Départements français Histoire des départements français. Les événements, histoire de chaque département : origine, évolution, industries, personnages historiques Histoire du département de la Seine-Maritime (Région Haute-Normandie) Publié / Mis à jour le samedi 30 janvier 2010, par LA RÉDACTION Temps de lecture estimé : 14 mn Le territoire que comprend aujourd’hui le département de la Seine-Maritime était habité, àl’époque de la conquête des Gaules, par deux populations distinctes : les Véliocasses, dont la capitale était Rotomagus (Rouen), et les Calètes, qui occupaient la partie nord-ouest du département (ancien pays de Caux). Calelum, capitale de ces derniers, prit, en l’honneur de Jules César, le nom de Juliobona (aujourd’hui Lillebonne). Colonisé par les Romains, qui y bâtirent des villes et y creusèrent des ports, compris dans la seconde Lyonnaise, ce peuple reçut, dès le IIIe siècle, la foi chrétienne qui lui fut apportée par saint Nicaise, disciple de saint Denis. Après avoir vécu tranquille sous la domination romaine, il se révolta, ainsi que l’Armorique (Bretagne), en l’an 408 ; les contrées insurgées se constituèrent en république et furent gouvernées par des magistrats élus jusqu’à la conquête du pays par Clovis. Pendant cette première période de notre histoire, la Normandie fait partie de la Neustrie, qui comprenait tout le territoire occidental de la France, entre la Bretagne, la Bourgogne et l’Austrasie. Au milieu des querelles sanglantes qui remplissent l’histoire des successeurs de Clovis, la Neustrie eut sa part de crimes et de calamités. Sigebert, roi d’Austrasie, excité par sa femme Brunehaut, enlève à son frère Chilpéric la plus grande partie de son royaume, Rouen et la Neustrie. Chilpéric est contraint de se réfugier dans Tournay ; désespéré, il semble attendre, dans une sorte d’impassibilité farouche, que sa ruine se consomme ; mais, moins prompte à se décourager, sa femme Frédégonde fait venir deux jeunes guerriers francs ; elle leur peint les malheurs de la famille royale, les attendrit, les anime encore en leur faisant boire des liqueurs enivrantes, et leur fait jurer de tuer Sigebert. Les deux guerriers partent pour la Neustrie, se présentent devant Sigebert le poignardent et tombent eux-mêmes percés de coups. Délivré de son frère, Chilpéric rentre vainqueur à Paris ; il y trouve la reine Brunehaut, qu’il exilé à Rouen. Mais la veuve de Sigebert avait réussi à inspirer une passion violente au fils même de Chilpéric, Mérovée. Celui-ci s’échappe, va la rejoindre à Rouen, l’épouse et fait bénir cette union par l’évêque de Rouen, Prétextat, qui, parrain du jeune prince, lui portait une affection paternelle. Furieux, Chilpéric atteint les coupables, les sépare ; Brunehaut retourne en Austrasie ; quant à Mérovée, enfermé dans un monastère, il réussit à s’évader et erre quelque temps d’asile en asile. Enfin, se voyant près de tomber entre les mains de sa marâtre Frédégonde et de son père animé par elle, il se fait donner la mort par un de ses amis. Cependant l’affection que l’évêque de Rouen avait témoignée à son pupille avait profondément irrité Chilpéric et Frédégonde. Prétextat est exilé à Jersey ; une des créatures de Frédégonde, Mésantius, est promu à sa place à la dignité épiscopale ; quelques années après, Chilpéric meurt, et Prétextat est rétabli. Frédégonde, outrée de fureur, fait assassiner le vieil évêque au pied des autels, pendant le service divin, par un serf de l’Église de Rouen. La mémoire de Prétextat resta chère au peuple de Rouen et l’Église l’honore comme un saint. Mésantius remonte sur le siège épiscopal, toujours en butte à la haine et au mépris des Neustriens. La chaire épiscopale fut, après lui., occupée par deux saints, saint Romain et saint Ouen, dont l’ardente piété réussit à détruire, dans ces contrées, les derniers vestiges du paganisme. Saint Ouen fonda les deux fameuses abbayes de Saint-Wandrille et de Jumièges et s’efforça de propager l’étude des lettres chrétiennes ; mais, après lui, la Neustrie, abandonnée aux exactions des seigneurs, aux invasions des pirates du Nord, ne respira un moment que sous le règne de Charlemagne. L’anarchie sanglante qui