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Histoire des Français. Justice en France au Moyen Age, du Ve au XIIe siècle

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Institutions, Société
Vie en société, politique, moeurs sociales, institutions françaises, justice et administration : tous les sujets ayant marqué et rythmé la vie sociale de nos ancêtres
Justice en France au Moyen Age,
du Ve au XIIe siècle
(D’après « L’ancienne France. La justice et les tribunaux », paru en 1888)
Publié / Mis à jour le dimanche 26 juin 2022, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 11 mn
 
 
 
Fruit d’une lente évolution l’affranchissant d’une législation barbare humanisée par le christianisme, l’organisation de la justice du Moyen Age est menée parallèlement à celle d’un gouvernement né de la famille et au sein duquel des pouvoirs intermédiaires prennent corps, tels que ceux des ducs, comtes, généraux d’armée, ou encore comtes du palais. C’est à la fin du VIe siècle que des dispositions importantes du code barbare sont abrogées, les accommodements amiables étant proscrits, et le vol puni de mort au lieu d’être jusqu’alors applaudi

Chez les anciens peuples celtiques et germains, avant qu’aucune infiltration soit grecque, soit romaine, se soit mêlée à leurs mœurs, tout semble subordonné à la famille. Mais la parentèle (parentela) varie dans son extension : chez les Francs, les Lombards, les Visigoths, les Bavarois, et en général chez tous les peuples d’origine germanique, elle s’étend seulement jusqu’au septième degré ; parmi les Celtes, elle n’a d’autre délimitation que la communauté d’origine, avec subdivision indéfinie de la tribu en maisons distinctes. Chez les Germains, au contraire, on voit se dessiner déjà trois groupes rudimentaires, à savoir : 1° la famille, comprenant le père, la mère, les enfants, les ascendants et collatéraux de tous les degrés ; 2° les vassaux (ministeriales) ou domestiques de condition libre ; 3° les serviteurs (mansionarii, coloni, liti, servi) ou domestiques de condition servile, adjuvants de la famille proprement dite.

L’autorité domestique était représentée par le mund ou chef de famille, appelé aussi roi, qui, selon les cas, exerçait, sur la personne et les biens de tous ceux qui dépendaient de lui, un pouvoir spécial, une tutelle accompagnée de droits et de devoirs, avec une sorte de responsabilité civile et politique. Ainsi, le chef de famille, responsable pour sa femme et pour ceux de ses enfants qui vivaient chez lui, l’était aussi pour ses esclaves et ses animaux domestiques. Bien plus, d’après la loi, il répondait du mal que pouvait faire son arc ou son épée, sans qu’il en eût conscience ni volonté, tant ces peuples barbares étaient intéressés à ce que justice se fît dans toutes les circonstances où il y avait délit.

Le roi des Francs au milieu des chefs militaires formant sa cour armée

Le roi des Francs, au milieu des chefs militaires formant sa cour armée, dicte la loi salique

Déjà, depuis longtemps, quand s’ouvrit l’ère mérovingienne, la famille, isolée d’abord dans sa sphère d’individualisme, s’était incarnée au sein d’une grande famille nationale, qui avait, pour chaque peuple, ses réunions officielles à époques fixes, sur le malberg (colline du parlement). Ces réunions seules constituaient dans sa plénitude le pouvoir suprême. Les titres attribués à certains chefs, roi, duc, comte, brenn (général d’armée), n’exprimaient que les subdivisions de ce pouvoir, appliquées, la dernière exclusivement à la guerre, les autres à l’ordre administratif et judiciaire.

Au comte surtout incombait l’obligation de rendre la justice, de connaître des différends entre particuliers et d’infliger l’amende. Il y avait un comte dans chaque grand district, dans chaque ville importante ; il y avait aussi plusieurs comtes, groupés autour du souverain, sous le titre de comtes du palais, position très recherchée, à cause des avantages pécuniaires et honorifiques qui en résultaient pour le titulaire.

