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Circulation au sein des villes du futur : un ambitieux projet du XIXe siècle

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Circulation au sein des villes
du futur : un ambitieux projet
du XIXe siècle
(D’après « La science et les savants en 1864 » (par Victor Meunier), paru en 1865)
Publié / Mis à jour le lundi 6 juillet 2020, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
En 1864, l’écrivain scientifique Victor Meunier, comptant alors au nombre des vulgarisateurs scientifiques célèbres et qui avait quelques années plus tôt fondé les revues L’Ami des Sciences et La Presse des enfants, présente un projet de désengorgement des villes amenées à connaître des problèmes de circulation, assignant le sous-sol au transport ferroviaire des marchandises, le sol au déplacement des automobiles et des piétons sans interaction entre eux, enfin l’espace aérien aux aérostats

On a beau élargir la rue ; l’accroissement de la circulation n’est pas près de son terme, annonce en préambule Victor Meunier. Il viendra donc un moment où la rue, de plus en plus périlleuse pour les piétons, sera tout à fait insuffisante pour les voitures ; et comme on ne peut l’élargir indéfiniment, il faudra faire pour elle ce que nous avons fait pour nos maisons, que nous avons repliées jusqu’à six et sept fois sur elles-mêmes, faute de pouvoir leur donner une base suffisamment étendue ; il faudra gagner en hauteur ce que nous ne pouvons nous procurer en largeur, et faire des rues à plusieurs étages.

Je me figure, écrit Meunier, que si nos habiles ingénieurs recevaient de l’État ou de quelque puissante compagnie l’attrayante commande d’une ville à édifier de toutes pièces sur un terrain libre, selon les principes de la science et avec toutes les ressources des sciences appliquées, le plan de ce paradis retrouvé une fois bien arrêté, et le terrain ayant été préalablement nivelé, leur première et grande préoccupation serait d’établir l’organisme souterrain de la ville modèle.

L'avenue de l'Opéra, à Paris. Carte illustrée réalisée par Jean-Marc Côté extraite de la série En l'an 2000, parue en 1910
L’avenue de l’Opéra, à Paris. Carte illustrée réalisée par Jean-Marc Côté
extraite de la série En l’an 2000, parue en 1910

Je ne parlerai ni de la canalisation de l’eau, ni de celle de la lumière et du feu élevés à tous les étages des demeures ; ni de l’établissement de la poste pneumatique, transportant les lettres en un instant d’une extrémité à l’autre de la ville ; ni du télégraphe privé mis sous la main de chaque citadin ; ni de la distribution de l’heure ; ni de ce grand système de vaisseaux absorbants qui, envoyant un de ses suçoirs dans chaque maison, fait écouler de la ville sur la campagne les excreta de la première qui sont les ingesta de la seconde. Je n’ai en vue pour le moment que la circulation des hommes et des voitures.

On établirait d’abord un réseau de chemins de fer souterrains, destiné au transport des matières premières et des produits lourds, ou encombrants, ou dangereux à manier, ou répugnants, en un mot, de tout ce qui aujourd’hui, charroyé à la surface du sol, embarrasse la rue, défonce le pavé, gâche de la boue, ébranle les maisons, assourdit les oreilles, offense l’odorat, blesse la vue et fait courir aux piétons des périls continuels.

On se ménagerait d’ailleurs la possibilité de mettre ultérieurement tout atelier, usine ou magasin en communication directe avec la voie de fer, de sorte que chacun d’eux puisse recevoir et expédier souterrainement ses matières et ses produits. Pour cela, il suffirait que les voies fussent suffisamment nombreuses et que le dernier dessous des maisons fut dans le plan du chemin de fer.

Ainsi, pour emprunter à la physiologie son langage, qui ne paraîtra pas déplacé en cette matière, presque tous les systèmes et les appareils de la vie organique, situés au plus profond de la cité, accompliraient leurs fonctions dans l’ombre et le silence, et le dehors, ce que l’œil voit, ce que baigne la lumière du ciel, resterait affecté à la vie de relation. Dans les galeries de taupes, la circulation des choses ; à l’air libre, le va-et-vient de l’être pensant, vaquant à ses affaires, courant à ses plaisirs. — Si toutefois, hélas ! les choses savaient trouver d’elles-mêmes leur chemin sur des voies souterraines capables de s’entretenir toutes seules.

