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Coronavirus : quatorzaine, quarantaine et première quarantaine maritime de l'Histoire

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Coronavirus : quatorzaine, quarantaine
et première quarantaine maritime
de l’Histoire
(D’après « Coronavirus. Alors, faut-il dire quatorzaine ou quarantaine ? »
du 12 mars 2020 par France 3 Nouvelle-Aquitaine
et « Pavillon jaune. Histoire de la Quarantaine,
de la Peste à Ebola » (par Sofian Bouhdiba) paru en 2016)
Publié / Mis à jour le vendredi 13 mars 2020, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
Si la question se pose de l’utilisation du mot « quatorzaine », désignant la mise à l’isolement provisoire de personnes et apparu récemment dans les publications évoquant le Coronavirus (Covid-19), la première quarantaine maritime fut quant à elle décrétée en 1377 par la colonie vénitienne de Raguse, de nombreuses lois similaires entrant en vigueur dans les 80 années qui suivirent, notamment à Marseille, Venise, Pise et Gênes

Depuis l’arrivée de cette épidémie de Coronavirus, on parle de « quatorzaine ». Mais ce terme est-il justifié et bien utilisé dans la langue française pour désigner cette mesure de mise à l’écart de personnes, animaux ou même marchandises ?

À l’origine le mot quatorzaine est utilisé dans le monde juridique. En droit, la quatorzaine est un nom féminin singulier qui définit un « espace de quatorze jours qui s’observait légalement entre les diverses étapes d’une saisie judiciaire ». On retrouve aussi ce mot dans les dictionnaires d’autrefois. Le dictionnaire Émile Littré, dictionnaire de la langue française (1872-77) possède ce mot d’un autre temps : quatorzaine. C’est un terme de pratique ancienne qui indique un « espace de quatorze jours, qui s’observait de l’une à l’autre des quatre criées des biens saisis réellement. »

Habit et masque des médecins allant au contact des pestiférés. Gravure allemande de 1656

Quatorzaine est un substantif
Depuis l’arrivée du Coronavirus, les médias et les institutions se sont approprié le mot quatorzaine et l’utilisent à tout va. Mais dans la langue française, le sens de ce mot n’est pas forcément à être utilisé pour évoquer une mesure de mise à l’écart. C’est bien le mot quarantaine qui prime, même si cela ne se traduit pas obligatoirement par un isolement de 40 jours. Ceci-dit, nos « cousins » du Canada utilisent le mot quatorzaine qui désigne pour eux un espace de quatorze jours, dans leur langage courant.

Dans le cas du Covid-19, il semble préférable de privilégié le terme quatorzaine. La durée de l’incubation pouvant aller jusqu’à 14 jours. En cas de risque de contamination, il faut donc éviter tout contact avec l’extérieur pendant cette période. Voici la définition du mot quarantaine donnée par le dictionnaire Larousse : Quarantaine : « Mesure de police qui consiste à imposer un isolement provisoire de durée variable aux personnes, aux navires ou aux animaux et aux marchandises provenant d’un pays infecté par une maladie contagieuse ».

Un peu d’histoire : origine du mot « quarantaine » et première quarantaine maritime
La quarantaine symbolise l’isolement imposé (de quarante jours à l’origine) d’une personne ou d’un animal atteint ou susceptible d’être atteint d’une maladie contagieuse, et pour empêcher sa propagation. Le sens de ce mot vient de l’italien quarantena qui signifie quarantaine de jours, une période d’isolement imposée à Venise.

Tout concorde à affirmer que c’est dans l’Italie du nord de la fin du XIVe siècle que seraient nées les premières mesures quarantenaires de l’humanité. Durant l’été 1373, une épidémie de peste particulièrement virulente se déclare dans le duché de Milan. Aussitôt, un réseau organisé de points de contrôles sanitaires est installé, tout le long des routes et à l’entrée des grandes villes du duché. Face à l’étendue du mal, le seigneur de Milan, Bernabò Visconti, prend alors des mesures énergiques, quoique peu cruelles pour endiguer le mal : il enferme les pestiférés dans leurs maisons et les fait détruire.

Nous avons retrouvé dans les Chroniques de Milan du XIVe siècle un texte attestant des mesures prises, et en particulier l’exil des pestiférés dans la forêt pour y mourir. Méfiant, Bernabò Visconti institue également une quarantaine de dix jours pour tout voyageur suspect désirant entrer dans une des villes du duché, l’isolement se faisant prudemment à l’extérieur des murs, explique Patrice Bourdelais, directeur d’études émérite à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, dans Les épidémies terrassées. Une histoire de pays riches (2003). Encore faut-il s’entendre sur la signification du mot « suspect » : sur quelles bases pouvait-on à cette époque juger d’un coup d’œil de l’état de santé d’un voyageur ?

