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La République des imbéciles. Fausse démocratie, loi du nombre, souveraineté du peuple. Système parlementaire

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
République des imbéciles (La) :
perversité de la loi du nombre
et moyens d’instaurer une
véritable démocratie
(D’après « La République des imbéciles », paru en 1887)
Publié / Mis à jour le dimanche 14 avril 2019, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 9 mn
 
 
 
C’est dans un opuscule au titre résolument provocateur de La République des imbéciles que Gabriel Prévost, futur auteur de L’angoisse de nos temps (1896) et du Bonheur comme phénomène social (1907), se fait mi-pamphlétaire mi-essayiste et dénonce une loi du nombre qui, érigée en garante de la démocratie, opprime en réalité un peuple qu’elle prétend libérer et dont elle flatte l’apparence de souveraineté. Aux députés assurant une représentation collective, vague, éloignée des électeurs et agissant au demeurant à rebours de leurs intérêts, il propose de substituer des Chambres dotées de pouvoirs par domaines de compétence, de façon à embrasser toute la vitalité du pays.

Voyant en la démocratie, organisée comme elle l’est, « un abominable mensonge sur lequel ne peut se greffer rien de sérieux ni de durable », observant brièvement combien les « immortels principes » révolutionnaires défient les lois de la nature humaine et ne constituent que mots sur le papier qu’aucun moyen réellement mis à disposition du peuple ne vient soutenir, Prévost en vient aux conséquences de l’ersatz de souveraineté populaire tenant lieu de modèle politique censé assurer un avenir serein au pays et à ses citoyens.

« Nous avons, depuis 1789, des étiquettes, des emblèmes, des mots. Nous allons de provisoire en provisoire, d’expédients en expédients. Nous nous estimons heureux quand nous voyons dix-neuf ans s’écouler sans guerre civile ; mais de gouvernement, nous n’en avons pas l’ombre. A défaut de gouvernement — nous définirons ce mot tout à l’heure — la France marche à grands pas, et sûrement, vers un cataclysme, que tout le monde pressent. Elle s’affaisse lentement comme un corps privé de vie. C’est pis que la décadence ; c’est l’effritement où s’anéantiront sa grandeur, son génie, sa richesse et peut-être son nom.

« L’absence de gouvernement (ou d’état politique en accord avec l’état social) est nécessairement un régime précaire, entraînant avec lui toutes les conséquences fatales de la précarité. La vie est suspendue. Toutes les crises sur lesquelles on s’amuse à faire des enquêtes, n’ont pas d’autres causes. L’arrêt du cœur, qui interrompt la circulation, engendre ce qu’on appelle les crises industrielles, agricoles, financières, commerciales. Qu’on nous cite donc un seul élément de la vie nationale qui ne soit pas en état de crise. Un résultat contraire serait encore plus surprenant. Et, en effet, les conditions d’existence dans lesquelles se trouvent aujourd’hui les nations européennes, demandent, bien plus encore que jadis, la certitude et la garantie du lendemain, qui nous font totalement défaut.

La richesse est le produit de la circulation des valeurs ; mais, pour qu’il y ait circulation, il faut la confiance bien assise que, pendant vingt, trente ou quarante ans, aucun bouleversement politique ou social n’entraînera la diminution ou la perte totale de ces valeurs ! Or, qui répond aujourd’hui, non seulement de vingt ans, mais de dix ans, mais de cinq ? Et l’on vient nous dire que la Révolution a trouvé sa consécration définitive dans la forme de gouvernement qui nous régit ! Allons donc !

« Etant donné le point de notre histoire auquel nous sommes parvenus, est-il possible d’asseoir un gouvernement ? Nous le croyons. Mais, avant de le démontrer, il est nécessaire de bien connaître la maladie qui nous mine. La France se meurt du despotisme le plus terrible dont puisse souffrir un peuple, la mauvaise organisation du gouvernement de tous par tous, autrement dit la fausse application de la loi du nombre. (...) Cette loi du nombre, qui n’est pas d’hier, a été le signal de l’agonie des nations, et cette vieille machine des temps passés est un fléau pour le peuple lui-même, qui n’imagine pas le leurre et le danger de l’arme qu’on lui a mise entre les mains.

