œuf.

et cet autre proverbe non moins connu que le premier :

Descars, pour la richesse,
Bonneval, pour la noblesse.

Un seigneur de Bonneval se couvrit de gloire à la bataille de Taillebourg, en 1242, et fut pleuré par saint Louis. Un autre seigneur de Bonneval défendait Paris conjointement avec le seigneur de l’Isle-Adam, pour les Anglais, contre Charles VII (le Limousin était alors sous la domination anglaise, et le seigneur de Bonneval leur devait service pour ses fiefs de Bonneval, Blanchefort et autres, qui relevaient de la couronne d’Angleterre. Il avait épousé Cybile de Comborn, petite-fille d’Archambaud de Comborn, vicomte du Limousin, qui lui apporta en dot la terre de Blanchefort. Le père du seigneur de Bonneval tenait le parti du roi de France, et accompagnait Jeanne d’Arc au siége d’Orléans).

Antoine de Bonneval rendit de si éminents services au roi de Navarre, que le prince reconnaissait lui devoir la conservation de son royaume. Il fut pourvu, tant en Navarre qu’en France, des plus grandes dignités. Il fut grand chambellan de Navarre, capitaine de cent hommes d’armes au service de France, sénéchal et gouverneur du Haut et Bas-Limousin, et de plusieurs places fortes. Il épousa Marguerite de Foix, nièce du roi de Navarre.

Issu d’une famille si justement célèbre, Alexandre de Bonneval lui donna un genre d’illustration nouveau. Il naquit au château de Coussac, en Limousin, le 14 juillet 1675 ; dès la plus tendre enfance, il fut enfermé dans un collège dirigé par les jésuites, qui firent d’inutiles efforts pour dompter l’impétuosité et l’inconstance de leur jeune élève ; il avait si peu de goût pour l’étude, que les maîtres conseillèrent à la famille de le retirer du collège.

Alexandre attendait depuis longtemps sa délivrance ; il avait douze ans, et son père le comte de Bonneval, pour s’en débarrasser, ou plutôt pour lui faciliter les honneurs de la carrière militaire, le fit entrer dans la marine royale. Ce corps commençait alors à ressentir l’heureuse influence des modifications opérées par le génie du cardinal de Richelieu et de Louis XlV. À peine incorporé dans la marine royale, Alexandre de Bonneval se fit remarquer par son intrépidité chevaleresque ; ses chefs le recommandèrent au ministre, qui le nomma peu de temps après enseigne de vaisseau.

Le jeune officier ne tarda pas à se montrer digne de son nouveau grade ; le port de Dieppe fut le premier théâtre de ses exploits ; le combat de la Hogue donna un nouvel éclat à sa réputation ; le nom de Bonneval fut une troisième fois mentionné avec honneur dans le rapport adressé au roi sur le terrible engagement qui eut lieu dans la rade de Cadix. Mais au moment où ses chefs sollicitaient pour lui un grade supérieur, il quitta le service de la marine pour entrer dans le régiment des gardes ; il suivit dans cette circonstance les conseils de quelques amis, qui lui dépeignirent avec les couleurs les plus brillantes le bonheur des gentilshommes qui pouvaient entrer dans les gardes françaises.

Michel Chamillart. Gravure de Claude Duflos publiée en 1704
Michel Chamillart. Gravure de Claude Duflos publiée en 1704

Toutes les personnes qui se sont occupées de statistique militaire, savent que ce régiment, composé des plus riches héritiers des grandes familles de France, était alors une école de plaisir, de bravoure romanesque, et de coupables amours. Le jeune comte de Bonneval, avec son imagination ardente, son caractère inconstant et volage, se trouva tout à coup transporté dans son élément naturel. Sa réputation d’officier intrépide le devança au régiment, où il reçut l’accueil le plus flatteur. Les dames de la cour ne le virent pas avec indifférence.

Notre héros n’était pas homme à faire trêve à ses habitudes d’inconstance : ce qui lui plaisait la veille, il le trouvait insupportable le lendemain ; aussi demanda-t-il à sortir des gardes ; il jouissait déjà d’un grand crédit, et on lui accorda le régiment de Labour qui partit quelque temps après pour faire la campagne d’Italie (1701), sous les ordres de Catinat. Bonneval, aussi passionné pour la gloire militaire que pour les plaisirs des boudoirs, ne laissa échapper aucune occasion de se distinguer ; et Catinat, après la bataille de Chiari, loua publiquement son courage et son habileté. Cette campagne était à peine terminée, lorsqu’il demanda à servir sous les ordres de Luxembourg ; il se couvrit de gloire dans les plaines de Fleurus, au siège de Namur et à la bataille de Nerwinde. Les plus célèbres généraux de l’Europe et notamment le prince Eugène, faisaient le plus grand cas de ses talents militaires et de sa valeur dont il avait donné des preuves éclatantes.

