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Aucun, d'aucuns. Origine, étymologie mots de la langue française

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Savoir : Mots, Locutions
L’étymologie de mots et l’origine de locutions de la langue française. Racines, évolution de locutions et mots usuels ou méconnus
Aucun, d’aucuns
(D’après « Bibliothèque de l’École des chartes » paru en 1851,
« Le Courrier de Vaugelas » paru en 1872,
« Origine et formation de la langue française — Suite de la seconde partie »
(par Albin d’Abel de Chevallet) paru en 1857 et « Cours de langue française :
en 9 parties (dont 3 nouvelles), toutes traitées d’après la méthode
des faits » (par Pierre-Alexandre Lemare) édition de 1835)
Publié / Mis à jour le vendredi 19 février 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 4 mn
 
 
 
Curieux destin que celui du mot aucun signifiant quelqu’un, dont on a délaissé le singulier sous forme positive pour l’accompagner dès le XIIIe siècle d’une négation lui conférant alors le sens de nul, mais dont on a conservé le pluriel pour signifier quelques-uns comme dans d’aucuns, locution cependant considérée depuis le milieu du XVIIIe siècle comme « un archaïsme qui n’est plus guère en usage »

Il y a longtemps que les philologues sont d’accord pour rapporter aucun au latin aliquis. Les opinions ne se sont divisées que sur la question de savoir si aliquis a pu former aucun à lui seul, ou si ce dernier est une combinaison de deux racines latines différentes.

Le philologue et dramaturge François Raynouard (1761-1836) a soutenu la première opinion. Dans le tome II de son Lexique roman, il fait venir l’adjectif provençal alcun de l’accusatif aliquem ; et cette étymologie a été adoptée, sans réserve, par plusieurs de nos grammairiens les plus éminents. L’opinion opposé, émise en premier lieu par le lexicographe et imprimeur Robert Estienne (1503-1559), a rallié des suffrages qui ne méritent pas moins de considération. Examinons-les l’une et l’autre.

Le lexicographe et imprimeur Robert Estienne (1503-1559)
Le lexicographe et imprimeur Robert Estienne (1503-1559)

Alcun, dit-on, a été formé d’aliquis, ou plutôt de l’accusatif aliquem. Mais à en juger par la règle que pose Raynouard lui-même pour la formation des noms romans, aliquem, en passant dans la langue vulgaire, a dû perdre la consonne finale m, et n’a pu, par conséquent, produire autre chose que alique, par contraction, alque en français du Nord, auque. Et la conclusion est si évidente, qu’il suffit de tourner la page du Lexique roman, pour la voir justifiée par Raynouard lui-même, à l’article Alque. Or, si aliquem a produit en roman alque, il est clair qu’il n’a pu former en même temps alcun. L’étymologie proposée par Raynouard est donc insuffisante.

La finale un est-elle une simple terminaison ? Il n’y aurait là rien d’impossible ; mais l’explication qu’en donne Robert Estienne paraît infiniment meilleure ; « Alcun, dit-il dans sa Grammaire française, est faict de aliquis unus. » Ce qui rend cette étymologie évidente, c’est le rapprochement d’aucun et de chacun : alque s’est combiné en français avec un pour former aucun, comme chasque pour former chasque un, chacun. L’analogie est frappante. Cette sorte de pléonasme était habituelle au Moyen Âge.

Lorsqu’un mot latin, par l’effet de la contraction, ne tenait plus suffisamment de place dans le discours, ou ne présentait plus un sens assez complet pour l’oreille, on le renforçait très souvent par l’adjonction d’un autre terme, ordinairement synonyme, qui ne modifiait en rien l’idée primitive.

L’étymologie d’aucun fixée, la véritable signification de ce mot ne peut rester un instant douteuse. Aucun est l’équivalent français de aliquis ou de quisquam latin. Robert Estienne, Raynouard et tous les savants qui se sont occupés de philologie romane, sont unanimes pour le reconnaître. Aucun signifie donc quelque ou quelqu’un. Il n’a point d’autre sens en français. Lorsqu’il entre dans une phrase négative, ce mot forme, avec la particule ne, une locution exprimant l’idée de nul ; mais la négation réside exclusivement dans ne, et la signification primitive de aucun reste intacte.

Ne... aucun, signifiant nul, est, du reste, une expression relativement moderne. C’est à peine si l’on en compte quelques exemples au XIIIe siècle, et cela se conçoit. Nos pères étaient en effet trop riches en adjectifs négatifs pour sentir le besoin d’une nouvelle locution de ce genre. Pendant les XIVe, XVe et XVIe siècles, l’usage de l’expression aucun ne entrant dans des phrases négatives, a continuellement été en augmentant, et son emploi, devenu très fréquent dans ce cas, a fini par prévaloir sur celui de aucun entrant dans des phrases dont le sens est positif.

