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Coutumes et traditions. Ponctuation, règles et codes de l'écriture, écrivains. Virgules, points de suspension

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Coutumes, Traditions
Origine, histoire des coutumes, traditions populaires et régionales, fêtes locales, jeux d’antan, moeurs, art de vivre de nos ancêtres
Ponctuation : art incontournable
révélant le génie des écrivains
(D’après « La lecture en action », paru en 1881)
Publié / Mis à jour le mercredi 8 mars 2023, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 9 mn
 
 
 
L’art de la ponctuation écrite n’est ni absolu, ni immuable, n’ayant pas toujours existé et n’étant le même nulle part, les points de suspension étant ainsi encore inconnus au XVIIe siècle, eux qui n’ont pas leur égal pour exprimer l’indicible, ce qu’on hésite à dire ou n’ose avouer à soi-même. Si, selon l’académicien Ernest Legouvé, chaque genre d’écriture a sa ponctuation, cette dernière peut parfois sauver la vie d’un homme ou le tirer d’un sinistre embarras...

Les auteurs grecs se sont servis très tardivement, dans leurs manuscrits, des signes ponctuatifs. L’antiquité latine a connu et pratiqué, dans une certaine mesure, la ponctuation, mais sans la soumettre à des règles. Au Moyen Age, les signes ponctuatifs dans les manuscrits sont ou arbitraires ou intermittents, ou tout à fait absents.

Le point d'interrogation
Le point d’interrogation

C’est l’invention de l’imprimerie, qui a fait une nécessité de la ponctuation, par la diffusion des ouvrages et par le nombre toujours croissant des lecteurs ; sont venus alors les grammairiens, qui ont rédigé les règles de la ponctuation écrite d’après les habitudes de la ponctuation parlée : car, il faut bien se le rappeler, les orateurs, les lecteurs et les acteurs ont toujours ponctué ; et ce sont les divers temps d’arrêt de leur débit, leurs silences, leurs demi-silences, qui sont devenus des points, des deux points, des virgules.

Le code de la ponctuation écrite est-il absolu ? Non. En dehors de quelques règles sommaires et rigoureuses, chaque écrivain a sa ponctuation ; chaque genre d’écrire a sa ponctuation, chaque époque a sa ponctuation. On ne ponctue pas aujourd’hui comme au dix-septième siècle. Nos pères étaient beaucoup plus sobres que nous des points d’exclamation. Corneille a mis une virgule après : Qu’il mourût ! Supposez qu’un poète moderne eût trouvé ce cri sublime, il l’aurait fait suivre de quatre points d’exclamation. Un auteur dramatique ne ponctue pas comme un historien. Enfin, on ne ponctue pas en vers comme en prose.

La ponctuation est donc une chose essentiellement personnelle ; de là cette conséquence : le lecteur doit d’autant plus s’attacher à la reproduction scrupuleuse des signes ponctuatifs, que ces signes font partie de la pensée intime de l’auteur ; attentivement étudiés et observés, ils nous aident à comprendre et à rendre le sens et la valeur de sa phrase.

Ainsi Victor Hugo : « L’histoire s’extasie volontiers devant Michel Ney, qui, né tonnelier, devint maréchal de France ; et devant Murat, qui, né garçon d’écurie, devint roi. » Ces lignes sont caractéristiques, car il suffit de les bien ponctuer pour les bien lire ; et il suffit, pour les mal lire, de les mal ponctuer. Voyez, en effet, comme la multiplicité des signes ponctuatifs ajoute ici à la mise en relief de la pensée. Marquez, en lisant, une virgule après Michel Ney, une virgule après Murat, une virgule après qui, une virgule après garçon d’écurie, un point après roi, et vous aurez du même coup dessiné nettement toutes les articulations de cette phrase et placé l’accent sur les quatre mots de valeur : tonnelier, maréchal de France, garçon d’écurie et roi. Peut- être y a-t-il un point et virgule qui vous étonnera, c’est celui qui suit maréchal de France, et précède et Murat.

