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Baccalauréat : la peau d'âne des bacheliers. Diplôme, danger et inutilité

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Baccalauréat : diplôme considéré comme
dangereux et inutile en 1905
(D’après « L’Écho de Paris »)
Publié / Mis à jour le lundi 11 juillet 2016, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 3 mn
 
 
 
Eté 1905. Pas moins de 10000 candidats parisiens s’apprêtent à passer les épreuves de ce qui constitue dans les esprits le meilleur des sésames pour se frotter au monde du travail : le baccalauréat. L’Écho de Paris tire à boulets rouges sur un examen considéré comme inique, absurde, de fort peu de valeur, inutile et dangereux bien que la France semble s’articuler autour de lui...

« Qu’est-ce que vous allez faire de ce grand garçon-là ? » Ainsi commence la conversation de l’ami qui voit pour la première fois le fils de la maison. Remarquez bien que jamais il ne dira : « Que veut faire ce grand garçon-là ? » La volonté du principal intéressé, ses goûts, ses aptitudes, ses incompatibilités sont négligeables. Seuls, les parents, disposant de lui comme d’une chose, orientent sa carrière à leur idée souvent irréfléchie. Et toujours, à la question précédente, le père ou la mère, ou tous deux en chœur, répondent : « Il faut d’abord qu’il soit bachelier ! »

Bachelier ! tel est l’axe autour duquel pivote la France intellectuelle et fonctionnaire. Bachelier ! Ce sont les Pères Jésuites qui nous ont valu le baccalauréat. Les premiers, grâce à leurs missionnaires, ils avaient pu étudier en Chine le fonctionnement du mandarinat, des examens fantastiques à l’aide desquels il se recrute, l’omnipotence dominatrice qu’assure à un gouvernement une armée de serviteurs ainsi hiérarchisée.


— Vous êtes bachelier ? Ah ! bien... Savez-vous lire et écrire ?

Et ils sont revenus de là-bas pour donner à notre enseignement cette empreinte dont l’Université ne s’est pas encore affranchie, dont elle a éliminé le bon pour ne prendre que le mauvais : la manie des programmes et des examens. C’est ce qui fait qu’à cette époque de l’année, devant les seules Facultés de Paris, près de dix mille jeunes Français, dans la force de l’âge, vont être enfermés pendant des heures dans des salles sans air, vont peiner, vont suer pour la conquête de cette « peau d’âne » qui est vraiment la toison d’or du vingtième siècle en France.

Le baccalauréat est mauvais à tous les points de vue, et d’abord parce qu’il ne prouve rien du tout. Que doit-il être, en effet ? Une affirmation de la bonne qualité des études faites par le candidat, une attestation que ce dernier « possède les matières exigées au programme ». Ces matières, si vous lisez ledit programme, constituent l’encyclopédie des connaissances humaines, — moins, il est vrai, que les programmes primaires, car il semble que, par une incroyable aberration, on exige des connaissances d’autant plus vastes que le degré d’enseignement est moins élevé. Ce programme, pour être « su » exigerait la vie d’un homme intelligent, en admettant que cet homme ait toutes les aptitudes pour tous les genres de ce sport intellectuel qu’on appelle les matières de l’examen.

Or les jeunes potaches qui grimpent au mât de cocagne pour décrocher, en manière de timbale, le parchemin rêvé par leurs parents, subiront une épreuve écrite formée de deux ou trois compositions dont les sujets sont coulés dans un moule uniforme. Ils sont si bien coulés que les « boîtes à bachot », qui ont pris une empreinte de ce moule comme on prend l’empreinte d’un louis pour en faire une pièce fausse, y recoulent à coup sûr l’intelligence amorphe des jeunes gens dont on leur confie la préparation et fournissent des statistiques dont le pourcentage triomphant suffirait à faire condamner le mode d’examen qui sert de champ à leurs succès.