Les comtes du palais délibéraient avec le souverain sur toutes les affaires, sur toutes les questions d’État, en même temps qu’ils prenaient part à ses chasses, à ses festins, à ses actes religieux ; ils intervenaient dans les questions d’héritage de la couronne ; pendant la minorité des princes, ils saisissaient le pouvoir que la constitution réservait aux rois majeurs ; ils validaient la nomination des principaux fonctionnaires, même celle des évêques ; ils donnaient leur avis sur l’opportunité d’une alliance de peuple à peuple, d’un traité de paix ou de commerce, d’une expédition militaire, d’un échange de territoire, d’un mariage de prince, et ils n’encouraient nulle autre responsabilité que celle inhérente à leur position originelle au sein de la société barbare. Les légats (legati), et plus tard les envoyés du maître (missi dominici), les évêques improvisés, les ducs ou chefs d’armée, sortaient généralement de la première classe des serviteurs de cour, des comtes du palais, tandis que les ministeriales, formant la seconde classe de la domesticité royale, allaient remplir les charges inférieures, honorables et lucratives, de l’administration et de l’ordre judiciaire.

Sous les Mérovingiens, le principe légal du pouvoir s’inféoda dans la propriété foncière, mais le morcellement de ce pouvoir suivit de près cette inféodation ; la ruine des uns accrut de jour en jour la prépondérance des autres, et les rois francs s’aperçurent que la société échapperait bientôt à leur gouvernement, s’ils ne portaient un prompt remède à cet état de choses. Alors parurent les lois Salique et Ripuaire, qui eurent à subir des remaniements successifs, des modifications lentes ou subites, nécessitées par les vicissitudes politiques ou par les exigences croissantes des prélats et des nobles hommes. Loin d’amoindrir l’action souveraine des rois, les coutumes nationales, qu’ils avaient réunies en code, reculèrent les limites de leur autorité et en facilitèrent l’exercice.

En 596, Childebert, d’accord avec ses leudes, décidait que désormais le rapt serait puni de mort, et que le juge du canton (pagus) où le crime aurait été commis, tuerait le ravisseur et abandonnerait son cadavre sur la voie publique ; que l’homicide aurait le même sort, « car il est juste, disait le texte de la loi, que celui qui sait tuer apprenne à mourir ». Le vol, attesté par sept témoins, devait entraîner aussi la peine capitale, et le juge convaincu d’avoir, par sa faute, laissé fuir un voleur, subissait la même peine que celui-ci eût subie.

La pénalité, cependant, était différente, suivant la classe sociale du délinquant. Ainsi, pour le fait de l’inobservation du dimanche, lequel avait alors force de loi, un Salien payait 15 sols d’amende ; un Romain, 7 sols et demi ; un esclave, 3 sols, ou bien « son dos payait pour lui ».

Dès ce temps, quelques dispositions importantes du code barbare sont abrogées ; la peine de mort, sans rémission, remplace déjà les accommodements amiables entre les parties intéressées ; on ne rachète plus un crime avec de l’argent ; le vol lui-même, qui était encore à cette époque applaudi, même honoré au delà du Rhin, est impitoyablement puni de mort. On voit donc que c’est le plus frappant témoignage de l’abaissement des privilèges dans l’aristocratie franque et de la marche du pouvoir souverain vers l’omnipotence absolue et sans contrôle, vers le droit de vie et de mort.

Par degrés insensibles, la législation romaine s’est humanisée et perfectionnée, le christianisme s’infiltre dans la barbarie, la licence est considérée comme un délit, puis le délit devient un crime contre le roi, contre la société, et c’est en quelque sorte par la main du roi que la société frappe les coupables.

Depuis le baptême de Clovis (496), l’Église avait eu beaucoup d’influence dans la transformation du code pénal ; par exemple, les mariages avec une belle-sœur, une belle-mère, une tante, une nièce, étaient défendus ; les spectacles ambulants, les danses nocturnes, les orgies publiques, autorisés naguère dans les fêtes, étaient proscrits comme dangereux. Du temps de Clotaire (558-561), les prélats, assis au conseil du souverain, composaient un véritable tribunal, d’ordre supérieur, qui révisait les arrêts des juges subalternes. Il prononçait, de concert avec le roi, des sentences sans appel. Or, la nation n’intervenant plus dans l’élection des magistrats, les assemblées du malberg ne se réunissant plus qu’extraordinairement, toute affaire de gouvernement et de justice était remise à l’arbitrage suprême et souvent capricieux du monarque.