désola l’empire des Francs après la mort du grand empereur allait la livrer de nouveau aux envahissements des hommes du Nord, aux Northamans ou Normands, qui devaient lui donner sa dénomination définitive. Le sol antique de la Gaule avait été envahi par des races barbares, d’origine et de mœurs diverses ; mais les invasions des Normands eurent, pour la France, un caractère étrange et inattendu. Dans son Histoire de la conquête de l’Angleterre, Augustin Thierry rapporte que « les vikings normands faisaient un genre de guerre tout nouveau et qui aurait déconcerté les mesures les mieux prises contre une agression ordinaire. Leurs flottes de bateaux à rames et à voiles entraient par l’embouchure des fleuves et les remontaient souvent jusqu’à leur source, jetant alternativement, sur les deux rives, des bandes de pillards intrépides et disciplinés. Lorsqu’un pont ou quelque autre obstacle arrêtait cette navigation, les équipages tiraient leurs navires à sec, les démontaient et les charriaient jusqu’à ce qu’ils eussent dépassé l’obstacle. « Des fleuves, ils passaient dans les rivières, et puis d’une rivière dans l’autre, s’emparant de toutes les grandes îles, qu’ils fortifiaient pour en faire leurs quartiers d’hiver et y déposer, sous des cabanes rangées en files, leur butin et leurs captifs. Attaquant ainsi à l’improviste, et, lorsqu’ils étaient prévenus, faisant retraite avec une extrême facilité, ils parvinrent à dévaster des contrées entières, au point que, selon l’expression des contemporains, on n’y entendait plus un chien aboyer. Les châteaux et les lieux forts étaient le seul refuge contre eux ; mais, à cette première époque de leurs irruptions, il y en avait peu, et les murs mêmes des anciennes villes romaines tombaient en ruine. « Pendant que les riches seigneurs de terres flanquaient leurs manoirs de tours crénelées et les entouraient de fossés profonds, les habitants du plat pays émigraient en masse de leurs villages, et allaient à la forêt voisine camper sous des huttes défendues par des abatis et des palissades. Mal protégés par les rois, les ducs et les comtes du pays, qui souvent traitaient avec l’ennemi pour eux seuls et aux dépens des pauvres, les paysans s’animaient quelquefois d’une bravoure désespérée, et, avec de simples bâtons, ils affrontaient les haches des Normands. « D’autres fois, voyant toute résistance inutile, abattus et démoralisés, ils renonçaient à leur baptême pour détourner la fureur des païens, et, en signe de leur initiation au culte des dieux du Nord, ils mangeaient de la chair d’un cheval immolé en sacrifice. Cette apostasie ne fut point rare dans les lieux les plus exposés au débarquement des pirates ; leurs bandes mêmes se recrutèrent de gens qui avaient tout perdu par leurs ravages ; et d’anciens historiens assurent que le fameux roi de mer Hastings était fils d’un laboureur des environs de Troyes. » Brûlée une première fois, en 841, par ces pirates, qui remontaient le cours de la Seine, pillant et ravageant tous les riverains, Rouen les voit s’établir dans ses murs en 845, puis se retirer. Mais, après ces courses rapides, vint la grande invasion, celle de 896. Roll ou Rollon, banni de la Norvège ; sa patrie, réunit autour de lui de hardis compagnons résolus à suivre tous les hasards de sa fortune. Avec une flotte nombreuse, il entre dans la Seine, qu’il remonte jusqu’à Jumièges, a cinq lieues de Rouen. Aucune armée ne se présente pour leur disputer l’entrée du pays. Le prince qui régnait alors était Charles le Simple, faible d’esprit et de cœur. Au milieu de l’épouvante générale, seul l’archevêque de Rouen ose ne pas désespérer du salut de la ville : il se rend au camp des Normands et offre à Rollon l’entrée de Rouen, à la condition qu’il ne sera fait aucun mal aux habitants. Rollon accepte ; Rouen devient sa place d’armes, le centre de ses entreprises. Après en avoir pris possession, il remonte la Seine jusqu’à l’embouchure de l’Eure, et là, établis dans un camp fortifié, les Normands attendent l’arrivée de l’armée que Charles réunissait enfin contre eux. Dans cette armée se trouvait un païen converti, le Norvégien Hastings ; connaissant l’énergie sauvage de ses