En effet, le et, constituant un lien entre deux membres de phrase, le point et virgule qui marque une sorte de séparation, semble contredire le et qui marque un trait d’union. C’est pourtant le point et virgule qui a raison. Pourquoi ? D’abord, parce que le temps d’arrêt qu’il nécessite, permet de donner toute son importance au mot maréchal de France : puis, remarquez-le bien, la conjonction et ne lie pas entre eux les deux mots qui se touchent, maréchal de France et Murat, mais bien, ce qui est fort différent, la première proposition de la phrase, commençant par Michel Ney, et la seconde, commençant par Murat. Ces deux propositions formant les deux parties de la phrase, c’est-à-dire les deux termes de la pensée, il s’agit de les mettre en présence et non de les amalgamer ensemble ; donc le point et virgule est le signe juste.

Les auteurs dramatiques ponctuent dramatiquement : les signes ponctuatifs employés par eux sont l’image des sentiments exprimés par leurs personnages. Prenons ces vers du Misanthrope :

PHILINTE
Et je crois qu’à la cour de même qu’à la ville,
Mon flegme est philosophe autant que votre bile.

ALCESTE
Mais ce flegme. Monsieur, qui raisonne si bien,
Ce flegme, pourra-t-il ne s’échauffer de rien ?

Philinte, l’homme paisible, laisse tranquillement échapper son vers, sans le couper par aucun signe ponctuatif. Mais que répond l’impétueux Alceste ? Mais ce flegme, (virgule), Monsieur, (virgule), qui raisonne si bien, (virgule), ce flegme, (virgule), pourra-t-il, etc. Ces virgules répétées ne sont-elles pas comme autant de signes d’impatience ? N’entendez-vous pas, en le lisant, l’accent de colère d’Alceste ? Ne portent-elles pas avec elles l’intonation des mots qu’elles séparent ? Faites donc attention, en lisant les auteurs dramatiques, à leurs signes ponctuatifs : car, comme ils écrivent pour être lus tout haut, ils entendent ce qu’ils écrivent, et leurs virgules, leurs points et virgules, leurs points d’exclamation, sont des indications de diction.

La ponctuation reflète le génie même des écrivains. Prenons pour exemple Fénelon et Pascal. Fénelon est un génie essentiellement fluide ; paroles et pensées s’écoulent de sa plume avec le mouvement calme et continu de l’eau d’une source ; pas de points d’arrêt, pas de heurts, pas de chocs d’idées, pas de contrastes violents, pas d’efforts ; donc peu de ponctuation. Il faut le lire comme il écrit, et mettre dans la reproduction des signes ponctuatifs la sobriété qu’il met dans leur emploi.

Lisez ces admirables lignes de Télémaque sur les champs Elysées : « Une lumière pure et douce se répand autour des corps de ces hommes justes, et les environne de ses rayons comme d’un vêtement. Cette lumière n’est pas semblable à la lumière sombre qui éclaire les yeux des misérables mortels, et qui n’est que ténèbres ; elle pénètre plus subtilement les corps les plus épais que les rayons du soleil ne pénètrent le plus pur cristal ; elle n’éblouit jamais, au contraire elle fortifie les yeux et porte dans le fond de l’âme je ne sais quelle sérénité. »

Examinez cette phrase et remarquez avec quelle mesure les signes ponctuatifs y sont espacés. Imitez cette mesure. Le lecteur qui mettrait une virgule après cette lumière de la seconde phrase, ou après les corps les plus épais de la troisième, ou après elle fortifie les yeux, détruirait tout le charme de cette incomparable effusion de langage.

