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Premières académies fondées avant l'Académie française

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Histoire des Français
L’Histoire des Français : systèmes politiques, contexte social, population, économie, gouvernements à travers les âges, évolution des institutions.
Premières académies fondées
avant l’Académie française
(D’après « L’Académie française » (par Eugène Asse), paru en 1890)
Publié / Mis à jour le dimanche 13 juin 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 10 mn
 
 
 
L’Académie française, ainsi que toutes les institutions humaines, a été précédée par des créations analogues, qui en étaient comme les tâtonnements incertains, les premières ébauches. Quel qu’ait été le mérite du cardinal de Richelieu dans la fondation de l’Académie, et quelque honneur qu’on doive lui en faire, il eut en ce genre des précurseurs au XVIe siècle

Ce serait, sans doute, remonter trop haut dans le passé, que de rattacher l’idée d’une Académie française à cette académie palatine que Charlemagne avait établie dans son palais, sorte de société littéraire dont il avait voulu être membre ainsi que ses enfants et ses ministres ; ni même à ces académies qui fleurirent de bonne heure en Italie : les Humoristes (Belli Humori), à Rome ; les Ricovrati, à Padoue ; les Offuscati, à Césène. Mais ce qu’il faut rappeler quand on parle des origines de l’Académie française, c’est l’Académie de poésie et de musique établie à Paris, sous Charles IX, par Jean-Antoine de Baïf.

Ce dernier, né à Venise au mois de février 1532, était fils de Lazare de Baïf, alors ambassadeur de France auprès de la Sérénissime République, à la fois poète et érudit, le premier qui nous ait fait connaître le théâtre antique par ses traductions en vers de l’Électre de Sophocle (1537) et de l’Hécube d’Euripide (1550). Instruit dans le latin par le célèbre Charles Estienne, dans le grec par Vergèce, et par Toussaint, qui le professait au Collège de France, nouvellement fondé.

Antoine de Baïf. Gravure réalisée par Théodore de Bry extraite de Icones quinquaginta virorum illustrium, doctrina et eruditione præstantium par Jean-Jacques Brossard et Adam Lonitzer (Tome 1, partie 1 parue en 1597)

Antoine de Baïf. Gravure réalisée par Théodore de Bry extraite
de Icones quinquaginta virorum illustrium, doctrina et eruditione præstantium
par Jean-Jacques Brossard et Adam Lonitzer (Tome 1, partie 1 parue en 1597)

Lié dès 1544 avec Ronsard et Joachim du Bellay, de huit ans plus âgés que lui, il les suivit tous deux au collège de Coqueret, sous l’illustre Dorat, et conçut avec eux l’idée de cette révolution littéraire, dont en 1549 du Bellay écrivit le manifeste dans son Illustration de la Langue Française. Pour les jeunes novateurs, il s’agissait de donner à la langue française, restée trop naïve, le nombre, la gravité, la richesse d’expressions qui lui manquaient, de la pénétrer des beautés de l’antiquité, non plus seulement par des traductions, mais par des imitations, et par l’introduction de certains genres de littérature, tels que l’Ode, l’Élégie, l’Églogue, etc., que la France ne possédait pas encore. Cette sorte de premier cénacle, qui s’appela d’abord la « Brigade » de Remi Belleau, puis la Pléiade, nom sous lequel cette société est restée célèbre, renouvela bientôt toute la poésie française.

Baïf fut un des premiers à mettre en pratique les préceptes de la nouvelle école. Son recueil de vers, Les Amours, parut en 1552, presque en même temps que L’Olive, de du Bellay, et que Les Amours, de Ronsard (1550). Mais, allant plus loin, il voulut lier étroitement la poésie et la musique. Il aurait dit volontiers, comme un poète plus récent :

Les vers sont enfants de la Lyre ;
Il faut les chanter, non les dire.

Il voulait aussi doter son pays du vers métrique, à l’imitation de l’antiquité, où le mélange et le nombre des syllabes longues et brèves constituaient le vers, indépendamment de la rime. Cette tentative, contraire au véritable génie de la langue française, ne réussit pas, mais c’est elle qui donna naissance à l’Académie de poésie et de musique, dont, à partir de 1567, Baïf poursuivit la création, avec son ami le musicien Joachim Thibaut de Courville.