anciens compatriotes, il donne le conseil de ne point tenter de forcer leurs retranchements : « Voilà un conseil de traître, » s’écrie un seigneur français. Hastings, indigné, quitte aussitôt le camp. La bataille s’engage ; les Normands sont vainqueurs, et le duc de France, chef de l’armée française, Regnauld, périt de la main d’un pêcheur de Rouen, qui avait suivi l’armée des envahisseurs. Rollon poursuit sa marche victorieuse jusqu’à Paris, qu’il assiège inutilement. Forcé de reculer, il se rabat sur Bayeux, dont le comte est tué ; la beauté de la fille du comte, Popa, touche le coeur du chef normand, qui l’épouse. Après avoir pris Évreux, Rollon échoue devant Chartres. Néanmoins, la terreur que les Normands inspirent est si grande, que le cri général impose à Charles le Simple la nécessité de traiter avec ces pirates. La paix est conclue à Saint-Clair-sur-Epte, en 912. Rollon et ses principaux compagnons consentent à embrasser la foi chrétienne, à condition qu’on leur cédera les contrées maritimes, avec Rouen et ses dépendances. On raconte qu’après la cérémonie, où Rollon jura foi et hommage au roi de France, on voulut exiger de lui qu’il s’agenouillât, selon l’usage, devant le roi et lui baisât le pied. « Jamais je ne m’agenouillerai devant un homme, » dit Rollon ; puis, les seigneurs français insistant, le Normand fit signe à un de ses gens de venir baiser à sa place le pied du roi. Le soldat se baisse, saisit le pied, puis, le relevant vivement comme s’il eût voulu le porter a sa bouche, jeta le roi à la renverse, aux grands éclats de rire de tous ses compagnons. Dès lors, l’histoire des envahisseurs devint l’histoire même du pays auquel ils ont donné leur nom. Ils se partagèrent le pays ; les anciens propriétaires furent dépossédés ou contraints de tenir leurs domaines à ferme ou en vasselage ; mais le calme dont jouit enfin le pays, sous la domination ferme et intelligente de Rollon, le dédommagea un peu des malheurs de sa condition nouvelle ; en quelques années, les terres furent défrichées ; les villes, les églises, les monastères et les châteaux sortirent de leurs ruines. Longtemps après la mort de Rollon, le nom de ce chef de pirates resta célèbre en Normandie, comme celui de l’ennemi le plus acharné des larrons et du plus grand justicier de son siècle. Guillaume Ier, fils de Rollon, recula les limites de son duché, vainquit une armée de rebelles normands, aux portes mêmes de Rouen, dans une prairie qui a conservé depuis le nom de pré de la Bataille, et mourut assassiné par trahison, dans une conférence où l’avait attiré Arnould, comte de Flandre. Ce duc, ainsi que ses successeurs, Richard Ier et Richard II, se distingua par une vive piété et par sa libéralité envers l’Église ; les moines normands, seuls historiens de cette époque, en ont récompensé ces princes par les éloges les plus magnifiques. Sous Richard II, les paysans, écrasés d’impôts, tourmentés par les nouveaux dominateurs, formèrent un vaste complot pour secouer le joug de leurs tyrans. Ils choisirent des délégués qui se réunissaient en une assemblée générale et communiquaient ensuite à chaque village le résultat des délibérations. Raoul, oncle de Richard Il encore enfant, fut informé de ces assemblées secrètes et du lieu où elles se tenaient : il fond avec ses chevaliers sur ces paysans sans armes ; les supplices les plus atroces furent infligés à ces malheureux, ainsi qu’a tous ceux qui avaient comme eux nourri l’espoir de reconquérir leur liberté. Sous Richard III et son frère Robert le Diable, l’histoire intérieure de la Normandie ne présente rien de remarquable ; mais c’est à cette époque que des aventuriers normands, sous la conduite des fils de Tancrède de Hauteville, étonnèrent le midi de l’Europe par l’éclat de leurs faits d’armes, et conquirent Naples et la Sicile. Les habitudes et le caractère des Normands, à cette époque héroïque de leur histoire, ont été dépeints par Michelet dans son Histoire de France. Pour lui, les historiens de la conquête d’Angleterre et de Sicile se sont plu à représenter leurs Normands sous les formes et la taille colossale des héros de chevalerie. En Italie, un d’eux tue d’un coup de poing