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L'enseignement avant 1789 : une organisation reposant sur l'initiative privée et les pouvoirs locaux

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Histoire des Français
L’Histoire des Français : systèmes politiques, contexte social, population, économie, gouvernements à travers les âges, évolution des institutions.
L’enseignement avant 1789 :
une organisation reposant sur
l’initiative privée et les pouvoirs locaux
(D’après « Légendes révolutionnaires » (par Edmond Biré) paru en 1893)
Publié / Mis à jour le dimanche 27 octobre 2019, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 12 mn
 
 
 
Avant de vouloir instaurer le principe énoncé par Robespierre et Danton selon lequel « les enfants appartiennent à la république avant d’appartenir à leurs parents », la Révolution trouva en 1789 la France pourvue d’un vaste système d’enseignement public avec, en haut de l’échelle de nombreuses universités, au centre des centaines de collèges, et au-dessous de ces derniers des milliers de petites écoles qui « ne coûtaient rien au Trésor, presque rien au contribuable, très peu aux parents », contrairement à l’idée tenace qu’on avait sous l’Ancien régime maintenu à dessein le peuple dans une ignorance complète

En 1789, dans son Nouveau plan d’éducation pour toutes les classes de citoyens, l’avocat et professeur de langue anglais à l’École royale de Marine établie à Vannes, rapporte qu’au XVIIIe siècle l’instruction secondaire est tellement répandue, que de tous côtés des réclamations s’élèvent contre ce « torrent d’éducation qui entraîne tout, qui submerge les chaumières et dépeuple les campagnes. » C’est un cri général contre le « trop grand nombre des collèges » ; les parlementaires, les philosophes sont les premiers à le faire entendre.

« Pourquoi cette fureur d’apprendre le latin et les langues ? » s’écrie en 1763 Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, procureur-général du roi au parlement de Bretagne qui plaide en faveur d’une place centrale accordée aux sciences et à l’histoire en vue de former un citoyen utile à l’État. « N’y a-t-il pas trop d’écrivains, trop d’académies, trop de collèges ? Il n’y a jamais eu tant d’étudiants... Le peuple même veut étudier. Des laboureurs, des artisans envoient leurs enfants dans les collèges des petites villes où il en coûte peu pour vivre. »

Le maître d'école. Estampe d'Abraham Bosse (1638)

Le maître d’école. Estampe d’Abraham Bosse (1638)

Un autre parlementaire, le président Rolland, tout en déclarant que « l’éducation ne peut être trop répandue », que « chaque classe de citoyens » doit être « à portée » de recevoir « l’éducation qui lui est propre », signale, à son tour, comme un danger l’extrême multiplicité des collèges, qu’il voudrait voir remplacés, au moins en partie, par de simples pédagogies. « N’y a-t-il aucun inconvénient, ajoute-t-il, à laisser subsister cette multitude de collèges qui se sont établis successivement dans les petites villes du royaume et jusque dans les bourgades ?... Les collèges de plein exercice sont trop multipliés. » Et le président Rolland citait à ce sujet la réclamation suivante de la municipalité de Thouars : « Il s’est élevé depuis quelque temps un cri général contre la multiplicité des collèges... Le gouvernement a été persuadé que la culture des terres en souffrait et qu’une ambition mal entendue des pères de famille enlevait à l’agriculture et au commerce d’excellents laboureurs et de bons artistes... Ce jugement est presque universel. »

Après les parlementaires, les philosophes. Diderot se plaint que tant d’enfants sortis de leur condition soient voués « à l’inutilité, à l’oisiveté et au libertinage. » Mercier, dans son Tableau de Paris (1782), écrit de son côté : « Les collèges de plein exercice répandent dans le monde une foule de scribes qui n’ont que leur plume pour toute ressource et qui portent partout leur indigence et leur inaptitude à des travaux fructueux (...) N’est-il pas ridicule et déplorable de voir des boutiquiers, des artisans, des domestiques même, vouloir élever leurs enfants ainsi que le font les premiers citoyens, se repaître d’une profession imaginaire pour leurs enfants, et répéter imbécilement d’après le régent de sixième : Oh ! le latin conduit à tout ! — On les accoutume à faire plus de cas d’un livre que d’une charrue, d’un marteau. »

Les hommes politiques parlent ici comme les philosophes et les magistrats. L’intendant de Flandre écrit, le 22 septembre 1768, au contrôleur général des finances : « Je suis bien éloigné de croire que ce soit un bien pour l’État d’ouvrir des collèges aux enfants de la campagne ; la plupart ne deviennent que des sujets médiocres, qui, après avoir épuisé leur famille pour activer leurs études, n’en profitent que pour augmenter le nombre des religieux mendiants, beaucoup moins utiles à l’État que de bons ouvriers ou laboureurs » (Histoire de l’enseignement secondaire dans le Pas-de-Calais, par Gustave de Hauteclocque).

