Histoire de France, Patrimoine, Tourisme, Gastronomie, Librairie
LE 28 avril DANS L'HISTOIRE [VOIR]  /  NOTRE LIBRAIRIE [VOIR]  /  NOUS SOUTENIR [VOIR]
 
« Hâtons-nous de raconter les délicieuses histoires du
peuple avant qu'il ne les ait oubliées » (C. Nodier, 1840)
 

 
NOUS REJOINDRE SUR...
Nous rejoindre sur FacebookNous rejoindre sur XNous rejoindre sur LinkedInNous rejoindre sur VKNous rejoindre sur InstragramNous rejoindre sur YouTubeNous rejoindre sur Second Life

Plagiat : constante de la littérature à travers les siècles

Vous êtes ici : Accueil > Institutions, Société > Plagiat : constante de la littérature à
Institutions, Société
Vie en société, politique, moeurs sociales, institutions françaises, justice et administration : tous les sujets ayant marqué et rythmé la vie sociale de nos ancêtres
Plagiat : constante de la littérature
à travers les siècles
(D’après « Le Monde illustré » du 3 janvier 1920)
Publié / Mis à jour le dimanche 17 décembre 2023, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 8 mn
 
 
 
C’est une grande preuve d’ignorance que de croire, en art, à des innovations radicales. Tout auteur est le fils spirituel des écrivains qui l’ont précédé. Un chef-d’œuvre est une résultante : il stabilise, en un tout harmonieux, les efforts patients, les recherches ardentes et parfois obscures de plusieurs générations. C’est ainsi qu’en tout temps, des gens habiles et même d’excellents écrivains picorèrent les œuvres d’autrui, Racine, Corneille ou La Fontaine n’échappant pas à la règle

L’écrivain André Lamandé (1886-1933), qui fut rédacteur en chef de La Renaissance politique et littéraire, nous relate en 1920 quelques plagiats et plagiaires notoires, affirmant que les anciens ne sont pas exempts de ce reproche. Sophocle pilla Eschyle, Aristophane puisa dans Eupolis, Euripide s’inspira plus qu’il n’eût fallu des chansons de Méletus, lequel en avait copié un autre. Et même l’harmonieux, le divin Virgile, fit chanter sous ses doigts des airs qu’il avait habilement recueillis chez Homère, Lucrèce et le vieil Ennius.

Notre Moyen Âge ne changea guère cette coutume que la Renaissance accentua. Rabelais pille, vole, gruge les histoires qui foisonnent autour de lui. Le licencieux badinage sur l’anneau de Hans Carvel et le succulent récit des moutons de Dindenant sont quasiment des plagiats. Bien avant que le mot ne fût dit, il prend son bien là où il le trouve. La veine populaire épuisée, il se penche vers les fins lettrés de l’époque et les œuvres d’Erasme, de Budé et de l’Arétin lui fournirent matière à ses récits énormes et facétieux.

La Pléiade chez Ronsard (1524-1585), groupe de poètes du XVIe siècle auquel appartenaient notamment Jean Dorat, Joachim du Bellay, Étienne Jodelle ou encore Rémy Belleau). Chromolithographie publicitaire du début du XXe siècle
La Pléiade chez Ronsard (1524-1585), groupe de poètes du XVIe siècle auquel appartenaient
notamment Jean Dorat, Joachim du Bellay, Étienne Jodelle ou encore Rémy Belleau).
Chromolithographie publicitaire du début du XXe siècle

Marot imita Martial, Ronsard, Pindare, Montaigne enfin emprunta à Sénèque, Virgile et Plutarque. Dans la tour de sa librairie, travaillant debout et parlant à haute voix, il déguste ses auteurs favoris ; il s’oint de leurs enseignements et s’imprègne de leur moelle. La substance d’autrui devient sa substance et ses écrits, à leur tour, seront pour les auteurs futurs une mine inépuisable. Nul écrivain ne fut, dans sa pensée, plus pillé que Montaigne.

Shakespeare prend dans les Essais le chapitre des Cannibales et l’utilise dans la Tempête. Charron pille son aîné avec une impudence qu’on ne retrouve que chez Voltaire recopiant mot pour mot le poète Maynard.

Maynard :

Par vos humeurs l’État est gouverné,
Vos seuls avis font le calme et l’orage,
Et vous riez de me voir confiné
Loin de la cour dans mon petit village.

