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Scénarios de films : opinions de célébrités littéraires et du cinéma. Art cinématographique

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Scénarios de films : opinions de
célébrités littéraires et du cinéma
au début du XXe siècle
(D’après « Le Film », paru en 1919)
Publié / Mis à jour le dimanche 21 octobre 2018, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 11 mn
 
 
 
En 1919, et cependant que la cinématographie, née de l’invention française des frères Lumière, est déjà devenue une industrie dont les Américains sont les fers de lance, paraît au sein de la première revue grand public fondée en 1914 — Le Film — et consacrée à ce qui sera désigné quelques années plus tard comme le septième art, un article livrant « quelques avis autorisés » de grands noms des milieux littéraire et cinématographique, sur les conditions que devront, à leurs sens, remplir à l’avenir les scénarios des films : les producteurs Charles Pathé et Léon Gaumont, les réalisateurs André Antoine et Louis Feuillade ou encore l’acteur René Navarre, s’expriment sans détour.

Voici l’avis de Georges Lecomte (1867-1958), président de la Société des Gens de Lettres depuis 1908, qui songea au rôle considérable que le cinéma jouerait en s’associant les écrivains à son œuvre :

« Malgré les imprudences par lesquelles on l’a rendu suspect à beaucoup de braves gens et on a risqué de compromettre son essor, je garde une foi entière en l’avenir du cinématographe. C’est un art neuf où l’on peut faire œuvre de beauté et où trop souvent jusqu’ici on n’a donné que bassesse et laideur. Si littérairement de trop nombreux films, criminels ou d’une vulgarité choquante — et presque toujours les deux à la fois — n’ont été qu’autant d’offenses au bon goût, au sens moral, à la raison, je suis frappé et charmé des grands progrès techniques réalisés depuis quelques années.

« On a calomnié le cinéma en le ravalant à des monstruosités. On a donné sur son compte des idées fausses au public, en l’habituant trop à n’y venir chercher que de la violence et des spectacles de sang. L’aventure n’est pas nécessairement criminelle. Nos grands romanciers d’action, un Alexandre Dumas, un Paul Féval par exemple, ont ému et séduit l’immense foule par d’ingénieuses péripéties qui enchantaient l’imagination sans avilir, ni démoraliser, ni corrompre le public. C’est dans cette voie-là que peut s’orienter le film d’aventure.

« Et pourquoi donc le cinéma ne s’accommoderait-il que d’aventures vertigineuses ? Pourquoi donc l’intensité d’effets qui est sa caractéristique, ne s’appliquerait-elle pas à de beaux drames simplement, sincèrement et sobrement humains ?

« Il naîtra de grands auteurs cinématographiques qui, devant les spectacles de la vie ou les trouvailles de leur imagination ne penseront à les traduire que par les moyens du cinéma. Jusqu’à présent nous n’avons guère eu que des romanciers et dramaturges qui, formés à l’école du Théâtre ou du Livre, n’ont pensé au cinématographe que subsidiairement. Attendons avec confiance le Victor Hugo ou le Balzac du cinéma. Et pour leur permettre de se produire le jour où ils viendront, pour ne pas rendre impossible la première représentation de quelque Hernani du film, essayons de guérir la foule de son intoxication actuelle par les scénarios au vitriol, et ainsi de vaincre les préventions, les colères et les méfiances à l’égard du cinéma ! »

Jules Mary (1851-1922), écrivain et feuilletoniste qui créera en 1919 au sein de la Société des Gens de Lettres une « commission du cinéma », s’exprime ainsi sur le même sujet :

« Vous me demandez quelles sont mes idées sur la façon dont on doit composer un scénario cinématographique. C’est une très grosse besogne que vous m’imposez là. J’y aurais fait face si j’avais estimé que mes indications pussent être utiles. Or, elles ne le seraient pas. Le film français n’existant plus pour le quart-d’heure, il me semble parfaitement oiseux d’entretenir des gloses sur ce qu’il pourrait être. Plus tard, je ne dis pas. Attendons les temps meilleurs à une résurrection que je souhaite, sans la pressentir.

« Tout de même, je donnerai un conseil qui rappellera l’histoire de ce capitaine voulant-montrer à une recrue comment on tire à la cible. Il prend le fusil et rate coup sur coup. « Voila comme tu fais ? Et voilà comme il ne faut pas faire ! » Sur cent scénarios qui nous arrivent de tous les coins du monde, courts ou longs, vous admettez, n’est-ce pas ? qu’il y a quatre-vingt dix d’exécrables ? neuf qui sont tout à fait médiocres et un qui peut aller ?