Au bout de trois ans d’efforts, ce projet était réalisé. Au mois de novembre 1570, parurent les lettres patentes signées du roi Charles IX, qui fondaient la nouvelle Académie française de poésie et de musique. « Pour affirmer hautement, dit ce prince, nostre intention que la dicte Académie soit suivie et honorée des plus grands, nous avons liberalement accepté et acceptons le surnom de Protecteur et premier Auditeur d’icelle, parce que nous voulons et entendons que tous les exercices qui s’y feront soyent à l’honneur et accroissement de nostre Estat et à l’ornement du nom du peuple françois. »

Parce que la nouvelle compagnie s’occupait de musique, il ne faudrait pas croire cependant que ce fut là son objet exclusif, ni même principal. Il est dit expressément, dans ses statuts, que ses membres doivent « travailler à l’avancement du langage françois » ; et, dans les lettres patentes, que le roi qui les donne a pour dessein, « à l’exemple de tres bonne et louable memoire le Roy François, son ayeul, de voir partout cettuy royaume les lettres et la science florir ».

Comme plus tard l’Académie française, la nouvelle institution eut pour adversaire le Parlement. En dépit des conclusions favorables données, à l’audience du 15 décembre 1570, par les avocats du roi, Guy Du Faur de Pibrac (1529-1584) et Jacques-Auguste de Thou (1553-1617), sous la réserve « qu’il ne seroit rien fait à l’Académie contre l’honneur de Dieu et du Roy, et contre le bien public », cette cour souveraine soumit préalablement les statuts au contrôle et à l’approbation de l’Université. Devant celle-ci, les choses menaçaient de traîner en longueur et de ne jamais aboutir, lorsque Charles IX coupa court à ces difficultés par un acte d’autorité. Il octroya de secondes lettres patentes, par lesquelles il « deffendoit que, qui que ce fust apportast aucun obstacle à l’établissement de la nouvelle compagnie ».

Cette Académie de poésie et de musique était composée de deux sortes de membres : d’auditeurs et de musiciens. Sous ce dernier nom étaient compris, non pas seulement les instrumentistes et chanteurs qui prêtaient leur concours à la compagnie, mais aussi, nous devrions dire surtout, les poètes, les savants, les érudits, auteurs des poèmes dont la lecture était faite en séance aux auditeurs. Quant aux musiciens proprement dits, ils étaient au nombre de six, qualifiés de chantres et de joueurs d’instruments. Chaque Académique, une fois agréé, était mis en possession d’un médaillon, sur lequel était inscrite la devise de l’Académie. Les séances se tenaient le dimanche, « deux heures d’horloge durant ». Les auditeurs, inscrits au livre de l’Académie, payaient une certaine cotisation pour les frais nécessités par l’entretien de l’institution.

Charles IX. Gravure extraite de Portraits des rois de France avec un sommaire discours contenant les principales actions de leur règne (...) depuis Pharamond jusqu'au roi Louis XIII par Pierre Daret (vers 1650)

Charles IX. Gravure extraite de Portraits des rois de France avec
un sommaire discours contenant les principales actions de leur règne (...) depuis
Pharamond jusqu’au roi Louis XIII
par Pierre Daret (vers 1650)

Jusqu’à la mort d’Antoine de Baïf en 1589, l’Académie tint ses séances dans l’hôtel des Fossés-Saint-Victor, et quelquefois au collège de Boncourt, qui était tout voisin, à peu près où se trouve aujourd’hui la rue Descartes. C’est là que Baïf lut des fragments de ses pièces de théâtre imitées de l’antiquité : le Brave, l’Eunuque, l’Antigone ; là que Ronsard discuta le plan de sa Franciade avec Charles IX, qui, ne se contentant pas de son titre de Protecteur de la compagnie, assistait souvent aux auditoires.