Le point-virgule
Le point-virgule

Voici maintenant un passage de Pascal, dans la Provinciale sur l’homicide : « Concevez donc que, pour être exempt d’homicide, il faut agir tout ensemble, et par l’autorité de Dieu, et selon la justice de Dieu, et que, si ces deux conditions ne sont jointes, on pèche, soit en tuant avec son autorité, sans sa justice, soit en tuant avec justice, mais sans son autorité. De la nécessité de cette union, il arrive, selon saint Augustin, que celui qui sans autorité, tue un criminel, se rend criminel lui-même, par cette raison principale, qu’il usurpe une autorité que Dieu ne lui a pas donnée, et que les juges, au contraire, qui ont cette autorité, sont néanmoins homicides, s’ils font mourir un innocent contre les lois qu’ils doivent suivre. »

Que de virgules ! Que de temps d’arrêt ! Que de signes qui vous disent : N’allez pas trop vite. Le lecteur doit bien se garder d’en omettre un seul. Chacun a sa valeur et sa fonction dans la puissante construction de cette phrase. Deux mots la dominent ; le mot justice et le mot autorité ; ils se répètent, l’un six fois, l’autre trois fois, en huit lignes ; eh bien ! il faut chaque fois les remettre en relief, non seulement par l’accent, mais par la ponctuation. Le lecteur qui croirait alléger la phrase, en supprimant quelque temps d’arrêt, lui ôterait toute sa force et toute sa clarté.

La poésie a sa ponctuation particulière. Souvent cette ponctuation est toute de sentiment ; l’auteur ne la marque pas ; c’est au lecteur à la trouver, en consultant le rythme et la rime. Prenons ces vers de Lamartine :

Ainsi tout change, ainsi tout passe,
Ainsi nous-même nous passons,
Hélas ! sans laisser plus de trace,
Que celte barque où nous glissons,
Sur cette mer où tout s’efface.

Supposez cette phrase en prose ; évidemment vous ne mettrez pas de virgule après « plus de trace », vous en mettrez une après « cette barque », vous direz : « Ainsi nous-même nous passons, hélas ! sans laisser plus de trace que cette barque, où nous glissons sur cette mer où tout s’efface. »

Voilà la véritable ponctuation correcte et grammaticale. Mais la poésie a sa grammaire à elle, et vous vous arrêtez en lisant après trace, après glissons, pour laisser au vers sa délicieuse harmonie qui naît de l’entrelacement des rimes.

La ponctuation se modifie selon les époques. Les petits points sont inconnus au dix-septième siècle. Que représentent les petits points ? Une phrase inachevée. Qu’expriment-ils ? Plusieurs sentiments divers. Ce qu’on hésite à dire, ce qu’on rougit de dire, ce qu’on redoute de dire, ce qu’on n’ose pas s’avouer à soi-même, ce dont on ne se rend pas compte, ce qu’on veut laisser deviner, se rend à merveille par les petits points. Les petits points vont bien au balbutiement de la colère, au bégaiement de la peur, au trouble de la passion, à la menace contenue.

Le Quos ego... de Virgile, nous en offre un admirable exemple. C’est surtout dans le dialogue dramatique qu’ils trouvent place. Diderot est semble-t-il le premier à en faire usage, et abus. Le Père de famille en est rempli, c’était chez lui parti pris et système. La Harpe disait : Diderot multiplie les petits points dans le dialogue écrit, pour qu’il représente plus au naturel le dialogue parlé. Scribe a été le grand inventeur des petits points. Ils correspondent à la nature de son esprit et au caractère de son théâtre. Sa préoccupation principale est d’aller vite. Il a toujours peur de laisser languir l’action, et de faire languir le spectateur. La crainte d’impatienter le rend impatient. Un jour que l’académicien Legouvé lui reprochait une tournure trop elliptique : « Oh ! mon cher ami, je n’ai pas le temps, il faut que je marche, l’action me presse ; c’est ce que j’appelle le style économique. »

Or, les petits points sont ce qu’il y a de plus économique en fait de langage, puisqu’ils suppriment les mots. La comédie de Scribe, courante et toute d’action, en dit le moins qu’elle peut. Elle est pleine de sous-entendus. Elle compte sur le jeu de l’acteur, pour compléter la pensée ; parfois même, les petits points ne sont qu’une habitude de sa plume. Lisez ce passage dans le quatrième acte de la charmante comédie de Bertrand et Raton :

