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14 juillet : Fête antinationale ? Célébration. Liberté, égalité et fraternité, notions dévoyées

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
14 juillet : Fête antinationale ?
Ou comment liberté, égalité, fraternité
sont des concepts dévoyés
(Extrait du « Gaulois » du 15 juillet 1903)
Publié / Mis à jour le vendredi 13 juillet 2018, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
En 1903, à l’occasion des célébrations rituelles du 14 juillet, l’écrivain et journaliste Léon Daudet, fils aîné du célèbre Alphonse, signe dans le journal Le Gaulois un pamphlet contre des réjouissances accompagnant une fête qu’il juge « antinationale », et n’a pas de mots assez durs pour qualifier la « tyrannie jacobine à forme parlementaire » qui tient lieu de mode de gouvernance d’un pays que l’on ruine lentement et méthodiquement. Liberté, égalité, fraternité que l’on adule de façon festive sont à ses yeux autant de concepts frelatés à dessein, visant à abuser un peuple méconnaissant les véritables enjeux et tenants de la Révolution française.

La célébration du 14 juillet — pour laquelle M. Camille Pelletan [ministre de la Marine de juin 1902 à janvier 1905] change annuellement de linge sale — est en effet symbolique du régime en ce qu’elle est tout à fait baroque, écrit Léon Daudet. D’abord, s’il apparaît normal et légitime que la tradition ait ses anniversaires, ceux de la Révolution, qui détruit tout sans rien renouveler, ne sont qu’un contresens et une parodie. On ne commémore pas une scène de banditisme accompagnée de pillage et d’incendie : « Le propre d’une insurrection populaire — a écrit Taine à ce sujet — c’est que, personne n’y obéissant à personne, les passions méchantes y sont libres autant que les passions généreuses et que les héros n’y peuvent contenir les assassins. »

Joignez à cela qu’en cette piteuse et sanglante aventure il n’y avait pas de héros. Rien qu’une ruée de furieux et d’escarpes, conduits par quelques-uns de ces hommes à tout faire, comme il en sort d’entre les pavés aux jours tragiques, et qui sont les chefs naturels de l’émeute. La falsification de l’histoire révolutionnaire demeurera un des plus énormes « bluffs » des temps modernes. Michelet y apporta son romantisme, son manque absolu de sens critique, son mépris des documents exacts. Victor Hugo lâcha sur le tout les écluses de son verbe pompeux et sans contrôle. Aujourd’hui des Aulard et des Jaurès essaient vainement de cimenter ce monument d’erreurs qui s’écroule avec des affirmations de pédant et des paradoxes de rhéteur. Rien n’est amusant comme de voir les efforts de la primaire exaltée pour rehausser en dignité et en importance la page la plus vile de nos annales.

Nous autres, qui sommes de bonne foi, chers lecteurs, et qui ne demandons rien autre chose au jacobinisme que de disparaître un peu promptement, considérons ensemble ce que l’on fête et les motifs qu’on a de se réjouir. Entre les petits ballons rouges, au son des orchestres improvisés, le peuple danse pour la liberté.

Fête de la Fédération le 14 juillet 1790

Fête de la Fédération le 14 juillet 1790

Le commissaire a discrètement encouragé les notables commerçants du quartier à pavoiser, à se cotiser, à faire preuve d’entrain et de loyalisme. Il importe que la farce ait bon air et que les journaux de l’intérieur puissent féliciter le ministre de l’Intérieur pour la parfaite organisation des réjouissances à l’intérieur : « On vous tiendra compte de vos efforts — murmure le fonctionnaire avisé — Celui qui organise une jolie décoration pourrait bien en recevoir une autre. Sors tes bannières, si tu veux la croix ».

Le peuple danse pour la liberté... qui est inscrite sur les murailles, parmi d’autres réclames fallacieuses. Le mot dont on a le plus abusé prend un sens différent selon les imaginations qu’il traverse, et voilà ce que nos grands philosophes de la primaire ne pourront jamais concevoir. Ils croient qu’il y a une liberté, alors qu’il y en a cent mille. L’ivrogne ne connaît que celle de boire. Le voleur ne souhaite que celle de voler et le criminel que celle de tuer. Pour tous les débauchés, pour tous les délinquants, pour l’immense légion des âmes obscures, la liberté ne signifie que la disparition de la contrainte morale ou sociale, que la permission de s’assouvir.

