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Découpage administratif, départements et mémoire anciennes provinces. Musées d'ethnographie

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Découpage (Un) administratif en départements
éradiquant la mémoire des provinces
(D’après « Le Petit Journal illustré », paru en 1932)
Publié / Mis à jour le vendredi 13 mai 2016, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
En 1932, arguant que le progrès moderne constitue une « formidable machine qui nivelle à tort et à travers », Jean Lecoq, du Petit Journal, nous explique l’importance de créer des musées d’ethnographie populaire au sein de chaque ancienne province, la division en départements, imposée en 1790 avec l’idée d’effacer les traces du passé, étant peu compatible avec les besoins administratifs modernes et apparaissant « plus que jamais illogique et arbitraire »

Car l’histoire de nos provinces, de leurs mœurs et de leurs coutumes particulières, des industries spécifiques à chacune d’elles, des arts qui y furent ou qui y sont pratiqués, l’histoire des modes locales et régionales, des dialectes et des patois, en un mot de tout ce qui constitue le caractère et l’originalité de chaque province, combien est-il de Français qui se soucient de tout cela ? s’interroge le journaliste.

Combien, même, est-il de Français qui aient quelques lumières sur l’histoire de leur propre province, de leur ville ou de leur village d’origine ? On ne l’enseigne pas aux enfants ; et l’on a tort. Ils aimeraient mieux leur petite patrie s’ils la connaissaient mieux. Or, l’amour de la petite patrie n’a jamais nui à l’amour de la grande, au contraire. Et le fait de bien connaître et de bien aimer sa province n’empêcherait aucun Français d’aimer la France plus que tout.

L’idée de Mistral
Le progrès moderne se présente à nous sous l’aspect symbolique d’une formidable machine qui nivelle à tort et à travers, fauche au hasard tous les souvenirs du passé, détruit les monuments, abolit les vieux langages, les vieilles mœurs, les costumes pittoresques et prétend unifier les usages et les intelligences. Je ne veux point médire du progrès : sa marche en avant est réglée par une inéluctable fatalité. Bien fol serait celui qui voudrait barrer le chemin. Mais on peut bien regretter qu’il fasse tant de ruines sur son passage et qu’il sacrifie impitoyablement les traditions les plus anciennes et les plus respectables.

On peut bien aussi tenter de sauver quelque chose de ces traditions qui firent l’orgueil de nos pères ; et d’en garder à tout le moins le souvenir. C’est cette pensée pieuse qui guida Mistral lorsque, en 1896, il émit dans son journal — L’Aïoli — l’intention de créer, à Arles, un musée ethnographique du pays de Provence. Ce musée, qu’il créa, en effet, l’année suivante, avait été la pensée de toute sa vie : je crois bien, ajoute Jean Lecoq, que c’est, de toutes ses œuvres, celle qu’il chérit avec le plus de ferveur.

« On y trouvera, disait-il alors, des collections de poupées représentant les filles d’Arles dans le costume national de diverses époques ; des collections de bijoux des Arlésiennes et des œuvres artistiques de l’orfèvrerie d’Arles. Viendront ensuite les meubles d’Arles : garde-robes, panetières, pétrin, buffet ; et aussi tous les objets de harnachement des gardiens de manades de chevaux et taureaux de la Camargue, et les ustensiles des bergers des troupeaux de moutons de la Crau.

« Le musée, ajoutait-il, contiendra aussi des objets de ménage et des ustensiles des grands mas de la Camargue, des faïences et poteries anciennes et des modèles en miniature des anciennes allèges et barques de la glorieuse marine d’Arles, au loin connue, et disparue aujourd’hui... »

Or, le Museon Arlaten contient tout ce que Mistral souhaitait y voir, tout cela et maintes autres choses encore, poursuit Lecoq. Les touristes, les artistes ne manquent jamais de le visiter, car ils savent qu’ils trouveront là les documents les plus précieux et les plus pris sur la vie, les mœurs, les goûts et le caractère de cette race provençale, race vivante entre toutes. Le succès couronna l’œuvre du poète.