« Pour mieux accentuer la dérision du rôle qu’on lui fait jouer, on l’intitule le Peuple Souverain. Acceptons un instant cette dénomination, qui n’a rien de républicain, et voyons en quoi consiste cette Souveraineté. Elle consiste précisément, pour la collectivité régnante, à en faire un usage d’un jour, tous les quatre ou cinq ans, au moyen de morceaux de papiers déposés dans une urne, et à l’abdiquer ainsi périodiquement, entre les mains de mandataires, qui, une fois élus, deviennent des maîtres.

« Rions-en un peu, la comédie est bouffonne. Des fruits secs de toutes les carrières, des avortons de tous les métiers se promènent pendant un mois, de clubs en meetings, faisant outrageusement leur propre éloge, avec l’impudence de pitres à la foire. Tous ces Chaloupet, tous ces Duflambart et autres célébrités nationales, que Gambetta appelait des sous-vétérinaires, pour ne pas leur donner leur vrai nom : — Des ratés, — abandonnent presque toujours un cabinet d’avocat où il ne venait personne, un cabinet de consultation où ils ne traitaient pas un rhume, un comptoir sans clients, une caisse sans capitaux. Incapables de faire de bons clercs de notaires, ils se jugent dignes d’être élus députés, c’est-à-dire, comme le disait devant nous un député républicain, de devenir un des cinq ou six cents rois qui dirigent le pays.

« Singuliers rois, mais enfin ! le poste est enviable, à en juger par les efforts qu’ils mettent à l’obtenir. Une fois nommés, ils ne se gênent guère pour repousser du pied tous ces tas d’électeurs qui les ont hissés sur le pavois ! Aussi, pour employer des noms en rapport avec ces vieilleries, Brutus promet à ses électeurs le pain à discrétion ; mais Cincinnatus s’engage à fournir les faisans truffés et les gâteaux. Gracchus demande la participation de l’ouvrier au capital ; mais Cinna s’offre pour anéantir le capital et le bourgeois par-dessus le marché. Scipion s’inscrit pour la séparation de l’Église et de l’État ; mais Glabrion, moins clérical, exige la transformation des églises en lupanars. Icinius veut la réforme des lois criminelles, mais Virginion met dans son programme l’abolition des délits politiques, avec récompense aux délinquants. Tribonien se déclare partisan de la magistrature élective ; mais Pomponius, moins réactionnaire, veut le remplacement des magistrats par les détenus.

« Assaut de bourdes, qui n’engagent à rien. Le tour est joué. Le plus blagueur l’emporte. Il lui est permis d’ignorer jusqu’à l’orthographe. Nous connaissons un pur de cette force. Et après ? Après, on attendra quatre ans pour nommer un autre pur, encore plus pur, qui, certainement cette fois, réalisera le progrès qu’on attend toujours et qui n’arrive jamais ! Pour l’instant, le candidat est élu. Que fera-t-il de ses promesses ? Ce qu’on fait d’un tremplin, quand on a sauté. On l’éloigne. Tous les Pomponius, Glabrion et compagnie savent bien comment on s’allège du fardeau des engagements. Chaque député a six cents camarades pour en partager le poids. Qu’il soit sincère ou non, la comédie sera la même. Rien ne coûte de lancer une proposition ; si elle est acceptable, elle passera par la force des choses ; si elle ne l’est pas, il aura conquis, en la lançant, la popularité, et de Belleville à Ménilmontant, on s’écriera : — Comme il a bien parlé !

« Après tout, notre peuple athénien n’en demande peut-être pas davantage. On serait souvent tenté de croire qu’il en est de ses votes comme des fusées de feu d’artifice. Que la fusée porte haut, qu’elle fasse beaucoup de bruit en éclatant, il est content et il applaudit. Que diable peut bien faire un homme avec le mandat indéfini et le plein pouvoir que lui confère le souverain in partibus ! Donnez-lui le génie de Newton, l’énergie de Bonaparte, la science de Pic de la Mirandole, l’honnêteté de Washington ; supposez-le universel et supérieur dans toutes les connaissances humaines ; dégagez-le par surcroît de toutes les passions personnelles ; c’est à peine s’il sera à la hauteur du mandat général dont il est tenu de s’acquitter. Et voilà un monsieur quelconque, qui hier encore, était droguiste médiocre, photographe incompris, médecin sans malade, avocat sans client, ingénieur sans travaux, non-valeur de la société, échoué de la vie, qui devra faire des lois sur les finances, l’agriculture, le commerce, l’instruction, l’armée, la marine, les chemins, de fer, la navigation, la propriété, la famille, la justice, la presse, la magistrature, les relations avec l’étranger, toutes choses résumant l’existence d’un peuple, auxquelles il n’entend rien !