L’Université de Paris elle-même ne tient pas un autre langage. Dans les différents mémoires qu’elle adresse au Parlement, elle rappelle que la France « a besoin de soldats, de laboureurs, d’artisans », que d’ailleurs, « au moyen de la multiplicité des collèges, il y a à la vérité plus d’étudiants, mais moins de savoir. »

Chose remarquable, ces plaintes contre la trop grande diffusion de l’instruction ne viennent pas du clergé ; l’Église y demeure étrangère. Aussi bien, s’il y a ici un coupable, c’est elle, car cette multiplicité des collèges est son œuvre, et non celle des particuliers ou de l’État. C’est elle qui les a presque tous fondés et qui sait y appeler et y retenir les élèves. À un certain moment, les élèves fréquentant le collège de Clermont, devenu plus tard le collège Louis-le-Grand, étaient au nombre de près de 3 000. En province, le collège de Billom, en Auvergne, comptait jusqu’à 2 000 élèves ; celui des Oratoriens de Nantes en eut jusqu’à 1 200 ; celui de la Flèche en renfermait 1 300.

Le maître d'école. Peinture d'Adriaen Van Ostade (1662)

Le maître d’école. Peinture d’Adriaen Van Ostade (1662)

Dans tous ces établissements, à très peu d’exceptions près, l’éducation était gratuite. La libéralité faite par le Régent à l’Université de Paris, sur le produit des messageries royales, lui permit de donner l’instruction gratuite dans tous ses établissements de plein exercice, ce que les jésuites avaient toujours fait dans leur collège Louis-le-Grand. La royauté poussait aussi à la gratuité en province. Les lettres patentes données aux collèges, par exemple pour le collège de Montpellier en 1765, portaient : « L’enseignement sera gratuit. »

Cette gratuité, du reste, n’était point une charge pour le budget, et les contribuables n’avaient nullement à en souffrir ; elle était due à la généreuse piété des fidèles, aux fondations de bourses, aux riches dotations dont l’Église était la dispensatrice. « Quand on parcourt en détail, dit l’abbé Augustin Sicard (1844-1931), le relevé des revenus des collèges avant la Révolution, on s’aperçoit que le plus clair des fondations venait des gens d’église, d’union de bénéfices, etc. » Et il ajoute un peu plus loin : « La gratuité était dans les idées et dans les mœurs avant la Révolution. Les fondateurs assuraient aux maisons d’éducation des revenus soit importants, soit modestes, un établissement n’étant pas censé fondé tant qu’il n’était pas doté. »

Si quelques esprits voyaient avec peine cette large gratuité et la signalaient comme un péril, c’étaient précisément ceux qui étaient imbus des idées révolutionnaires et qui déjà les propageaient. En 1789, un homme qui, à peu d’années de là, siégera sur les bancs de la Convention, Pierre Daunou (1761-1840), écrivait en 1789 dans le Journal encyclopédique : « On a décerné de magnifiques éloges à ceux qui ont contribué à rendre gratuite l’éducation des collèges. Cette gratuité n’est sûrement pas sans danger, et je n’en aperçois pas moins dans le nombre si multiplié des collèges qui existent en France. »

On le voit, point n’était besoin de bouleverser la France, d’instituer la guillotine, de verser des torrents de sang, pour tirer le pays de l’ignorance et pour répandre l’instruction.

Dira-t-on que, si les collèges étaient nombreux, l’éducation y était mauvaise et l’instruction médiocre ? Ici encore les faits répondent et leur témoignage est irrécusable. Que l’on compare le Journal officiel de 1887 au Moniteur de 1789, les débats de notre Chambre des députés à ceux de l’Assemblée constituante. Si sévère que l’on puisse être pour les erreurs et les illusions des hommes de 1789, force est bien de reconnaître que ni le talent ni l’éloquence n’étaient rares sur les bancs du tiers état, du clergé ou de la noblesse, et qu’il ne vint jamais à Mirabeau l’idée de traiter ses collègues de sous-vétérinaires. Lorsque les Constituants disparurent pour faire place aux députés de la Législative, il se trouva que la France avait encore une réserve, un second ban d’hommes de talent, et qu’après les Mirabeau, les Maury, les Cazalès, les Malouet, les Sieyès, les Boisgelin, les Talleyrand, les Chapelier, les Merlin, les Thouret, les Meunier, les Clermont-Tonnerre, il y avait les Vergniaud, les Guadet, les Vaublanc, les Brissot, les Girardin, les Isnard, les Gensonné.