Dans une pièce de vers adressée au roi, Baïf lui rend compte ainsi des travaux et des projets de l’Académie, à laquelle ce prince s’intéressait si vivement :

Sire, je vous rends compte
Du temps de vostre absence et, du long, vous raconte
Que c’est que nous faisions, jeudi, premièrement :
En vostre Académie on œuvre incessamment
Pour, des Grecs et Latins imitant l’excellence,
De vers et chanz réglez décorer vostre France
Avecque vostre nom...

Je di que j’essayoy la grave Tragédie
D’un stile magestueux ; la basse Comédie
D’un parler simple et net ; là, suivant Sophoclès,
Auteur grec qui chanta le décès d’Herculès,
Icy donnant habit à la mode de France
Et le parler françois aux joueurs de Térence,
Térence, auteur romain, que j’imite aujourd’huy,
Et, comme il suit Ménandre, en ma langue j’ensuy ;
Après, je vous disois comment je renouvelle,
Non seulement des Vieux la gentillesse belle
Aux chansons et aux vers, mais que je remettoys
En usage leur danse...

L’académie de Baïf eût été aussi, comme on le voit, une académie de danse ; quelque chose comme une réunion de ce qui fut plus tard l’Académie française de Richelieu, et de l’Académie royale de musique de Louis XIV. C’était beaucoup pour un premier essai, et l’avenir de la création de Baïf dut s’en ressentir. La mort de Charles IX (1574), son Protecteur, trois ans seulement après sa fondation, le découragement qu’en éprouva Baïf, compromirent gravement la nouvelle institution.

Elle fut sauvée par Pibrac qui, usant de son influence sur le nouveau roi Henri III, qu’il avait suivi en Pologne, obtint pour elle la protection de ce prince. Mais elle se modifia sensiblement, et changea de nom. Prenant pour modèle l’Académie florentine, fondée par Laurent de Médicis, qui y avait ressuscité le platonisme alexandrin, elle élargit le cadre de ses travaux et devint non moins philosophique et scientifique que littéraire. Elle reçut le titre d’Académie du Palais, lorsque le roi lui eut fait quitter l’hôtel de Baïf, au quartier Saint-Marceau, pour l’installer au Louvre, dans son propre cabinet, situé à l’endroit même où est aujourd’hui le musée égyptien. C’est un exemple que Louis XIV suivra, un siècle plus tard.

Les séances ou auditoires avaient lieu deux fois par semaine ; elles étaient ordinaires et extraordinaires, composées également de deux ordres d’académistes, les auditeurs et les musiciens, avec un Protecteur, qui était le roi. Pibrac en fut l’entrepreneur ou directeur, comme Baïf l’avait été de la précédente. Mais la morale et la philosophie eurent une part dominante dans ses travaux, sans exclure cependant ni la poésie ni même la musique.

Guy Du Faur de Pibrac. Dessin de Janet publié dans Iconographie universelle ancienne et moderne, ou Collection complète et du même format des portraits de tous les personnages célèbres, français et étrangers (1820-1828) par Ambroise Tardieu

Guy Du Faur de Pibrac. Dessin de Janet publié dans Iconographie universelle
ancienne et moderne, ou Collection complète et du même format des portraits de tous les
personnages célèbres, français et étrangers
(1820-1828) par Ambroise Tardieu

L’éloquence y tint aussi une grande place : il s’y fit beaucoup de discours sur des questions de morale ou de philosophie. Elle était en pleine activité en 1576. Ce fut Ronsard qui prononça le discours inaugural, en présence du roi. Le Pindare de la France, celui que ses contemporains appelaient le prince des poètes, s’y révéla sous l’aspect nouveau de moraliste et d’orateur, et ne s’y montra pas sans mérite. « Encore qu’il eût, dit Colletet, une plus puissante inclination à la poésie qu’aucun poète n’eut jamais au monde, si est-ce qu’il ne laissoit pas d’estre excellent orateur. »

