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Mythe du legs d'une princesse russe enterrée au Père-Lachaise

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Anecdotes insolites
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Mythe du legs d’une princesse russe
enterrée au Père-Lachaise
(D’après « La Tradition », paru en 1894)
Publié / Mis à jour le mercredi 10 juillet 2019, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 3 mn
 
 
 
Les archives des cimetières ne sont pas toujours aussi tristes qu’on se le figure généralement. La note gaie et comique s’y rencontre parfois. La correspondance reçue par le conservateur du Père-Lachaise dans les années 1890 témoigne notamment de l’effervescence n’épargnant pas jusqu’à l’Amérique, des personnes de tous horizons se piquant de se rendre sur la tombe d’une princesse russe supposée avoir laissé un legs d’au moins cent mille francs...

Un certain nombre de lettres adressées au conservateur du Père-Lachaise et plus ou moins drolatiques, vinrent à cette époque se glisser parmi les funèbres paperasses du gardien de la grande nécropole.

En 1889-1890, une légende commença à courir dans la presse, d’après laquelle une princesse russe aurait laissé un legs de cent mille à un million de francs à la personne qui consentirait à passer un an et un jour dans la chapelle élevée sur sa tombe au Père-Lachaise. La morte était exposée, disait-on, dans un cercueil de verre, et pour que celui ou celle qui entreprendrait auprès d’elle cette longue veillée ne pût jamais la perdre de vue, les murs de la chapelle étaient revêtus de miroirs.

La comtesse russe Elisabeth Demidoff, par Robert Lefèvre

La comtesse russe Elisabeth Demidoff, par Robert Lefèvre

L’exigeante légatrice n’autorisait point son compagnon ou sa compagne à travailler, mais seulement à lire. Et pour que sa pensée fût toute à elle, elle le condamnait à ne voir personne, ni amis, pas même le domestique qui devait apporter chaque jour les repas en un certain endroit. Enfin, elle ne laissait son futur légataire lui échapper qu’une heure par jour pour respirer un peu d’air et prendre quelques ébats dans le cimetière.

Cette fantaisie macabre fit fortune comme un conte d’Edgar Poe. Elle accomplit une première fois son tour d’Europe et d’Amérique, alléchant quelques badauds. Puis elle reparut, en 1893, revue et augmentée. On y ajoutait cette fois que plusieurs personnes avaient tenté l’épreuve, mais que-toutes avaient dû y renoncer. Il paraît qu’elles auraient perçu des bruits mystérieux et vu des apparitions. Un intrépide concierge qui s’était, disait-on, montré le plus persévérant, dut lui-même lâcher pied. C’était à faire frissonner.

Aussi l’histoire, rééditée, finit-elle, afin de ranimer les courages, par porter le legs à cinq millions. Nouvelle pluie de lettres chez Monsieur Leprêtre, conservateur du Père-Lachaise, innocente victime de cette mystification opiniâtre. Il en vient alors de Paris, de province, d’Angleterre, d’Autriche, d’Italie, d’Amérique, etc. Mais, au vu de la correspondance reçue, c’est surtout la Belgique qui donne.

Tantôt c’est un ancien soldat, veilleur de nuit dans une usine, qui se déclare à l’épreuve de tout et veut tenter ce record d’un autre genre. Puis c’est une lettre prétentieuse avec un portait proposant pour garder la princesse hétaïre (sic) un berger de Laeken-lez-Bruxelles, jeune, intrépide et intelligent. Un naïf Bruxellois pousse l’empressement jusqu’à demander qu’on lui indique l’heure du train qu’il doit prendre et qu’on lui envoie le montant de son voyage pour tenter l’aventure.

Monument funéraire de la famille Demidoff au Père-Lachaise

Monument funéraire de la famille Demidoff au Père-Lachaise

Mais ce qui est particulièrement curieux, c’est le nombre de veuves et de demoiselles qui offrent de se sacrifier pour cette longue veillée qui paraît un siècle. Il y en a qui le font dans un but charitable : avec les cinq millions, dit l’une, je fonderai un orphelinat. Puis c’est un négociant ruiné qui veut se refaire ou un employé sans travail qui voit là une issue à son embarras.

Il n’est point jusqu’à un journaliste de la presse de Chicago qui écrive à la presse française pour demander quel est le dépositaire du legs, qu’il se déclare prêt à conquérir, en interrompant, dit-il, « la besogne tuante de journaliste ».

Dans cette masse de lettres, on trouve souvent à côté de vaillantes dispositions un fond de doute sur l’authenticité de la légende, doute qu’une des correspondantes du conservateur du Père-Lachaise exprime sous cette forme naïve : « Je suis comme beaucoup de jeunes filles, je ne crois pas toujours ce qu’on me dit. » Prudente sagesse pour une jeune fille.

D’où est venue cette légende ? C’est ce que le conservateur lui-même, interrogé par La Tradition en 1894, n’a pu dire. Il paraît que la description faite du tombeau de la fameuse princesse russe correspond exactement à l’emplacement et au signalement du monument funéraire de Félix de Beaujour — Louis-Auguste Féris (1765-1836) dit Félix de Beaujour, homme politique et diplomate —, cheminée-phare culminant à plus de 20 m. Et ce qui est étrange, c’est que dans certaines versions de la légende, ce n’était plus une russe — que d’aucuns ont cru être la princesse Demidoff — qui avait offert ce legs alléchant, mais une riche famille marseillaise. Notons que la comtesse russe Elisabeth Demidoff née Elisabeth Strogonoff est réellement enterrée au Père-Lachaise, reposant sous un remarquable monument à colonnades.

Monument funéraire de Félix de Beaujour au Père-Lachaise

Monument funéraire de Félix de Beaujour au Père-Lachaise

Quoi qu’il en soit, avons-nous besoin de le dire ? l’histoire de ce legs est purement imaginaire. Ce n’est point que des cas se rapprochant dans la forme, sinon dans les proportions, de celui-ci ne se soient produits : témoin le legs de 1000 francs que fit un fabricant d’Elbeuf, préoccupé par la crainte d’être enterré vivant, à la personne qui passerait une semaine, jour et nuit, dans son caveau. Ce fut un domestique qui se chargea de cette veillée.

Mais entre ce fait et la légende du Père-Lachaise, il y a un abîme que la crédulité des badauds n’a point vu. D’ailleurs, elle est insondable, cette crédulité. Il y a dans les archives de cette même nécropole une lettre assez récente et de cette même époque de plusieurs habitants d’un bourg de l’Isère qui ont fait un pari sur la question de savoir s’il existe au Père-Lachaise une tombe portant cette inscription : « Ici repose une femme qui a porté dans son sein pendant sept ans son enfant vivant, et pendant un an mort. » Ce qui serait attesté par quatre médecins dont le nom est gravé sur cette tombe !

 
 
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