Insistera-t-on ? Reprochera-t-on à l’enseignement d’avant 1789 ses méthodes surannées, la part trop grande accordée à la rhétorique, la part trop large faite au latin et au grec ? Voici l’avis du moraliste et essayiste Joseph Joubert (1754-1824) — nommé en 1808 inspecteur général de l’Université — sur ce qu’était l’enseignement secondaire avant la Révolution. Dans une lettre à l’écrivain Louis de Fontanes (1757-1821) du 8 juin 1809, il écrivait au grand maître de l’Université impériale : « Regrettons nos anciens collèges, c’étaient véritablement de petites universités élémentaires. On y recevait une première éducation très complète, puisqu’on en sortait capable de devenir, par ses propres efforts et par ses seules forces, tout ce que la nation voulait. La philosophie et les mathématiques, dont on fait tant de bruit, y avaient des chaires ; l’histoire, la géographie et les autres connaissances dont on parle tant, y tenaient leur place, non pas en relief et avec fracas comme aujourd’hui, mais, pour ainsi dire, en secret et en enfoncement. Elles étaient fondues, insinuées et transmises avec les autres enseignements. On les goûtait et on emportait le désir de les apprendre ; on les apprend aujourd’hui, et on part avec le désir de les oublier. Pour me servir d’une métaphore musicale, on faisait résonner la touche de toutes les dispositions, on déterminait tous les esprits à se connaître et tous les talents à éclore.

L'institutrice dans l'école du village. Dessin de 1765 de Jean-Baptiste Greuze

L’institutrice dans l’école du village. Dessin de 1765 de Jean-Baptiste Greuze

« C’est par l’effet d’une telle éducation, c’est par cette succession non interrompue de générations, non pas savantes, mais amies du savoir et habituées aux plaisirs de l’esprit, que s’étaient multipliés en France, pays du monde où cette éducation était le mieux donnée, et peut-être le mieux reçue à cause de la tournure d’esprit naturelle à ses habitants, ces caractères où rien n’excellait, mais où tout était exquis dans son obscurité ; cette réunion de qualités où tout charmait, sans que rien y fût distinct ; ce tempérament moral singulier que le philosophe suisse de Muralt croyait particulier à nos climats, et qui servait à former ce qu’on appelait proprement des hommes de mérite, espèce d’hommes, dit-il, connue en France et presque inconnue partout ailleurs, espèce d’hommes si nécessaire à l’ornement du monde et à l’honneur du genre humain, que les siècles où aucune nation ne pourra se vanter d’en posséder un très grand nombre seront tous des siècles grossiers. »

Dans cette lettre, qu’il faudrait reproduire en entier, Joubert dit encore : « Instruit avec quelque lenteur, avec peu d’appareil et d’une manière insensible, on se croyait peu savant et on se conservait modeste... On quittait, avide de s’instruire encore et plein d’amour et de respect pour les hommes qu’on croyait instruits. Que ceux qui ont vu les temps passés portent leur mémoire en arrière et qu’ils se souviennent d’eux-mêmes : ils avoueront que je dis vrai. La jeunesse de ce temps-là était un âge plein d’enthousiasme, et par là même de bonheur ; mais ses enthousiasmes étaient doux et ses félicités paisibles. Les élèves même moins bien doués cultivaient en eux avec délices les semences de morale et de bon goût qu’ils avaient reçues. Ils entretenaient leur mémoire de ce qu’ils avaient appris ou entendu dire de plus beau, et, contents de pouvoir comprendre quelques bons livres, ils avaient quelque part aux félicités littéraires... On cultivait dans chaque esprit ce qu’on pouvait cultiver et on n’en laissait aucun d’illettré et incapable d’admirer. »

Joubert faisait honneur de ces succès moins à « la méthode » et au « choix de l’enseignement » qu’aux hommes qui enseignaient. C’est aux « corps ecclésiastiques enseignants », particulièrement aux oratoriens, aux doctrinaires, aux jésuites, « aujourd’hui copiés, disait-il, par les instituteurs français », qu’il attribue la gloire de celte « éducation littéraire », qui a pour but de donner « aux esprits et aux âmes humaines une teinture de ce que les poètes, les orateurs, les historiens et les moralistes de l’antiquité ont eu de plus exquis, teinture qui, certes, embellissait les mœurs, les manières et la vie entière. »