Au-dessus de ce premier réseau est le second étage des voies publiques. Celui-ci, répondant à la chaussée de nos rues actuelles, est exclusivement réservé aux voitures. De chaque côté de cette voie, à une hauteur égale à celle des plus hautes voitures, règne le troisième étage, formé pour chaque rue de deux trottoirs, celui de droite et celui de gauche, qui sont uniquement à l’usage des piétons.

Que, par la pensée, on creuse dans toute la longueur du boulevard de Sébastopol un canal égal en largeur à la chaussée de ce boulevard, on aura une représentation exacte de ce dont il s’agit. À part une trop faible différence de niveaux entre la chaussée et les trottoirs, nous avons à Paris un exemple de cette disposition dans la partie du boulevard Saint-Martin qui aboutit à la porte de ce nom et règne devant le théâtre. Ceux qui vont en voiture ayant une rue à eux et ceux qui vont à pied ayant également la leur, voitures et piétons cessent de se gêner les uns les autres et la circulation jouit d’une sécurité entière.

Un quartier embrouillé. Illustration extraite de Le Vingtième siècle : la vie électrique par Albert Robida, paru en 1893
Un quartier embrouillé. Illustration extraite de
Le Vingtième siècle : la vie électrique par Albert Robida, paru en 1893

Par-dessus la chaussée, les trottoirs de droite et ceux de gauche communiquent ensemble au moyen de passerelles, et les trottoirs d’un même côté, interrompus dans les carrefours par le passage des rues transversales, se continuent de la même façon par-dessus celles-ci.

Enfin, des passages ouverts sous les trottoirs mettent la chaussée en communication avec les cours de toutes les maisons qui la bordent ; car chaque maison a sa cour intérieure, où toute voiture doit entrer pour prendre ou déposer son chargement, et aucun véhicule ne peut stationner sur la voie publique.

Cette division de la rue en deux étages, affectés l’un aux voitures, l’autre aux piétons, est une chose que les anciennes villes, quelque dépense qu’on fasse pour les remettre à neuf, ne verront peut-être jamais ; mais nous aurons probablement la voie souterraine, le chemin de fer, les Anglais en ayant fait l’expérience, dont ils paraissent très satisfaits.

Je ne serais pas en mesure de retracer maintenant l’histoire de cette innovation, poursuit Victor Meunier, mais je dirai, parce que c’est une chose à ma connaissance personnelle, qu’il y a une quinzaine d’années environ, un ingénieur en chef des ponts et chaussées, maintenant en retraite, M. Mondot de la Gorce, a présenté à l’administration un projet parfaitement étudié d’un réseau de chemin de fer souterrain dont il proposait de doter la ville de Paris. Entre autres objections, l’administration lui fit celle-ci, qui fut, je crois, la principale : on lui dit que l’établissement et l’exploitation de ce réseau compromettraient la solidité des édifices.

Ici, comme en tant d’autres circonstances, ce que nos tuteurs jugèrent irréalisable est réalisé par nos voisins. Consacré par l’indispensable baptême d’outre-Manche, le chemin de fer souterrain a maintenant chez nous des chances de succès. D’ailleurs, l’importance croissante et embarrassante des transports met dans la nécessité de faire quelque chose. Il est possible que ce quelque chose ne se fasse plus longtemps attendre. La question vient d’ailleurs d’être remise à l’ordre du jour avec beaucoup d’opportunité, par trois articles en formes de lettres publiés dans l’Opinion nationale, souligne l’écrivain scientifique, qui écrit rappelons-le en 1864.

Mais le chemin de fer souterrain suppléera-t-il tout seul à l’insuffisance prochaine des rues actuelles, et son établissement nous dispenserait-il de la recherche de tout autre moyen de circulation urbaine ? s’interroge Meunier. Je ne le crois pas. Ce chemin convient admirablement aux gros transports, et cela suffit pour en motiver la construction. Quant aux voyageurs ayant à parcourir de grandes distances, je pense qu’il ne peut être pour eux qu’un pis-aller, et c’est à leur intention que je voudrais ajouter un quatrième et dernier étage à l’édifice de nos voies superposées.

