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9 novembre 1918 : mort du poète Guillaume Apollinaire

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9 novembre 1918 : mort du poète
Guillaume Apollinaire
(D’après « Mercure de France », paru en 1923)
Publié / Mis à jour le samedi 9 novembre 2024, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 7 mn
 
 
 
Esprit moderne, ironiste, fantaisiste, voire paradoxal, âme de lyrique traditionnel, d’historien et d’érudit, voilà tel que, dans sa curieuse et attachante dualité, apparaît Guillaume Apollinaire à travers ses oeuvres, tel qu’il se révélait à certains de ceux qui l’ont connu

Né à Rome le 26 août 1880 et mort le 9 novembre 1918 de la grippe espagnole, Guillaume Apollinaire était un être absolument charmant et délicieux, aimable même dans ses travers et qui aurait rendu le vice souriant et vertueux ! s’exclame Jean Royère du Mercure de France. Il était pourtant, poursuit-il, merveilleusement ondoyant et divers et d’une attachante complexité, toujours vif, toujours sincère, même véhément dans ses contradictions et ses paradoxes. De sorte qu’on ne peut pas le saisir, ni le définir. Apollinaire, c’était du vif-argent ; mais toujours sympathique, toujours attrayant. C’est l’homme qui n’a jamais été ennuyeux, qui était incapable d’être ennuyeux. Cela tient à son génie poétique. Nul vivant n’a donné plus complètement l’impression d’être aussi naturellement, normalement poète.

Poète, ou lyrique, il l’était en tout, dans la gourmandise, dans l’amour, dans tous les actes et les gestes quotidiens. Lorsque Apollinaire discutait, il donnait à son opinion un tour extrême et déconcertant, mais par son ton non moins passionné qu’enjoué, il démentait que ce fût là un paradoxe. Il y a une quinzaine d’années, rapporte le rédacteur du Mercure, je fis au Salon d’Automne une conférence sur les plus jeunes poètes du Symbolisme et parlai d’Apollinaire avec admiration, mais en indiquant son penchant pour l’étrange et son goût pour la mystification. Il en fut piqué et me dit après la conférence : « Croyez bien, mon cher ami, que je ne suis nullement mystificateur. Vous êtes, tous, des mystificateurs, sauf moi ! » Je lui répondis, il m’en souvient : « Cela revient au même. »

Apollinaire, en effet, était toujours sincère, parce qu’il était toujours poète. Apollinaire, c’était un lyrisme perpétuellement jaillissant et, chez lui, l’hyperbole créait la pensée en la nuançant, en la personnalisant, comme chez tous les poètes véritables. Mais parce que la poésie est ainsi une création, Apollinaire se rendait compte que le poète doit inventer ; il était donc enclin à de nouveaux aperçus en tout, pour, à tout moment, mettre en lumière ce qui sans lui fût demeuré caché.

C’est ainsi qu’il entreprit, par exemple, de rendre célèbre le douanier Rousseau et qu’il y parvint. Il avait été dans cette voie, précédé par Pissarro. II y avait dans l’ingénuité ornée de ce « primitif » une ressemblance lointaine avec l’intelligence naïve et fraîche, l’imagination savamment puérile et la grâce expressive d’Apollinaire. Mais ce qui le poussait, c’était aussi la passion de la difficulté à vaincre. Heurter franchement et adroitement l’opinion, puis, peu à peu, par son obstination et ses ruses, sa sincérité et ses séductions, en surmonter les rocailles et la vaincre, telle fut toujours son ambition, en tout, et presque toujours il a réussi.

Guillaume Apollinaire en novembre 1913 à Paris

Guillaume Apollinaire en novembre 1913 à Paris

Voilà pourquoi, explique le chroniqueur du Mercure, Guillaume Apollinaire fut un animateur si puissant. D’abord il s’abandonnait à tous les courants, qui, ça et là, se dessinaient, et d’où qu’ils vinssent, pourvu qu’ils lui parussent gagner en avant. Sa grande originalité fut de ne jamais se raidir, se contracter, pour faire saillir sa propre personnalité, mais au contraire de s’ouvrir à tout et de tout comprendre pour tâcher de tout s’approprier. Il transformait vite ce qu’il adoptait et donnait à tout ce qu’il prenait un air de famille avec ses inventions à lui. Si bien qu’il avait enfin le droit de dire que tous ces fleuves n’avaient eu qu’une source, la sienne.