« Dans nos collèges, ajoute Joubert, l’enfant était dressé à distinguer et à goûter tout ce qui peut charmer l’imagination et le cœur. Des hommes qui faisaient leurs délices de l’étude de ces beautés se consacraient à leur enseignement. Jeunes eux-mêmes, ils portaient dans l’exercice de leurs fonctions un zèle épuré par le désintéressement le plus parfait et égayé par de riantes perspectives ; ils voyaient dans l’avenir, dès que leur âge serait mûr, une retraite studieuse, les dignités du sacerdoce, les grâces et les honneurs de toute espèce qu’obtenaient alors les talents. Le temps de leur professorat était pour eux un enchantement continu ; et de ces dispositions naissait en eux une aménité de goûts et de manières, qui se communiquait non seulement à leurs élèves, mais à tous ceux qui enseignaient, car partout où il y a des modèles, il y a des imitateurs. » (Pensées et lettres de Joubert)

Quid de l’enseignement primaire avant 1789 ? L’instruction était largement départie à la noblesse, au clergé, à la bourgeoisie. Mais le peuple ? S’en inquiétait-on seulement ? Ou plutôt ne le maintenait-on pas à dessein dans une ignorance complète, absolue ? Sur ce point, les écrivains révolutionnaires sont les plus affirmatifs du monde, et, à leur tête, le plus célèbre d’entre eux, Jules Michelet. Dans son Histoire de la Révolution, au milieu de tant d’autres énormités, il n’a pas craint de glisser cette audacieuse affirmation que, dans les campagnes, « le curé seul savait lire ». Michelet écrivait cela en 1847. Jules Simon écrivait, de son côté, en 1865, dans un livre intitulé L’École : « En 1774, sous l’abbé Terray, pour les écoles, rien. En 1775, dans le premier compte rendu de Turgot, pour les écoles, rien. En 1781, dans le compte rendu de Necker, pour les écoles, rien. De même, en 1785 et 1787... L’histoire n’avait rien à raconter en ce genre jusqu’en 1789. La France était profondément, déplorablement ignorante. Cela est étrange à dire d’un pays qui, depuis quatre siècles, se vante, non sans raison, d’être à la tête du monde civilisé. »

Le petit maître d'école. Estampe de Jean-Jacques de Boissieu (1770)

Le petit maître d’école. Estampe de Jean-Jacques de Boissieu (1770)

Membre de l’Académie française, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, Jules Simon semble ignorer — et c’est là peut-être ce qui est « profondément étrange » — que si les comptes rendus de l’abbé Terray, de Turgot et de Necker ne portent rien pour les écoles, c’est parce que l’Église, parce que l’initiative locale et privée avaient libéralement pourvu à l’enseignement primaire comme à l’enseignement secondaire. Si les collèges se comptaient par centaines, les « petites écoles » se comptaient par milliers, sans qu’il en coutât rien au trésor. En ce qui concerne l’enseignement primaire, en particulier, de nombreux documents ont été mis au jour, à la fin du XIXe siècle, de nombreuses monographies ont paru, qui, pour la plupart de nos départements, ont fourni les indications les plus précises, les chiffres les plus certains.

Il se trouve que la thèse des écrivains révolutionnaires était justement le contre-pied de la vérité. Il ressort en effet que sur tous les points de la France il y avait, en 1789, des écoles nombreuses et régulièrement organisées, que chaque paroisse et presque chaque hameau avait la sienne. L’un des principaux orateurs du Tribunat, Siméon, le reconnaissait du reste en ces termes, lors de la discussion de la loi de floréal an X : « Si tous les cultivateurs et les artisans ne savent pas lire et écrire, ce n’est pas que leurs parents n’aient pu faire les modiques frais de cette première instruction ; ce n’est pas qu’avant la Révolution il n’y eût, presque dans chaque village, un homme qui, sous un titre moins pompeux que celui d’instituteur primaire, ne fût en état de montrer, à très bon compte, à lire et à écrire aux enfants qu’on lui envoyait ; mais le goût des parents n’était pas porté de ce côté. »

Le tribun Siméon parle ici avec l’autorité d’un témoin. L’historien Hippolyte Taine (1828-1893) qui parle, lui, avec l’autorité d’un juge, d’un rapporteur qui connaît à fond son dossier, doit également être entendu :