Malgré de telles mesures drastiques, la population de Milan perdra plus des deux tiers de sa population, d’autant plus que cette peste estivale, en fauchant les agriculteurs, sera la cause du pourrissement sur pied des récoltes de blé. Ceux qui survivent à l’épidémie mourront de faim.

Tableau votif avec pour thème la grande peste de Vienne de 1679, église Saint-Michel de Vienne (Autriche)
Tableau votif avec pour thème la grande peste de Vienne de 1679,
église Saint-Michel de Vienne (Autriche)

C’est quelques années plus tard, dans la même région, que naîtra véritablement la quarantaine au sens où nous l’entendons aujourd’hui. En juillet 1377, en pleine épidémie de peste, la colonie vénitienne de Raguse — capitale de la République maritime de Raguse, aujourd’hui Dubrovnik en Croatie — commence à emprisonner systématiquement tous les voyageurs en provenance des zones infectées. L’enfermement a lieu dans deux îles isolées, Mrkan et Bobara, situées au large de Cavtat — petite ville située à 20 km de Dubrovnik —, pour des périodes de trente jours, ou « trentines », rapporte l’historien de la médecine Mirko Drazen Grmek (1924-2000) dans Le concept d’infection dans l’Antiquité et au Moyen Âge, les anciennes mesures sociales contre les maladies contagieuses et la fondation de la première quarantaine à Dubrovnik (1980). Face au peu d’efficacité de la mesure, la période de détention des suspects est rapidement portée à quarante jours, d’où le nom de « quarantaine ».

Certains auteurs voient, dans ce trop rapide passage des trentines aux quarantaines, des considérations mystico-religieuses. Grmek pose ainsi la question : « Pourquoi quarante jours ? La durée d’incubation des maladies quarantenaires n’est pas si longue, et il est donc difficile d’admettre que ce délai ait été établi sur des bases empiriques ». Il est vrai que le choix du chiffre quarante n’était guère fortuit, tant ce chiffre était chargé de symbolique.

En effet, derrière les quarante jours, se profilait probablement une référence à la tradition chrétienne du carême, période de quarante jours de purification, avance Kilwein dans un article paru en 1995 au sein du Journal of Clinical Pharmacy and Therapeutics. D’autres auteurs, se cantonnant au registre biblique, y voient plutôt une référence au déluge — les eaux du déluge se sont abattues sur la terre sans interruption, pendant quarante jours et quarante nuits —, ou au séjour de Moïse sur le mont Sinaï, explique Johns Hopkins en 2001 dans Foundations of public health : history and development. L’isolement de quarante jours reste donc surdéterminé par divers facteurs non nécessairement médicaux et empiriques, suggère Mirko Drazen Grmek dans L’homme, la santé et la mer (1997).

Cependant, il est plus probable de voir dans cette période de 40 jours une réminiscence de l’ancien précepte d’Hippocrate, selon lequel une maladie aiguë doit nécessairement se déclarer dans les quarante jours de sa contraction. Cette explication donne raison au docteur Frank Gerard Clemow, médecin britannique qui avait été délégué de l’Angleterre au Conseil Supérieur de Santé de Constantinople, en 1904, et pour qui ces quarante jours correspondent plus simplement à l’affirmation hippocratique que le quarantième jour d’une maladie est un jour de crise, c’est-à-dire qu’il permet d’émettre une décision sur la bonne ou au contraire la funeste issue d’un épisode morbide (article de F. G. Clemow intitulé The origin of quarantine et paru dans The British Medical Journal).

Les médecins médiévaux étaient ainsi persuadés que le quarantième jour marquait la limite entre les maladies aiguës et celles chroniques. Une fièvre qui se prolongerait au-delà du quarantième jour perdait ainsi toute nature pestilentielle. Dans la même veine, les alchimistes du Moyen Âge accordaient une importance capitale aux mois philosophiques, ces cycles de quarante jours durant lesquels s’opéraient certaines transmutations, dont les processus de circulation, de digestion et de putréfaction.

Effrayé par l’intensité de l’épidémie de 1377, Jacob de Padoue, qui occupait alors le poste de médecin chef de Raguse, va même proposer de construire, hors des murs de la cité, un édifice destiné à traiter les citoyens malades ou simplement suspectés d’être pestiférés. Cela dénote un changement radical dans la procédure de la quarantaine : il ne s’agit plus seulement d’enfermer l’étranger. Obéissant à un vieux réflexe d’homéostasie, la société occidentale médiévale commence alors à fabriquer un système excluant ses propres membres, dès lors qu’ils sont seulement suspectés de représenter un danger pour l’ensemble de la communauté. La frontière n’est plus tracée entre malades et bien portants, mais plutôt entre sains et inconnus.