La carrière des armes s’ouvrait pour lui sous les plus heureux auspices, mais rarement les jeunes officiers réunissent la prudence, la réserve, à la pétulance, à l’impétuosité de caractère ; Bonneval, plus que tout autre, laissait à désirer du côté de la vie privée et des habitudes quotidiennes ; il passait pour diseur de bons mots, homme d’esprit et à bonnes fortunes ; il recherchait toutes les circonstances pour accroître et propager cette réputation ; rien n’était sacré pour lui, et on disait du comte de Bonneval : épée de Roland, langue de vipère.

Il commit l’imprudence d’offenser mortellement et de livrer au ridicule le ministre Chamillart. « Le roi de France a donc perdu la tête, disait-il à ses nombreux amis... Il se fie à un homme, qui, de maître de requêtes, est devenu successivement conseiller d’état et contrôleur des finances... Et ce grand crédit, ces honneurs, il les a obtenus, parce qu’il joue parfaitement au billard, jeu qui divertit le roi : ce misérable Chamillart est bien le plus roué coquin, le plus adroit concussionnaire qui ait jamais pris part aux délibérations du conseil d’état. Savez-vous qu’il a refusé de se charger, ni des finances, ni de la guerre, jusqu’au moment où le roi lui a dit : Chamillart, je serai votre second. »

La hardiesse et les malices de Bonneval excitèrent au dernier point la colère du contrôleur des finances ; il était alors tout-puissant sur l’esprit du roi. De son autorité privée, il réunit un conseil de guerre, qui condamna Bonneval à la peine capitale, comme traître et concussionnaire. Le coup avait été prévu, et le condamné avait déjà trouvé un asile en Allemagne, auprès du prince Eugène, qui, depuis longtemps, appréciait le mérite du jeune officier auquel il fit très bon accueil et qu’il combla de marques d’honneur et de distinction. « Français, comme vous, lui dit le prince Eugène, je me suis vu contraint à porter les armes contre ma patrie ; l’implacable Louvois m’a écrit que je ne rentrerai plus en France ; nous y rentrerons un jour ensemble, comte de Bonneval. — À la tête de cent mille impériaux », répondit le Comte.

Secondé par la puissante protection du prince Eugène, le transfuge parvint, en peu de temps, aux premiers grades de l’armée autrichienne. Nommé général major, il porta le fer et la flamme dans la Provence et le Dauphiné. En 1708, l’archiduc Charles, ennemi juré du pape Clément XI, qui lui disputait le comtat Venaissin, confia le commandement d’une petite armée au comte de Bonneval, qui soutint fortement les prétentions de son protecteur. Le prince Eugène réclama bientôt le secours du général-major, qui fit avec honneur les pénibles campagnes de 1710, 1711 et 1712.

Le prince Eugène de Savoie, général de l'armée impériale du Saint-Empire. Peinture de Jacob van Schuppen (1718)
Le prince Eugène de Savoie, général de l’armée impériale du Saint-Empire.
Peinture de Jacob van Schuppen (1718)

Cependant le soleil de Louis XIV, éclipsé par la gloire et les exploits du prince Eugène, brilla tout à coup d’un nouvel éclat. Le maréchal de Villars, l’Achille de la France, remporta des victoires si fréquentes et si rapides, que les ennemis de la France demandèrent une suspension d’armes. La paix fut conclue à Utrecht. Le comte de Bonneval n’était pas homme à se complaire dans les jouissances d’une vie paisible et tranquille ; son caractère impétueux et remuant l’entraînait sans cesse vers de nouveaux périls, de nouvelles aventures. L’empereur Charles VI, successeur de Joseph Ier, informé par le prince Eugène de tout ce que le comte avait fait pour la gloire des armées autrichiennes, le nomma lieutenant-général, et membre du conseil aulique.

Ces grandes dignités sourirent un instant à l’insatiable ambition de l’aventurier français ; mais bientôt il se dégoûta de ces honneurs, comme un enfant qui rejette ses jouets, et demanda au prince Eugène si la guerre tarderait longtemps à recommencer. Les vœux ardents du comte de Bonneval furent bientôt exaucés. L’empereur des Turcs, qui aurait pu accabler l’Allemagne pendant la longue guerre de 1701, fit entendre des paroles menaçantes ; le grand vizir Aly parut sur les frontières de l’Autriche, à la tête d’une armée de soixante mille hommes.