Aucun passa à l’état d’archaïsme dans une foule de phrases positives, et à partir du XVIIe siècle ne figura plus d’une manière absolue, pour dire quisquam, comme il faisait au Moyen Âge. On le remplaça, dans cette acception, par un synonyme, quelqu’un, ou bien, en cas de répétition, par l’un l’autre. Mais si nous ne pouvons presque plus employer ce mot qu’en l’associant à une négation ; nous trouvons encore des exemples de son emploi dans le sens positif :

« Ma fille est d’une race trop pleine de vertu pour se porter jamais à faire aucune chose dont l’honnêteté soit blessée » (George Dandin ou le Mari confondu, acte I scène IV par Molière, 1668)

Les enfants donnant l'assaut à la bibliothèque. Chromolithographie réalisée vers 1880
Les enfants donnant l’assaut à la bibliothèque. Chromolithographie réalisée vers 1880

Nous lui donnons encore ce même sens dans les phrases exprimant l’interrogation ou le doute : Est-il aucun poète qui ait plus d’originalité que La Fontaine ? Je doute qu’il y en ait aucun qui soit plus naturel.

Le pluriel du mot aucun, dans le sens de quelques-uns, fut également très usité, soit sous la forme aucuns, soit sous la forme les aucuns jusqu’au XVIIe siècle :

« Et s’en allèrent les aucuns par les grandes rues jusques au marché » (Chroniques de Jean Froissart relatives à l’insurrection de la Flandre, années 1379-1385)

« Le duc estant là, il leur commanda qu’ils levassent cette châsse, et qu’ils la rapportassent en l’église. Aucuns la levoient pour luy obéyr, et d’autres la remettoient » (Mémoires de Philippe de Commines (1447-1511), année 1468)

« Car les auscuns disoyent que de humeur il n’y en avoit goutte en l’air, dont on esperast avoir pluye, et que la terre suppleoit au default » (De la nativité du très redouté PantagruelPantagruel, Livre second, chapitre II — par François Rabelais, 1532)

« De chose et d’autre, ils tombèrent enfin / Sur ce qu’on dit de la vertu secrète / De certains mots, caractères, brevets, / Dont les aucuns ont de très bons effets » (L’Oraison de saint JulienContes et nouvelles, Livre deuxième — par Jean de La Fontaine, 1665)

« On en rit ; car que faire ? Aucuns, à coups de pierre / Poursuivirent le dieu, qui s’enfuit à grand’erre [à grand train] » (Le fleuve ScamandreContes et nouvelles, Livre cinquième — par Jean de La Fontaine, 1665)

Lorsque de se trouvait devant les, on contractait naturellement ces deux mots en des :

« Il estoit bien venu des (...) femmes de bas estat, et aussi des aucunes des plus grandes de Rome » (Cent nouvelles nouvelles, Nouvelle 45, 1462)

Dans ce cas, cependant, on construisait aucuns précédé de la préposition de au lieu de des, lorsque ce mot était employé dans le sens partitif ; ainsi on trouve :

« Car d’aucuns, qui avoient premier loué le voyage, le blasmoient » (Mémoires de Philippe de Commines (1447-1511), année 1494)

Et cette construction était encore de mise du temps de Molière et de La Fontaine :

« Il y en a d’aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents » (Le Malade imaginaire, acte II scène VII par Molière, 1673)

« Il est un singe dans Paris / A qui l’on avait donné femme ; / Singe en effet d’aucuns maris » (Le Singe Fables, Livre douze — par Jean de La Fontaine, 1694)

L'inspecteur face à l'instituteur. Chromolithographie publicitaire de 1879
L’inspecteur face à l’instituteur. Chromolithographie publicitaire de 1879

Mais, au milieu du XVIIIe siècle, l’emploi de aucun au pluriel commença à se restreindre ; et, à l’époque où fut publié le Dictionnaire de Trévoux (édition de 1771), aucuns ne se disait plus qu’en style « marotique » et de palais, et signifiait quelques-uns. Nous lisons ainsi, sous la plume de Voltaire dans Le Pauvre diable (1760) :

Je m’engageai, sous l’espoir d’un salaire,
A travailler à son hebdomadaire,
Qu’aucuns nommaient alors patibulaire.

Car ce d’aucuns qu’au XIXe siècle le Dictionnaire d’Émile Littré qualifie d’archaïsme, se trouve encore au XVIIIe siècle dans les ouvrages de nos conteurs en vers. Mais là, il n’est plus le signe d’aucune habitude du langage ; c’est une réminiscence, un pastiche du poète Clément Marot (1496-1544).

 
 
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