« Eh bien, je dirai aux confrères : « Voilà comme ils font là-bas... Et voilà comme il ne faut pas faire ! » Mais je ne leur dirai pas : « Voilà comme il faut faire !... » J’aurais trop peur de rater la cible !...

« Vous me demandez également quels sont les moyens pratiques d’amener les auteurs à collaborer à la rénovation du film français. La question est mal posée. Ce n’est pas aux auteurs qu’elle doit s’adresser, mais aux maisons d’édition. Lorsque les éditeurs voudront travailler, ils trouveront des auteurs et lorsqu’ils voudront payer les scénarios autrement que comme une marchandise au rebut, ils trouveront des scénarios excellents.

Charles Pathé

Charles Pathé

« Ce n’est pas la quadrature du cercle, comme vous voyez. Mais n’ai-je pas entendu certain jour, en pleine réunion syndicale, un éditeur s’écrier : « Pour moi, les auteurs n’existent pas ! » Belle parole qu’il faut retenir. En attendant, le film français agonise, s’il n’est pas mort. »

A une telle enquête, Charles Pathé ne pouvait pas ne pas répondre, lui qui avait déjà attiré dans cette même revue Le Film l’attention du public sur l’importance prépondérante que devait prendre le scénario.

« Vous désirez connaître mon opinion : 1° Sur la question des scénarios ; 2° Sur celle des sujets à traiter ; 3° Et enfin sur la crise du film français.

« J’ai déjà dit et écrit tant de fois, dans votre journal et ailleurs, l’importance capitale que présentait le scénario — qui tient en réalité la première place dans la valeur concrète et définitive d’un négatif que j’estime vraiment superflu de recommencer. De même pour les sujets que les scénarios devraient traiter de préférence. Ils sont si nombreux, que je résumerai mieux ma pensée en procédant par exclusion :

« En plus des situations refusées par la censure, les scènes de ménage et couchage à trois, et celles où l’assassinat et le suicide sont plus ou moins sanctifiés par l’amour, pourraient sans inconvénient pour notre marché ; et surtout pour ceux de l’étranger, être suspendues pendant quelques années.

« Quant à la troisième question, qui est à la fois la plus simple, la plus importante et la plus sérieuse, qui au point de vue du remède à employer pose le problème le plus difficile à résoudre, même pour les professionnels, et qui est absolument hors de la compétence des nombreux dilettantes de notre industrie ; lesquels persistent à opposer des phrases et des formules élégantes à des chiffres, elle s’explique comme suit :

« Du fait que nous n’avons plus l’avance industrielle qui nous a permis — au début du cinématographe qui a pris naissance en France — d’être les plus grands exportateurs de films et d’appareils cinématographiques du monde, la capacité de consommation de chaque pays constitue le facteur le plus important de la production respective de chaque nation, ou encore plus exactement de chaque race.

« Cette définition s’applique avec plus de rigueur dans notre industrie que dans n’importe quelle autre, du fait de la facilité qu’offre le transport des films, lesquels, sous un faible volume et sur une matière première d’un prix infime par rapport à ce qu’elle recèle, acquittent dans tous les pays des droits de douane insignifiants étant donné la valeur réelle des négatifs dont les positifs sont extraits. J’ajoute que, au point de vue de l’intérêt général du cinématographe, l’application du principe de la réciprocité des droits de douane serait inopérante et qu’il serait désastreux d’élever le taux de ces droits à un chiffre exorbitant.

« Ceci dit, et en plus des 10 000 exhibiteurs anglo﷓saxons répartis sur le globe, lesquels — toutes choses égales — préfèreront toujours la production américaine à toute autre, il y a : 20 000 exhibiteurs américains qui réalisent 1 200 000 de francs de recettes annuelles sur le territoire des Etats-Unis et qui, au point de vue de la capacité possible de production de négatifs français s’opposent à 1 300 exhibiteurs français qui n’encaissent que 90 000 de francs environ. Dans un an ou deux, les exhibiteurs allemands réaliseront, de leur côté, 3 à 400 000 de francs et les français atteindront de 120 à 150 000.

« Voilà ce qui explique ce que vous appelez la crise du cinématographe français, qui n’est pas près d’être solutionnée, et combien sont peu sérieux ceux qui proclament que la décadence de notre industrie résulte de l’inertie des éditeurs français. Et à ce sujet, trop de gens persistent à confondre l’éditeur avec le producteur-auteur de négatifs et à rendre le premier responsable des œuvres insuffisantes en quantité ou en qualité mises sur le marché. Il faudrait bien que tout le monde sache que, de plus en plus, l’éditeur. cinématographique, par rapport au producteur de négatifs, aura la même relation que l’éditeur en librairie ou en musique avec l’écrivain ou le compositeur, qui est son fournisseur.