Henri III avait institué, dans son Académie, une sorte de tournoi oratoire, où chacun s’exerçait sur des sujets que le roi avait donnés. Telle fut l’occasion des deux discours de Ronsard : la Prééminence des vertus morales ou intellectuelles et l’Envie, « lorsque, raconte Claude Binet, le Roy Henry troisiesme voulut dresser l’Académie de son Palais et fit choix des plus doctes hommes de son royaume, pour apprendre les bonnes lettres, par leurs rares discours, enrichis des plus belles choses qu’on peut rechercher sur un subject et qu’ils devoient faire, chacun à leur tour. »

De ces discours qui furent ainsi prononcés, nous possédons ceux de Desportes et d’Amadis Jamyn, dans cette même question de la précellence des vertus morales ou intellectuelles ; de Pibrac et de Jamyn sur l’Ire (la colère), d’Amadis Jamyn encore sur l’Ambition, la Crainte, la Vérité et le Mensonge ; de du Perron sur la Connaissance et sur l’Âme ; du médecin Miron sur la Joie et la Tristesse ; peut-être de la duchesse de Retz ou de Mme de Lignerolles. Car les femmes étaient admises dans cette Académie des Valois, et c’est la plus grande différence qu’elle présente avec l’Académie française.

Nous n’avons plus le Livre d’Institution de l’Académie. Au témoignage de Colletet, qui en avait vu un reste sauvé de l’incurie des héritiers de Desportes, son premier possesseur, « c’estoit un beau vélin », où « le Roy, les Princes, les Seigneurs et tous les Sçavans avoient tous signé. » Avec lui disparut la liste des académiciens. Mais il est certain que, indépendamment de Pibrac, son rénovateur, et des écrivains ci-dessus nommés dont nous possédons les discours, Agrippa d’Aubigné, Pontus de Thiard, en firent partie. À ces noms il faut ajouter, par conjecture, Jean Dorat, qui ne mourut qu’en 1588, Remi Belleau, disparu dès 1577, Florent Chrestien, Nicolas Rapin, Colletet, père de Guillaume Colletet le poète, par qui la future Académie se reliera à l’ancienne, Barnabé Brisson, Jacques-Auguste de Thou. Les auditeurs se recrutèrent surtout à la cour, car, comme dit Brantôme, « l’Académie avait été introduite à la cour » par le roi, et Colletet, qui, par ses traditions de famille était fort bien renseigné, ajoute que le roi « voulut obliger ses principaux favoris d’en augmenter le nombre ».

Claude-Catherine de Clermont, duchesse de Retz, qui écrivait avec une égale facilité en grec, en latin et en italien, ainsi que Louise de Cabriane de la Guyonnière, veuve en 1571 de Philibert de Lignerolles, attaché à Henri III, quand il était encore duc d’Anjou, remarquable par son esprit et sa haute culture intellectuelle, étaient l’une et l’autre fort appréciées par l’Académie. Nous en avons la preuve dans ce passage d’une lettre où d’Aubigné, après avoir énuméré « les femmes doctes de son siècle » à l’étranger, ajoute : « Je choisis aussy en la Cour, pour mettre en ce rang, la mareschale de Retz et Madame de Lignerolles... Ces deux ont faict preuve de ce qu’elles savoyent plus aux choses qu’aux paroles dans l’Académie, et me souvient qu’un jour, entre autres, le problème estoit sur l’excellence des vertus morales et intellectuelles, elles furent antagonistes et se firent admirer. »

Henri III. Gravure de Hironymus Wierix (1553-1619) réalisée après 1585

Henri III. Gravure de Hironymus Wierix (1553-1619) réalisée après 1585

Cependant, cette partie féminine de l’Académie ne laissait pas déjà d’être l’objet de quelques railleries, si nous nous souvenons de cet agréable dialogue rapporté par Brantôme, et qui fait penser, un siècle plus tôt, aux Précieuses ridicules de Molière : « Un gentilhomme que je sçay, venant à la cour, dont il avoit esté absent six mois, il vit une dame qui alloit à l’Académye, qui estoit lors introduicte à la cour par le Roy. — « Comment, dit-il, l’Académye dure-t-elle encore ? On m’avoit dit qu’elle estoit abolie. — En doubtez-vous, luy répondit-on, si elle y va ? Son magister luy apprend la philosophie. »