(...)

« On ne saurait trop s’étonner de ce fonctionnement de la loi du nombre, où des gens qui ne savent pas ce qu’ils veulent, s’adressent à d’autres gens pour voir s’ils le sauront mieux qu’eux. Ce peuple qui a des intérêts, des besoins précis, qui aurait tout à gagner à s’occuper de l’amélioration matérielle de ses affaires, se laisse, ici et là, catéchiser par deux ou trois commissionnaires en élection, qui détournent son attention sur les questions oiseuses, dont la solution, supposée possible, ne lui donnerait pas un morceau de pain à mettre en plus sous sa dent. Ces farceurs ambitieux lui démontrent qu’il est très malheureux, démonstration facile, qui n’engage à rien. Cela fait, l’un lui affirme que c’est la faute au Sénat, l’autre que c’est la faute aux prêtres. Admettons le Sénat expulsé et les prêtres pendus. Et après ? Où sera le morceau de pain ?

« Les électeurs ont fait de la politique, ce qui ne sert pas à grand-chose, et ils ont donné des mandats politiques, ce qui ne sert à rien. Eh parbleu ! soyez tranquille ; ils vous en feront de la politique, vos mandataires ; ils vous en feront tant que vous voudrez, plus que vous n’en voudrez. Ont-ils tort ? Pourquoi les blâmer ? Après, tous vos élus fraternisent à la buvette de la Chambre, et les moyens ne leur manquent pas pour se débarrasser des solutions gênantes ; « Nomination d’enquête » pour constater, dans un rapport officiel, que la lune est toujours à sa place ; « renvoi aux commissions », autrement dit aux calendes grecques ; « prises en considération », ils ne disent pas si c’est une considération distinguée ; etc., etc., tout autant d’échappatoires pour payer les mandants en monnaie de singe. Et après ? Les électeurs sont contents : ils sont en République !

(...)

« La loi du nombre est à modifier en ce qui touche aux mandataires et en ce qui touche aux mandants. Pourquoi, d’abord, donner aux élus un mandat général et vague, dont le tort est de se résoudre en tournois stériles ? La Chambre actuelle compte 584 députés [nous sommes en 1887], qui, collectivement et individuellement, sont sans programme. Nous n’appellerons pas programme les deux ou trois phrases creuses qui ont servi de base à leur élection. Admettons que telle ou telle fraction obtienne des suffrages de la Chambre, l’adhésion aux idées qu’elle représente, en serons-nous plus avancés ? Aurons-nous fait un pas vers la stabilité gouvernementale ou l’amélioration des affaires ? Eh ! non. Peut-être au contraire.

« Nos mandataires bavardent, discutent. Sans s’en douter, ils donneraient presque raison aux anarchistes, qui les suppriment théoriquement. Leur besogne actuelle est tellement stérile qu’on est soulagé par leur absence et qu’on ne s’apercevrait pas de leur disparition. (...) Ils font de la politique. Qu’est-ce donc que la politique ? Recourons au dictionnaire : « La politique est la science du gouvernement. Mais le gouvernement est-il un but ou un moyen ? Gouverne-t-on pour gouverner ? On comprendrait, à la rigueur, l’art pour l’art ; mais le gouvernement pour le gouvernement, c’est idiot. Le pilote qui gouverne un bateau, part d’une station pour arriver à une autre. D’où partent et où nous mènent nos gouvernants ? Posez-leur la question. Vous pouvez être certain qu’ils ne le savent pas eux-mêmes.

(...)

