Coutumes, Traditions Origine, histoire des coutumes, traditions populaires et régionales, fêtes locales, jeux d’antan, moeurs, art de vivre de nos ancêtres Contre une réforme de l’orthographedénaturant la langue française (D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1889) Publié / Mis à jour le jeudi 4 février 2016, par Redaction Temps de lecture estimé : 4 mn S’indignant en 1889 contre des réformes annoncées de l’orthographe, relatives notamment à la suppression d’accents qualifiés d’inutiles et de traits d’union, ou encore à la simplification du pluriel de certains mots, l’inspecteur général de l’Instruction publique Félix Hément y voit une atteinte à l’étymologie d’une langue française au renom pourtant justifié car « précise, nette, franche » et qui, « élaborée par une succession de grands écrivains pendant trois siècles consécutifs », mérite d’être aimée et respectée « comme une des manifestations de la patrie » Depuis quelque temps, écrit Félix Hément, la question de la réforme de l’orthographe, si souvent agitée, a été reprise par des hommes d’une compétence indiscutable, parmi lesquels nous citerons : Gaston Paris, de l’Institut, Darmesteter, professeur à la Sorbonne, si prématurément ravi à la science, Havet fils, professeur au Collège de France, Paul Passy. Les réformes demandées consistent dans la suppression des accents muets et inutiles, tels que celui de où, là, adverbes, à, préposition ; celle du trait d’union ; celle de certaines lettres, l’o de faon, paon, Craonne ; la substitution de f à ph. On demande également que le pluriel des noms terminés par ou, comme trou, verrou, clou, chou, genou, hibou soit uniforme et par s ajoutée au singulier, au lieu de s pour les uns, de x pour les autres. Certaines personnes expriment la crainte que la réforme projetée ne porte préjudice à l’étymologie et à l’histoire de la langue ; les promoteurs de la réforme leur répondent qu’il est facile de voir que dans la formation des mots français, l’étymologie est tantôt respectée, tantôt non. C’est ainsi que théâtre s’écrit par th et trône par t, bien qu’on ait écrit thrône autrefois ; fantaisie, fantôme devraient s’écrire phantaisie, phantôme, par ph, comme philosophe, si l’on veut rester d’accord avec l’étymologie ; aggraver s’écrit par deux g et agrégé, par un seul g, or tous deux devraient s’écrire par deux g ; il en est de même pour apaiser, aplanir, aplatir, qu’on écrit par un p et appauvrir par deux p. Honneur vient du mot honor qui qui s’écrit par un n, et tous les dérivés de honneur : honorable, honorifique, honoraires, honorer, s’écrivent par un n. Si certains noms en ou font leur pluriel en ous et d’autres en oux, cela vient, disent encore les réformateurs, de ce qu’à une certaine époque l’s et l’x étaient considérées comme une même lettre ; ce n’était donc pas alors une exception. On a dit que l’accent mis sur l’u de où distinguait ou adverbe de ou conjonction, mais c’est le sens qui fait la différence et non l’écriture. Si l’on écrit : où êtes-vous ? êtes-vous ici ou là ? il est clair que cela signifie à ne s’y pas tromper : en quel lieu (ou, adverbe) êtes-vous ? êtes-vous dans celui-ci ou bien (ou, conjonction), dans ce lieu-là. Le trait d’union a-t-il un sens étymologique ? On répond non. A-t-il une utilité ? Pas davantage. Le ph a pour origine une lettre grecque qui n’est pas autre chose qu’un f ; le th n’est pas autre qu’un t. Pour mieux nous rendre compte de ces modifications introduites dans la formation des mots et dans l’orthographe, il n’est pas inutile de rappeler les origines de notre langue. On sait que nos pères les Gaulois avaient leur langue propre, le celte, et que les diverses peuplades parlaient des dialectes peu différents. Avec la civilisation romaine s’introduisit tout naturellement l’usage de la langue latine. C’était d’abord la langue de la loi et de l’administration, elle devint bientôt celle de l’Église. Dans tous les actes importants de la vie, dans les traites, les contrats, le latin était la langue écrite. Le celte et le latin, constamment côte à cote, pour ainsi dire, devaient forcément se pénétrer. Il en résulta le mélange qu’on a appelé la langue gallo-romaine, dans laquelle le latin devait finir par l’emporter sur le celte, puisqu’il appartenait au peuple le plus civilisé. Le vocabulaire latin fournit de plus en plus à la langue usuelle, mais en même temps la prononciation et l’orthographe étaient altérées. Veut-on se rendre compte par des exemples de cette déformation, Faidherbe, de l’Institut, qui a fait une étude intéressante sur ce sujet, nous la fournit. De longum tempus, en supprimant les désinences, ils firent long temps puis longtemps ; de septem homines, ils tirèrent set om, de Jacobus dixit, ils déduisirent Jacob ou Jac dit, etc. Toute la Gaule parla bientôt ce latin déformé ou réduit devenu la langue romane. Puis les divers dialectes romans