Allez donc expliquer à ces danseurs que la notion de liberté, inconnue de l’antiquité tout entière, fut apportée au monde par le christianisme ; qu’elle est inséparable, sinon de la foi, tout au moins de la conscience catholique, qui réfrène les instincts sauvages et conseille la résignation ; que, sans le contrepoids d’une règle morale et religieuse, elle est un terme vide de sens, puisque la liberté de chacun tend à empiéter sur celle du voisin, et que, d’ailleurs, nous sommes étroitement liés par la condition de nos ascendants. La liberté, si elle n’est un miracle, ne peut être qu’une aspiration, un idéal jamais atteint, comme c’est la loi pour tout véritable idéal, un feu dans notre nuit terrestre. Or, est-elle rien autre chose aujourd’hui, je vous le demande, qu’un artifice électoral ?

Artifice dont les misérables qui nous gouvernent, ou plutôt qui dirigent ceux qui nous gouvernent, ne dissimulent même plus le haillon. Jamais le régime de la force primant le droit ne fut appliqué avec plus de férocité et avec une plus détestable hypocrisie. Sur tout le territoire on mène la guerre religieuse et la dragonnade à rebours au nom des grands et immortels principes : « Vos prières gênent notre liberté. Vos soins aux malades, vos aumônes, votre charité, vos chants qui montent vers un ciel que vous vous figurez peuplé d’anges et de bienheureux, que nous savons pertinemment vide et désert, tout cela gêne, obstrue notre liberté. Donc nous sommes libre de vous proscrire, de vous dépouiller, de vous traquer. » Tel est le langage des fanatiques qui accusent leurs victimes de fanatisme et qui s’habillent, pour leurs mauvais coups, en philosophes spiritualistes ou en légistes imperturbables.

Adressons-nous maintenant à ce prolétariat, que tournent et retournent ses meneurs sur le gril de la convoitise. S’il se croit libre aujourd’hui, plus qu’autrefois, c’est qu’il a, sur sa misère neuve, une jolie couche de bonne volonté. Sous couleur de le libérer, ceux qui se servent de lui pour atteindre aux grosses sinécures, lui forgent des chaînes inédites, le ligotent dans des formules fausses, l’emprisonnent dans une utopie dont ils se sont institués les geôliers. Mais ils réclament de lui un salaire pour le prix de sa surveillance. Avouez qu’il y a là de quoi se réjouir, danser entre les petits ballons rouges.

Le peuple danse pour l’égalité. La plus grande part de la nation est traitée en outlaw par l’autre, attendu qu’un mauvais parlement, qui fait des crimes et non des lois, représente inversement cette nation. Parce que, dans une pièce empestée et close, siège une majorité d’énergumènes pour le compte d’une minorité de fonctionnaires et de métis, trente millions de Français doivent assister paisiblement et joyeusement à la ruine lente et méthodique de leur pays. La grande révolution qui, pour employer une formule de Leibniz, remplace le grain des choses par la paille des mots, la grande révolution leur a fait croire que l’égalité entre les citoyens dépendait d’un mode de suffrage.

Dans le fait, jamais la justice, qui préside à l’égalité, n’a été plus dure aux petits, plus mal distribuée, plus partiale que depuis ces six dernières années où se précipite, sous nos regards, la déchéance de la république. Il est quelqu’un de plus âpre, de plus sévère pour les ouvriers que le plus âpre, le plus sévère patron. C’est le contremaître. Or, à tous les échelons sociaux, derrière toutes les tribunes et la plupart des tribunaux se tient aujourd’hui le contremaître. Il est le résultat d’un compromis entre les hautes classes qui s’affaissent et les couches inférieures de la société qui se boursouflent et qui foisonnent. Il n’a de clartés sur rien, mais il a, sur toutes choses, des notions et des lueurs. Comme il dit, il s’est fait lui-même, et devant le miroir grossissant de sa vanité. Il tient au suffrage de la foule, non à celui de sa conscience.

Bientôt le jury, cet ennemi naturel du jacobinisme, sera supprimé par nos despotes, et ce jour-là marquera la mort officielle de l’égalité devant la loi. Il y aura les coupables nés, qui seront les adversaires du gouvernement, et les innocents nés, qui seront ses partisans. Le code se fera bénin pour l’Apache patenté, et terrible pour le patriote ou celui qui ose aller à la messe. Les présidents de correctionnelle exigeront un bulletin de non-confession avant d’acquitter un prévenu, ou bien recevront leurs arrêts directement de la place Beauvau.