Charles VI fut d’abord effrayé d’une guerre si inattendue ; mais le prince Eugène le rassura, prit le commandement des troupes de Hongrie, battit les Ottomans à Peterwardein (5 août 1716) et à Temeswar (15 août 1716). Le comte de Bonneval, son compagnon inséparable, eut une grande part au gain de cette bataille ; le flanc ouvert par une lance, foulé aux pieds des chevaux, il soutint longtemps le choc des ennemis avec dix des siens, qui l’arrachèrent, sanglant et couvert de blessures, des mains des Janissaires.

L’Europe chrétienne retentit de sa renommée, et les nombreux lauriers, qu’il avait cueillis, devaient le protéger de la foudre. Sa pétulance, son humeur fantasque et chevaleresque, le plongèrent dans de nouvelles vicissitudes. Il habitait Bruxelles, lorsqu’une aventure assez peu importante en elle-même donna, pendant quelques jours, grande occupation aux mauvaises langues du Brabant.

La femme du jeune roi d’Espagne eut fantaisie de se promener, pendant une belle soirée du mois de juillet, avec deux de ses femmes, dans le jardin du palais : quelques curieux virent la jeune reine en déshabillé. Non contente d’avoir enfreint, avec tant de hardiesse, l’étiquette de la cour, la jeune reine se baigna dans une pièce d’eau. Cette promenade et ces plaisirs nocturnes n’avaient rien qui blessât le moins du monde la pudeur la plus farouche. Mais le gouverneur de Bruxelles, le marquis de Prié, médisant et jaloux de l’accueil que les Brabançons avaient fait à la princesse, dit : « Je me doutais bien que cette petite harpie ferait bientôt parler d’elle. »

La femme et les filles du gouverneur mirent le plus grand empressement à répandre, dans le beau monde de Bruxelles, ces propos ridicules et indignes d’un homme d’honneur. Le comte de Bonneval, en vrai chevalier français, prit la défense de la jeune reine, et parla du gouverneur avec le plus grand mépris. Les deux hommes se vouèrent dès lors une haine mortelle, et cherchèrent toutes les occasions de se nuire mutuellement ; le comte ne se borna pas à ridiculiser et à flétrir du nom de calomniateur le gouverneur de Bruxelles, il fit courir plusieurs billets, parmi lesquels on remarqua celui-ci :

« Si le comte de Bonneval connaissait le misérable, qui a outragé et calomnié sa majesté la reine d’Espagne, il lui donnerait cent coups de bâton de sa main, si son père était gentilhomme ; et, s’il ne l’était pas, ses valets seraient encore assez bons pour lui donner les étrivières. À Bruxelles, le 30 octobre 1724. ALEXANDRE DE BONNEVAL. »

Alexandre de Bonneval. Estampe du temps

Le gouverneur ne parut pas offensé des bravades de son adversaire ; cette indifférence apparente augmenta l’indignation et la colère de Bonneval, qui envoya un cartel au marquis de Prié, ne garda plus aucun ménagement et se déchaîna en injures contre la femme et les filles du gouverneur, qu’il accusa de coupables relations. Poussé à bout, le marquis écrivit au prince Eugène pour se plaindre de la conduite du lieutenant-général. Le prince, qui aimait et protégeait le comte, le fit avertir d’agir avec plus de modération, et de respecter au moins, dans le gouverneur, la dignité attachée à sa place.

Bonneval ne tint aucun compte des sages avis de son protecteur, qui se vit dans la nécessité de le priver de tous ses emplois, et de le condamner à cinq ans de prison. Cet arrêt était trop sévère, aussi Bonneval, ne comptant pas sur la promesse d’une grâce prochaine, passa à La Haye, y séjourna quelque temps et lança, contre le prince Eugène, un pamphlet si hardi, si virulent, que toute la cour de Vienne en fut indignée. On n’avait pas encore vu d’exemple d’une pareille audace, d’une si terrible dérision de la discipline militaire.