« RATON (seul). Cela ne fera pas mal !... Je ne serai pas fâché de savoir ce que j’ai à faire !... Car tout retombe sur moi et je ne sais auquel entendre... Maître, où faut-il aller ?... Maître, qu’est-ce qu’il faut dire ?... Maître, qu’est-ce qu’il faut faire ?... Est-ce que je sais ? Je leur réponds toujours : Attendez !... Je ne risque rien d’attendre... il peut arriver des choses... Tandis qu’en se pressant... »

Hé bien, ôtez tous ces petits points, sauf peut-être les derniers, et le sens de la phrase n’en sera pas moins clair, la phrase elle-même n’en sera pas moins vive. Ils n’expriment que l’ardeur naturelle de l’esprit de l’auteur. Aujourd’hui où l’on lit beaucoup de comédies dans les réunions de famille, il faut tenir grand compte des petits points. Ils offrent parfois d’heureuses ressources au lecteur. Ils l’aident à exprimer l’inexprimable.

Chose singulière, il est même bon de temps en temps, en poésie, de convertir les virgules en petits points. Ainsi ce curieux exemple, emprunté à un passage adorable d’André Chénier :

Parfois, las d’être esclave et de boire la lie
De ce calice amer que l’on nomme la vie,
Las du mépris des sots qui suit la pauvreté,
Je regarde à la tombe, asile souhaité !
Je souris à ma mort volontaire et prochaine,
Je me prie, en pleurant, d’oser rompre ma chaîne ;
Le fer libérateur qui percerait mon sein,
Déjà frappe mes yeux et frémit sous ma main ;
Et puis mon cœur s’écoute et s’ouvre à la faiblesse ;
Mes écrits imparfaits, mes amis, ma jeunesse,
L’avenir incertain, car à ses propres yeux
L’homme sait se cacher d’un voile spécieux ;
A quelque noir chagrin qu’elle soit asservie,
D’une étreinte invincible il embrasse la vie,
Et va chercher bien loin, plutôt que de mourir,
Quelque prétexte ami pour vivre et pour souffrir.

Voilà certes un délicieux morceau. Mais croyez-vous que dans ces vers, mes écrits, ma jeunesse, l’avenir incertain, croyez-vous que les virgules placées entre ces trois mots suffisent à en marquer le caractère suspensif ? Non ! Il y faut les petits points ; s’ils ne sont pas écrits dans le texte, c’est au lecteur à les y introduire. Le lecteur est un traducteur.

Le point d'exclamation
Le point d’exclamation

Or les virgules, les points, les points et virgules, ont quelque chose de sec et de positif. C’est une série de petites barrières posées sur la route. Mais les petits points ne se contentent pas de suspendre le mot, ils prolongent le son ! Ce son, modifié par eux, exprime musicalement les sentiments cachés dans les mots. Ayez donc bien soin, si vous lisez tout haut ces vers de Chénier, de mettre des petits points au commencement du neuvième vers... après : « Et puis mon cœur, etc. » Mettez-les entre tous ces mots : « Mes écrits imparfaits,... mes amis,... ma jeunesse,... l’avenir incertain... » Enfin, ne les oubliez pas après : « Quelque prétexte ami... pour vivre... et pour souffrir. »

Ajoutons bien vite que les petits points, dans le style, ne doivent être employés que par exception et avec une grande mesure. Multipliés, ils ressemblent à une prétention ou à une négligence ; ils ôteraient au langage, toute sa solidité, et toute sa gravité.

Vous trouveriez peut-être quelque intérêt à voir, comme il est impossible, sans la ponctuation, de mener à bien la lecture de quelqu’une de ces longues phrases de Montaigne, tout enchevêtrées d’incidences et toutes bourrées de citations. Mais en voilà suffisamment pour sentir que la règle de la ponctuation ne saute pas seulement aux yeux, qu’elle va jusqu’à l’esprit et jusqu’au cœur. Mentionnons encore deux exemples assez piquants de son importance.