Fête de la Fédération le 14 juillet 1790

Fête de la Fédération le 14 juillet 1790

Le peuple danse pour la fraternité. Ici la naïveté désarme. Il n’y a plus place que pour le rire. Le citoyen Millerand fut un frère, lors des bagarres fameuses de Chalons, et le citoyen vice-président Jaurès ne serait pas, le cas échéant, un frère de moindre gentillesse. Si jamais un de ces héros fraternels se sentait directement menacé dans sa personne ou dans ses biens, maisons de rapport, équipages, bijoux, titres de rente, vous verriez aussitôt le citoyen se changer en un redoutable monsieur, en un « bourgeois » sans pitié ni mesure. Car ceux-là aussi sont de mauvais contremaîtres, des cuistres ignares et verbeux qui tracent de pénibles bâtons et se figurent dresser les statuts de la société de demain ; de ces idéologues du poncif que la contradiction rend furieux et qui ont la fatuité rouge.

Danse, bon peuple, autour de tes tribuns ; ils frappent à coups redoublés sur la grosse caisse, en t’affirmant qu’elle est de retraites. Bientôt tu danseras devant le buffet. Car ce qu’il y a de plus cher, en politique, c’est le mensonge, non seulement parce qu’il faut l’organiser et l’alimenter, mais encore parce qu’il faut le recouvrir et l’arroser perpétuellement. L’épargne aussi était une Bastille que tes dupeurs s’occupent à prendre au milieu des feux de Bengale et des pétarades : « Nous entrerons dans le budget, quand nos aïeux n’y seront plus. J’imagine bien Rouvier-déficit [Maurice Rouvier est en 1903 ministre des Finances, et deviendra président du Conseil en 1905] guettant, derrière une fenêtre de son ministère, la naïve allégresse de ces moutons que tondra demain l’impôt sur le revenu, riant comme un Méphistophélès qui aurait séjourné à Marseille. C’est la coutume révolutionnaire que le « digo li que vengue » se mêle au « ça ira ».

Enfin, si quelque pensée patriotique s’ajoutait à ces réjouissances, j’engage mes concitoyens à ne pas attacher plus d’importance qu’il ne sied aux visites ou projets de visites entre Montélimar et les autres capitales européennes. Ce besoin périodique de prendre le train pour aller s’assurer réciproquement qu’on ne médite nulle agression belliqueuse n’est pas du tout une garantie de paix ni même d’entente cordiale. Des gens qui s’aiment bien n’éprouvent pas la nécessité de se répéter à chaque instant qu’ils s’aiment bien. Ni l’Angleterre ni l’Italie ne nous chercheront noise sans motif. Bravo ! Tant mieux ! N’en parlons plus. Nous ne savons aucun gré à M. Loubet [Emile Loubet, président de la République de 1899 à 1906] de ces bonnes dispositions de voisines qui furent à plusieurs reprises moins aimables.

Sans doute, voisines, vous trouvez votre compte à ces tentatives de rapprochement qui sont d’ailleurs prudentes et louables. Mais ce n’est pas la seule amitié de M. Loubet que vous recherchez, je suppose. Souffrez donc qu’en ce soir de frairie nous ne dansions pas pour M. Loubet.

Nous autres, les traditionnels, qui ne nous réclamons ni de Robespierre, ni de Fouquier-Tinville, ni de Marat, nous attendons, pour nous réjouir, la prise et la destruction d’une Bastille, laquelle est depuis trente mortelles années, pour l’âme française, la geôle la pire et la plus insalubre. Je veux parler de cette tyrannie jacobine à forme parlementaire que gardent, l’escopette au poing, de vieux brigands patibulaires, de hardis écumeurs d’assemblée. Il se pourrait qu’elle fût, elle aussi, une apparence de force et de résistance et qu’elle se rendît au premier assaut.

Nous nous engageons solennellement à ne point promener la tête de Jaurès au bout d’une pique, comme il fut fait pour l’infortuné gouverneur de Launay. Nous nous contenterons d’instituer ce rhéteur gardien du musée rétrospectif des fantoches, au Palais-Bourbon désaffecté.

 
 
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