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Projet de Fédération européenne. États-Unis d'Europe. Gouvernance européenne

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Gouvernance européenne : volonté
ancienne d’élites prônant
l’avènement supposément
salvateur d’un « ordre nouveau »
(D’après « L’Illustréa », numéro de janvier 1930)
Publié / Mis à jour le mercredi 18 octobre 2023, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
En 1930, vingt ans avant que ne soit créée la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, première organisation posant les bases du développement actuel de l’Union européenne, Edouard Herriot, ancien président du Conseil, fait l’apologie d’une future gouvernance européenne, un « Conseil des ministres européens » lui apparaissant comme l’étape nécessaire permettant de « réaliser un ordre nouveau », et promet chômage et révolution « si l’Europe ne s’organise pas dans l’ordre social et économique »

Si la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, embryon de l’Union européenne actuelle, vit le jour en 1950, l’objectif visant à mettre en place une Fédération européenne dont on affirme alors qu’elle laissera chaque nation souveraine, était parfaitement défini au moins vingt ans auparavant. Dans son numéro de janvier 1930, le magazine l’Illustréa propose à ses lecteurs une interview de l’ancien président de Conseil Edouard Herriot, qui aborde « La question des États-Unis d’Europe » et revient sur la tentative d’Aristide Briand de mettre sur pied un pan d’Union fédérale européenne en septembre 1929. Voici cette interview :

« Dès qu’elle fut lancée, l’idée des États-Unis de l’Europe fut très discutée, ce qui est le sort de toutes les idées vivantes. Une partie de la presse allemande réagit violemment, invoquant l’hostilité certaine de l’Angleterre et de l’Amérique, et le système des murs constitué par les barrières douanières. Tandis que, par contre, la Gazette de Voss accueillait cet espoir avec bienveillance en déclarant, avec juste raison, qu’à la base de cette union durable des peuples européens, il fallait d’abord l’entente franco-allemande.

Édouard Herriot
Édouard Herriot

« Certains journaux anglais publièrent des articles vraiment révélateurs. Par exemple, le Daily Express protesta vivement contre toute idée de Fédération européenne qui comprendrait l’Angleterre, pour la raison que l’Empire britannique doit former une unité économique complète, plus forte que l’Amérique ou que l’Europe. Le premier résultat du discours de M. Aristide Briand [plusieurs fois président du Conseil, il forma 11 gouvernements et occupa ce poste pour la dernière fois du 29 juillet au 22 octobre 1929] fut donc de provoquer certaines crises d’impérialisme. La thèse du Daily Express se trouva confirmée par plusieurs grands quotidiens anglais.

« M. Briand convoque alors ses collègues d’Europe au déjeuner que l’on sait, le déjeuner historique du 9 septembre [déjeuner à l’Hôtel des Bergues à Genève avec les délégués des 27 États européens membres de la Société des Nations. Le 5 septembre précédent, il avait annoncé devant l’Assemblée générale de la Société des Nations, au nom du gouvernement français et en accord avec Stresemann, ministre des Affaires étrangères allemand, un projet d’union européenne, s’exprimant notamment ainsi : « Je pense qu’entre des peuples qui sont géographiquement groupés, comme les peuples d’Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral. Ces peuples doivent avoir à tout instant la possibilité d’entrer en contact, de discuter de leurs intérêts communs, de prendre des résolutions communes. Ils doivent, en un mot, établir entre eux un lien de solidarité qui leur permette de faire face, au moment voulu, à des circonstances graves si elles venaient à naître »].

« C’est une de ses méthodes. C’était aussi l’un des moyens favoris employés par Talleyrand : « Donnez-moi, disait-il à son roi, de bons cuisiniers, je me charge du reste. » Avant même que les invités fussent réunis, un événement important se produisait. Le regretté M. Stresemann [il mourut le 3 octobre 1929] gravissait la tribune de la Société des Nations, et protestant contre les pessimistes, se défendant de céder aux illusions, reprenait cette pensée que les doctrinaires les plus féconds ont souvent passé au début pour des fous et déclarait réalisable le projet d’union européenne. Il signalait tout ce qui dans nos pays demeure encore suranné, archaïque et moyenâgeux.

« Vingt-sept États européens ont accueilli l’initiative du premier ministre français, s’engageant à étudier la question. Je ne détiens pas l’arche sainte et ne viens pas jouer de la trompette. Je veux seulement essayer de clarifier une idée et un programme qui paraissent encore confus. Pour cela, un seul moyen : passer de la synthèse à l’analyse.

« Il est bien évident qu’il faut garantir la formule dont nous nous servons contre des excès dangereux. S’agit-il de grouper les États européens comme le sont tous les États d’Amérique du Nord ? Certes non, car la formation des États-Unis a été une œuvre politique. Veut-on unifier moralement et politiquement l’Europe ? Ce serait l’absurdité même. Je ne me servirai même pas de l’exemple fourni par l’unification de la Russie ou l’établissement de l’union douanière allemande, le Zollverein. Ces deux concentrations nationales se sont effectuées entre des peuples depuis longtemps rapprochés par la culture et par l’histoire. Certains esprits, prompts aux rapprochements, invoquent l’exemple de la Suisse. Je ne m’en servirai pas : d’abord, parce que l’exemple serait décourageant puisque, depuis la première alliance des Waldstatten jusqu’au traité de Westphalie, il fallut à l’Helvétie plus de trois siècles pour se constituer et se faire connaître.

