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Lieux d'histoire. Café Anglais à Paris (1802-1913), lieu de rendez-vous du Tout-Paris d'antan

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Lieux d’Histoire
Origine, histoire de nos villes, villages, bourgs, régions, châteaux, chapelles, moulins, abbayes, églises. Richesses historiques de France
Café Anglais : lieu de
rendez-vous du Tout-Paris d’antan
(D’après « Le Gaulois », paru en 1910)
Publié / Mis à jour le lundi 19 février 2024, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 4 mn
 
 
 
Qu’est cela ? Le Café Anglais va-t-il disparaître ? s’interroge en 1910 un chroniqueur du Gaulois qui, cependant que l’immeuble abritant ce lieu célèbre est mis en vente, retrace l’épopée de cet établissement ouvert en 1802 et dont le nom est un hommage au traité de paix d’Amiens signé cette année-là avec l’Angleterre, fréquenté dans un premier temps par des cochers et des domestiques, avant qu’acteurs et actrices populaires y acquièrent leurs habitudes, puis qu’y passent chefs d’Etat et autres personnalités du monde politique

Ce serait le dernier coup porté au boulevard des Italiens, s’insurge notre chroniqueur. Il n’y a plus de Maison Dorée, plus de Helder, plus de Tortoni ; la librairie Achille a quitté le boulevard pour la rue Laffitte ; si le Café Anglais venait à disparaître, le boulevard ne serait plus le boulevard, Paris ne serait plus Paris !

Qu’on se rassure ! La maison seule va être mise en vente prochainement ; le Café Anglais a un bail et aucun propriétaire nouveau ne voudrait se priver d’un tel locataire. Quel est l’armateur qui, achetant un navire, se priverait volontairement du capitaine qui en fait le succès ? Le Café Anglais ne disparaîtra pas — le célèbre restaurant fermera pourtant trois ans plus tard. C’est une institution dans Paris, et une institution plus ancienne. et plus solide que toutes nos Constitutions, poursuit le journaliste. Il date, en effet, d’avant la Révolution (de 1848). Les gouvernements, les Constitutions ont passé, et le Café Anglais demeure.

Et pourtant il porte de bien fâcheux numéros : 13, boulevard des Italiens, et 13, rue de Marivaux. Encore un désappointement pour les gens superstitieux, car la fortune du Café Anglais n’a pas connu d’interruption. Quand nous disons « les fastes du Café Anglais », le mot n’est pas trop fort, car ce restaurant a connu fastueusement tous les chefs d’Etat, tous les hommes les plus en vue du monde et de la politique. Si ses murs pouvaient parler, ils raconteraient des choses bien intéressantes.

Fort heureusement ils n’ont même pas d’oreilles. Ils n’ont pas d’oreilles, mais le boulevard en a, et ses échos redisent toutes les folies d’autrefois, toutes les fredaines de ce que l’on appelait « la jeunesse dorée », tous les dîners discrets qu’y ont faits de hauts personnages dont nous allons parler.

L’immeuble fut bâti à peu près à la même époque que l’ancien Opéra-Comique, sur les jardins du duc de Choiseul dont l’hôtel était de l’autre côté du boulevard. En 1816 le Café Anglais, qui était déjà célèbre, fut vendu avec la maison à M. Chevreuil, dont la fille et le gendre ont quitté le restaurant après 1848 et ont conservé l’immeuble jusqu’à la fin du XIXe siècle. Vers le commencement du Second Empire, le Café Anglais fut acheté par M. Delhomme, qui en est resté le propriétaire et le directeur jusqu’en 1879, avec le célèbre Ducléré comme chef des cuisines. Il sortait de la maison du baron James de Rothschild. C’est dire que M. Delhomme a connu ce qu’on a appelé « la grande fête », les beaux jours du Grand 16, le salon de coin au premier étage, qui a encore ses meubles tendus de damas rouge.

Le Café Anglais situé boulevard des Italiens, en 1877

Le Café Anglais situé boulevard des Italiens, en 1877

Les soupers constituaient alors la grande vogue du Café Anglais. Quantité de membres des cercles les plus élégants de l’époque fréquentaient le Grand 16, après la sortie des théâtres, et c’était là comme un autre cercle encore plus fermé. Citons M. Paskiewitz, le comte Tolstoï, le duc de Grammont-Caderousse, le comte Charles et le comte Robert de Fitz-James, lord Hamilton, le duc de Rivoli, devenu prince d’Essling ; le capitaine de Galliffet, quand il était à Paris ; M. Bryan, un des plus gais de la bande joyeuse, qui avait coutume, après souper, de verser une bouteille de curaçao dans le piano pour que lui aussi eût sa part du festin ; M. Max Foy, le marquis de Caux, avant son mariage avec Mme Patti ; le baron de Courvat, M. Pietri, devenu secrétaire des commandements de l’impératrice Eugénie, fidèle entre les fidèles ; le prince Poniatowski, écuyer de l’Empereur ; les barons François et Antonio d’Ezpeleta, le marquis de Saint-Sauveur, M. Ashton Blount, le comte de Saint-Priest et d’autres encore qui sont devenus de graves personnages.

La plupart de ceux que nous avons cités ont disparu, ajoute notre chroniqueur ; les survivants ne s’offusqueront pas des souvenirs de leur jeunesse dont les folies n’ont jamais fait de mal à personne, même lorsqu’ils jetaient la vaisselle par les fenêtres. On avait soin de la leur donner de second ordre.