le cheval de l’envoyé grec. En Sicile, Roger, combattant cinquante mille fantassins avec cent trente chevaliers, est renversé sous son cheval, mais se dégage seul, et rapporte encore la selle. Les ennemis des Normands, sans nier leur valeur, ne leur attribuent point ces forces surnaturelles. Les Allemands, qui les combattirent en Italie, se moquaient de leur petite taille. Dans leur guerre contre les Grecs et les Vénitiens, ces descendants de Rollon et d’Hastings se montrent peu marins et fort effrayés des tempêtes de l’Adriatique. Mélange d’audace et de ruse, conquérants et chicaneurs comme les anciens Romains, scribes et chevaliers, rasés comme les prêtres et bons amis des prêtres (au moins pour commencer) ; ils firent leur fortune par l’Église et malgré l’Église. La lance y fit, mais aussi la lance de Judas, comme parle Dante. Le héros de cette race, c’est Robert l’Avisé (Guiscard, Wise). La Normandie était petite, et la police y était trop bonne pour qu’ils pussent butiner grand’chose les uns sur les autres. Il leur fallut donc aller, comme ils disaient, gaaignant par l’Europe. Mais l’Europe féodale, hérissée de châteaux, n’était pas au XIe siècle facile à parcourir. Ce n’était plus le temps où les petits chevaux des Hongrois galopaient jusqu’au Tibre, jusqu’à la Provence. Chaque passe des fleuves, chaque poste dominant avait sa tour ; à chaque défilé on voyait descendre de la montagne quelque homme d’armes avec ses varlets et ses dogues, qui demandait péage ou bataille ; il visitait le petit bagage du voyageur, prenait part, quelquefois prenait tout, et l’homme par-dessus. Il n’y avait donc pas beaucoup à gaaigner en voyageant ainsi. Nos Normands s’y prenaient mieux. Ils se mettaient plusieurs ensemble bien montés, bien armés, mais de plus affublés en pèlerins de bourdons et de coquilles ; ils prenaient même volontiers quelque moine avec eux. Alors, à qui eût voulu les arrêter ils auraient répondu doucement, avec leur accent traînant et nasillard, qu’ils étaient de pauvres pèlerins, qu’ils s’en allaient au Mont-Cassin, au saint sépulcre, à Saint-Jacques de Compostelle ; on respectait d’ordinaire une dévotion si bien armée. Le fait est qu’ils aimaient ces lointains pèlerinages : il n’y avait pas d’autre moyen d’échapper à l’ennui du manoir. Et puis c’étaient des routes fréquentées ; il y avait de bons coups à faire sur le chemin, et l’absolution au bout du voyage. Tout au moins, comme ces pèlerinages étaient aussi des foires, on pouvait faire un peu de commerce, et gagner plus de cent pour cent en faisant son salut. Le meilleur négoce était celui des reliques : on rapportait une dent de saint Georges, un cheveu de la Vierge. On trouvait à s’en défaire à grand profit ; il y avait toujours quelque évêque qui voulait achalander son église, quelque prince prudent qui n’était pas fâché à tout événement d’avoir en bataille quelque relique sous sa cuirasse. Le successeur de Robert le Diable, son bâtard Guillaume, allait illustrer le nom normand par la conquête de l’Angleterre. Il appuyait ses prétentions au trône de la Grande-Bretagne sur un testament que le feu roi des Anglo-Saxons, Édouard, aurait fait en sa faveur ; sur le don que le pape Alexandre Il faisait de ce royaume aux Normands, fils si dévoués de l’Église ; enfin, sur une nombreuse armée, composée d’aventuriers de toutes nations, qu’attirait l’espoir du pillage et des conquêtes. La victoire d’Hastings (1066) leur livra l’Angleterre. Le roi des Anglo-Saxons, l’intrépide Harold, y fut tué. Guillaume le Conquérant imposa les lois et la langue normandes à son nouveau royaume, qu’il partagea en fiefs au profit de ses compagnons. Guillaume, depuis cette conquête, séjourna alternativement en Normandie, où il eut à réprimer la rébellion de son fils Robert, appuyée par de nombreux mécontents, et en Angleterre, où l’appelaient des révoltes continuelles, excitées par la tyrannie sanguinaire des nouveaux conquérants. Ces atrocités contribuèrent à enrichir le clergé de Normandie. Les seigneurs de Normandie se sentaient parfois des remords en songeant aux crimes de toute sorte qu’ils avaient commis en Angleterre ; les évêques décidèrent qu’ils devaient