Tant que les maires du palais d’Austrasie et ceux du palais de Bourgogne furent nommés temporairement, l’autorité royale ne fléchit point, le souverain demeura le grand juge de ses sujets ; mais, après le supplice de la reine Brunehaut (613), sacrifiée à la haine des seigneurs féodaux, la mairie du palais étant devenue, avec un titre viager, une royauté de fait, les monarques légitimes tombèrent sous la tutelle des futurs usurpateurs de leur couronne.

L’édit de 615, auquel concoururent l’aristocratie de l’Église et celle de l’État, accuse dans les lois et dans les mœurs un divorce complet avec le passé. En reprenant leur place dans la constitution française, les institutions germaniques forcèrent le roi mérovingien à redescendre au rôle passif, dénué d’influence et d’autorité, qu’exerçaient leurs prédécesseurs dans les forêts de la Germanie ; mais ils n’avaient plus, comme ceux-ci, le prestige du commandement militaire, ni le caractère d’arbitre ou de juge. Les canons du concile de Paris, confirmés par l’édit du roi, en date du 15 des calendes de novembre 615, renversent le système politique et légal, si laborieusement établi en Europe depuis le cinquième siècle.

C’est le pouvoir royal qui renonce à ses plus précieuses prérogatives dans le choix des évêques ; défense aux juges laïques de traduire un clerc devant les tribunaux ; interdiction au fisc de saisir les successions ab intestat, d’augmenter les impôts, les péages, et d’employer les juifs à la perception des deniers publics ; responsabilité des juges et des autres officiers du roi ; restitution des bénéfices enlevés aux leudes ; interdiction au roi d’accorder désormais des ordres écrits (praecepta) pour enlever les veuves riches, les jeunes vierges et les religieuses ; peine de mort contre ceux qui enfreignent les canons du concile.

Lieu d'assemblée des Francs

Lieu d’assemblée des Francs

De là naissent deux juridictions nouvelles : l’une ecclésiastique, protectrice du droit des faibles, l’autre seigneuriale, limitant l’absolutisme du roi ; juridictions entre lesquelles va se débattre, pendant plusieurs siècles, la royauté, de plus en plus amoindrie. Parmi les nations germaniques, le droit de justice fut, dès le principe, inhérent à la propriété territoriale, et ce droit portait sur les choses non moins que sur les personnes. C’était le patronage (patrocinium) du propriétaire, et ce patronage enfanta successivement dans chaque province et dans chaque féodalité les juridictions féodales, les privilèges seigneuriaux et le droit coutumier. On peut en inférer que, sous les deux premières dynasties, les lois étaient individuelles, et que chacun portait, pour ainsi dire, la sienne propre avec soi.

Le droit de juridiction semble tellement inhérent au droit de propriété, qu’un propriétaire terrien pouvait toujours imposer une trêve aux haines, aux vengeances personnelles, arrêter momentanément les poursuites judiciaires, et, en proclamant son ban, suspendre l’action de la loi autour de sa demeure, dans un périmètre déterminé ; ce qui se faisait d’habitude à l’occasion de quelque fête de famille, ou de quelque solennité publique, civile ou religieuse.

En ces circonstances, quiconque enfreignait le ban du maître de la maison et de sa terre devenait justiciable de sa cour et payait une amende à son profit. Le seigneur qui se trouvait trop pauvre pour composer cette cour d’une manière assez forte et imposante empruntait des pairs à son suzerain, ou se dessaisissait, entre les mains de celui-ci, du droit de justice, d’où naquit cette maxime des feudistes : « Autre chose est le fief, autre chose est la justice. »

La loi visigothe parle de seigneurs locaux tenant tribunal, à l’instar du juge d’office, du comte ou de l’évêque ; le roi Dagobert (629-639) fait figurer les juges privés avec les juges publics. Dans la loi lombarde, on cite des propriétaires qui, au double titre de seigneurs et de juges, s’emparent du droit de protéger les esclaves fugitifs réfugiés sur leur domaine. Dans un article de la loi salique, le seigneur répond de son vassal devant la justice du comte. II faut donc conclure de ces textes de loi que la justice seigneuriale s’exerçait indistinctement sur les serfs, les colons et les vassaux. Un capitulaire de 855 lui soumet de même les hommes libres qui résident chez autrui.