Il y avait pour leur service un maître d’hôtel hors ligne, le fameux Ernest, qui a laissé des mémoires, tout comme s’il avait joué un grand rôle. Superbe, toujours rasé, il connaissait tout le monde, et, quoi qu’il vît, quoi qu’il entendît, il restait correct, impassible, discret. C’est lui qui logea la comtesse de Castiglione, après la guerre, au-dessus du Café Anglais, alors qu’elle voulait vivre à Paris incognito. Il était seul à la servir.

Vers 1868, la bande joyeuse abandonna le Grand 16 pour le Grand 6 de la Maison Dorée. Là vinrent quelques jeunes qui arrivaient à la vie : le comte Hallez-Claparède, le baron de Heeckeren, M. Alfonso de Aldama, le prince Achille Murat.

Les dîners du Café Anglais avaient été non moins célèbres sous le Premier Empire. Toutes les plus hautes personnalités étrangères, souverains, princes, grands-ducs, ministres, hommes d’Etat y passèrent tour à tour. Napoléon III y vint plus d’une fois incognito ; il y eut en 1867 le fameux dîner appelé des « trois empereurs », parce qu’il y avait là l’Empereur de Russie, son fils le Tsarévitch qui fut Alexandre III, et le Roi de Prusse qui devint, en 1871, l’Empereur d’Allemagne.

Bismarck vint souvent dîner au Café Anglais lorsqu’il était représentant de la Prusse, et en 1867, lorsqu’il était ministre. Le prince de Galles, le roi de Suède, le prince d’Orange étaient parmi les plus assidus ; Edouard VII y est revenu dîner avec la Reine lors de leur dernier séjour à Paris. La reine Isabelle y venait parfois dîner avec sa maison, laissant sa voiture un peu plus loin, pour ne pas être reconnue. Li-Hung-Chang y fit en nombreuse compagnie un dîner des plus fastueux. Le roi Milan était un des meilleurs clients. Tous les menus sont conservés comme trophées.

Ducléré inventait des mets nouveaux pour les clients de choix : les pommes Anna, le potage Germiny, la barbue Ducléré, le potage à la Milanaise, le poulet à la d’Albufera.

La guerre mit fin à la vie joyeuse, et le Café Anglais supprima les soupers, sauf les jours de bal à l’Opéra, pour se consacrer uniquement à la grande cuisine. Léon Létain succéda à Ducléré en 1877 et conserva la queue de la poêle jusqu’en 1907. Lui aussi fut un grand cuisinier. M. Delhomme était mort en 1879. Pour faire vivre le Café Anglais, une société se forma au capital de deux millions et demi, composée de grands financiers, MM. Heine, comte de Camondo, Alphen et Denières. M. Vidal fut directeur, puis M. Bourdel qui racheta le restaurant en 1893.

On ne peut plus nommer les habitués de huit heures du soir. C’est un kaléidoscope où passe la clientèle la plus élégante des grands cercles, beaucoup d’Anglais, d’Autrichiens et d’Américains. Nous ne pouvons que mentionner deux dîners qui ont lieu le premier et le second vendredi de chaque mois, le dîner des Débats, qui s’appelle maintenant le dîner Galliffet, en souvenir du général, et le dîner Bixio, ou de l’Académie.

Mais on peut citer les habitués du déjeuner. Les agents de change y viennent de bonne heure, avant la Bourse, dans la salle du bas. Là aussi il y eut longtemps une table célèbre où s’asseyaient à l’heure du dîner : le vicomte Daru, le comte Delamarre, le prince Soltykoff, le marquis de Scépeaux, le comte de Germiny, à qui Ducléré avait dédié un potage, et dont le fils continue la tradition au Café Anglais.

Une autre réunion de Parisiens se tenait alors au Café Foy, à l’heure du déjeuner. Elle émigra chez Bignon, avenue de l’Opéra, et vint au Café Anglais vers 1897. C’était : M. Gaiffe, M. Ambroise Janvier de la Motte, le comte Salles, M. Paulze d’Ivoi, M. Reitlinger, M. Edmond Veil-Picard, M. de Marcuard, M. Cottu.

Les salons du Café Anglais sont restés, à peu de chose près, ce qu’ils étaient sous l’Empire ; l’un d’eux avec une boiserie de citronnier et du cuir de Cordoue. Mais la grande curiosité du Café Anglais, ce sont les caves qui s’étendent sous trois immeubles, avec un petit chemin de terre pour le transport des bouteilles.

C’est une suite de pièces éclairées à la lumière électrique qui se cache dans des grappes de raisin parmi la vigne qui garnit les portes voûtées. Dans des casiers, ainsi que dans des bibliothèques, sont rangées les bouteilles vétustes et vénérables dont quelques-unes sont entourées de la poussière des siècles. Ce n’est pas trop dire, car il y a là de la fine champagne de 1788, de 1797 et de 1809 ; du Château-Laffitte 1803 et du Cos d’Estournelles 1834, bouché à l’émeri, essai de ce temps.

Les gourmets du monde entier connaissent le Café Anglais ; ce qu’ils connaissent moins, c’est son histoire ; mais que leur importe ? Le dîner fait vaut-il le dîner à faire ? conclut le chroniqueur.

 
 
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