« Le succès sans précédent en librairie du livre Le Feu, consacre effectivement les mérites de Barbusse et non ceux de son éditeur ; et je n’aurais pas beaucoup plus de mérite que Choudens lorsqu’il a édité Faust, de Gounod, parce que je vais éditer prochainement le chef-d’œuvre cinématographique J’accuse, de mon jeune ami Abel Gance. Il a pu en être autrement jadis, mais c’est ainsi qu’il en est déjà dans le présent et ce distinguo, en ce qui me concerne du moins, se précisera de plus en plus dans l’avenir.

« Je suis avec beaucoup de sympathie les efforts de Louis Nalpas qui, ayant fait ses preuves comme directeur artistique, se remet au travail en toute indépendance après avoir produit son admirable film des Mille et une Nuits. Je souhaite vivement qu’il réussisse à édifier son studio-modèle où il appellera tous les producteurs auteurs, qui doivent être indépendants, et qui pourront réaliser leurs scénarios pour les céder ensuite ou les faire éditer par les maisons d’édition. Cette initiative, qui doit réussir, contribuera je l’espère à cette démarcation qui s’impose et qui sera le statut définitif du cinéma. Au producteur-auteur, les honneurs, profits et risques attachés à son œuvre. A l’éditeur, les bénéfices légitimes et normaux que doivent lui assurer ses usines et son organisation commerciale.

« Quant au remède que vous me demandez d’indiquer, étant donné que je considère comme définitif que le nombre des négatifs exportés sera toujours inférieur à celui des négatifs importés, il ne peut être question que d’un palliatif. Et alors il existait dans le projet de consortium que j’ai soumis à mes confrères et qui a échoué. Je présume que cette opinion ne sera pas appréciée par ceux qui continuent à prétendre que le film français peut et doit reprendre la première place qu’il occupait dans le monde.

« J’ai assez longtemps été traité de mégalomane par mes associés du cinématographe pour me résoudre à être considéré comme pessimiste aujourd’hui, mais puisque vous me demandez un avis, je vous dois la vérité, même cruelle. Elle est utile à connaître :

« Le remède radical, la panacée, que vous sollicitez n’existe que dans l’imagination des rêveurs et des poètes. En dehors des quelques sujets ayant pour objet principal l’exploitation d’une actualité, d’une vedette ou d’un artiste national, il faut pour obtenir un succès de considération et d’argent, que le producteur-auteur soigne plus qu’il ne l’a fait jusqu’à ce jour son « scénario » et la mise en scène. Travailler beaucoup pour produire peu, mieux et cher, c’est d’ailleurs la formule que j’ai déjà développée dans mon opuscule. Pour être simple, cela ne veut pas dire qu’elle soit facile à suivre, mais elle n’est pas impossible à remplir. Je connais plusieurs producteurs qui, pour l’avoir mise en pratique, traversent sans en souffrir ce que tout le monde appelle la crise et qui n’est en définitive qu’une évolution. »

Léon Gaumont

Léon Gaumont

Léon Gaumont (1864-1946), fondateur et directeur de la maison qui porte son nom ne peut, lui non plus, se désintéresser d’une question dont il sait l’importance :

« Les éditeurs français n’ont nul besoin d’être amenés à améliorer la situation : leur intérêt étant absolument en conformité avec leurs sentiments nationaux, il n’y a aucun doute qu’ils soient disposés à faire d’eux-mêmes les efforts nécessaires. Mais ils ne le peuvent qu’à la condition d’avoir quelque chance de ne pas compromettre les capitaux français qui leur sont confiés. Or, dans l’état actuel du marché cinématographique mondial qui ne permet à la production française de récupérer qu’une trop faible partie de ses frais de création, son territoire national étant beaucoup trop petit pour les amortir, il y a trop de risques à courir pour les énormes frais que coûte actuellement l’établissement d’un filin.

« Avec les appétits de tous ceux qui concourent à la production des films, appétits aiguisés, il faut bien le dire, par les largesses que peuvent se permettre les Maisons d’Édition Américaines pour les raisons que nous savons tous, la cinématographie, dans les conditions actuelles, n’est plus que de la spéculation et non plus une industrie normale. Mais à notre avis, même avec de bons scénarios, la cinématographie française aura de la peine à sortir de son marasme parce que l’auteur est loin d’être tout et que le metteur en scène importe surtout. Or, celui-ci peut difficilement s’entendre avec l’auteur qui n’est généralement pas cinématographiste et se refuse, néanmoins, la plupart du temps, à laisser modifier son œuvre. D’autre part, si le metteur en scène a trop à faire pour transformer le scénario, il est compréhensible qu’il préfère « tourner » un scénario de son crû.