De ces textes divers ressort un fait curieux : il existait entre la justice officielle du comte ou de ses subordonnés et les justices privées une juridiction intermédiaire, une sorte d’arbitrage amiable exercé par les voisins (vicini), sans l’assistance des juges du comté, juridiction revêtue, néanmoins, d’un caractère d’autorité qui rendait ses décisions obligatoires.

Ainsi, la compétence des justices seigneuriales avait des limites ; elles n’étaient ni absolument indépendantes ni souveraines et sans appel ; toutes fonctionnaient à peu près comme l’ont fait depuis les hautes, moyennes et basses justices du Moyen Age, au-dessus desquelles primait la justice du roi. La faculté accordée aux gens d’église, évêques, abbés, abbesses, qui, devenus seigneurs temporels, exerçaient une juridiction domestique, devait s’arrêter devant la judicature du comte, à plus forte raison devant celle des missi dominici, délégués officiels du monarque. Charles le Chauve, malgré les concessions énormes qu’il fit à la féodalité et à l’Eglise, ne leur céda jamais le privilège de juger et de décider en dernier ressort.

Pendant toute la durée de l’époque mérovingienne, le mahl (mail), assemblée générale et régulière de la nation, avait lieu au mois de mars. Tous, grands et petits, s’y rendaient en armes ; on y traitait, sous la présidence du monarque, des intérêts politiques, commerciaux et judiciaires du pays ; ce qui n’empêchait pas d’autres réunions accidentelles de la cour du roi (curia regalis), chaque fois qu’on en reconnaissait l’urgence. La cour formait alors parlement (parlamentum).

D’abord exclusivement militaire et barbare, le parlement, à dater de Clovis, offrit un personnel mélangé de Francs, de Burgondes, de Gallo-Romains, de lètes-propriétaires, d’ecclésiastiques. A mesure que le gouvernement féodal s’organise, la convocation des assemblées nationales devient plus utile et l’exercice de la justice plus compliqué. Charlemagne décida qu’il y aurait tous les ans deux mahls, l’un au mois de mai, l’autre en automne, et, de plus dans chaque comté deux plaids annuels, sans préjudice des mahls et plaids extraordinaires qu’il lui conviendrait d’ordonner. En 788, l’empereur reconnut la nécessité de trois plaids généraux, et, en outre, il se plaisait à convoquer ses grands vassaux ecclésiastiques et laïques aux quatre fêtes principales de l’année.

L’archevêque Hincmar a tracé un tableau complet des champs de mai, et l’on remarque, suivant Guizot, que « Charlemagne le remplit seul. Il est le centre et l’âme de toutes choses, des assemblées nationales comme de son propre conseil. C’est lui qui fait qu’elles se réunissent, qu’elles délibèrent ; qui s’enquiert de l’état du pays, des nécessités du gouvernement ; en lui résident la volonté et l’impulsion ; c’est de lui que tout émane pour revenir à lui. » Le peuple n’a aucun rôle dans ces assemblées, et les grands n’y figurent qu’à titre consultatif. On peut dire que du règne de Charlemagne date véritablement l’implantation de la royauté dans le domaine légal du droit commun.

