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La faute d'orthographe ou le nivellement par le bas du français

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Faute (La) d’orthographe
ou le nivellement par le bas
du français
(Source : Le Figaro)
Publié / Mis à jour le lundi 8 janvier 2018, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 2 mn
 
 
 
Le niveau du français a baissé ces dernières années. L’individu francophone ayant subi depuis deux ou trois générations « une mithridatisation au pédantisme ». Le chroniqueur du Figaro Claude Duneton (1935-2012) analysait ce phénomène avec humour

Je faisais la queue devant les guichets du RER, à la gare du Nord, à Paris, lorsque j’avisai une pancarte bleue, posée sur un pied à la manière d’un instrument de musique, qui disait : « Patientez ici qu’un guichet se libère. » Bizarre formulation ! Patienter n’est pas un verbe transitif : on ne patiente pas quelque chose, ou quelqu’un. On patiente cependant quelques minutes, mais on ne patiente pas son copain — on ne patiente pas qu’il arrive. On l’attend !

La gare du Nord est une gare internationale, la plus achalandée de France paraît-il, avec près d’un million de voyageurs chaque jour. La foule canalisée par des sangles bleues parlait des tas de langues diverses, je me suis cru un instant projeté en pays étranger avec cette pancarte insolite où l’on avait substitué « patientez que » à l’ordinaire « attendez que »... Qui donc a écrit cette ânerie ? Qui a fabriqué les pancartes (il y en avait plusieurs) ? Qui les a installées devant les guichets ? Sûrement pas le même employé.

Il est curieux que dans une entreprise d’État de l’envergure de la SNCF il n’y ait personne qui sache suffisamment le français — des ingénieurs, des chefs de secteur, que sais-je ? — pour faire corriger une erreur aussi grossière qui ne donne pas une haute idée du niveau d’instruction du personnel, pourtant recruté sur concours. Quelle gêne !

Le seuil du tolérable s’est abaissé
Faut-il voir là un exemple caricatural de ce que Pierre Merle décrit dans un livre comme étant du français mal-t-à-propos (L’Archipel) ? Il désigne sous ce vocable emprunté aux liaisons mal placées que faisaient les anciens ignorants : « un français mal bâti, mal fagoté, perdant comme à plaisir sa grammaire, son orthographe, son légendaire sens des nuances et le reste, un français d’à-peu-près » ?... Il est parfaitement exact que le seuil de ce qui est tolérable s’est beaucoup abaissé au cours des quarante dernières années. L’idée même de faute de français s’est progressivement effacée à cause de la connotation moralisante du mot « faute », qui l’a fait bannir du vocabulaire des gens avisés dans une société où la notion de morale est finalement rendue suspecte.

Le bonnet d'âne. Chromolithographie d'Agnès Richardson

Le bonnet d’âne. Chromolithographie d’Agnès Richardson

Toute « déviance » devient donc normale, ou même enrichissante selon certains : un mot pris pour un autre — chose qui, naguère, faisait sursauter l’auditeur — ne trouble plus personne, tant l’idée que rien n’a d’importance s’est répandue dans le public français. L’autre jour, une amie a entendu à la radio un journaliste dire sans se reprendre : « Le témoin a déclaré sans encombre » — il voulait dire sans ambages. Une autre personne expliqua lors d’une cérémonie qu’elle venait « pour le recueil », au lieu de « se recueillir »... On pourrait compter des centaines de ces distorsions lexicales dont nul ne fait plus cas. C’est ce que Pierre Merle appelle benoîtement les fautes tranquilles ; « le garçon que je vous parle » ne fait plus réagir, pas plus que « la ville dont je suis allé ».

Du moment que l’on discerne ou devine le sens, quelle importance ?
L’auditeur sent bien (pour l’instant !) que quelque chose cloche, mais il ne s’estime plus autorisé à intervenir par crainte, le plus souvent, de se trouver politiquement indésirable. Et puis, du moment que l’on discerne ou devine le sens, quelle importance ? Vive l’évolution ! s’écrient certains linguistes friands de nouveauté. Bien sûr, mais c’est de cette manière aussi qu’une langue évolue à petit feu vers sa fin...

Il est malaisé d’analyser les raisons de cette résignation massive. À l’évidence, l’affaiblissement de l’enseignement lui-même, par abandon calamiteux des exercices de grammaire pratique, indispensables à la maîtrise du français, joue un rôle déterminant. Les grammairiens ont laissé la place aux « linguistes », qui sont des gens que tout amuse et instruit. Les linguistes sont comparables à des amateurs d’émotions fortes qui regardent un enfant se noyer sans faire un geste pour lui porter secours, tant le mécanisme de la noyade — l’enfant crie, fait des gestes désordonnés — leur paraît fascinant à observer.

Il y a, à mon avis, une lente érosion du sens des mots et des phrases que l’on peut attribuer à l’habitude qu’ont prise les gens normalement lettrés de ne plus chercher à comprendre dans le détail. Pourquoi ? Parce que depuis un demi-siècle on a trop abusé du charabia pseudo-scientifique, qui s’est propagé comme un chancre mou dans tous les domaines de la vie courante. L’individu de langue française subit depuis deux ou trois générations une mithridatisation au pédantisme. À force de ne comprendre qu’à moitié, il s’est empoisonné le cerveau !

Claude Duneton
Le Figaro

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