En 1905, la fortune lui vint. Mistral ayant reçu le prix Nobel résolut d’en consacrer la plus large part à son Museon Arlaten. Tous ceux qui, dans nos vieilles villes de France, ont au cœur l’amour du coin de terre natal, devaient trouver là un enseignement.

Musées d’ethnographie populaire
Toutes nos régions de France, en effet, ont eu naguère, de même que la Provence, leur vie intense et personnelle, leurs mœurs particulières, leur originalité dans l’art et dans l’industrie ; toutes peuvent évoquer des souvenirs glorieux et montrer des preuves d’intelligence, d’énergie et d’activité.

Avec leurs spécialités artistiques et industrielles, avec les témoignages de leur passé historique, toutes peuvent constituer les collections les plus remarquables. Et un certain nombre d’entre elles n’ont pas manqué de le faire. A Saint-Jean-de-Luz, à Honfleur, à Niort, à Quimper, à Nancy, à Tulle furent créés des musées régionaux. Saint-Omer a aussi un musée local organisé de toutes pièces par un collectionneur de la ville, M. Dupuydts. A Beaune, dans les salles du vieux beffroi, un musée d’antiquités bourguignonnes a été installé.

Orléans possède un « Musée historique de l’Orléanais ». Dans la maison dite d’Agnès Sorel, on a rassemblé nombre de souvenirs qui rappellent les hommes illustres, les us et coutumes, les arts et métiers du vieil Orléans, voire de l’ancienne « province orléanoise » et du duché d’Orléans.

Nîmes a son musée de souvenirs locaux sur le modèle du Museon Arlaten de Mistral. Les documents de l’histoire de Nîmes et du Bas-Languedoc y sont conservés précieusement à côté des ustensiles locaux, de vieux plans de la ville, d’armes anciennes provenant des remparts disparus, de moulages et de reproductions des monuments romains de la ville.

Grenoble a son musée historique et ethnographique dauphinois. Les coutumes locales y sont représentées par des collections réunissant tous les objets de nature à ressusciter et à conserver les vestiges du passé de la province : céramiques, costumes, ustensiles en bois et en métal encore en usage dans les chalets montagnards : tous documents qu’il était grand temps de recueillir, car ils se faisaient plus rares de jour en jour.

Et j’allais oublier, ajoute notre chroniqueur, le musée du « Vieux Marseille » qui est, avec la bouillabaisse, une des gloires de la grande cité phocéenne. Sans doute, j’en oublie d’autres. Il est de ces musées ethnographiques, locaux ou régionaux, qui ne sont pas assez connus. Mais, malheureusement, il est encore un certain nombre de provinces qui n’en possèdent pas.

Le passé vivant
Or, chaque région de France devrait tenir à honneur d’avoir son musée d’ethnographie et d’art populaire, dont les collections seraient les leçons de choses du passé, et comme le reflet de la vie matérielle et intellectuelle d’autrefois. On y trouverait les meubles particuliers à la contrée, les grès, les porcelaines, les faïences, les verreries, les cuivres, les bijoux, les pièces d’orfèvrerie, châsses aux reliques, services commandés par les magistrats communaux et les dentelles et les tapisseries.

A côté de ces œuvres de l’art industriel du passé, une partie du musée devrait être réservée à l’histoire locale : objets rappelant des événements fameux ; trouvailles faites sur les champs de bataille voisins ; bannières des villes, des corps d’artisans, des confréries d’archers, d’arquebusiers, d’arbalétriers, de bombardiers, portraits des illustrations locales, costumes spéciaux à la province ; outils des métiers. Puis un coin pour les réjouissances populaires processions patronales, cavalcades, foires et francs marchés. Et combien d’autres choses encore qui, toutes, porteraient en elles un peu de l’existence, un peu de la gloire du pays, écrit Jean Lecoq.

