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Spiritisme et crédulité au XVIIIe siècle

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Institutions, Société
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Spiritisme et crédulité au XVIIIe siècle
(D’après « Le Monde illustré », paru en 1922)
Publié / Mis à jour le mercredi 27 mai 2020, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
Sans remonter aux Pythies de l’antiquité, aux Roses-Croix du Moyen Âge et aux nécromanciens qui leur succédèrent, on rencontre, dans les chroniques du XVIIIe siècle, en plein essor de la philosophie et de l’incrédulité religieuse, toute une classe de la société la plus raffinée s’adonnant au démonisme et aux sorcelleries de tous genres

Durant le siècle des Lumières, quelques grandes dames se firent une sorte de réputation d’enchanteresses par la pratique de la fantasmagorie et leurs incantations. Ce qui paraît singulier, et marque une époque dans l’histoire du spiritisme, c’est qu’elles ne se livraient pas à ces étranges labeurs pour le vain plaisir de faire tourner des tables ou de questionner les trépassés ; elles y apportaient plus de sens pratique et taquinaient les ombres dans l’espoir de se rendre immortelles ou de s’enrichir à miracle.

Par malheur il se trouvait près d’elles, toujours à point, quelque imposteur prêt à exploiter leur vésanie, ce qui les empêchait de réussir et interdit qu’on prenne au sérieux leurs ténébreuses enquêtes ; c’est en cela que leur histoire mérite encore l’attention.

Qui ne se souvient d’avoir lu, dans les Mémoires de Casanova, l’étonnant récit des relations de l’aventurier avec la marquise d’Urfé, très noble et très opulente personne qui s’était donnée pour mission de retrouver la pierre philosophale et d’arriver par là à la transmutation du cuivre en or. La pauvre dame, qui aurait pu vivre à la Cour, influente et honorée, ne sortait pas de son laboratoire et passait ses jours et ses nuits à souffler le feu de ses fourneaux ; car nul n’ignore qu’il faut à ces diaboliques cuisines une température d’enfer et toujours égale.

Le comte de Saint-Germain. Gravure de Nicolas Thomas de 1783, réalisée d'après une peinture aujourd'hui perdue ayant appartenu à la marquise d'Urfé
Le comte de Saint-Germain. Gravure de Nicolas Thomas de 1783, réalisée
d’après une peinture aujourd’hui perdue ayant appartenu à la marquise d’Urfé

La marquise ne recevait que des adeptes, soucieux d’entretenir sa folie ; elle ne quittait pas ses cornues — et ses alambics : si elle admettait quelqu’un auprès de ses magiques casseroles, c’était un initié et c’est ainsi que le comte de Saint-Germain parvint à s’introduire chez elle. Comme chacun sait, ce dernier était tout simplement un espion du roi de Prusse ; pour mieux s’insinuer dans la haute société parisienne, il se posait en détenteur d’un élixir de longue vie, dont quelques gouttes, absorbées de loin en loin, lui assuraient l’immortalité.

Il était parvenu à imposer aux naïfs la croyance qu’il avait été, dix-huit siècles auparavant et quoiqu’il ne parût pas avoir dépassé la quarantaine, l’ami intime de Ponce-Pilate, magistrat d’intelligence très ordinaire, assurait-il, et qui, s’il avait eu un peu d’énergie, aurait pu très facilement éviter la bévue qui lui dut son fâcheux renom. Saint-Germain racontait aussi ses relations suivies avec l’empereur Tibère ; il se souvenait avoir entrevu Charlemagne et parlait de François Ier comme d’un camarade très cher. On devine le prestige qu’un tel homme prenait aux yeux de la marquise d’Urfé, et ceci coûta à la dame cent mille écus.