s’en délivrer par la pénitence ou par des aumônes faites aux églises : les conquérants, enrichis par le pillage et les massacres, préférèrent en général ce dernier genre d’absolution. C’est de cette époque que date la construction des plus riches églises de Normandie. Les États de Guillaume le Conquérant furent, à sa mort, partagés entre ses trois fils : Robert Courte-Heuse eut la Normandie ; Guillaume le Roux, l’Angleterre, et Henri le comté de Mortain. C’est ici que finit l’époque héroïque de la Normandie. Robert Courte-Heuse, prince faible et débauché, vit son pouvoir souvent menacé par la révolte de ses vassaux. En 1096, il partit pour la croisade. L’un de ses frères, Guillaume le Roux étant mort, le troisième fils du Conquérant, Henri Beau-Clerc, profita de l’absence de son frère aîné pour s’emparer de la couronne d’Angleterre et du duché de Normandie ; Robert Courte-Heuse, a son retour, ayant tenté de reconquérir par les armes ce que l’usurpation lui avait enlevé, fut fait prisonnier par son frère, qui l’enferma dans un château du pays de Galles, après lui avoir crevé les yeux. Robert languit pendant trente ans dans cette prison, se consolant de sa captivité en composant des poésies, dont quelques-unes nous ont été conservées. Henri Beau-Clerc réprima énergiquement l’insolence de ses vassaux. Ceux-ci lui suscitèrent un compétiteur dans la personne du jeune fils de Robert Courte-Heuse, Guillaume Clyton, et appelèrent à leur aide le roi de France, Louis le Gros. Mais Henri vainquit ces confédérés à Brenneville, ou plutôt Brémule (1119), bataille peu sanglante d’ailleurs, s’il est vrai qu’il n’y périt que trois hommes. Après avoir imposé au roi de France un traité désavantageux, Henri mourut ; laissant une fille, Mathilde, mariée à Geoffroy Piantagenet, comte d’Anjou. La discorde et la guerre continuèrent de désoler la Normandie. Cependant les premières communes de Normandie datent de cette époque ; au milieu de ces dissensions rivales, les divers compétiteurs cherchaient à s’attacher par des concessions et des franchises les bourgeois, qui commençaient à s’enrichir par le commerce et l’industrie ; Geoffroy et Henri Plantagenet, qui lui succéda, abolirent en Normandie les charges les plus onéreuses, fruits amers de la conquête, et accordèrent des privilèges importants aux bourgeois de Rouen et de la ville d’Eu. Cette époque est celle de la plus grande puissance des Normands et l’origine des longues guerres de l’Angleterre et de la France. Éléonore de Guyenne, fille du comte de Poitiers et d’Aquitaine, avait épousé le roi de France, Louis VII ; un divorce les sépara en 1150, et, la même année, Éléonore épousait Henri Plantagenet, duc d’Anjou et de Normandie, bientôt roi d’Angleterre sous le nom de Henri II ; elle lui apportait en dot toute la France occidentale, de Nantes aux Pyrénées. Maître en France d’un territoire beaucoup plus étendu que celui du roi, possédant une étendue de pays qui correspondait à quarante-sept de nos départements actuels, tandis que Louis VII n’en possédait pas vingt, Henri II vit bientôt sa puissance ébranlée par sa lutte avec l’archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket, qu’il fit assassiner, et par la révolte de ses fils appuyés par le roi de France. Il mourut, laissant sa couronne à son fils Richard Coeur de Lion ; celui-ci avait eu, dans le roi dé France Philippe-Auguste, un ami dévoué et fidèle. Pendant la croisade qu’ils entreprirent ensemble, ils ne tardèrent pas à se brouiller. Laissant le chevaleresque roi d’Angleterre étonner la Palestine par ses exploits et révolter par son orgueil les princes ses compagnons, Philippe, revenu en France, excita Jean sans Terre, frère de Richard, à s’emparer du trône d’Angleterre. Richard, longtemps captif en Autriche, ne put revenir qu’après avoir payé une. rançon énorme. Il réduisit aisément ses vassaux révoltés ; mais il mourut bientôt, atteint d’une flèche au siège de Châlus, petit château du Limousin (1199). Son frère et successeur, Jean sans Terre, fait prisonnier a Mirebeau Arthur de Bretagne, fils de son frère aîné, Geoffroy, qui faisait valoir ses droits à la couronne anglo-normande. Il l’enferme dans le