Celui-ci consiste en deux routes aériennes, l’une pour l’aller, l’autre pour le retour, établies à une certaine hauteur au-dessus de la chaussée. Elles n’obstrueront ni la lumière ni les regards, étant simplement formées de quatre rangs de rails, deux pour chaque voie. Les rails, disons-le bien vite, ne portent point le poids des véhicules, et ils leur servent simplement de guides. Ces véhicules sont des aérostats cylindro-sphériques ou cylindro-coniques supportant des nacelles closes où les voyageurs prennent place, et assujettis par des galets prenant appui sous les rails à se mouvoir le long de ceux-ci.

Embarcadère des aéronefs. Illustration extraite de Le Vingtième siècle par Albert Robida, paru en 1883
Embarcadère des aéronefs. Illustration extraite
de Le Vingtième siècle par Albert Robida, paru en 1883

Une machine fixe donne le mouvement aux véhicules par le moyen d’un câble qui court sous la voie. Un double rang de colonnes en fonte, s’alignant de chaque côté de la chaussée et reliées entre elles transversalement et longitudinalement, supporte les rails. Les stations sont construites à l’alignement des rues et elles communiquent avec le chemin aérien par des passerelles jetées au-dessus des trottoirs.

Si on établissait ce chemin à une certaine hauteur, on aurait par cela même dressé en très grande partie la charpente nécessaire pour soutenir une couverture de verre, qui, étendue sur la rue à hauteur des toits, mettrait la voie publique à l’abri de la pluie. On voudrait sans doute mener jusqu’au bout une aussi utile besogne. Personne, assurément, ne trouverait à redire à son achèvement, ni la ville ni les particuliers, à part toutefois les marchands de parapluies, et sans doute les bottiers et les tailleurs ; de même que, les marchands de combustible exceptés, personne ne se plaindrait de l’adoucissement de température amené par cette innovation. Ajoutons cependant les marchands de pâte pectorale à la liste des mécontents.

D’ailleurs, comme cette couverture de verre soustrairait la circulation aérienne à la seule chance d’interruption qu’elle puisse courir et qui lui viendrait des gros temps, il serait convenable qu’une partie au moins des frais d’établissement et d’entretien de cet abri fût à la charge de la compagnie qui exploiterait le nouveau moyen de transport.

J’ajoute que, plus la voie sera élevée, moins les voyageurs se fatigueront pour y atteindre, car alors il deviendra nécessaire de remplacer les escaliers par des paliers mobiles mus par des machines Hugon. On ne monterait pas, on serait monté.

De tous les moyens de locomotion, celui-ci serait le plus agréable et le moins périlleux. Pas de rencontres possibles ni entre voitures allant en des directions opposées, puisque ces voitures circulent sur des voies différentes, ni entre voitures marchant dans la même direction, puisque celles-ci sont fixées au câble qui les remorque. Pas de déraillement. Ai-je dit qu’au cas où une voiture ne contiendrait qu’un poids insuffisant de voyageurs, un poids mort ajouté compléterait le chargement ? Mais je n’ai pas l’intention d’entrer dans les détails ; outre qu’ils seraient inopportuns, ce n’est pas ici le lieu.

Pilote ! Arrêtez-moi au Louvre. Carte illustrée réalisée par Jean-Marc Côté extraite de la série En l'an 2000, parue en 1910
Pilote ! Arrêtez-moi au Louvre. Carte illustrée réalisée par Jean-Marc Côté
extraite de la série En l’an 2000, parue en 1910

J’ai voulu seulement soumettre au lecteur une idée dont il appréciera le plus ou moins de valeur. Laissons au futur concessionnaire le mérite de faire la dépense d’esprit, ou au moins la dépense d’argent que l’étude pratique du projet nécessitera.

Un mot encore pour faire observer que, tout en désencombrant le pavé, le rail aérien ne portera point préjudice aux moyens actuels de transport. D’abord, c’est l’insuffisance de ceux-ci qui motivera la création de la route nouvelle ; ensuite l’usage de cette dernière serait sans doute assujetti aux mêmes conditions que le parcours des chemins de fer, c’est-à-dire que la voiture aérienne ne prendrait et ne déposerait les voyageurs qu’en des endroits déterminés, ce qui laisserait aux omnibus et aux voitures de louage leur utilité et leur raison d’être.

 
 
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