Événements marquants Evénements ayant marqué le passé et la petite ou la grande Histoire de France. Faits marquants d’autrefois. Premier prix de vertudécerné par l’Académie française :idée germant en 1782 (D’après « Revue du dix-huitième siècle », paru en 1914) Publié / Mis à jour le mercredi 11 octobre 2017, par Redaction Temps de lecture estimé : 4 mn C’est en 1782 que le célèbre d’Alembert, de l’Académie française, transmet au roi Louis XVI la requête d’un anonyme — son nom ne sera révélé qu’en 1821, peu après son décès — désireux de voir la célèbre institution créer un prix de vertu et esquissant les critères encadrant les conditions de remise de cette suprême récompense Le 4 avril 1782, d’Alembert envoyait au roi Louis XVI la lettre suivante : « Au Roi, protecteur de l’Académie française, Sire, un citoyen qui ne veut point être connu, et qui ne s’est nommé qu’au secrétaire de l’Académie, a présenté à la Compagnie le mémoire suivant : « Tous les gens de talent obtiennent des récompenses ; la vertu seule n’en a pas. Il est vrai que si les mœurs étaient plus pures, et les âmes plus élevées, la satisfaction intérieure d’avoir bien fait serait un salaire suffisant du sacrifice qu’exige la vertu ; mais, pour la plupart des hommes, il faut un autre prix : il faut qu’une action louable soit louée ; ces éloges ont été le premier objet des lettres, et c’est en effet la fonction la plus honorable que puisse avoir le génie. « L’Académie française s’est rapprochée de cette institution antique, lorsqu’elle a proposé à l’Eloquence le panégyrique des Sully, des d’Aguesseau, des Fénelon, des Catinat, des Montausier, et d’autres grands personnages. Mais il n’est dans une nation qu’un petit nombre d’hommes dont les actions aient un caractère de célébrité, et le sort du peuple est que ses vertus restent ignorées. Tirer ces vertus de l’obscurité, c’est les récompenser et jeter dans le public la semence des mœurs. « Pénétré de cette vérité, un citoyen supplie l’Académie française d’agréer la fondation d’un prix dont l’objet et les conditions vont être expliqués. « 1° L’Académie française fera tous les ans, dans une de ses assemblés publiques, lecture d’un discours qui contiendra l’éloge d’un acte de vertu. « 2° L’auteur de l’action célébrée, homme ou femme, ne pourra être d’un état au-dessus de la bourgeoisie, et il est à désirer qu’il soit choisi dans les derniers rangs de la société. « 3° Le fait qui donnera matière à l’éloge se sera passé dans l’étendue de la ville et de la banlieue de Paris, et dans l’espace des deux années précédentes ; à l’éloge seront jointes des attestations de la vérité du fait. On choisit Paris, parce que, l’Académie, y étant établie, a plus de facilité de vérifier les faits ; d’ailleurs, nulle part, les mœurs du peuple n’ont plus besoin de réforme que dans les capitales. « 4° Le discours sera en prose, parce que c’est l’idiome de la vérité, et il ne sera pas de plus d’un demi-quart d’heure de lecture ; un temps plus long ne serait employé qu’à des dissertations étrangères à l’objet de l’institution. « 5° La fondation sera de 12 000 livres, et l’intérêt de cette somme sera employé à payer deux médailles, dont l’une pour l’auteur du discours, l’autre, pour l’auteur de l’action célébrée. « 6° Cette somme de 12 000 livres sera placée en rente viagère sur la tête du Roi et sur celle de Monseigneur le Dauphin, et l’éloge prononcé sera présenté à ce jeune prince ; ainsi ses premiers regards seront portés sur cette classe d’hommes éloignée du trône, et il apprendra de bonne heure que parmi eux il existe des vertus. » Puis d’Alembert reprend : « L’Académie française, avant de demander à Votre Majesté la permission d’accepter ces offres, a cru devoir proposer au donateur les changements qui suivent : 1° Le discours ou récit sera fait par le Directeur de la Compagnie ; 2° L’Académie ne pourrait accepter la donation, s’il y avait quelque chose qui lui fût personnel, ou à quelqu’un de ses membres. En conséquence, l’intérêt de la somme sera entièrement employé à payer une seule médaille — elle représentait Minerve debout, tenant une couronne de laurier, et sur l’autre, cette inscription : Prix de vertu, entourée d’une couronne civique. Gatteaux, qui en était l’auteur, ne voulut recevoir aucune