Et l’oral ! Six à dix minutes sont accordées à chaque examinateur pour s’assurer que le candidat possède son programme ! Un dictionnaire ne suffirait pas à enregistrer, je ne dis pas les bêtises dont la grandeur confine parfois au génie, mais la platitude et l’atonie des réponses que l’on entend au baccalauréat ! Que l’on interroge. n’importe quel examinateur, il vous confirmera ce que je viens d’avancer, claironne le journaliste de l’Écho de Paris.

De plus, l’inégalité règne, dans cet examen, à un degré inouï. Ainsi les 8000 candidats sont divisés en séries de vingt-cinq. Généralement, six séries composent le même jour pour le même examen : Mais leurs compositions sont corrigées par des professeurs différents, les uns indulgents, les autres féroces. Ainsi, dans une série à jury aimable, des élèves médiocres seront admissibles, alors que, avec les mêmes sujets de composition, la série voisine, pourvue d’un jury anthropophage, « retoquera » des candidats relativement forts.

L’inégalité existe aussi dans les sujets : tous les candidats ne composent pas le même jour : ils n’ont donc pas tous le même sujet à traiter. Comment, alors, les juger équitablement ? Et, par-dessus le marché, les jurys, avec le nouveau règlement, sont mi-partie, c’est-à-dire qu’au lieu d’être composés, comme autrefois, uniquement de professeurs de Facultés, on y a admis des professeurs de lycée désignés par le recteur, professeurs qui se trouvent, ainsi, être à la fois juges et parties, puisque leurs propres élèves peuvent se présenter devant eux !

Que prouve, dans ces conditions, le diplôme de bachelier ? Rien, absolument rien.

En second lieu, le baccalauréat est inutile. En effet, à l’entrée de toutes les carrières, il y a un examen d’admission qui, le plus souvent, est un concours. Alors, de deux choses l’une : ou les matières de ce concours sont plus difficiles que celles du baccalauréat, et celui-ci devient évidemment inutile, ou elles sont plus faciles, auquel cas le diplôme universitaire a amené l’élève à faire des études superfétatoires.

Le baccalauréat clinique en l'an 3000

Le baccalauréat clinique en l’an 3000

Aussi dans beaucoup d’écoles du gouvernement n’exige-t-on plus le baccalauréat à l’entrée : c’est la preuve la plus éclatante de son inutilité. Il serait si simple de le remplacer par un examen de fin d’études passé, au lycée, devant les professeurs, examen qui tiendrait compte, autrement que le livret scolaire, du travail continu de l’élève. Et qu’on ne dise plus que le jury des professeurs serait partial, puisque, d’après les nouvelles réglementations, ces mêmes professeurs sont appelés, aujourd’hui, à faire partie des jurys mixtes de baccalauréat !

Ce n’est pas tout encore ; le baccalauréat est dangereux. Dangereux, parce qu’il donne à celui qui vient de l’obtenir une fausse idée de sa valeur personnelle. Dans notre pays de France, où l’officialité rayonne d’un éclat effrayant, tout ce qui a une allure de « papier d’Etat » prend un prestige invraisemblable.

Dans les grands centres, on sait un peu à quoi s’en tenir sur la valeur absolue de la « peau d’âne » ; mais en province ! dans les petites villes dont les feuilles locales citent les noms des jeunes concitoyens qui ont « subi avec succès les épreuves redoutables », quelle somme de vanité, d’orgueil, d’espoirs mal fondés le baccalauréat ne fait-il pas naître dans des cerveaux insuffisamment documentés ? Les parents voient leur fils magistrat, ingénieur, député, ministre, président même, dès l’instant qu’il a son. diplôme ! Les malheureux ! La vie se charge de les désillusionner, plus vite, hélas ! qu’il ne convient.

Quand on n’est pas bachelier, en France, on ne peut rien être ; quand on n’est que bachelier, on ne peut rien être non plus, à moins qu’on ne s’oriente vers la profession de cocher de fiacre, qui, depuis l’invention du taximètre, a pris, il faut le dire, une allure plus scientifique.

Et ainsi se trouve vrai ce joli mot de Jules Simon : « Le baccalauréat est une clef qui ferme toutes les portes et qui n’en ouvre aucune. »

 
 
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