« Les auteurs qui veulent écrire pour le cinématographe doivent donc être d’abord familiarisés avec cet art. Ils doivent s’astreindre à l’étudier au point d’être au besoin les guides des metteurs en : scène. Mais il est concevable que les éditeurs ne se prêtent pas volontiers à prendre à leur charge l’apprentissage des auteurs. Des essais de ce genre ayant déjà montré combien sont onéreux de tels apprentissages, et combien sont fragiles les espoirs que ces sacrifices, s’ils sont consentis, profiteront par la suite à celui qui les a faits.

« Il est facile à ceux qui ne risquent rien de vouloir donner des conseils aux éditeurs, et de croire que s’ils étaient à leur place ils feraient mieux qu’eux, mais leur assurance tomberait vite dès quelques essais malheureux et ils ne feraient que grossir, par la suite, le nombre des désillusionnés. Nous ne pouvons que leur dire à eux-mêmes, « mais faites donc comme tant d’autres, essayez ! » Quant à nous, nous attendons, en faisant ce que nous pouvons, que les temps soient changés et nous avons bien l’espoir que cela viendra un jour. »

Voici, sur cette question des scénarios, l’opinion d’André Antoine (1858-1943), directeur de théâtre venu en 1915 au cinéma auquel il voua une grande amitié et le meilleur de ses forces :

« Il n’y a, pour moi, aucun doute, tout vient de la faiblesse de nos scénarios, bâtis sur des sujets invraisemblables, prétentieux ou incohérents. Le découpage en est fait au petit bonheur, par des gens que rien n’a préparé à ce travail délicat et artiste. On abandonne un roman ou une pièce célèbres à n’importe qui, d’où les monstres informes et les insanités dont nous abreuvons le bon public.

« Que penseriez-vous d’un directeur qui ferait fabriquer par son régisseur toutes les pièces jouées sur son théâtre ? Tout changera le jour où chacun fera son métier, c’est-à-dire, les écrivains leurs scénarios et les cinématographistes leur mise en scène. On a, jusqu’à présent, cherché à rétribuer les auteurs le moins possible. On pense, à tort, qu’un film, c’est surtout de la photographie ; or, l’exécution n’est qu’un moyen, ce qui importe, avant tout, c’est le sujet. Avec ce système, on en est arrivé à marier Salâmbo avec Matho ! Et tous les jours, nous assistons à des niaiseries de ce genre.

« Tant qu’on n’aura pas nettement séparé la partie littéraire et la réalisation technique, notre production restera fâcheuse. Il faut convenir, du reste, que nous ne sommes point seuls coupables de ces méfaits ; je rentre d’Italie où j’ai vu tripoter des ouvrages illustres avec une ingénuité désarmante, par des gens incapables d’écrire correctement une lettre.

Louis Feuillade

Louis Feuillade

« Pour me résumer, les scénarios devraient être conçus et découpés par un écrivain, un romancier ou un auteur dramatique, et établis par eux « Ne varietur », car, chaque fois qu’un metteur en scène se mêle d’ajouter quelque chose de son crû, il gâche la composition, l’équilibre et la qualité de l’œuvre d’art qu’est un film. Ceci est d’autant plus navrant que, sur ce terrain, la France pourrait prétendre à une vraie supériorité ; le monde entier vit de notre production dramatique et littéraire.

« En attendant, nous perdons un temps précieux à des bavardages stériles, sur nos marchés fermés, sur l’appui que pourraient nous donner les pouvoirs publics, ou sur l’obstruction organisée par nos rivaux. »

Selon Louis Feuillade (1873-1925), dont l’imagination fertile et une expérience consommée l’ont déjà mis à même de produire de nombreuses œuvres à succès au sein de la maison Gaumont, l’art cinématographique « enfant est tyrannique et volontaire comme un jeune prince auquel un beau royaume est promis. On peut constater déjà qu’il supporte mal les grands airs de ceux qui semblent condescendre à venir jusqu’à lui pour imposer à sa turbulence, la discipline de ses aînés. Il n’aime pas qu’on s’estime quitte envers lui si l’on se borne à jeter des idées sur le papier, laissant à des mains étrangères le soin de les exprimer en images, et à d’autres mains encore le soin d’enchaîner ces images les unes aux autres. Il sent bien que les idées ne vaudront que par les images et les images que par leur enchaînement.