« Il ne s’agit donc pas d’imiter les États-Unis ou de créer un nouveau Zollverein, du moins pour l’instant, ou de constituer une confédération sur le modèle suisse. L’une des objections les plus fortes contre la Fédération européenne reposerait sur la crainte de voir les États-Unis d’Amérique considérer ce projet comme une manoeuvre dirigée contre eux. Par bonheur, l’intelligence américaine voit clair. A peine M. Briand avait-il parlé, que nous apprenons l’adhésion de nombreux sénateurs, dont MM. Borah, Walsh et King, à ce programme. M. Borah déclarait que « ce qui fera la prospérité de l’Europe fera également la prospérité des États-Unis. » Outre l’objection anglaise, il en est une autre importante : celle de la Russie. Les Soviets se sont préoccupés de la question et, avec ce style injurieux qu’ils chérissent, ils ont traité de « farce » le projet de M. Briand et parlé de Sainte-Alliance. Je reconnais qu’une fédération européenne serait incomplète s’il y manquait la Russie. Nous n’avons pas beaucoup de renseignements authentiques sur ce grand pays actuellement.

« Nous savons le rôle qu’il jouait, il y a vingt ans, dans la vie de l’Europe, bien qu’il commençât à peine à entrer dans le courant des rapports internationaux. Mais on ne lutte pas indéfiniment contre les lois de la vie. Un jour viendra où la Russie voudra sortir de son isolement. Je crois fermement, pour ma part, qu’il en sera de la Révolution soviétique comme de la Révolution française. Malgré ses prétentions contraires, elle créera la propriété privée. Et la Russie, remise à son tour d’une longue et terrible secousse, reprendra son rôle et sa place dans la vie des nations européennes.

Conseil de l'Europe. Timbre émis le 25 mars 1960
Conseil de l’Europe. Timbre émis le 25 mars 1960

« Dans l’ordre politique, il faut préciser que le projet de la Fédération laisse chaque nation souveraine. Il suppose qu’on résoudra les problèmes du désarmement, que l’on mettra fin à cet état de guerre latent qui exige tant de sacrifices et dissipe tant de forces et que la Société des Nations, où tous les continents se rencontrent, poursuivra son œuvre. Je demeure partisan du protocole auquel j’ai travaillé en 1924, pour éviter les alliances partielles, les traités secrets et tout ce qui en découle.

« On peut, sans être grand prophète, prévoir que si l’Europe ne s’organise pas dans l’ordre social et économique, avant longtemps elle connaîtra de graves crises de chômage comme certains pays en subissent déjà. Alors, le danger de révolution, écarté jusqu’à présent par le bon sens et le bien-être relatif des masses, deviendra très menaçant, et l’Europe perdra, peu à peu, au profit de l’Amérique, mieux organisée, l’ensemble de ses marchés mondiaux.

« Enfin, comment ne pas voir les admirables effets qui résulteraient d’une Fédération européenne dans l’ordre intellectuel ? Sans être pessimiste, il est certain qu’un jour viendra où rien ne ressemblera plus à un highlander d’Ecosse qu’un pâtre du Tyrol ou des Carpates. Nous les verrons s’habiller à l’Européenne et dépêcher leur travail quotidien entre deux séances de radio. Nous arriverons ainsi à l’homme-type ou à l’Européen-type et à la suppression de la littérature et des arts populaires.

« Or, pas plus que nous ne voulons diminuer la souveraineté des États, nous ne pensons porter atteinte à l’indépendance des littératures. Il est facile de démontrer que l’essor des littératures nationales a été créé par le rapprochement des grandes littératures. On ne luttera pas contre la mécanique si on ne lui oppose une coalition des forces spirituelles. Est-ce que l’admirable sculpteur serbe Mestrovic n’a pas été fécondé par les enseignements qu’il a reçus de Bourdelle ou de Rodin ? Ces influences, loin de le gâter, lui ont permis de dégager son caractère national et de traduire la vieille épopée de Kossovo en une œuvre pleine d’accent et de sincérité.

Buste d'Aristide Briand, par François Cogné (1870-1952)
Buste d’Aristide Briand, par François Cogné (1870-1952)

« Aux grandes époque du Moyen Age, de la Renaissance et du Romantisme, les arts nationaux ont gagné beaucoup à être vivifiés par un grand courant européen. Ne cachons pas notre ambition : nous voulons ouvrir une ère nouvelle. Nous savons très bien que la tâche entreprise sera fort longue. J’ai gardé en mémoire les sages paroles prononcées par Mgr Seipel devant la Ligue Pacifiste des Catholiques allemands à Francfort : « Nous ne pouvons passer l’éponge sur le tableau effacer l’Europe que des milliers d’années ont dessinée pour faire place à une Europe nouvelle ». Mais nous croyons que pour réaliser un ordre nouveau, il faut la foi et le calcul des experts, la volonté des responsables et des dirigeants soutenus par l’adhésion des peuples.

« La lutte contre les douanes sera aussi terrible que la lutte contre le militarisme. J’entends être réaliste : je sais combien il a fallu d’années pour créer le Zollverein allemand. Je crois donc qu’il faudra procéder peu à peu et qu’une active collaboration franco-allemande devrait être à l’origine de l’œuvre nouvelle. Je me contenterai, pour ma part, de voir constituer, au début, un organisme permanent de travail en commun, qu’il ne serait pas impossible d’appeler Conseil des ministres européens. La Pan-Europe est une étape essentielle sur la route de la Paix, réclamée à la fois par les masses et par les élites », conclut Edouard Herriot.

 
 
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