château de Rouen, puis le fait assassiner et jeter dans la Seine. Philippe profite avidement du crime de Jean sans Terre et de l’horreur que ses perfidies et ses cruautés inspiraient aux Normands. Il le fait citer devant le tribunal des pairs, pour répondre du meurtre d’Arthur et, sur son refus de comparaître, fait confisquer les provinces que Jean possédait en France. La Normandie fut ainsi réunie à la couronne de France (1204). A dater de cette époque, l’histoire de cette province se confond avec celle de la France. Philippe-Auguste assure son autorité en Normandie, en achetant la plupart des fiefs importants et en confirmant les privilèges des communes. Sous l’avide Philippe le Bel, des impôts excessifs provoquèrent une révolte, bientôt étouffée. Louis le Hutin octroie à la province la charte dite Charte aux Normands, qui assurait aux Normands le droit de n’être jamais cités devant une autre juridiction que celle de leur province. Cette charte, longtemps respectée, ne fut abolie réellement que sous Louis XIV, et, s’il arrivait qu’une ordonnance royale en violât quelque disposition, on y ajoutait cette réserve expresse, qui rappelait l’existence du droit, lors même qu’il était violé : Nonobstant clameur de haro et charte normande. La Normandie fut constituée en duché apanager en faveur du fils aîné de Philippe de Valois ; ce fut Louis XI qui la réunit définitivement au domaine royal. Pendant la guerre de Cent ans, dont elle fut souvent le théâtre, la Normandie. fut dévastée par les Anglais, et l’épidémie célèbre connue sous le nom de peste noire réduisit de moitié le nombre de ses habitants. Depuis Louis XI, elle jouit pendant près d’un siècle d’une paix dont elle profita pour tourner son activité vers le commerce et les expéditions maritimes. François Ier encouragea l’esprit de découverte qui animait, au XVIe siècle, les marins normands, en fondant à l’embouchure de la Seine le port du Havre. Mais la province vit bientôt cette prospérité s’évanouir pendant les guerres de religion. Les protestants se rendirent maîtres de Rouen qui, reprise par les catholiques, fut livrée au pillage ; Le Havre resta deux ans au pouvoir des Anglais, et les supplices infligés aux huguenots, les massacres qui suivirent la Saint-Barthélemy portèrent la désolation et la ruine dans ce beau pays. Un statisticien du XVIe siècle calculait que la guerre civile avait enlevé à la Normandie plus de cent cinquante mille habitants. La Normandie fut le théâtre de la lutte entre Henri IV et la Ligue, dont les combats d’Arques et d’Ivry sont les épisodes les plus importants. Henri, maître du royaume, releva le commerce et la marine normande, qui prospéra de nouveau jusqu’à l’époque de nos désastres, à la fin du règne de Louis XIV. Sous ce prince, les états de Normandie, qui s’étaient longtemps maintenus, disparurent enfin ; mais si la province perdit quelques-uns de ses privilèges, la prospérité matérielle y gagna. Au XVIIIe siècle, la lutte du vieil esprit provincial contre l’unité française semble parfois se ranimer, sous Louis XV, au sein du parlement de Normandie ; et, dans les premiers temps de la Révolution, ce fut à Caen que s’organisa, en 1793, l’insurrection dirigée par les Girondins unis aux royalistes ; mais l’armée insurrectionnelle, conduite par Wimpfhu et le marquis de Puisaye, fut vaincue à Vernon, et la Normandie fut soumise à l’autorité de la Convention. Dès lors, malgré le voisinage de la Bretagne révoltée, elle resta tranquille, et ce fut a peine si la chouannerie réussit à troubler un moment quelques cantons de la basse Normandie. Sous Napoléon Ier, le génie commercial de la Normandie prit un nouvel essor. Jamais l’industrie et les productions n’y furent plus actives ni plus prospères ; mais, si elle n’eut pas a souffrir des invasions en 1814 et en 1815, elle paya son tribut à la guerre de 1870-1871. Dès le 1er novembre, un corps formé de 7 bataillons de mobiles, de 8 compagnies de francs-tireurs, de 2 escadrons de hussards, avec une batterie d’artillerie et quelques gardes nationaux mobilisés, fut chargé de couvrir, sur la rive droite de la Seine, Rouen et Le Havre, et ces troupes se déployèrent en avant de Rouen