Saint-Germain disparu, elle était tombée aux mains de Cagliostro, qui se faisait fort d’évoquer au grand profit de la marquise l’ombre de Paracelse, mort en 1541, et qui viendrait en personne indiquer la recette exacte de l’eau merveilleuse, qui change en or les vils métaux. Paracelse se fit attendre, quoique Mme d’Urfé eut dépensé, pour l’attirer, quatre ou cinq cent mille francs : l’argent empoché — par Cagliostro —, il fut avéré que l’ombre du grand chimiste ne se décidait pas à quitter l’autre monde, et l’expérience fut abandonnée.

Après deux leçons de ce genre, toute autre que la marquise eût conçu quelque méfiance ; elle, pas le moins du monde : et voilà comment elle subit l’influence de Casanova, lequel ne lui demandait jamais d’argent, mais seulement de riches pierreries, dont il composait des constellations assurant que, au moyen de ce sortilège, à l’aide de l’influence des astres et par la vertu des nombres cabalistiques, elle allait bientôt être mère d’un génie bienfaisant et tout puissant — elle avait soixante-treize ans ! —, qu’elle mourrait avant de le mettre au monde, mais que ce ne serait que pour la forme et qu’elle renaîtrait jeune et belle, et, cette fois, immortelle, au bout de soixante-quatorze jours, pas un de plus, pas un de moins.

Il suffisait de prendre la précaution de ne point se faire enterrer avant que ce laps fût écoulé. Les choses se passèrent exactement telles que les avait prédites Casanova ; Mme d’Urfé mourut ainsi qu’il était prophétisé ; par malheur ses héritiers ne consentirent jamais à attendre jusqu’au bout des soixante-quatorze jours fatidiques, et ils s’empressèrent de la faire inhumer, soit qu’ils fussent soulagés d’être débarrassés de cette folle, soit que, soumis eux-mêmes à l’influence du sorcier, ils redoutassent qu’elle ne ressuscitât en effet. De sorte que l’humanité fut privée du génie tutélaire, qui devait naître de cette pauvre vieille et changer la face du monde.

Ce serait une erreur de penser qu’une telle extravagance fut, à cette époque un fait isolé : la fin du siècle de Voltaire et de l’Encyclopédie abonde en histoires de sorcellerie plus qu’une chronique du Moyen Âge. Avant de finir, le vieux monde retombait aux superstitions de ses débuts et jamais peut-être les mystificateurs ne récoltèrent plus riche moisson de dupes qu’à la veille de la Révolution.

Le comte de Cagliostro. Dessin d'après nature de Chrstophe Guérin (1786)
Le comte de Cagliostro. Dessin d’après nature de Chrstophe Guérin (1786)

« Voir le diable » auquel ils ne croyaient presque plus, était la marotte de tous ces gentilshommes oisifs, de toutes ces belles dames inoccupées que l’échafaud guettait déjà, et telle était la fantaisie de Mme de Gesvres, femme du gouverneur de Paris, au temps de Louis XVI. À vrai dire, elle eut préféré entrer en relations avec l’âme du connétable du Guesclin, dont elle était la dernière descendante et dont elle espérait tirer quelque renseignement sur un trésor que le dit connétable avait, suivant une antique tradition, enfoui dans l’un de ses châteaux bretons.

Mais il faut croire que du Guesclin trouvait agréable le séjour des héros bienheureux, car il ne consentit pas à le quitter pour revenir sur terre afin de satisfaire au caprice de sa descendante. C’est alors que M. de Caylus insinua à la noble dame qu’elle recevrait pleine satisfaction en s’adressant à Satan lui-même. De Caylus était un cabaliste émérite ; il certifiait avoir rencontré plusieurs fois déjà le prince des démons et ceci n’étonnait pas outre mesure, car on racontait que le diable s’était manifesté un soir, chez le duc d’Orléans, au Palais-Royal ; il était apparu, après plusieurs incantations sacrilèges, sous la forme d’un homme complètement nu, portant une cicatrice, qui lui partait du front et tournait en spirale tout autour de son corps jusqu’à son talon gauche, « ainsi qu’un lacet d’un rouge vif ».