« Avant la Révolution, dit-il, les petites écoles étaient innombrables : dans la Normandie, la Picardie, l’Artois, la Flandre française, dans la Lorraine et l’Alsace, dans l’Ile-de-France, la Bourgogne et la Franche-Comté, dans les Dombes, le Dauphiné et le Lyonnais, dans le Comtat, les Cévennes et le Béarn, on en comptait presque autant que de paroisses, en tout probablement 20 000 ou 25 000 pour les 37 000 paroisses de France, et fréquentées, efficaces ; car, en 1789, 47 hommes sur 100 et 20 filles ou femmes sur 100 savaient lire et pouvaient écrire, ou du moins signer leur nom.

« Et ces écoles ne coûtaient rien au Trésor, presque rien au contribuable, très peu aux parents. En beaucoup d’endroits, des congrégations, entretenues par leurs propres biens, fournissaient les maîtres ou maîtresses, frères de la Doctrine chrétienne, frères de Saint-Antoine, Ursulines, Visitandines, filles de la Charité, sœurs de Saint-Charles, sœurs de la Providence, sœurs de la Sagesse, sœurs de Notre-Dame de la Croix, Vatelottes, Miramiones, Manettes du Tiers Ordre, et d’autres encore.

« Ailleurs, le curé était tenu, par le statut de sa cure, d’enseigner lui-même ou de faire enseigner par son vicaire. Un très grand nombre de fabriques ou de communes avaient reçu des legs pour l’entretien de leur école ; souvent, l’instituteur jouissait, par fondation, d’une métairie ou d’une pièce de terre ; ordinairement, il était logé ; de plus, s’il était laïque, il était exempt des plus lourds impôts ; en qualité de sacristain, bedeau, chantre, sonneur de cloches, il avait quelques petits profits ; enfin, chaque enfant lui payait 4 ou 5 sous par mois ; parfois, notamment dans les pays pauvres, il n’enseignait que depuis la Toussaint jusqu’au printemps, et faisait, pendant l’été, un autre métier. Bref, son salaire et son bien-être étaient à peu près ceux d’un vicaire rural, d’un curé à portion congrue. »

Le grand maître d'école. Estampe de Jean-Jacques de Boissieu (1780)

Le grand maître d’école. Estampe de Jean-Jacques de Boissieu (1780)

Sans doute, l’organisation de l’enseignement à ses divers degrés, due surtout à l’initiative privée et aux pouvoirs locaux, était imparfaite. Des réformes s’imposaient ; l’opinion publique avait formulé ses vœux à cet égard dans les cahiers ; le clergé, les corporations enseignantes elles-mêmes étaient en tête du mouvement. Mais au lieu de restaurer et d’agrandir, on démolit. Au lieu d’améliorer, on détruisit. On engloutit dans la banqueroute universelle, au profit de spéculateurs sans scrupules et de politiciens véreux, des biens patiemment accumulés et fidèlement employés à leur destination spéciale. On persécuta, on dispersa un personnel, en majorité honnête, intelligent et tout prêt à concourir aux réformes sérieuses et pratiques, rapporte l’abbé Allain dans L’OEuvre scolaire de la Révolution. « Tout ce grand établissement, dit Taine dans Le Régime moderne, a péri, corps et biens, comme un navire qui sombre : les maîtres ont été destitués, bannis, déportés, et proscrits ; les propriétés ont été confisquées, vendues, anéanties. »

De tous les décrets et lois faits par la Convention en vue de réorganiser l’enseignement primaire, trois seulement furent appliqués : le décret Bauquier, du 29 frimaire an II (19 décembre 1793) ; le décret Lakanal, du 27 brumaire an III (17 novembre 1794) ; la loi Daunou, du 3 brumaire an IV (24 octobre 1795).

