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28 avril 1770 : mort de la danseuse d'Opéra Marie-Anne de Camargo

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28 avril 1770 : mort de la danseuse
d’Opéra Marie-Anne de Camargo
(D’après « Dimanche illustré » du 21 septembre 1924)
Publié / Mis à jour le vendredi 28 avril 2023, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
De toutes les danseuses ayant illustré l’Académie nationale de musique, la Camargo, chantée à l’envi par les poètes, est sans doute restée la plus célèbre, apportant à l’art chorégraphique une innovation profonde : c’est elle qui supprima, pour la danse, les jupes longues qui étaient la tenue habituelle des ballerines.

Marie-Anne de Cupis de Camargo, dite la Camargo, est, sans doute, la plus célèbre de toutes les danseuses de notre Opéra. Les chroniqueurs l’ont célébrée ; romanciers et auteurs dramatiques se sont emparés de son nom sonore ; les plus grands artistes nous ont laissé son image.

Légère et forte en sa souplesse,
La vive Camargo sautait

écrit Voltaire en son Temple du goût.

La danse, à l’Opéra, lui doit, d’ailleurs, une grande réforme et qui suffirait, dans le monde spécial du théâtre tout au moins, à immortaliser son nom : c’est la Camargo qui introduisit dans les corps de ballet les jupes courtes ; avant elle, les danseuses portaient des jupes qui leur venaient jusqu’aux chevilles. Réforme qui, lors de son apparition, souleva des tempêtes. Le baron Grimm, en sa célèbre correspondance, en parle en termes plaisants.

La Camargo. Peinture de Nicolas Lancret (1723)

La Camargo. Peinture de Nicolas Lancret (1723)

Quand la Camargo inaugura cette invention utile, qui met les amateurs en état de juger avec connaissance des jambes des danseuses, les puritains protestèrent avec véhémence ; mais d’autres, d’un éclectisme plus libéral, approuvèrent non moins bruyamment. On mit la question à l’étude ; il y eut des commissions de nommées, des rapports de rédigés : finalement, on se décida pour les jupes raccourcies, mais avec obligation, pour les danseuses, de porter des caleçons.

Grimm ajoute que la Camargo s’était déjà retirée de la scène depuis bien des années que la question des caleçons était toujours discutée. Un critique ayant avancé que la Camargo dansait si parfaitement qu’on ne lui voyait jamais que le bas des jambes, en sorte quelle ne portait pas de caleçons, des paris furent engagés. La Camargo portait-elle des caleçons, n’en portait-elle pas ? On vint lui demander de trancher le litige. La Camargo attesta que non seulement elle avait toujours porté des caleçons, mais que leur usage au théâtre datait de la réforme qu’elle avait introduite en raccourcissant la longueur des jupes.

Peu après, au témoignage de Talma, qui en parle dans ses mémoires, les caleçons, aux plis disgracieux, furent remplacés par les fameux maillots, ainsi baptisés du nom de leur inventeur et qui, depuis le début du XIXe siècle ont eu, non seulement à Paris et en France, mais dans le monde entier, le succès que l’on sait. Ainsi en va-t-il des plus grandes et des plus durables réformes.

Mademoiselle de Camargo. Gravure (colorisée ultérieurement) d'Eugène Gervais réalisée en 1865 d'après une peinture de Nicolas Lancret

Mademoiselle de Camargo. Gravure (colorisée ultérieurement) d’Eugène Gervais
réalisée en 1865 d’après une peinture de Nicolas Lancret

La Camargo naquit à Bruxelles le 15 avril 1710. Elle appartenait à une très noble famille d’origine italienne, qui avait compté nombre de chevaliers, voire, à la fin du XVIe siècle, un cardinal mort doyen du Sacré Collège et protecteur des affaires de France à Rome. Le nom italien Cuppi avait pris la forme Cupis. L’aïeul de la future danseuse, officier dans les armées impériales, était mort les armes à la main. Son père, fils d’un officier sans fortune, était devenu maître de musique et de danse, bohème et familier des estaminets. Le nom de Camargo, que la jeune fille rendra illustre, était celui d’une aïeule, et qui brillait déjà dans les livres héraldiques de la noblesse espagnole.

La petite Marie-Anne — c’était le nom de l’enfant — était si gracieuse, si jolie, elle témoignait d’un goût si vif pour la musique que la princesse de Ligne s’intéressa à son sort. C’est ainsi qu’elle fut amenée de Bruxelles à Paris, où elle reçut les leçons de Mlle Prévost, première danseuse de l’Opéra.