Comme il arrive à toute chose, comme cela arrivera à l’Académie de Richelieu, l’Académie de Henri III eut des détracteurs. Elle touchait de trop près à ce prince, pour ne pas être atteinte aussi par les traits dont son Protecteur était le but. Parmi ces adversaires, Passerat, le futur auteur de la Satire Ménippée, et Étienne Pasquier se firent remarquer. Le premier, dans une pièce de vers où il traçait les devoirs d’un roi, terminait par ce trait à l’adresse de Henri III et de son Académie :

Sans chercher donc la Vertu endormie
Aux vains discours de quelque Académie,
Lisez ces vers, et vous pourrez sçavoir
Quel est d’un Roi la charge et le devoir.

Pasquier fut plus violent encore dans une épigramme latine, où il cherchait à ravaler ce prince en le traitant de grammairien :

Vere declinat, et ille
Rex bis qui fuerat fit modo grammaticus.

(Il sait ses déclinaisons, et celui qui fut deux fois roi n’est plus qu’un grammairien).

Les guerres civiles, les fureurs de la Ligue portèrent un coup mortel à l’Académie du Palais. Ses séances avaient été déjà interrompues, lorsque, le 2 mai 1584, mourut Pibrac. Elles ne furent plus reprises après lui, et l’Académie disparut définitivement avec Henri III en 1589. La même année, était mort Antoine de Baïf, son premier fondateur. Sous le double titre qu’elle avait porté, cette Académie avait duré treize ans. La demeure qui l’avait d’abord abritée, l’hôtel des Baïf, avait été saccagée par les ligueurs de Paris, pendant le siège de cette ville. Guillaume de Baïf, fils du poète, avait dû faire restaurer toutes les devises grecques et latines qui en ornaient l’extérieur. Vendu, en 1639, par l’héritière de celui-ci, Philippe de Baïf, femme d’Antoine Gaffarel, seigneur de Therval, aux Dames anglaises Bénédictines, les derniers vestiges en disparurent au XIXe siècle, lors de la percée de la rue des Écoles.

Telle fut cette première tentative d’Académie, dont Sainte-Beuve a bien jugé l’importance qu’elle doit avoir dans une histoire de l’Académie française : « L’Académie de Baïf et de Pibrac, dit-il, était un véritable essai d’Académie française... Peut-être, avec plus de loisir et de paix dans l’État, la fin du XVle siècle eût prévenu, en littérature, le siècle de Louis XIV. »

Le témoignage le plus précieux sur ce point est celui de Colletet, qui fut comme un souvenir vivant de cette première Académie dans l’Académie française : « Cette célèbre compagnie, dit-il, cette noble et fameuse Académie, promettait des choses merveilleuses, soit pour les sciences, soit pour la langue. Veuille le bonheur de la France que cette Académie Françoise qui fleurit à présent, et de laquelle j’ai l’honneur d’être, répare le défaut (la disparition) de l’autre, et que l’on recueille de cette noble Compagnie les fruits que l’on se promettait de celle du dernier siècle ! »

L’Académie des Valois avait disparu ; mais l’idée d’une Académie persista après elle. Elle ne cessa pas, pour ainsi dire, d’être dans l’air, jusqu’au jour où Conrart et Richelieu la réalisèrent dans le premier tiers du XVIIe siècle.

Dans cet intervalle, plus d’une compagnie, d’une réunion se forma, qui en eut l’esprit et même l’apparence, sans compter les « ruelles », comme on disait alors, les hôtels de la marquise de Rambouillet et de la vicomtesse d’Auchy, l’amie de Malherbe. L’assemblée que tenait, à Orléans, de Héere, doyen de Saint-Aignan, avec Fornier et Petau, et dont les discours ont été recueillis sous le titre de Conférences Académiques, n’était vraisemblablement qu’une réunion d’ecclésiastiques amis des lettres.