« D’où il semble résulter que l’auteur de scénarios doit apprendre à réaliser ses conceptions et à composer lui-même son film, autrement dit le mettre en scène. Ce que l’on appelle, bien improprement d’ailleurs, « la mise en scène », c’est le style et c’est l’orthographe du film. Je sais toutes les objections qu’on peut me faire. On me les a déjà faites lorsque j’ai prétendu — et avant les Américains — qu’il valait mieux former des acteurs de cinéma que d’aller chercher des comédiens célèbres au théâtre. Et on me les a servies quand j’ai prétendu qu’il valait mieux filmer des scénarios écrits pour le cinéma que des adaptations de pièces. Aujourd’hui où la cause est entendue, malgré de rares exceptions, je dis avec la même conviction nous faut des auteurs de films, capables de concevoir leurs scénarios et de les réaliser.

« Mais puisque la collaboration d’un auteur et d’un metteur en scène est encore le cas le plus fréquent et qu’elle fait l’objet de votre lettre, je n’hésite pas à vous répondre que la responsabilité principale du succès ou de l’insuccès incombe au metteur en scène. Le film peut être défini une succession d’images qui s’adressent à nos yeux pour nous donner des sensations. Le véritable auteur est moins, à mon avis, celui qui conçoit ces images dans le rêve que celui qui les fait naître à la lumière dans la réalité. Celui-ci se heurte à toutes les difficultés que rencontre l’animateur de la matière tandis que celui-là ne connaît d’autres limites que celles de son imagination qui peut être infinie. Et l’auteur d’un tableau — n’oublions pas s’agit d’images — n’est pas celui qui en a trouvé motif, c’est celui qui le réalise.

« Maintenant, croyez-vous, Monsieur, que tout ce que l’on peut dire à ce propos ait quelque importance ? Admirez que ceux qui ont crié le plus fort « des canons, des munitions ! » sont présentement à la Santé. Ceux qui n’ont rien dit ont gagné la guerre. Ils travaillaient... si nous faisions comme eux ?

« Car nous supposons, bien entendu, que rien ne s’y oppose et que nous ne manquons de rien. Nos studios sont pourvus de tout ce que nous pouvons souhaiter pour réaliser nos plus beaux trêves ; il n’y a plus de crise de charbon, ni partant d’électricité ; les matériaux, bois, fer, toile à décors, nous arrivent par trains spéciaux ; le matériel électrique abonde ; quant aux produits chimiques pour les laboratoires, vous n’ignorez pas que nous en sommes saturés... Quoi ? Vous prétendez que j’exagère ! Mais alors, si nous manquons de tant de choses depuis bientôt cinq ans, ceci prouve que le scénario français n’est pas si faible de constitution que vous semblez le croire ! Il n’a pas de quoi s’habiller... Et il va tout nu ! »

Quant à René Navarre (1877-1968), qui se vit offrir en 1913 le rôle principal dans les cinq épisodes de la série Fantômas, il s’exprime ainsi :

« Pour qu’un scénario atteigne autant que possible la perfection, il faut qu’il soit conçu pour le cinéma par un auteur qui soit, non seulement lui-même autant que possible au courant des nécessités techniques du métier, mais surtout, il faut que cet auteur collabore de façon très étroite et continue avec le metteur en scène qui l’exécutera et souvent avec l’interprète principal qui en portera tout le poids.

Affiche de lancement de la série des Fantômas (1913)

Affiche de lancement de la série des Fantômas (1913)

« Cette association de talents qui apportent chacun la connaissance profonde de leur partie, permettent à la conception d’être par avance proche de sa réalisation. L’auteur connaît à l’avance et non en voyant son film à l’écran, les objections que « l’homme de l’art » fait à son idée ; il peut les discuter, convaincre ou être convaincu. Le travail cinématographique est véritablement trop complexe pour qu’il n’y ait pas intérêt à cette collaboration. Il est, reconnaissons-le, impossible à un metteur en scène d’écrire ses scénarios. Cela donnera toujours des œuvres incomplètes. Il est néanmoins difficile de se passer de son avis et de le considérer comme une simple machine réalisatrice. La vérité est entre ces deux extrêmes.

« C’est pour ma part ce que j’essaye avec Gaston Leroux et mon collaborateur, pour la mise en scène Violet, de réaliser par un travail commun assidu. Et, sincèrement, c’est très agréable et beaucoup plus intéressant de chercher, de trouver, de créer en bonne compagnie. Je crois que, si mes collègues procédaient sincèrement de même et décidaient des auteurs connaissant bien le public et ayant le sens de l’action visuelle, à travailler de très près avec eux, nous pourrions faire de grands et rapides progrès. »

 
 
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