Voltaire :

Par votre humeur le monde est gouverné,
Vos volontés font le calme et l’orage ;
Et vous riez de me voir confiné
Loin de la cour au fond de mon village.

Le XVIIe siècle s’inspira des Essais plus qu’on ne se l’imagine et Pascal en fait son livre de chevet et le connaît par cœur. Cet admirable génie, ce croyant à l’âme de feu, suce jusqu’à satiété la moelle du sceptique philosophe. Il se retrouve en lui, s’en défend mais le copie maintes fois.

J’ouvre le livre des Pensées, écrit Lamandé, et je lis : « L’homme n’est ni ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. ». Ou encore : « D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas, et qu’un esprit boiteux nous irrite ? »

J’admire le sens éternel de la pensée et l’originalité de la forme, poursuit Lamandé, mais voici qu’un astucieux démon me glisse sous la main les Essais de Montaigne. Je prends, au hasard, le chapitre de l’Expérience et le lis : « Ils (les hommes) veulent se mettre hors d’eux et échapper à l’homme. C’est folie. Au lieu de se transformer en anges ils ils se transforment en bêtes. » Étonné et curieux, je ferme ce chapitre et j’ouvre celui qui s’attarde sur l’Art de conférer. Je le sais charmant et substantiel. Je penche les yeux et je lis, encore au hasard : « Pourquoi sans nous émouvoir rencontrons-nous quelqu’un qui ait le corps tordu et mal bâti, et ne pouvons souffrir la rencontre d’un esprit mal rangé sans nous mettre en colère ? »

Montaigne (1533-1592) s'adonnant à la lecture
Montaigne (1533-1592) s’adonnant à la lecture. © Crédit illustration : Araghorn

Vingt autres passages me frappent par leur similitude avec les écrits de Pascal, rapporte Lamandé. Alors, piqué au jeu, je feuillette avec le malin désir de découvrir, dans Montaigne quelques-uns de nos contemporains. Dans le chapitre Sur des vers de Virgile, une citation de Quintilien retient mon attention : Reclus est, quod desertum facit. Et le vers célèbre de Musset me revient en mémoire : Ah ! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie.

Je tourne de nouvelles pages. Montaigne a pris une pensée dans Tacite et nous l’offre : « Les bienfaits sont agréables tant que l’on peut s’en acquitter, mais lorsqu’ils deviennent trop grands, loin de les reconnaître, on les paye en passion. » Où donc ai-je vu cette boutade exprimée avec verve ? Mais au théâtre, dans une pièce de Labiche : Le voyage de M. Perrichon. Ah ! pensais-je, tous les modernes seraient-ils enclos dans les Essais ? Et je feuillette encore.

Au passage, une citation de Lucrèce arrête mon esprit : Inter se mortales viutua vivunt... Les mortels se prêtent la vie pour un moment ; c’est comme la course des jeux où l’on passe le flambeau de main en main. Thèse saisissante, image admirable, qui furent illustrées par un des maîtres de notre théâtre moderne, Paul Hervieu. l’auteur de La course au Flambeau.

Je poursuis ma lecture et je souris car je pourrais citer cent autres exemples analogues. Mais j’ai mieux à faire. J’aime la diversité et je suis certain de trouver, chez d’autres auteurs, les mêmes faiblesses. D’ailleurs les mœurs littéraires du XVIe siècle, semblent avoir été, à l’égard du plagiat, d’une grande indulgence. Tous les poètes puisent à pleines mains dans l’Antiquité et beaucoup se copient entre eux sans que nul n’y trouve à redire.

Pierre Corneille (1606-1684). Gravure réalisée en 1821 d'après le portrait original du Théâtre-Français et colorisée ultérieurement
Pierre Corneille (1606-1684). Gravure réalisée en 1821
d’après le portrait original du Théâtre-Français et colorisée ultérieurement

Voici, entre mille, un curieux exemple : Joachim du Bellay publia en 1558 dans ses Regrets, un sonnet dont la mélancolie conserve encore un grand charme :

Ô qu’heureux est celui qui peut passer son âge
Entre pareils à soi...
Il est sa cour, son roi, sa faveur, et son maître.