rétribution —, qui sera donnée pour prix de l’acte de vertu. « Le donateur, ayant adopté les changements proposés par l’Académie, elle supplie Votre Majesté de vouloir bien lui permettre d’accepter cette donation ». Jean-Baptiste de Montyon, instigateur du prix de vertu de l’Académie française Louis XVI approuva les conclusions de cette lettre. A la séance solennelle du 25 août de la même année, en qualité de secrétaire perpétuel, le grand savant annonça que deux nouveaux prix — en 1780, Montyon avait donné à l’Académie des sciences douze mille francs dont la rente devait être employée en expériences et en prix — avaient été fondés par un inconnu, l’un pour le meilleur ouvrage relatif aux droits de l’homme et du citoyen, qui aurait paru dans l’année — il n’y eut pas lieu de décerner ce prix en 1783, pas plus qu’on ne put décerner le prix d’Éloquence, dont le sujet était l’éloge de Fontenelle — ; l’autre, pour la meilleure action qui aurait été faite. L’année suivante, à la même date, la vertu, pour la première fois, fut officiellement récompensée. « Dans la tribune du directeur, dit Bachaumont, au lieu des hautes et puissantes dames qui l’occupaient d’ordinaire, on remarquait « une femme de trente-cinq à quarante ans, assez laide, vêtue en ouvrière endimanchée, accompagnée d’autres femmes et d’hommes du même genre groupés autour comme ses parents, ses amis ou ses camarades, et cependant, la faisant distinguer par l’espèce de vénération qu’ils lui portaient. Ce n’est que dans le courant de la séance que le public a été pleinement instruit qui elle était et pourquoi elle venait ». Chargé du rapport, le directeur Boisgelin, archevêque d’Aix, fit connaître que la femme Lespalier, sur quatre personnes proposées, avait paru la plus méritante ; « que c’était une garde-malade jugée par l’Académie avoir fait l’action la plus vertueuse en rendant à une femme de condition pauvre, alitée, auprès de laquelle elle avait été appelée, des services aussi tendres qu’assidus, et en se portant même pour elle à des sacrifices d’une générosité rare ». On ne tarda pas à apprendre que cette personne de condition pauvre n’était autre que Mme la comtesse de Rivarol. Elle était comtesse de par la grâce de son mari, qui eût été bien en peine de montrer ses parchemins ; en réalité, c’était une sorte d’intrigante, fille de Flint, maître de langue anglaise. Beaumarchais aurait pu montrer les lettres qu’elle lui écrivait pour le fatiguer de ses demandes d’argent. Le ménage — il était ou allait être dissous, Rivarol ayant vite abandonné sa femme — se montra furieux contre l’Académie « qui sans les nommer, les a désignés de façon à ce qu’ils n’aient pu être méconnus, et le bruit court qu’ils veulent intenter un procès au directeur » (Bachaumont). « Ces Messieurs, dit Grimm de son côté, ont dédaigné les plaintes et les menaces de M. Rivarol. » Mais il y avrait un académicien qui devait se trouver suffisamment vengé, l’auteur du poème des Jardins, l’abbé Delille — enfant naturel — qui avait toujours sur le cœur ce vers cruel de la fable de Rivarol, le Chou et le Navet, dirigée contre son ouvrage : « Ma feuille t’a nourri ; mon ombre t’a vu naître. » De 1782 à 1790, le prix de vertu fut adjugé dix fois, car il y eut des années où il y en eut plus d’un à décerner. Le généreux anonyme était le baron Jean-Baptiste de Montyon, né en 1733 et qui d’avocat était devenu maître des requêtes au Conseil d’État avant d’être nommé intendant de diverses provinces puis chancelier de Monsieur, frère du roi en 1780. En 1819, par une nouvelle fondation, et toujours sans se faire connaître, il rétablit le prix de vertu. Daru, le 24 avril, l’annonce en ces termes : « Il y près de quarante ans qu’un anonyme, dont nous devons respecter le secret, mais en qui nous serions bien sûrs de trouver un excellent citoyen et un homme éclairé, conçut l’heureuse idée d’offrir un encouragement à la vertu méritante. On voit qu’il savait aussi en offrir l’exemple. » M. de Montyon mourut le 29 décembre 1820. En 1821, le 25 août, Charles de Lacretelle lisait une notice sur lui, louait sa générosité en révélant officiellement son nom et faisait connaître les derniers traits de bienfaisance consacrés par son testament. 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