Les progrès de l’enfant furent surprenants, au point que, à peine âgée de douze ans, Marie-Anne de Cupis — bientôt nommée la Camargo — venait remplir la ville de Bruxelles de plaisir et d’étonnement. Engagée à l’Opéra de Rouen, ses succès s’affirmèrent, au point que la renommée en vint aux oreilles de Francine, directeur de l’Opéra de Paris. Francine vint à Rouen, vit la jeune danseuse et l’engagea pour son théâtre.

La Camargo débuta, à l’Opéra de Paris, le 5 mai 1726, dans une série de danses intitulée Danses de caractère. Elle avait seize ans. Ce fut un triomphe. « Jamais, écrit l’un des spectateurs, salle de spectacle ne retentit d’autant d’applaudissements qu’en reçut la débutante. Il ne fut plus question, pendant la vivacité de l’enthousiasme du public, de parler d’autre chose dans les sociétés, que de la jeune Camargo. Toutes les modes nouvelles portèrent son nom. » On se coiffa à la Camargo, on s’habilla à la Camargo, surtout on se chaussa à la Camargo.

La Camargo dansant. Gravure de 1880 d'Edmond Hédouin réalisée d'après une peinture de 1730 de Nicolas Lancret

La Camargo dansant. Gravure de 1880 d’Edmond Hédouin
réalisée d’après une peinture de 1730 de Nicolas Lancret

Le cordonnier de la petite danseuse se nommait Choisy : il fit fortune en peu de temps. Comme il n’était dame, à Paris, qui ne fût persuadée que son pied était le plus joli du monde, nulle ne doutait qu’il lui suffirait d’être chaussée par Choisy, pour avoir un pied plus charmant encore que le pied si renommé de la Camargo.

L’illustre maréchal de Villars, le vainqueur de Denain, tout brillant encore de la gloire dont il venait de se couvrir, rencontrant la petite danseuse aux Tuileries, au bord du bassin, s’approcha d’elle pour lui faire ses compliments avec toutes les marques de l’admiration la plus vive. Comme une traînée de poudre, la nouvelle s’en répandit dans le jardin tout entier, qui retentit d’applaudissements et ce fut en une ovation triomphale que la petite Camargo quitta le jardin au bras
du vieil et glorieux guerrier. Pour comprendre le caractère de cette scène, il faut savoir qu’au XVIIIe siècle, les Tuileries formaient comme un grand salon en plein air. On n’y était admis qu’avec une tenue décente, voire élégante. Ceux qui s’y trouvaient, s’abordaient les uns les autres comme des familiers. C’est sur l’une des terrasses des Tuileries, la terrasse des Feuillants, que s’assemblaient les nouvellistes et informateurs, journalistes du temps.

À l’Opéra néanmoins, les succès de la Camargo subissaient un temps d’arrêt. Elle avait à souffrir de la jalousie de Mlle Prévost, première danseuse, qui avait été son initiatrice dans l’art charmant de Terpsichore et qui ne pouvait souffrir qu’avec impatience de se voir éclipsée par sa jeune élève. Maintenue dans les cadres du corps de ballet, la petite Camargo ne parvenait pas à se pousser au premier plan, quand, de la manière la plus imprévue, le hasard et son audace la servirent également.

Marie Anne de Cupis de Camargo, dite la Camargo, d'après un portrait réalisé par Maurice Quentin de La Tour

Marie Anne de Cupis de Camargo, dite la Camargo, d’après un portrait
réalisé par Maurice Quentin de La Tour

On donnait, sur la scène de l’Académie royale de musique, un « ballet infernal », c’est-à-dire, où des quantités de petits diables, de bons petits diables, faisaient les pirouettes, les cabrioles et les entrechats les plus divertissants. Un danseur, fort goûté du public, nommé Dumoulin, tenait le rôle du diable principal. Son air s’annonce, il ne paraît point. La petite Camargo, qui figurait parmi ses camarades en diablotin sans importance, saisit l’occasion, s’élance, sans permission aucune, sur le devant de la scène, et comme inspirée par Terpsichore en personne, remplit de ses fantaisies le « pas » entier du danseur absent, s’adaptant d’une manière si pittoresque et si juste aux lignes les plus délicates de la musique, que la salle toute entière, après un moment de surprise, éclate en un tonnerre d’applaudissements. Désormais, il n’était plus puissance sur terre capable d’arrêter la Camargo en sa carrière enchanteresse.

Ah ! Camargo, que vous êtes brillante,
Les nymphes sautent comme vous...

lui écrit encore Voltaire.