Et voici qu’en 1573, Philippe Desportes, après son voyage en Italie, publie un poème célèbre dans lequel il s’inspire trop visiblement de du Bellay tant pour le fond que pour la forme :

Ô bienheureux qui peut passer sa vie
Entre les siens...
Il est sa cour, sa faveur et son roi.

Puis, de son cru, il termine, par cette prosopée :

Douces brebis, mes fidèles compagnes,
Haies, buissons, forêts, prés et montagnes,
Soyez témoins de mon contentement.

Or, en 1648, Honoré de Bueil, marquis de Racan, trouve bon de chanter, à son tour, en des stances connues, les joies du retour à la nature paisible. Il a lu ses devanciers, du Bellay et Desportes, il s’en est imprégné et il répète après eux :

Ô bienheureux, celui qui peut de sa mémoire
(...)
Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau.

Et enfin cette prosopopée directement empruntée à Desportes :

Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude
Soyez-le désormais de mon contentement.

Je continue l’excursion commencée dans ma bibliothèque, certain que ce merveilleux XVIe siècle me réserve encore des surprises, continue André Lamandé. Voici, au début de la Renaissance, un grammairien remarquable qui fit les délices de la gracieuse et honnête reine de Navarre, sœur de François Ier. Pour elle il jouait de la mandoline, chantait des poésies légères et contait des histoires qui sont encore, de nos jours, d’une grande saveur. Ce poète, amuseur d’une reine, s’appelait Bonaventure des Périers. J’ai relu ses Joyeux Devis et je ne puis m’empêcher de transcrire dans la langue et l’orthographe du temps ce conte aimable :

« Une bonne femme qui portait une potée de laict au marché, faisait son compte ainsi qu’elle la vendroit deux liards ; de ces deux liards elle en en achepteroit une douzaine d’œufs, lesquelz elle mettroit couver, et en auroit une douzaine de poussins ; ces poussins deviendroient grands, et les feroit chaponner ; ces chapons vaudroyent cinq sols la pièce : ce seroit un escu et plus, dont elle achepteroit deux cochons, masle et femelle, qui deviendroyent grands et en feroyent une douzaine d’autres, qu’elle vendroit vingt sols la pièce après les avoir nourriz quelque temps : ce seroyent douze francs, dont elle achepteroit une jument qui porteroit un beau poulain, lequel croistroit et deviendroit tant gentil : il saulteroit et feroit hin. Et en disant hin, la bonne femme, de l’aise qu’elle avoit en son compte, se print à faire la ruade que feroit son poulain, et, en la faisant, sa potée de laict va tomber et se respandit toute. Et voilà ses œufs, ses poussins, ses chapons, sa jument et son poulain tout par terre. »

Un écrivain du XVIIe siècle en recherche d'inspiration
Un écrivain du XVIIe siècle en recherche d’inspiration. © Crédit illustration : Araghorn

C’est — vous l’avez reconnue — mot pour mot, moins les rimes, l’histoire de Perrette. Il est vrai que La Fontaine fut le plus grand incorrigible, le plus habile et le moins coupable des plagiaires. Il désarme par sa candeur à reconnaître son bu tinage. Phèdre, Ésope, tous nos conteurs du Moyen Âge, et Boccace, et Marot, et vingt autres revivent dans les écrits du Bonhomme, pour leur plus grand honneur et notre plus grande joie.

Mais à côté de La Fontaine, nous pouvons surprendre de plus graves personnages en flagrant délit de plagiat. Même des orateurs sacrés eurent de ces faiblesses qui étonnent et scandalisent les ignorants. Le sermon sur le petit nombre des élus, de Massilon, s’inspire plus que les convenances ne l’exigent de Michel Menot et de Maillard. Même le grand Bossuet se pencha avec complaisance — et sans que sa gloire en fût ternie — sur les écrits de Voiture et de Patru. Et d’aucuns affirment qu’il se souvint d’une certaine tirade de la Bradamante de Garnier, quand il écrivit, dans l’immortelle oraison funèbre d’Henriette de France, la fameuse période : « Celui qui règne dans les cieux... »

Si nous faisons des « premières » du Cid et d’Andromaque des dates exceptionnelles, c’est sans doute par une admiration légitime mais aussi par un peu de paresse d’esprit. Racine et Corneille avaient des devanciers et des contemporains. Après Boileau nous raillons ceux-ci sans les avoir lus, et nous ignorons presque totalement les autres. Mais Corneille nourri de la moelle des lions, et Racine le divin, n’avaient ni notre incuriosité ni notre ignorance. Quelques rapprochements de textes nous le prouveront, avance Lamandé.