Le comte savait bien, en attaquant le prince Eugène, qu’il brûlait ses vaisseaux, et qu’il ne devait plus espérer de rentrer en grâce. Quelque temps après, on l’avertit que ses jours n’étaient pas en sûreté ; il quitta La Haye, et se réfugia à Venise. Cet homme indomptable, ce gentilhomme, dont le nom avait si souvent été mis à l’ordre du jour en France et en Allemagne, forma le projet de rompre à jamais avec les princes chrétiens, qui avaient si mal payé ses services. Partant pour Constantinople, et, pour mettre le comble à ses aventures romanesques, il se convertit à l’islam en 1730.

À peine les grands dignitaires de l’empire l’eurent-ils appris qu’ils s’empressèrent de visiter le héros de Belgrade et de Peterwardein et de le complimenter. Il prit le nom d’Achmet-Pacha et fut présenté au sultan Mahmoud Ier, qui lui fit de grandes caresses, le combla d’honneurs, et l’investit de plusieurs dignités. Ses ministres et lui comprirent en effet de quelle grande utilité pouvait être, pour l’organisation de l’armée, cet illustre renégat qui avait fait trente ans de guerre sous les plus habiles généraux de l’Europe. Alexandre de Bonneval fut nommé général de l’artillerie, forma à l’européenne ce corps indiscipliné, lui apprit à pointer les pièces, à servir des bombes, enseigna aussi à la cavalerie à se ranger en escadrons, et à exécuter les manœuvres usitées en France et en Allemagne.

Mahmoud, pour lui témoigner sa vive reconnaissance pour une réforme si avantageuse, lui donna toute sa confiance et mit sous le commandement de Bonneval un corps de 20 000 hommes dans la guerre contre les Moscovites, et Achmet-Pacha conduisit souvent ses soldats à la victoire.

Le terrible Thomas Koulikan, qui avait usurpé le trône des rois de Perse et soumis presque tous les peuples de l’Asie, déclara vers le même temps la guerre à l’empereur de Turquie. Achmet-Pacha fut investi du commandement de l’armée que Mahmoud envoya pour arrêter le redoutable ennemi. La victoire lui resta fidèle, et il remporta sur les troupes persanes de si grands avantages, que le farouche Chah de Perse Nâdir Châh renonça à son projet de conquérir l’empire ottoman.

Mahmoud Ier, sultan ottoman (1730-1754)
Mahmoud Ier, sultan ottoman (1730-1754)

Achmet fut reçu à Constantinople avec les honneurs qu’on décernait autrefois aux triomphateurs romains : l’empereur le remercia publiquement et le nomma gouverneur de Chios et de l’Arabie Pétrée. Il ne sut pas conserver le crédit dont il jouissait à si juste titre près de la Sublime-Porte. La guerre était son élément indispensable ; il avait l’humeur trop inquiète et méprisait trop l’ordre social pour supporter un repos de longue durée. Des propos mal interprétés, quelques démarches que ses nombreux rivaux mirent habilement à profit pour le perdre, amenèrent une prompte disgrâce. L’empereur le priva de ses dignités et le relégua dans un pachalick, aux extrémités de la mer Noire.

Achmet supporta ce dernier coup avec plus de calme qu’on ne devait en attendre d’un homme aussi fougueux, qui avait jeté des cartels à la face des princes de l’Europe : un Français de distinction le visita dans son exil, et lui demanda pourquoi il s’était fait Turc. Le comte de Bonneval, après quelques instants de réflexion, lui répondit :

— Je me suis fait Turc pour passer mes jours bien à mon aise, en bonnet de nuit, en robe de chambre, et en pantoufles.

— Ne désirez-vous pas revoir la France ?

— Je suis vieux, répondit le comte en poussant un profond soupir, et vous savez que le vieillard exilé aspire toujours à revoir sa patrie ; il existe dans nos cœurs un penchant irrésistible qui tend à réunir la tombe et le berceau. Je désire revoir la France, mais je n’en ai pas l’espoir.

Tourmenté par ses souvenirs, peut-être par le remords, il faisait ses préparatifs pour quitter la Turquie, lorsqu’il mourut subitement à l’âge de soixante-douze ans, le 23 mars 1747. L’empereur lui fit rendre les honneurs funèbres avec une grande pompe, et ses ennemis eux-mêmes exaltaient après sa mort la valeur, l’habileté et la grandeur d’âme d’Achmet-Pacha.

Il fut enterré à Constantinople, et sur son tombeau fut gravée l’inscription turque signifiant : « Dieu est permanent ; que Dieu, glorieux et grand auprès des vrais croyants, donne paix au défunt Achmet-Pacha, chef des Bombardiers. L’an de l’Hégire 1160 ».

 
 
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