Il faut constater que, sur ce point, comme sur tant d’autres, hélas ! l’étranger nous a dès longtemps devancés. Munich, Zurich, Bâle, beaucoup d’autres villes suisses ou allemandes possèdent des musées d’ethnographie populaire. A Stockholm, le musée du Nord, fondé par le docteur Hazélius, renferme une série de reconstitutions d’intérieurs suédois, norvégiens, lapons. A Bergen se trouve un musée spécial et bien local, entièrement consacré à la reconstitution d’un comptoir de la Ligue hanséatique.

Dans ces pays du Nord (Suède, Norvège, Danemark), on a même fait des musées en plein air, sortes de villages où les objets sont exposés à l’intérieur de maisons construites sur des modèles anciens, c’est-à-dire dans leur cadre naturel.

Province ou département ?
Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on déplore, en France, les méfaits de la centralisation excessive, et la funeste attirance de Paris, « la ville tentaculaire ». En dépit de cette indéniable émigration vers la capitale, il n’en est pas moins vrai que tout Français des provinces reste toujours attaché, de quelque façon, au coin de terre natal. Je n’en veux pour preuve, ajoute le chroniqueur du Petit Journal, que le grand nombre de sociétés qui se sont fondées à Paris entre originaires d’une même région. Tous, tant que nous sommes, nous avons toujours là-bas quelque attache sentimentale ; nous ne sommes jamais complètement « déracinés ».

C’est assez dire avec quel intérêt et quelle sympathie serait accueillie l’organisation d’une exposition des provinces. Tout ce que nous venons de dire de la constitution des musées d’ethnographie populaire montre que les éléments ne manqueraient pas pour une telle exposition. Déjà, dans la plupart de nos provinces, on s’efforce, depuis quelques années, de faire revivre les costumes anciens. Les jeunes filles ne dédaignent plus les coiffes de leurs aïeules, écrit encore Lecoq en 1932 : elles s’en parent volontiers aux jours de fêtes. Et c’est une marque de plus du mouvement de rénovation provinciale qui gagne de proche en proche par tout le pays.

Ce mouvement se manifeste même à d’autres points de vue. On n’hésite plus, aujourd’hui, à reconnaître que le morcellement administratif de la France, établi le 26 février 1790 par la Constituante, n’est plus en harmonie avec les progrès réalisés et les besoins présents de la société française.

Depuis cette époque, nous avons eu les chemins de fer, le télégraphe, le téléphone, l’automobile et même l’aviation, qui ont modifié profondément les conditions de la vie sociale et aussi de la vie administrative. La division en départements apparaît plus que jamais illogique et arbitraire. En l’établissant, les hommes de 1789 croyaient effacer toute trace du passé, faire disparaître jusqu’aux derniers vestiges des divisions de l’ancienne France. Ils se trompaient : l’esprit provincial devait survivre.

Et ce n’est pas seulement l’âme des races, c’est la science géographique elle-même qui l’ont voulu, renchérit Jean Lecoq. Il se trouve, en effet, que les grandes régions physiques de notre pays correspondent presque toutes aux divisions par provinces de la France d’autrefois. Pour l’étude de notre sol, de nos montagnes, de nos plaines ou de nos fleuves, la Provence, le Dauphiné, la Champagne, la Normandie, ont un sens et forment un tout harmonieux et coordonné. Le Calvados, la Haute-Marne ou le Var ne sont que des mots vides de sens qui ne représentent qu’une fastidieuse litanie de préfectures et de sous-préfectures.

Ainsi, la science confirme et renforce les raisons d’ordre économique et d’ordre sentimental qui militent en faveur d’une révision de l’œuvre de la Constituante. Une exposition des provinces aurait le double avantage d’amener au premier plan de l’actualité ce problème de la réforme administrative — problème capital pour l’avenir du pays — tout en offrant aux foules des reconstitutions pittoresques.

 
 
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