Je ne rappellerai que pour mémoire Las Mocedades del Cid, de Guilhen de Castro, qui inspirèrent à Corneille son immortel chef-d’œuvre. Dans cette étoffe large, pittoresque, bariolée, notre grand tragique tailla une pièce à sa mesure. Pourtant il ne résiste pas à la tentation de transporter dans cette œuvre et dans celles qui suivirent quelques vers sonores qu’il avait lus chez Garnier et Hardy.

« Ô qu’étrange est le mal où le destin me range », dit Garnier. « Accablé des malheurs où le destin me range », répète Corneille. Dans Porcie, Garnier écrit ces vers qui ne méritaient guère l’imitation :

Faites dessus la plaine ondoyer votre sang
Coulant à longs bouillons de son généreux flanc.

Pourtant Chimène s’exprime dans les mêmes termes :

Sire, mon père est mort, mes yeux ont vu son sang
Couler à gros bouillons de son généreux flanc.

Ailleurs, dans Méléagre de Hardy, nous lisons ces vers : « Ce feu meurt à présent faute de nourriture ». Et nous le retrouvons dans le Cid de Corneille : « C’est un feu qui s’éteint faute de nourriture ».

Peut-être objectera-t-on que je choisis mal et que ce n’est point là du bon Corneille. J’en conviens. Arrivons, si vous le voulez, aux fameuses imprécations de Camille. Dites par Mlle Delvair elles soulevaient encore, au début du XXe siècle, à la Comédie-Française, un noble enthousiasme :

Rome, l’unique objet de mon ressentiment,
Rome...

Voilà un mouvement splendide ? Mais est-ce tout à fait neuf ? Écoutez encore Hardy, dans Didon :

Carthage, monument de ma constante rage,
Carthage...

Dût-on — et c’est justice — partager l’admiration de Mme de Sévigné pour Corneille, il n’en reste pas moins vrai que les imprécations de Camille sont dues à d’incontestables réminiscences — pour ne pas dire plus.

Blaise Pascal. Gravure (colorisée) réalisée vers 1830 par Henry Meyer
Blaise Pascal (1623-1662). Gravure réalisée vers 1830 par Henry Meyer et colorisée ultérieurement

Du moins, dira-t-on, notre vieux Corneille est inimitable dans les scènes où il défend l’honneur et la vieillesse outragés. Un vieil Horace et un Don Diègue ont jailli spontanément de son cerveau. Leurs gestes appellent l’imitation mais ne doivent rien à quiconque : leur langage qu’on n’entendra pas deux fois est neuf. Rappelons-nous la douleur de don Diègue souffleté par le comte : « Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie... » On crie à l’admiration et c’est parfait. Qu’on couronne notre grand tragique, mais qu’un peu de ses palmes ombrage la mémoire de Hardy. Car c’est encore chez ce dernier que nous lisons le vers suivant, déparé par une épithète ridicule, mais qui n’en contient pas moins le mouvement et la moelle de celui de Corneille : « Ô rage, ô désespoir, ô énorme infamie... »

Ces exemples me suffisent, poursuit Lamandé, et je cède au désir de porter mon indiscrète curiosité sur le tendre et passionné Racine. Il possédait une mémoire prodigieuse et je soupçonne qu’il ne l’appliqua pas seulement aux vers de Sophocle ou au roman de Théogène et Charielée, niais aussi à la littérature de ses contemporains.

Alors fleurissaient en France deux poètes verbeux, touffus, d’une imagination brillante et désordonnée : Chapelain et Scudéry. On ne lit pas leurs œuvres, mais on sourit d’eux en songeant au ridicule dont Boileau les couvrit. Pourtant tout n’est pas à rejeter dans leurs pièces de théâtre. Alaric, de Scudéry, écrit en 1654, et la Pucelle de Chapelain, en 1656, renferment des passages peu négligeables. Le XVIIe siècle feignit de les ignorer, mais Racine les lut et — peut-être involontairement —les mit à profit.

On ne peut se figurer à quel point nombre de vers de Racine ressemblent — comme des frères — à ceux de Scudéry, de Chapelain, et même de Hardy. Je n’en donnerai que quelques exemples.