Dans l’un ce sont deux amants réconciliés par un point d’exclamation, et dans l’autre, c’est un duel empêché par une virgule. L’homme à bonnes fortunes est une comédie célèbre de la fin du dix-septième siècle. Baron, l’élève de Molière, en était l’auteur et y jouait le premier rôle. Au second acte, un billet écrit par lui à Araminte, est remis perfidement par elle, à Lucinde, dont Moncade, l’homme à bonnes fortunes, recherchait la main. Armée de cette lettre écrite à sa rivale, Lucinde arrive à lui, furieuse :

LUCINDE
Voyons comme tu feras, pour tourner à mon avantage, tout le mépris qui paraît pour moi, dans ce billet.

MONCADE
Du mépris pour vous.

LUCINDE
Oui, cruel, et dans toute son étendue. Ecoute. (Lisant.) « Je suis à la campagne depuis deux jours, et j’y suis sans Lucinde. La complaisance que je suis obligé d’avoir pour une tante malade, me fait rester ici dans une étrange solitude. N’essaiera-t-on point de me la rendre supportable ? Si vous ne vous chargez de ce soin, Lucinde, toute la terre ensemble n’en viendrait pas à bout. Je n’aimerai et n’adorerai que vous de ma vie. Adieu. »

La position est embarrassante, la trahison palpable ! Comment va-t-il se tirer de là ? En disant qu’on a contrefait son écriture ? Mauvais moyen ! Il en emploie un autre, plus simple, et très propre à faire valoir le talent de l’acteur. Baron, après avoir soutenu à Lucinde que cette lettre était pour elle, la prenait, et la lisait tout haut à son tour, sans y changer un mot, elle s’en serait aperçue, mais en modifiant dans le débit un signe ponctuatif, chose fort facile, et fort naturelle, dans un temps où la ponctuation était moins rigoureuse, et dans une lettre, c’est-à-dire dans un genre d’écrit où l’on ne ponctuait quasi pas.

MONCADE
Donnez-moi, ce billet, madame, je vous prie. (Lisant.) « Je suis à la campagne depuis deux jours, et j’y suis sans Lucinde ! (Point d’exclamation) La complaisance que je suis obligé d’avoir pour une tante malade, me fait rester ici dans une étrange solitude ! N’essaiera-t-on point de me la rendre supportable ? Si vous ne vous chargez de ce soin, Lucinde ! (Second point d’exclamation) Toute la terre ensemble n’en viendrait pas à bout. Je n’aimerai et n’adorerai que vous de ma vie. Adieu. » (Après avoir lu.) Ce billet est rempli de mépris pour vous ?

LUCINDE
Ah ! Moncade, Moncade, vous avez bien des ennemis, ou je suis bien faible.

Vous le voyez ! Qui a renversé tout ce grand échafaudage d’accusation ? Qui a dissipé subitement toute cette colère ? Un point d’exclamation, mis à la place d’une virgule. Ajoutons que Lucinde avait probablement grande envie d’être convaincue d’injustice.

Voici le second exemple. Sous la Restauration, un homme d’esprit, qui aspirait à passer pour un homme de talent, Alissan de Chazet, fut décoré, pour des ouvrages, assez anonymes quoique signés. Le jour même de sa décoration, il s’empressa d’aller se montrer au foyer des acteurs de la Comédie française, mais comme il était à la fois très fier, et un peu honteux de cette distinction, le ruban rouge fleurit si modestement à sa boutonnière, il en dépassa si peu le bord, que le nouveau chevalier avait l’air de le cacher autant que de le montrer. Sur quoi, un de ses confrères fit ce distique :

Votre ruban, Chazet, est trop étroit, d’honneur,
On le prend pour une faveur.

Chazet se fâcha, et demanda raison au mauvais plaisant. « On ne se bat pour une épigramme, répondit l’autre. – Je ne me fâcherais pas pour une épigramme ! Mais je ne permets pas qu’on touche à mon honneur. Votre... trop étroit d’honneur est une injure. – Du tout ! répondit l’autre. Vous ponctuez mal ! Il y a une virgule après étroit, trop étroit, (virgule) d’honneur ! – Oh ! s’il y a une virgule, reprit Chazet, c’est différent ! » Et ils ne se battirent pas. Vous le voyez, cette virgule a peut-être sauvé la vie à un homme !

 
 
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