jusqu’à Gournay, Écouen et Les Andelys (Eure). Mais, le 4 décembre, les mobiles furent repoussés, à Buchy, par le huitième corps allemand qui venait de Metz ; ils rentrèrent à Rouen vers cinq heures du soir et y causèrent une violente émotion. La ville était ouverte, sans fortifications et dominée par de hautes collines qui rendaient, dans les conditions présentes, toute défense impossible. Le conseil municipal assemblé à la hâte délibéra, et il fut décidé que la ville ne serait pas défendue. Le 5 décembre, le général Briand, qui avait été antérieurement chargé de la défense de la place, voyant que l’on ne convoquait pas la garde nationale à l’approche de l’ennemi et que. les autorités étaient décidées à ne pas défendre la ville, se retira sur Le Havre, qui venait d’être fortifié par les soins du capitaine de vaisseau Mouchez, et Le Havre se trouva défendu par un corps d’environ 20 000 hommes. Après l’occupation de Rouen, les Allemands avaient établi leurs postes avancés sur toute la ligne qui s’étend entre les deux rives de la Seine, d’Elbeuf à La Bouille. Un corps de 1 500 Français entreprit de forcer les postes avancés de l’ennemi. L’action s’engagea près de Moulineaux, a 15 kilomètres au sud-ouest de Rouen ; l’ennemi en fut chassé et poursuivi jusqu’au Grand-Couronne. Il voulut le lendemain reprendre ses positions, mais fut chaudement reçu et définitivement repoussé. Les francs-tireurs du Calvados et les mobiles de l’Ardèche et des Landes eurent principalement l’honneur de ces deux journées. Le 1er et le 2 janvier, les Allemands se contentèrent de mettre quelques canons en batterie sur la route du Grand-Couronne a Elbeuf, et vers deux heures ils tirèrent plusieurs coups de feu sur Moulineaux ; mais, le 3 au soir, d’épaisses colonnes de Prussiens partirent de Rouen et se dirigèrent vers le Grand-Couronne, où ils firent halte et passèrent une partie de la nuit. Ils étaient 20 000 à 25 000 avec trente-six canons. Le lendemain, avant six heures du matin, une formidable fusillade éclata. C’étaient toutes les forces ennemies qui se ruaient sur la faible avant-garde française. Dans leur Géographie de la Seine-Inférieure, J. Bunel et A. Tougard rapportent que « les Prussiens étaient quinze contre un ; de plus, un brouillard extrêmement épais permit d’avancer sans être vu. Tout d’abord un détachement de quatre-vingts mobiles, qui n’avaient pris aucune mesure pour éviter une surprise, fut enveloppé et fait prisonnier. Les lourdes masses allemandes gravirent à grand’peine les flancs escarpés du Château-Robert. Sur la plate-forme du vieux donjon, une poignée d’hommes, soutenue de deux canons, foudroyait à bout portant les troupes allemandes qui montaient toujours et par un feu plongeant ouvrait de vastes trouées dans leurs rangs épais. « Mais quand ces braves gens eurent perdu douze des leurs et virent l’ennemi déborder de toutes parts sur le plateau, ils durent opérer leur retraite. Elle fut lente et protégée par une fusillade des mieux nourries. A dix heures, les Français manœuvraient au-dessus de La Bouille, à Saint-Ouen-de-Thiberville (Eure). Nos tirailleurs s’adossèrent a l’église et firent sur l’ennemi un feu terrible. Notre dernier canon ne fut pris qu’après la mort des quatre artilleurs qui le servaient ; vers deux heures et demie, la canonnade cessa de gronder, tout était à peu près terminé. Les Français avaient perdu environ 600 hommes et les Allemands 3 000. » Cependant l’ennemi avançait toujours ; Rouen, Dieppe, Fécamp, Bolbec tombèrent en son pouvoir. Il allait marcher sur Le havre lorsque ses troupes furent rappelées au nord-est par suite de l’heureuse diversion de l’armée du Nord commandée par le général Faidherbe. Dieppe et plusieurs autres villes furent alors évacuées par les Allemands ; mais ils ne cessèrent d’occuper Rouen, qui fut largement mis à contribution et resta entre leurs mains comme centre d’opérations futures. Après plus de sept mois d’occupation, le pays se vit enfin délivré ; mais épuisé par les réquisitions des envahisseurs. Le département de la Seine-maritime avait eu à payer la somme énorme de 14 864 964 fr. 30 centimes. 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