La Camargo, de succès en triomphe, n’était entourée que d’admirateurs, d’adorateurs, quand, tout à coup, elle disparut. Qu’était-elle devenue ? Londres ou Milan ou Rome, ou le roi de Prusse, I’avaient-ils enlevée aux Parisiens à prix d’or ? Ensuite d’on ne sait quelle intrigue ténébreuse, avait-elle été mystérieusement enfermée par lettre de cachet, entre les hautes tours de la Bastille ? Ou bien la danseuse, revenue sur les joies frivoles du monde, avait-elle été s’enterrer dans la paix pieuse d’un couvent ?... Les hypothèses allaient bon train. Les plus extravagantes trouvaient le plus de crédit. Seuls, quelques familiers, bien informés, disaient que la Camargo avait trouvé le bonheur et qu’elle était allée l’abriter dans une retraite intime.

Enfin, six années passées — un bonheur de si longue durée, mais, diraient les sceptiques, on n’avait jamais vu ça — en 1740, la Camargo reparut à l’Opéra, dans le Prologue des Fêtes grecques et romaines, avec un succès, un talent, une grâce qui ne s’étaient pas altérés. Paris retrouvait sa petite reine de la danse.

Quoique, en sa danse, la Camargo fût vive et légère, elle ne fit jamais, ce que les contemporains nomment, de gargouillade, ne jugeant pas ce genre d’élancements et de cabrioles convenable à son sexe. Elle excellait surtout dans les pas classiques du menuet, qu’elle dansait avec une vivacité et une légèreté extrêmes, sur le bord des lampes, d’un bout de la scène à l’autre, d’abord de gauche à droite, puis de droite à gauche, aux acclamations d’un public enthousiaste. La Camargo n’avait pas seulement des jambes, jolies et harmonieuses, elle avait une voix qui ne l’était pas moins, ce qui l’amena à doubler plus d’une fois, à l’Opéra, ses rôles de ballerine, d’un rôle de cantatrice.

La Camargo. Pas de la nuit. Gravure d'Émile Desmaisons de 1884

La Camargo. Pas de la nuit. Gravure d’Émile Desmaisons de 1884

La Camargo prit sa retraite de l’Académie royale de musique en 1751 — elle avait quarante et un ans — avec la pension la plus élevée (1500 livres) qu’une artiste de son rang eût jamais obtenu. Elle avait reçu, en 1739, des « lettres de naturalité », la déclarant française. Elle se retira, continuant de recevoir les hommages de nombre d’amis et d’admirateurs fidèles.

Nous avons une bien curieuse relation d’une visite qui fut faite à la célèbre danseuse, vers cette époque, par quelques gens de lettres, le baron Grimm, Duclos, secrétaire perpétuel de l’Académie française, le philosophe Helvetius, Pont de Veyle, l’ami de Voltaire et l’un des hommes les plus spirituels de son temps. La Camargo demeurait en une vieille maison de la rue Saint-Thomas-du-Louvre. Une domestique, qui paraissait plus vieille encore, vint ouvrir. « Nous désirons parler à Mlle Camargo. »

Les visiteurs furent introduits dans un salon vaste, peu éclairé, mais bien singulier. On y voyait divers portraits de la danseuse par les artistes les plus renommés : il en est qui sont demeurés célèbres, celui de Lancret, celui de La Tour, un pastel admirable ; aux murs du salon, on voyait également accrochées Vénus à Cythère et l’image des Trois Grâces, confondues avec une Madeleine au tombeau du Christ, un Christ au Jardin des Oliviers, une Vierge des douleurs et autres « saintetés ». Des buis bénits voisinaient avec des trophées d’opéra avec lesquels ils semblaient, d’ailleurs, faire très bon ménage.

Une porte s’ouvrit et le philosophe Helvetius avec ses compagnons, qui s’attendaient à voir paraître la danseuse, virent déboucher une meute de chiens de toutes formes, de tous poils et de toutes couleurs ; la Camargo les suivait, tenant un magnifique angora dans ses bras. La danseuse continuait à vivre entourée d’une cour d’amis et ceux-ci, disait-elle, en montrant ses chiens aux gens de lettres, en valent bien d’autres.

Marie-Anne de Cupis de Camargo mourut à Paris, le 28 avril 1770, âgée de soixante ans. Des amis fidèles lui firent faire des funérailles magnifiques, tout de blanc drapées ; car, en ce temps, une demoiselle, qui n’avait jamais été mariée, avait droit aux blanches funérailles, quelque fût son âge au jour de sa mort.

 
 
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