C’est ainsi, ou à peu près, qu’il se comporta avec le futurisme de Marinetti, puis avec le simultanéisme, enfin avec le cubisme. S’il avait survécu, il aurait de la même façon féconde régenté Dada et le néo-classicisme. Le lyrisme pour ainsi dire congénital de Guillaume Apollinaire lui conférait un art d’infaillibilité et il était admirable pour dégager ce qui peut se dissimuler de sain et de solide sous la pire stupidité. Car il n’était pas dupe de ce qui n’est qu’enseigne, truc ou grimace, et savait percer à jour toutes les hypocrisies. Il détestait même les élucubrations de tel ou tel qui pouvaient se croire, pour d’autres raisons, ses amis intimes et qui n’en ont jamais rien su. Mais il se gardait bien de le dire publiquement. Il ne disait pas toujours tout ce qu’il pensait, s’il pensait toujours tout ce qu’il disait au moment où il le disait.

Apollinaire était adorablement jésuite et il avait horreur du rigorisme, de la tristesse, même d’une conviction trop franche, relate Jean Royère. Des génies comme Pascal et Baudelaire lui étaient, je le jurerais, antipathiques et qu’il lui fallait de la réflexion et de la volonté pour les aimer. Il m’a souvent étonné par la façon dont il formulait en public des jugements diamétralement opposés à ce qu’il avait dit en particulier de celui-ci ou de celui-là et je me demandais comment le même écrivain pouvait être regardé par lui tantôt comme un des maîtres les moins contestables de la poésie contemporaine, tantôt comme le plus banal des pisseurs d’encre. Je ne crois tout de même pas, quelle qu’aient été sa subtilité et sa souplesse, qu’il soit parvenu à concilier entièrement ces contradictions, bien qu’il ne fût pas très éloigné d’un hégélianisme esthétique.

Mais je me figure qu’il les eût conciliés dans une large mesure si on l’en eût sommé, et que, d’ailleurs, il pouvait considérer la stratégie littéraire comme un art légitime. Elle allait parfaitement avec son tempérament féminin. Et puis sa sincérité — qu’il ne faut jamais mettre en doute, puisqu’elle est la flamme de son lyrisme, sa spontanéité et son génie —, cette sincérité était surtout la qualité de sa sensibilité qui n’éclipsait pas chez lui l’intelligence et n’en voilait nullement la lucidité.

Elle ne la voilait pas, mais elle la pénétrait. Il sentait tout ce qu’il pensait et sa façon de sentir donnait spontanément du corps à sa pensée. C’est par cette unité profonde de la sensibilité, de l’imagination et de l’intelligence qu’Apollinaire, artiste créateur et tempérament ultra-moderne, se relie pourtant à notre ancienne tradition française. Certains voient en lui un trouvère ; il est didactique à sa manière ; le lyrisme, chez lui, n’est qu’une fusée d’idées. C’est un lyrisme vivant, humain, satirique parfois, tendre, brûlant même, mais non mystique, incapable de se cristalliser ni de s’affadir en d’ambitieux symboles.

Apollinaire, par un recours constant à l’imagination et par un sursaut fréquent de la sensibilité, savait trouver l’expression qui renouvelle toute pensée, même banale, même flétrie, et lui redonne la fraîcheur et la vie. Son art est souvent une sorte de Mallarmisme renversé. Au lieu de chercher patiemment. le tour rare, prestigieux, le terme qui luit, bref tout ce qui anéantit le cliché, et de donner à sa prose, comme à ses vers, l’aspect d’un langage créé, à l’exemple du poète de l’Après-midi d’un Faune, Apollinaire affecte, dirait-on, tout au contraire de n’employer que des tours courants, des épithètes usées, des mots dont même les journalistes ne se servent plus. Il ne dira pas un poème, mais une poésie. Les qualificatifs joli, charmant, ravissant, beau, etc. viennent sous sa plume prendre place en des phrases d’une ordonnance presque toujours simple et commune, et pourtant ces phrases vivent, palpitent, caressent ; son verbe se colore et brille ; l’idée se parfume de beauté verbale ; toutes les séductions du langage concret se lèvent les unes après les autres de ces humbles bosquets sonores que vous voyez grandir et s’assombrir au point de devenir la Forêt de Brocéliande !