Scène de la peste de 1720 à la Tourette (Marseille). Peinture de Michel Serre
Scène de la peste de 1720 à la Tourette (Marseille). Peinture de Michel Serre

L’État de Raguse, dont l’économie florissante était alors essentiellement basée sur le commerce maritime, avait grand intérêt à protéger son port, car on savait qu’une épidémie de peste aurait eu pour effet immédiat de dissuader toute tractation avec les autres cités. C’est donc autant pour protéger ses concitoyens que pour préserver l’économie de l’État que le Recteur de Raguse — gouverneur de la cité,un nouveau recteur était élu mois — va éditer la célèbre Loi de Raguse de 1377, premier texte connu définissant et organisant les procédures de quarantaine.

Cette loi énonce quatre principes fondamentaux, qui seront ensuite repris, à peu de choses près, par toutes les législations internationales ultérieures régissant les quarantaines :

1° Les citoyens ou voyageurs provenant de lieux infectés ne peuvent être admis à Raguse tant qu’ils n’auront pas été isolés pendant un mois ;

2° Aucun citoyen de Raguse n’est autorisé à pénétrer à l’intérieur de l’aire d’isolement, sous peine d’y être enfermé pendant trente jours ;

3° Les personnes chargées par le Grand Conseil de soigner ceux qui sont en quarantaine ne sont pas autorisées à leur ramener de la nourriture, sous peine de rester avec eux pendant un mois ;

4° Quiconque ne se plie pas à ces règles devra payer une amende et sera isolé pendant un mois.

Les premières ordonnances quarantenaires de Raguse prescrivent un isolement exceptionnellement long de trois mois, sans toutefois mentionner le mot « quarantaine ». Aucune expression technique particulière ne figure d’ailleurs dans ces premiers textes fondamentaux. Le législateur ragusain préfère plutôt employer l’expression Ordines pro peste en 1391, puis celle un peu plus élaborée de Prouisio morbi pestiferi euitandi en 1422. Jusqu’au XVIIe siècle, alors même que le mot « quarantaine » devient courant en Méditerranée, les Ragusains s’attachent encore à employer l’ancien mot Contumacia.

Les années suivant cette première Loi de Raguse de 1377 témoignent d’un très net durcissement de la législation, très probablement lié à la virulence des épidémies de peste qui frappaient alors régulièrement la cité. Vers la fin du XIVe siècle, la loi quarantenaire est ainsi renforcée par la création d’un corps d’officiers sanitaires, et par l’instauration de sanctions qui vont jusqu’à des peines de corps. Par les décisions du Grand Conseil de Dubrovnik, datées du 8 juin 1391, du 5 janvier 1397, du 25 mai 1379 et du 28 juin 1397, le contrôle de l’isolement quarantenaire fut rendu beaucoup plus strict. On désigna des fonctionnaires particuliers qui devaient surveiller les frontières, vérifier les documents des voyageurs, fixer la durée de l’isolement, organiser et contrôler la vie dans les lieux d’isolement, chasser les récalcitrants et punir les transgresseurs des lois sanitaires.

Officiers de vaisseaux mis en quarantaine à Marseille et recevant la visite de leur femme et enfants lors de l'épidémie de choléra de 1884. Gravure anglaise du temps
Officiers de vaisseaux mis en quarantaine à Marseille et recevant la visite de leur femme
et enfants lors de l’épidémie de choléra de 1884. Gravure anglaise du temps

Ces officiers étaient autorisés à punir sévèrement les coupables, sans devoir recourir pour cela à un autre pouvoir judiciaire. Si, par exemple, quelqu’un essayait d’échapper à l’isolement, il avait à payer de cinquante à cent perpers — monnaie de l’éphémère empire médiéval serbe — ; dans les cas graves ou lorsqu’il s’agissait d’indigents, on marquait le coupable au fer rouge ou on allait jusqu’à lui couper une oreille, explique Mirko Drazen Grmek.

En 1397, l’ancien couvent de l’île de Mljet — aujourd’hui Parc National de Croatie, l’île est située entre Korcula et Dubrovnik — est converti pour accueillir — reclure ? — les voyageurs en quarantaine. Une polémique anime aujourd’hui encore les historiens du monde entier concernant le lieu où aurait été édifié le premier lazaret de l’Humanité. La primauté du bâtiment de Mljet est contestée, au profit du lazaret de Venise. Certains auteurs, tels l’historien italien Dominico Barduzzi, Garrison ou le médecin John J. Keevil, proposent même une date postérieure, considérant que le premier lazaret dans l’histoire ne daterait que de 1464, date de la fondation du lazaret de Pise, à proximité de l’église Saint Lazare.

Quelle que soit l’hypothèse considérée, retenons que c’est dans une république maritime du sud de l’Europe que serait née l’idée de construire un bâtiment spécifiquement affecté à l’isolement des voyageurs potentiellement contagieux.

 
 
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