se réduisirent à deux, celui du nord et du midi, et enfin, à un seul, celui du nord, par suite de la prépondérance du nord sur le midi, quand le midi fut vaincu et terrassé par le nord. Les écrivains du Moyen Age, en s’appropriant des mots latins, les avaient généralement soumis aux lois de la prononciation et de la graphie vulgaires. Ils en faisaient des mots français et leur donnaient l’allure française. Au quatorzième siècle, l’influence savante ou plutôt le pédantisme inonda la langue de termes latins ou gréco-latins et fit grand étalage de connaissances étymologiques. Aussi, pendant les siècles suivants, les mots furent-ils encombrés de lettres inutiles, sous prétexte de fidélité à une étymologie qui n’était rien moins que douteuse. Au dix-septième siècle, la lutte existait encore entre la tradition française et les pédants, pendant que l’Académie française s’occupait de la rédaction de son dictionnaire. Sur la question de l’orthographe, l’illustre compagnie se partagea en deux camps, et il est à remarquer que les écrivains éminents prirent parti pour l’orthographe française, tandis que la majorité se prononça pour l’orthographe étymologique pour cette raison que cette dernière « distinguait les gens de lettres d’avec les ignorants ». On rétablit donc les lettres qui ne se prononcent pas ; au lieu de lon ten on écrivit longtemps ; de même sept au lieu de set, om au lieu de homme – on a cependant conservé on qui a la même signification et la même origine – Jacques au lieu de jac, dit au lieu de di, etc. Faidherbe va plus loin dans son projet de réforme : « Il nous semble, dit-il, que tout en conservant précieusement notre langue littéraire, on devrait accepter et favoriser une orthographe simplifiée pour les masses. Les instituteurs primaires faisant faire beaucoup de dictées aux enfants qui ne sont pas appelés à continuer leurs études, devraient corriger ces dictées dans le but de rendre les mots intelligibles à l’oreille plutôt que conformes à la grammaire. Quel inconvénient y a-t-il à ce que les paysans, les ouvriers et en général les personnes qui n’ont pas le temps ni les moyens matériels ou intellectuels pour devenir instruits, écrivent au mépris de l’orthographe étymologique, exactement ce qu’ils entendent, suppriment les finales qui ne se prononcent pas... On peut répondre au savant linguiste, d’abord qu’il serait peut-être tout aussi difficile d’apprendre cette orthographe phonétique que l’orthographe courante, ensuite que tous les Français ne prononcent pas le français de la même manière, que le Normand, le Gascon, le Provençal, le Lorrain ont chacun une manière de prononcer qui les entraîneraient à écrire différemment les mêmes mots et dès lors il y aurait autant d’orthographes phonétiques que d’accents. On courrait risque de rétablir les dialectes, et des dialectes écrits, au préjudice de l’unité de la langue. Enfin, c’est toujours une mauvaise chose d’établir des lignes de démarcation. Les personnes qui n’ont pu, pour des motifs légitimes d’ailleurs, apprendre l’orthographe, ne se font pas faute de simplifier l’orthographe et d’écrire par exemple je vé à lécol, elles font même plus, elles soudent les mots entre eux et écrivent jevé alécol, ce qui est bien autrement, préjudiciable à la compréhension et à la clarté. (...) Quelques personnes demandent si la réforme est bien nécessaire et si elle est possible. Il s’agit de savoir si les lettres encombrantes et sans valeur phonétique ne rendent pas difficiles l’apprentissage de l’orthographe et la connaissance de notre langue pour les étrangers. Cela est surtout fâcheux lorsque l’étymologie, sauvegardée dans certains mots, ne l’est pas pour d’autres de la même famille. Puis, n’oublions pas que notre langue vit et que par suite le travail de formation des mots n’est pas terminé. Le mot Auguste, pour ne citer qu’un cas, qui a désigné le mois que nous appelons août et que nous prononçons oû, a passé par une série de transformations de Augustus à August et août et qu’il finira inévitablement par devenir oû. La fortune de notre langue, son renom justifié, le choix qu’on en a fait comme langue diplomatique, tout cela tient d’une part à sa construction directe qui suit l’ordre de la pensée et lui donne cette incomparable clarté qui en fait la langue didactique par excellence, précise, nette, franche pour tout dire en un mot, et d’autre part, à ce qu’elle a été élaborée par une succession de grands écrivains pendant trois siècles consécutifs. Aucune langue vivante n’est dans ce cas. Nous devons l’aimer, la respecter comme une des manifestations de la patrie. Les réformes qu’on propose ne l’atteindront pas. Ces réformes seront faciles si l’Académie, gardienne des traditions, les accepte. Nous sommes à ses ordres et personne n’essaiera de toucher à l’orthographe avant qu’elle ait rendu son arrêt. 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