Comment ? Par la magie du savoir poétique qui n’est en somme que l’art d’écrire, l’art de conter. Il n’y a pas qu’un procédé, il y en a vingt mais il faut savoir les mettre en œuvre. Apollinaire s’est aperçu que le parler journalistique affectionnant le néologisme avait rejeté du langage actuel les termes usuels, les mots simples et que ceux-ci d’être délaissés acquièrent un charme nouveau. Il les a donc employés de préférence aux vocables ambitieux et pédants et a su les sertir dans la phrase, les faire briller.

C’est un de ses sortilèges ; mais il en a d’autres, poursuit le chroniqueur du Mercure. Parfois il saute sur le rare et l’inconnu et fait de l’érudition. Il tire même de l’érudition ses plus sûrs effets poétiques, mais il ne le fait pas du tout pour épater. Seulement l’ignorance du public favorise le poète parce qu’elle est un terrain propice aux merveilles. Elle se prête à la surprise, à l’étonnement par lesquels passe toujours le plaisir esthétique. Plaire au lecteur, c’est le ravir en un lieu agréable où l’on ne l’avait jamais conduit ; c’est lui découvrir un trésor enfoui, lui révéler un aspect intéressant du monde ou de la pensée qui ne lui était pas encore connu.

Voilà pourquoi Apollinaire avait voulu tout voir et tout savoir ; voilà pourquoi il avait voyagé et fait des incursions dans toutes les littératures anciennes et modernes, occidentales et orientales. Il était avide d’érudition comme de nouveauté, et pour la même raison, car ce qu’on ne sait plus est à l’artiste aussi utile que ce qu’on ne sait pas encore pour lui permettre d’exercer sa profession de magicien, non de prestidigitateur, mais de mage !

Apollinaire est prosateur et poète et sa prose n’est pas moins excellente que ses vers. Qu’il s’exprime en vers ou en prose, c’est un auteur toujours objectif, bien que lyrique, et tout ce qui sort de sa plume est animé et vivant comme ayant été modelé par l’imagination sagace d’un conteur. Ce n’est pas, certes diminuer Guillaume Apollinaire que de faire cette constatation. Baudelaire, Mallarmé, ne sont pas des conteurs mais Edgar Poe en est un. Quiconque a l’imagination et la sensibilité saturées d’intelligence est créé pour être un visuel et, s’il écrit, un conteur. Est-ce à dire qu’il soit peintre plus que musicien ? s’interroge Jean Royère. Je n’oserais l’affirmer, en pensant à Edgar Poe et à Nau si profondément musicaux. Encore qu’essentiellement visuel, Apollinaire n’était pas moins sensible à l’harmonie verbale et le souci du rythme l’a toujours absorbé. Mais il a compris, je crois, que l’harmonie et la couleur sont, en littérature, des aspects particuliers du rythme et de la pensée et il a poussé jusqu’à l’extrême même, pour varier ses rythmes, la recherche picturale.