L’application du décret de frimaire an II ne donna que des résultats déplorables. Grégoire les constata en ces termes à la tribune de la Convention : « L’éducation nationale n’offre plus que des décombres ; il nous reste vingt collèges agonisants : sur près de 600 districts, 61 ont quelques écoles primaires, 16 seulement présentent un état qu’il faut trouver satisfaisant, faute de mieux. Cette lacune de six années a fait presque écrouler les mœurs et la science. » (Moniteur du 9 vendémiaire an III)

Sous l’empire du décret de brumaire an III, la situation fut loin de s’améliorer. Voici à cet égard deux témoignages qui ne sont pas plus suspects que celui de Grégoire. Barailon disait, aux Cinq-Cents, le 1er frimaire an VI : « Les commissaires envoyés dans les départements vous diront que, quoique l’instruction fût gratuite, les écoles de campagnes n’en étaient pas moins désertes pendant l’été et qu’il ne s’y rendait que très peu d’élèves pendant l’hiver. Ils vous diront que la nation n’en recueillit aucun fruit. » (Moniteur du 2 frimaire an VI) Dans un rapport de messidor an IV, le ministre de l’intérieur Benezech avait déjà constaté que « le plan Lakanal n’avait eu aucun succès. »

Le « plan Daunou, » la loi de brumaire an IV, n’échoua pas moins misérablement. On lit dans un rapport émané du ministère de l’intérieur ; « L’établissement des écoles primaires a été jusqu’ici presque partout sans succès. » Les conclusions d’un autre rapport ne sont pas moins défavorables : « Les écoles primaires sont presque partout désertes... Les instituteurs sont presque partout des hommes sans mœurs, sans instruction, et qui ne doivent leur nomination qu’à un prétendu civisme qui n’est que l’oubli de toute moralité et de toute bienséance... »

La petite école : le maître enseigne séparément à chaque élève, les filles étant installées dans un coin de la classe, à l'écart des garçons qui eux disposent d'une table pour écrire. Gravure du XVIIIe siècle

La petite école : le maître enseigne séparément à chaque élève, les filles
étant installées dans un coin de la classe, à l’écart des garçons qui eux disposent
d’une table pour écrire. Gravure du XVIIIe siècle

Les écoles établies sous le régime de la loi de l’an IV furent en très petit nombre, les instituteurs, les locaux et les élèves firent partout défaut et si, de 1795 à 1802, l’instruction primaire ne périt pas tout à fait dans notre pays, on le dut presque uniquement aux écoles libres et chrétiennes qui se rouvrirent en quelques endroits et que le Directoire, pourtant, persécuta de son mieux, voulant à tout prix conjurer la ruine de l’enseignement officiel : il employa tous les moyens, les procédés inquisitoriaux, la violence, la proscription, la mise hors la loi, non seulement des maîtres, mais des élèves. Une minutieuse inquisition fut exercée de toutes parts, et d’innombrables écoles furent fermées. On n’en continua pas moins à fuir l’école où l’on enseignait « la morale républicaine » fixée par la loi de brumaire an IV.

Les idées de Robespierre et de Danton sur les droits du père de famille en matière d’éducation illustrent ce qu’était cette morale républicaine. « La patrie, disait Robespierre, a seule droit d’élever ses enfants. Elle ne peut pas confier ce dépôt à l’orgueil des familles ni aux préjugés des particuliers, aliments éternels de l’aristocratie et d’un fédéralisme domestique qui rétrécit les âmes en les isolant » (Séance du 18 floréal an II, 7 mai 1794). Danton ne parlait pas autrement que Robespierre : « II est temps de rétablir ce grand principe, qu’on semble trop méconnaître : que les enfants appartiennent à la république avant d’appartenir à leurs parents... Qui me répondra que les enfants, travaillés par l’égoïsme des pères, ne deviennent dangereux pour la république ?... Et que doit donc nous importer la raison d’un individu devant la raison nationale ? » (Séance du 22 frimaire an II, 12 décembre 1793)

Ce que disait Danton à la tribune de la Convention, le 12 décembre 1793, le député Bérenger le répétait à la tribune du conseil des Cinq-Cents, le 13 octobre 1797, déclarant, aux applaudissements de l’Assemblée, que « si les enfants appartenaient encore aux parents, ce n’était que par l’effet d’un préjugé généralement répandu. » Aussi bien, qu’était l’autorité paternelle, sinon un préjugé, que la Révolution avait détruit comme tous les autres ? Cambacérès, dans la séance de la Convention du 22 août 1793, n’avait-il pas fait, au nom du comité de législation, un rapport sur le code civil où se trouvait ce passage : « La voix impérieuse de la raison s’est fait entendre ; elle a dit : Il n’y a plus de puissance paternelle ! »

La Convention avait proscrit tous les livres d’enseignement qui rappelaient l’Ancien régime. Il fut défendu d’enseigner l’histoire de France, la république reconnaissant ainsi qu’entre la France et elle il n’y avait rien de commun ; on fit des perquisitions pour saisir et détruire les Bibles (Correspondance de Madame Campan).

 
 
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