« Il s’agit de donner à tous, dans la mesure du possible, le moyen pratique d’arriver au mieux. Or, le parlementarisme actuel, avec son mandat général et mal défini, est le plus grand obstacle qu’on puisse opposer à ce but. (...) Le mandat doit être spécialisé, tant au point de vue du mandataire qu’au point de vue du mandant. En un mot, à la représentation collective et vague, il faut substituer la représentation précise des intérêts, réunis par groupes, et avoir une Chambre subdivisée en autant de Chambres que le comportent ces intérêts groupés.

« A ceux qui se récrieraient de prime abord sur l’impossibilité de cette solution, nous répondrons par l’organisation même du conseil d’État, créé pour élaborer la loi, où la division en sections n’empêche pas l’unité de fonctionnement, et où certaines affaires sont traitées par telle ou telle section et telle ou telle chambre, tandis que d’autres sont soumises à toutes les sections et à toutes les chambres réunies. Nous pourrions ajouter la Cour des comptes et la Cour de cassation, où le même fractionnement existe, dans l’intérêt de la compétence des juges et de la rapidité des décisions.

« Avec un maximum de douze groupes, il serait facile d’embrasser toute la vitalité du pays : travail manuel — travail intellectuel — industrie — commerce — finances — circulation sur terre ou sur mer — défense du territoire (guerre et marine) — instruction publique et cultes. Au lieu de formuler eux-mêmes un programme plus ou moins alléchant, les élus de chaque groupe recevraient de leurs commettants la formule nette et détaillée des vœux et des intérêts de ces groupes. Les vingt ou trente membres investis de ce mandat auraient à suivre une route toute tracée, et pourraient alors, sans danger de divagations, rester en rapport constant avec leurs électeurs, pour toutes les communications utiles, propositions et pétitions. Le dernier but de leurs travaux serait l’établissement du budget spécial de leur groupe.

« Avec un domaine en apparence plus restreint, leur tâche serait plus rude, mais, sûrement , elle ne serait pas perdue. Sans comparaison avec l’état actuel, les mandataires gagneraient leur argent. Serait-ce donc un grand mal que les farceurs soient remplacés par des hommes d’affaires, les bavards, par des hommes pratiques ? Le mois de décembre de chaque année serait consacré à la discussion du budget. (...) Avec la subdivision par groupes, on ne marcherait plus à tâtons. En effet, chaque Chambre spéciale a passé l’année à élaborer le budget de son groupe. Le président et les secrétaires de cette chambre apportent à la réunion plénière, composée des présidents et secrétaires des autres chambres, un travail complet basé sur la somme totale à répartir. Les discussions sont closes. Il ne reste plus qu’à réduire les chiffres partiels, de telle sorte que leur total ne dépasse pas les ressources budgétaires.

« Plus de virements, plus de valeurs factices. L’emploi des sommes votées devrait être, lui-même, spécialisé. Chaque ministre, simple distributeur des sommes afférentes à son groupe, ne serait pas libre, comme aujourd’hui, de faire des virements de crédit, et de reporter sur tel ou tel article les sommes votées pour tel autre. Il serait responsable, devant la chambre de son groupe, de toute désaffectation de crédit. Plus de fonds secrets, enfin. A la bouteille à l’encre se trouverait substituée une carafe d’eau de roche, où les électeurs verraient clair.

« — Mais, va-t-on s’écrier, ce système est le retour aux corporations abolies ; c’est le rétablissement des castes. L’objection serait de mauvaise foi, car on ne choisissait pas sa corporation, ni sa caste, et l’électeur sera absolument libre dans le choix du groupe où il voudra voter. Voulez-vous, contre toute vraisemblance, prendre le cas où l’électeur sera, tout à la fois, ingénieur, banquier et musicien. L’hypothèse est absurde. N’importe. Il est sûr qu’il y a une de ces trois professions qui le fait vivre, à l’exclusion des autres. Ce sera donc celle-là qui le déterminera dans le choix de son groupe ; mais alors il apportera dans ce choix les deux qualités qui rendront son vote utile, tant pour lui que pour ses co-intéressés : 1° la capacité, 2° l’intérêt.