Scudéry : S’est moqué mille fois de la fureur des flots. Racine : Celui qui met un frein à la fureur des flots.

Scudéry : Le faible esprit humain est un roseau fragile. Racine : Sur quel roseau fragile a-t-il mis son appui.

Chapelain : Que du sang bourguignon la terre soit trempée. Racine : Qui du sang philistin jadis furent trempés.

Chapelain : Les timides conseils ne sont plus de saison. Racine : Enfin tous les conseils ne sont plus de saison.

Hardy : Qu’ils réduisent quasi le monde sous mes lois. Racine : Allez, Seigneur, rangez l’univers sous vos lois.

Hardy : Qui soupire à demi ses honteuses douleurs. Racine : Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs.

Ces réminiscences ou ces plagiats n’entachaient pas alors la renommée des écrivains. Il existait même de pauvres diables qui souhaitaient d’être plagiaires à la seule fin de se faire payer leurs documents en bons écus. On dit à ce propos que Gabriel de Roquette, évêque d’Autun, picorait autrui mais savait rembourser d’importance. Et le malicieux Boileau s’amusa à rendre la chose publique :

On dit que l’abbé de Roquette,
Prêche les sermons d’autrui,
Moi qui sais qui les achète
Je soutiens qu’ils sont à lui.

Tout a été dit. La Bruyère a raison et Musset également :

Il faut être ignorant comme un maître d’école,
Pour se flatter de dire une seule parole
Que personne, ici-bas, n’ait pas dite avant nous.
C’est imiter quelqu’un que de planter des choux.

Voilà, sous une forme badine, de précieuses vérités. On les retrouve d’ailleurs — Musset lui-même s’inspirait d’autrui — dans les Pensées de Pascal : « Il y a des gens qui voudraient qu’un auteur ne parlât jamais des choses dont les autres ont parlé ; autrement on l’accuse de ne rien dire de nouveau ».

Voltaire (1694-1778) à sa table de travail
Voltaire (1694-1778) à sa table de travail. © Crédit illustration : Araghorn

En quoi consistera donc l’originalité ? s’interroge André Lamandé. Mais à sentir vivement et à exprimer des pensées éternelles sous une forme neuve. « Tout a été dit », c’est vrai ; mais les façons de bien dire sont incalculables. Ce qui compte, en littérature, ce ne sont pas surtout les matières qu’on traite, mais la façon dont l’auteur les habille. « Quand on joue à la paume, dit encore Pascal, c’est une même balle dont joue l’un et l’autre, mais l’un la place mieux ».

Les mêmes idées se retrouvent chez Buffon. Dans son fameux discours de réception à l’Académie il les exprime avec éloquence. Pour lui, ni la multiplicité du savoir, ni la singularité des sujets traités ne sont de sûrs garants de l’immortalité. « Ces choses sont hors de l’homme, le style est de l’homme même. »

Or, revenant à nos projets du début, que conclure ? L’auteur d’Aphrodite reste, sans conteste, l’un de nos meilleurs magiciens ès-lettres. Les moralistes, sans doute, en auront de la peine mais les délicats lettrés s’attarderont sur son œuvre avec complaisance sans s’inquiéter des sources qui l’ont inspiré. Un même esprit d’équité s’impose à l’égard de Molière. Corneille et Chapelle, soufflant des scènes à cet incomparable génie, prouvent leur bon goût.

Et puis, l’on serait ridicule d’en vouloir par trop à cet habile comédien d’avoir — imitant les exemples de son époque — pris un mot à celui-ci, une scène à celui-là et donné un renom immortel à des pages qui, sans lui, n’eussent pas vécu. « C’est une fille que je tire d’une mauvaise maison, disait-il en parlant d’une scène qu’il avait pipée chez Boisrobert, mais je la conduis dans la bonne société. » Et la bonne société, c’était alors celle de Corneille, Racine et Boileau.

 
 
Même rubrique >

Suggérer la lecture de cette page
Abonnement à la lettre d'information La France pittoresque

Saisissez votre mail, et appuyez sur OK
pour vous abonner gratuitement
Éphéméride : l'Histoire au jour le jour. Insertion des événements historiques sur votre site

Vos réactions

Prolongez votre voyage dans le temps avec notre
encyclopédie consacrée à l'Histoire de France
 
Choisissez un numéro et découvrez les extraits en ligne !