Cette aventure est ainsi narrée dans le recueil d’anecdotes que le maladroit Courchamp a publié au début du XIXe siècle sous le titre fallacieux de Souvenirs de la marquise de Créquy, et qui serait le plus amusant des livres s’il ne l’avait sottement discrédité par cette attribution apocryphe.

Donc, après dix-huit mois d’insistance, Caylus était parvenu à décider Mme de Gesvres à voir le diable. Elle en tremblait de peur, mais la curiosité l’emporta, et la voilà, certaine nuit, en route pour le lieu du rendez-vous. C’est une maison du faubourg Saint-Honoré, dont les jardins se prolongent jusqu’aux Champs-Élysées et dont la propriétaire, Mme de Brunoy, est momentanément absente. À minuit précis, Mme de Gesvres arrive à la grille, derrière laquelle elle aperçoit un spectre immobile ; ce spectre s’approche et dit : Iema ! Elle répond, en frissonnant : Ieta ! C’est le mot de passe : la grille s’ouvre ; la dame pénètre dans le jardin, le cœur battant, les jambes flageolantes ; le spectre lui recommande de ne témoigner, quoiqu’il arrive, aucune surprise, aucune désapprobation. « Vous seriez cause de ma mort », ajoute-t-il, à voix très basse.

Mme de Gesvres a pourtant reconnu cette voix ; le spectre est M. de Caylus. Il la conduit par une allée couverte vers un pavillon, qui s’élève à l’autre extrémité du jardin ; mais son trouble est tel qu’elle est obligée de s’asseoir sur le gazon pour reprendre haleine. « J’ai peur ! Je ne veux pas entrer ! Je veux m’en aller ! » balbutie-t-elle, toute frémissante. « Il est trop tard ! répond son guide d’un ton d’effroi. Ce serait nous vouer à des malheurs irréparables ! »

Plus morte que vive, elle se laisse traîner jusqu’au pavillon : on entre, l’obscurité est complète ; Caylus frappe à petits coups la boiserie ; on lui répond de l’intérieur, au même endroit du lambris, et aussitôt il reprend : « Voilà que je viens de m’engager pour vous... Ne l’oubliez pas ! » Une porte s’ouvre : deux hautes figures, entièrement voilées de rouge, se tiennent en sentinelle dans l’antichambre d’un appartement très éclairé ; elles ont à la main des épées nues, qu’elles dirigent vers Mme de Gesvres.

La duchesse de Gesvres, née Françoise-Marie du Guesclin de La Roberie. Pastel du XVIIIe siècle de l'École française
La duchesse de Gesvres, née Françoise-Marie du Guesclin de La Roberie.
Pastel du XVIIIe siècle de l’École française

À cette vue, perdant la tête, celle-ci pousse des cris à ameuter tout le quartier ; relevant ses jupes, elle se jette contre une portière qu’elle soulève, traverse au galop une galerie, bondit dans un salon où semble attendre un inconnu couvert d’une robe mi-partie de velours noir et de damas bleu. Satan peut-être ! Alors, comme si le diable était à ses trousses, c’est ici l’occasion d’employer cette locution proverbiale, la malheureuse, redoublant ses clameurs, fonce, éperdue, à travers tout l’appartement, aperçoit une fenêtre, l’ouvre, enjambe le balcon, tombe dans le jardin, perd dans sa chute un de ses souliers, et court, court, hurlant toujours, jusqu’à la loge du concierge où tout le monde était endormi.

Elle frappe à coups redoublés : « Ouvrez-moi ! Ouvrez-moi ! — Qui va là ? — C’est moi ! — Qui vous ? — La duchesse de Gesvres ! — Allons donc ! » On ouvre enfin ; le brave suisse, qui l’accueille, ignore tout des scènes étranges qui se passent dans l’hôtel ; il sait seulement qu’il a reçu de Mme Brunoy l’ordre de confier la clef du jardin à M. de Caylus. Mme de Gesvres rentra chez elle, malade d’émoi, et jurant qu’on ne l’y prendrait plus.

 
 
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