Il en fut encore ainsi de l’Académie de théologie du couvent des Grands-Augustins, de l’assemblée que François de Harlay, archevêque de Rouen, tint en 1631, à Paris, dans l’abbaye de Saint-Victor, dont il était abbé ; de celle également que réunit à Conflans, peu après, le cardinal de Richelieu lui-même, où parurent les membres survivants de l’assemblée de Saint-Victor, et dont Campanella fut le « modérateur », c’est-à-dire le président. Mais c’était bien près d’être une véritable académie — de politique et de guerre — que cette institution dont, en 1612, de Flurance-Rivaut, précepteur du jeune Louis XIII, faisait imprimer le projet : elle devait avoir le roi pour protecteur, un vice-protecteur, un directeur, deux assesseurs et un secrétaire, et on y devait faire des « conférences d’état et de guerre ».

Il faut encore rappeler l’académie formée, en 1619, par Michel de Marolles, abbé de Villeloin, dans laquelle « outre les mots et les façons de parler, dit son fondateur, on examinait encore l’économie des pièces, et où chacun essayait d’en faire quelqu’une sur des sujets proposés ». N’oublions pas non plus les cercles qui se tenaient dans les cabinets de Monsieur de Thou, des frères Du Puy, du Père Mersenne, de Chantereau le Fèvre, chez Segrais à Rouen, chez Gaston, duc d’Orléans, chez le cardinal de Retz, où se rencontraient Saint-Amant, Blot, Ménage, Scarron, Marigny.

Pour ce travail d’épuration de la langue, n’était-ce pas presque une académie que le salon de Mme de Rambouillet, et celui de Mme d’Auchy, où, plus tard, quand l’Académie française fut fondée, « les académiciens qui y fréquentaient » ont quelquefois, dit Sorel, « récité les mêmes harangues qu’ils avaient faites à l’Académie, et où après les récits la conversation était plus libre et plus galante, quelques dames de condition et d’esprit y ayant été reçues » ? C’est de cette vicomtesse d’Auchy que Tallemant a dit : « Jamais personne n’a été si avide de lectures, de comédies, de lettres, de harangues, de discours, de sermons même. Elle prêtait son logis avec un extrême plaisir pour de telles assemblées. »

Pierre de Ronsard. Gravure réalisée par Théodore de Bry extraite de Icones quinquaginta virorum illustrium, doctrina et eruditione præstantium par Jean-Jacques Brossard et Adam Lonitzer (Tome 1, partie 2 parue en 1598)

Pierre de Ronsard. Gravure réalisée par Théodore de Bry extraite
de Icones quinquaginta virorum illustrium, doctrina et eruditione præstantium
par Jean-Jacques Brossard et Adam Lonitzer (Tome 1, partie 2 parue en 1598)

Enfin, l’on a pu dire, mais avec beaucoup d’exagération, que la réunion qui avait lieu, en 1633, rue de la Calandre, au « Bureau d’Adresses » de Renaudot, était une espèce d’Académie, académie dans tous les cas fort mêlée, un peu grotesque, dont Sorel a dit : « La vente et la distribution des gazettes, la communication que l’on y donnait des registres de bénéfices à permuter, et de maisons à vendre, les valets que l’on y trouvait à louer, l’argent que l’on y prêtait sur gages, les hardes engagées que l’on vendait à l’encan, rendait quelquefois cette maison une vraie friperie. Cela n’empêchait pas qu’à d’autres heures, elle ne parut soudain une école de philosophie, et l’on pouvait dire que ces diverses applications se faisaient pour la rendre un modèle de notre Police, et un abrégé de la vie humaine. »

Mais ces cercles, ces assemblées littéraires, théologiques, politiques, ces académies même, si l’on peut donner ce nom à quelques-unes de ces réunions, ou, si elles le prirent, n’étaient que des choses éphémères, paraissant et disparaissant avec les personnes ou les circonstances qui les avaient engendrées. Il restait à créer une institution durable, nationale. C’est ce que fit Richelieu, en donnant à une de ces réunions littéraires, qui ne se distinguait pas beaucoup de celles qui l’avaient précédée ou qui existaient autour d’elle, le caractère d’une institution publique, formant un corps, comme les grandes compagnies judiciaires ou politiques qui entouraient la royauté, et se qualifiant elle-même de « Compagnies ».

 
 
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