La royauté, qui s’appuie sur la loi, prend dès lors des racines si profondes, qu’elle se maintient debout, malgré la faiblesse des successeurs du grand Charles, malgré l’empiètement progressif des grands vassaux de la couronne. Aux intempérances des haines privées, des inimitiés de famille, que signalait l’érection permanente de fourches patibulaires auprès de chaque demeure ; aux passions brutales d’un chef ou d’un juge, souvent seul, sans assesseurs, et qui n’avait d’autre bourreau que lui-même, d’autre instrument de supplice que la hart ou la corde, sinon sa hache ou son épée, succédait l’action autoritaire d’un tribunal représentant la société, tribunal qui repoussa le défi, la guerre impitoyable d’homme à homme, de famille à famille, et dont le premier soin fut de garantir, non la vie de l’homme, c’était impossible en ces temps d’aveugle barbarie, mais du moins sa demeure. Insensiblement, l’inviolabilité de la maison’ s’étendit à des villes de refuge, à certains lieux publics, à l’église, au mahl, ou lieu des réunions nationales, au marché, à la taverne, etc. On voulait que l’accusé, innocent ou coupable, demeurât inviolable, depuis l’instant de la faute commise jusqu’au jour du jugement.

Circonscrit dans l’espace, le droit de vengeance ne le fut pas moins dans le temps. On lui enleva successivement le dimanche, les principales fêtes de l’année, tout l’avent, la semaine de Noël jusqu’à l’Épiphanie, les octaves de l’Ascension jusqu’à la Pentecôte, les quatre-temps, quelques vigiles ou veilles de fête. « Le pouvoir du roi, dit un écrivain sagace et judicieux, participait aussi, dans une certaine mesure, de celui de Dieu et des saints ; il imposait sa paix aux passions humaines : il la donnait par son scel, il la donnait avec la main ; il l’étendait sur toutes les grandes lignes de communication, sur les forêts, les principaux cours d’eau, les routes de premier et de second ordre, etc. La trêve ou paix de Dieu (1041) fut l’application logique de ces principes d’humanité. »

Roi carolingien dans son palais, sous les traits de la Sagesse

Roi carolingien dans son palais, sous les traits de la Sagesse, qui fait appel à tous les humains

On aurait tort de croire que la justice se dispensait alors des formalités et des atermoiements réguliers, qui devaient être la garantie de ses décisions. Nul n’était mis en cause sans avoir été préalablement assigné à comparaître devant le tribunal. Sous les Carolingiens, comme aux époques antérieures, la lune était prise pour régulatrice des termes d’assignation. On assignait, de préférence, au jour du premier quartier ou pendant la pleine lune ; on assignait par lunaisons ou par quartier de sept nuits en sept nuits.

L’assignation se faisait quatre fois, après lesquelles, si l’inculpé n’avait pas comparu, il perdait le bénéfice du débat contradictoire. La loi salique n’admettait même que deux assignations devant le comte, à quarante nuits d’intervalle l’une de l’autre. La troisième avait lieu quatorze nuits après, devant le roi, qui mettait l’inculpé hors de sa parole, confisquait ses biens et lui interdisait toute espèce d’asile, lorsqu’au quatorzième jour, avant le coucher du soleil, il ne s’était point présenté.

Chez les Visigoths, la justice était également hiérarchique, depuis le comte jusqu’au dizenier. Chaque officier magistrat avait son tribunal, sa compétence. Ces juges appelaient près d’eux des assesseurs, tantôt rachimbourgs, pris au hasard parmi les hommes libres ; tantôt scabins ou échevins (scabini), revêtus d’un caractère officiel et permanent. Les scabins, créés par Charlemagne, furent d’abord des magistrats élus. Ils étaient sept pour chaque siège ; eux seuls instruisaient les causes et préparaient la sentence. Le comte, ou son délégué, ne faisait que présider le tribunal et prononcer l’arrêt.

Tout vassal, défendeur, jouissait du droit d’appel au souverain. Le roi seul et sa cour prononçaient sur les conflits élevés entre seigneurs ecclésiastiques et laïques, entre particuliers compris dans la truste ou dans le protectorat royal. Au souverain, aux missi, au comte palatin, étaient exclusivement déférées les affaires criminelles. Le comte palatin jugeait en dernier ressort toutes les causes, telles que révoltes, séditions, luttes à main armée, où la paix publique se trouvait compromise.