« L’intérêt sans la capacité, la capacité sans l’intérêt sont les deux causes qui font du suffrage universel actuel l’obstacle le plus fatal à la stabilité et au progrès ; car chaque électeur, écrasé par la loi du nombre, subit bon gré mal gré, le vote d’un autre électeur, aussi dépourvu que lui-même de capacité et d’intérêt, et se voit, en fin de compte, aux mains d’un mandataire insignifiant, qui piétine sur place, sans pouvoir faire mieux. Un ouvrier maçon ou menuisier, sait parfaitement ce qui lui est utile, en tant qu’ouvrier. Ce n’est pas parce que cent mille ou cinquante mille rentiers auront voté à sa place qu’ils seront mieux éclairés que lui. Réciproquement, ce n’est pas parce qu’un million d’ouvriers se sont prononcés dans une question de finances, qu’ils y ont vu plus clair que dix financiers. Cependant, par le mandat général, l’ouvrier se prononce implicitement dans les questions de finances et le financier dans les questions ouvrières. Que peut-il ressortir de pareils votes, si ce n’est la cacophonie dont nous sommes témoins !

« On nous rebat les oreilles avec le suffrage libre et éclairé. Est-il libre aujourd’hui ? Est-il éclairé ? Que n’invente-t-on pas, étant donnée la loi du nombre, pour amener l’électeur à déposer dans l’urne le bulletin forcé ! Que de couleuvres patriotiques ne lui fait-on pas avaler, en les lui présentant comme des anguilles ! Que de vessies ne lui fait-on pas prendre pour des lanternes ! Et cela, notez-le bien, dans un camp comme dans l’autre, car, à droite et à gauche, les candidats se ressemblent. Ils courtisent le même roi, aveugle et sourd, le nombre.

« Avec le vote par groupe, l’électeur choisira d’abord ses représentants parmi les siens, parce que ceux-là seuls seront à même de comprendre et de bien gérer ses affaires. Mais, en outre (à l’encontre de ce qui se passe aujourd’hui), il choisira les meilleurs, parce qu’il les connaîtra et que son intérêt sera de donner sa confiance au plus capable, à l’homme le mieux en mesure d’améliorer son état.

« Aujourd’hui, la loi du nombre est facétieuse ; elle s’amuse. Le suffrage universel, encore enfant, fait des niches aux gouvernants, quels qu’ils soient. S’occuper si celui qu’il nomme fera mieux que les autres est le cadet de ses soucis. Il l’envoie à la Chambre, parce qu’il ennuiera le bourgeois, parce qu’il a fait rire dans les meetings, parce qu’il a un gilet rouge, parce qu’il a blagué un ministre impopulaire, parce qu’il a assommé un gardien de la paix, ou toute autre cause de même valeur. Cette plaisanterie prendrait fin avec des candidats représentant des intérêts de groupes.

(...)

« Que de gens indifférents aujourd’hui ne se donnent même pas la peine de voter, par cet unique raisonnement : — Que m’importent Pierre ou Paul, Jacques ou Mathurin ? Feront-ils mieux que les autres ? Nous rendront-ils plus heureux ? Ne croyez pas que ces découragés du suffrage universel soient plus mauvais citoyens que d’autres. Non ; ils sentent intérieurement qu’ils font un métier de dupes ; et leur nombre, qui va croissant, peut arriver, dans l’avenir, à être l’abstention en masse. Ne vous figurez pas non plus que ces indifférents sont tous des bourgeois. Beaucoup d’ouvriers commencent à comprendre que leur sort ne changera pas parce que tel ou tel député sera envoyé à la Chambre. Aucun ouvrier n’a obtenu jusqu’ici le mandat législatif. Mais supposez qu’il y en ait quatre-vingts ou cent qui l’obtiennent ; qu’iraient-ils faire dans cette galère, si ce n’est d’augmenter en pure perte, les nullités opposantes ?

« Les choses en iraient tout autrement avec la représentation par groupes. Ainsi, dans la chambre des travailleurs manuels, il ne devrait y avoir, il n’y aurait très probablement que des ouvriers ; mais ces ouvriers seraient compétents, et l’on n’en saurait dire autant de leurs avocats du jour, qui connaissent l’ouvrier comme on connaît les sauvages, par les récits des voyageurs. Moins de politique et plus de progrès ; c’est là ce que désirent la majorité des Français et ce que peut seule donner la représentation par groupes. »

 
 
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