Timbre émis en mai 1961 à l'effigie de Guillaume Apollinaire

Timbre émis en mai 1961 à l’effigie de Guillaume Apollinaire

Plus loin, le chroniqueur rapporte qu’Apollinaire était extrêmement sensuel et assouvissait largement ses appétits ; il avait de grandes fringales et il lui fallait de vastes festins. Le boire et le manger agissaient avec lui comme eussent fait d’insatiables maîtresses et il les satisfaisait sans vergogne. Il se vantait d’être connaisseur en cuisine, et avait conçu le projet, en l’air, de rédiger un manuel du parfait cuisinier. Il traitait Brillat-Savarin d’andouille, le considérant tout au moins comme un auteur surfait. Il composait fort bien un menu et savait surtout l’art de cuire les mets. Il était enclin à les choisir rares, mais sans parti pris, curieux seulement d’enrichir une table d’autres victuailles que celles qui trament sur toutes et composent l’ordinaire de tous les ménages parisiens comme la carte des grands restaurants. En somme, il se comportait pour la nourriture du corps comme pour celle de l’esprit et cela d’autant plus naturellement qu’il ne distinguait pas plus qu’il ne faut entre les instincts et les inclinations, entre le physique et le moral. Aussi le choix d’un condiment lui paraissait ni plus, ni moins important que celui d’une épithète et suffisant pour relever, l’un un plat banal, l’autre une phrase clichée.

En amour, il savait être tendre et passionné, mais il ne semble pas que son érotologie présente la mysticité de celle d’un Poe ou d’un Baudelaire ; il ne divinise nullement l’amante et n’a pas non plus l’âme d’un troubadour. Sa métaphysique sous ce rapport demeure assez simple. Tout au plus y retrouve-t-on le sentimentalisme gracieux et vague du lieder d’outre-Rhin. Pourtant, dans deux ou trois de ses plus beaux poèmes, éclatent de vrais accents de détresse amoureuse. Apollinaire a connu, certes des années de félicité sous ce rapport ; il a joui du bien et du mal d’être deux et ce fut au temps de sa jeunesse, de son plein épanouissement.

Comment le bonheur ne s’est-il pas fixé sous son toit ? s’interroge ensuite le rédacteur du Mercure de France. Je crois qu’il faut en accuser d’abord la vanité enfantine de Guillaume et un nigaud respect humain, puis son insouciance, sa nonchalance. Dans sa certitude d’être aimé autant qu’il aimait lui-même, il ne croyait pas, quoiqu’il pût se permettre, qu’il laisserait jamais échapper l’Oiseau bleu ! Un jour, pourtant, Guillaume est tout étonné de se retrouver tout seul, et ce fut la grande douleur de sa vie, peut-être la seule. Mais il sut souffrir sans exposer son orgueil. Dans Zone, dans Le Mal aimé, etc. ses plaintes touchantes restent pourtant discrètes et enveloppées. L’équilibre latin des facultés, la prédominance de l’intelligence qui laisse intacte sa sensibilité, mais qui la protège, s’oppose, chez Apollinaire, à toute exagération du sentiment et le défend contre l’obsession amoureuse. Mais il est toute suavité et toute grâce et dans son attachement aux êtres comme aux choses, il a cette forte tendresse que l’égoïsme naturel multiplie, la tendresse goulue de l’enfant.

Voilà l’essentiel, à mon sens, chez ce beau lyrique : il a, par l’exercice, par sa haute érudition, par l’émulation et l’orgueil, favorisé sa nature et cultivé son talent, mais son génie réside dans le don d’émerveillement de l’enfance qui ne l’a jamais quitté ! Le pouvoir qui rend cet âge avide, qui en fait un âge divin, la sensibilité souveraine, une faculté infinie de désirer, et l’inquiétude de l’esprit, sa tyrannique curiosité, sa passion de comprendre, voilà les secrets du tempérament d’Apollinaire, de sa jeunesse que rien n’altère, de sa fougue gracieuse, de sa fraîcheur et de son intensité.

Pour ces dons si rares, il mérite d’être aimé autant qu’admiré et ce n’est pas du tout exagérer — l’avenir sans contredit ratifiera ce jugement — que de voir en lui un des plus grands parmi les nouveaux lyriques, conclut le chroniqueur. Il est même celui qui concilie le mieux la tradition de notre poésie séculaire avec celle récente de poésie pure. Il ne faut donc pas craindre quand on parle d’Apollinaire de le mettre au même rang que les meilleurs poètes des générations antérieures, dont la réputation est dès maintenant consacrée.

 
 
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