Déjà, du temps de l’invasion, les Francs, les Bavarois, les Visigoths procédaient par enquête dans l’instruction des causes, et, avant de recourir aux épreuves judiciaires, ils invoquaient le témoignage et le serment ; alors celui qui jurait était absous. Ce système, honorable sans doute pour la dignité humaine, était une source d’abus, qu’on crut éviter, en appelant au serment la famille ainsi que les amis de l’accusé. Ils levaient la main sur un crucifix, sur des reliques ou sur une hostie consacrée. Ces témoins, nommés conjurés, venaient attester devant les juges, non le fait en lui-même, mais la véracité de celui qui invoquait leur témoignage.

Le nombre, la qualité des conjurés variait d’après l’importance de l’objet en litige. Grégoire de Tours rapporte que le roi Gontran (584-592) ayant élevé des soupçons sur la légitimité de l’enfant qui fut Clotaire II, Frédégonde, sa mère, en appela au témoignage des seigneurs neustriens ceux-ci jurèrent, au nombre de trois cents notables, ayant à leur tête trois évêques (tribus episcopis et trecentis viris optimis), et la reine fut déclarée innocente.

La loi des Burgondes et la loi des Angles, plus exigeantes que celles des races germaniques, mettaient les armes aux mains des plaideurs. Après avoir employé les épreuves au fer rouge et à l’eau bouillante, les Francs adoptèrent le duel judiciaire. Les épreuves ou ordalies étaient regardées comme le jugement de Dieu. Le chroniqueur Aimoin raconte qu’on y eut recours pour décider dans une querelle survenue entre Louis le Germanique et son frère Charles le Chauve : dix hommes furent soumis à l’épreuve de l’eau bouillante, dix à celle de l’eau froide, dix à celle du fer chaud. « Cette dernière épreuve, dit Chéruel, consistait à prendre avec la main nue un fer rougi au feu, ou à marcher pieds nus sur un fer brûlant. L’épreuve du feu était une des plus solennelles : on élevait deux bûchers dont les flammes se touchaient ; l’accusé, une hostie à la main, traversait rapidement les flammes et, s’il n’en recevait pas d’atteinte, il était réputé innocent. »

Les condamnés à l’épreuve de l’eau, froide ou bouillante, assistaient d’abord à la messe, avec leurs parents et amis. S’ils se prétendaient innocents, on les admettait à la communion. Puis le prêtre conjurait l’eau qui devait servir à l’épreuve. « Cela fait, on déshabillait ceux qu’on exposait au jugement de l’eau froide et, après leur avoir fait baiser l’Évangile et la croix, on les arrosait d’eau bénite ; on leur liait la main droite avec le pied gauche, et on les jetait dans une rivière ou dans une cuve, en présence de tout le monde. S’ils allaient au fond, comme c’était naturel, ils étaient réputés innocents ; si, au contraire, ils venaient sur l’eau, on disait que cet élément les rejetait, et on les tenait pour convaincus du crime qui leur était reproché. »

L’épreuve de l’eau chaude consistait à plonger le bras dans une chaudière d’eau bouillante pour en retirer un menu objet qu’on y avait jeté. Ces épreuves restèrent en usage dans toute l’Europe jusqu’au XIIIe siècle.

Quant au duel judiciaire, considéré comme l’ordalie par excellence, il fut imposé d’abord aux parties, puis aux témoins, et quelquefois aux juges eux-mêmes. A partir du règne de l’empereur Othon le Grand (936), le duel judiciaire, restreint primitivement aux cas les plus graves, fut introduit dans presque tous les débats devant les tribunaux ; on n’en excepta ni les femmes, ni les vieillards, ni les enfants, ni les infirmes. Quand on ne pouvait se battre par soi-même, on produisait un champion, qui n’avait pas d’autre métier que de prendre en main les querelles d’autrui.

Les gens d’église devaient se battre également par procuration. Le champion ou avoué se faisait payer d’avance, bien entendu. Dans certains cas, le duel judiciaire semble avoir été déféré même contre un animal, si la légende du chien de Montargis repose sur un fait véritable. Louis le Gros tenta de réformer la coutume des ordalies, et Louis VII l’autorisa seulement en de rares circonstances. Louis IX voulut y substituer la preuve par témoins, mais le préjugé était tellement enraciné qu’il résista encore plus d’un siècle.

 
 
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