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Hé ! Lambert ! Scie musicienne, origine refrain populaire, 15 août 1864

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Anecdotes insolites
Petite Histoire de France et anecdotes, brèves et faits divers insolites, événements remarquables et curieux, événements anecdotiques
Hé ! Lambert ! Refrain fredonné
partout en France dès août 1864
(D’après « Le Musée de la conversation », édition de 1897
et « Le Petit Journal » du 18 août 1864)
Publié / Mis à jour le mardi 21 février 2012, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
A la fin du XIXe siècle, beaucoup se souvenaient encore de ce refrain, scie horripilante qui éclata soudain en pleine canicule, dans la journée du 15 août 1864, et qui se répandit comme une traînée de poudre d’un bout à l’autre de la France. On l’entendait voler de bouche en bouche dans tous les lieux où se portait la foule, sur les places, les boulevards, dans les théâtres, et surtout dans les gares et dans les trains de chemins de fer.

Ce cri avait le rare privilège de dérider tous les visages. Il suffisait d’ailleurs amplement aux besoins d’échange de cette population rendue plus communicative par une chaleur étouffante. D’abord on n’y comprit rien, ceux qui criaient pas plus que ceux qui entendaient crier. Que signifiait cette scie ? D’où venait-elle ? On s’interrogea. Des légendes se formèrent. Des histoires plus ou moins vraisemblables circulèrent, et voici, grâce aux journaux du temps, les renseignements que nous avons pu recueillir sur l’origine d’ « Hé Lambert ! »

Il est d’abord certain que ce cri ne fit pas sa première apparition dans la journée du 15 août. Depuis quelques jours déjà on pouvait entendre au café-concert du XIXe Siècle : Hé ! Lambert ! scie parisienne, paroles de Beaumaine, chantée par Alexandre Legrand sur l’air de la Belle Polonaise. La chanson commençait ainsi :

C’est pour moi plus qu’un frère,
Y a quinze ans qu’ je l’connais :
Il couchait chez mon père.
C’est moi qui l’ nourrissais !
Il a l’œil bleu, l’humeur franche,
Il est toujours mal vêtu !
Et v’là l’troisième dimanche
Que je ne l’ai pas revu !

Hé ! Lambert !
Vous n’auriez pas vu Lambert,
A la gar’ du chemin de fer ?
Vous n’auriez pas vu...
Lambert ? (5 fois)

S’est-il noyé dans la mer,
S’est-il perdu dans l’désert ?
Qu’est-c’ qu’a vu Lambert ?
Lambert ! (4 fois)

J’ai fait mettre une affiche
Ous que je le r’clamais,
Oui, mais va te fair fiche !
Il n’y a qu’moi qui l’connais !...

J’ai parcouru tout’ l’Asie,
Bagnolet et l’Bas-Meudon,
S’rait-il mort d’apoplexie
Dans l’parterr’ de l’Odéon ?

Cri : Eh ! Lambert !

Vous n’auriez pas vu Lambert ? etc.

Le troisième couplet fait allusion à un incident que nous trouvons rapporté par Le Petit Journal et Le Pays, et qui a évidemment servi de prétexte à cette chanson. Quelques jours avant la fête, le 9 août, une dame qui assistait aux exercices de l’école de nuit à Vincennes aurait égaré son mari nommé Lambert. Elle l’aurait redemandé à tous les échos, et de mauvais plaisants, imitant ses cris désespérés, auraient répété sur tous les tons : Hé ! Lambert ! As-tu vu Lambert ?

En effet, dans le numéro du 18 août 1864 du Petit Journal, le journaliste Timothée Trimm explique que ces jours derniers, la population entière a jeté un cri nargueur, mais sans signification plausible : « Hé ! Lambert ! » Les hommes, les femmes, les enfants, les soldats, les cochers, les domestiques s’abordaient avec ces mots, narquois d’expression : « Hé ! Lambert ! » Les acteurs des théâtres de Paris, qui n’ont ni Lambert ni Molière, s’en sont tous mêlés. Parlant à la foule, dans les vaudevilles à spectacle, le comique de la troupe disait, en cherchant au milieu des choristes : « Hé ! Lambert ! Où est-il ? » A la grande hilarité du parterre et des loges. Enfin, on vend, à l’heure qu’il est, dans les rues une chanson tirée à 100000 exemplaires, et que les provinciaux emportent dans leurs départements, qui a pour titre : Hé Lambert ! scie parisienne.

Cette chanson nous révèle le mystère, explique encore Le Petit Journal : c’est une scie, ni plus ni moins. Ouvrez Alphonse Karr, feuilletez les albums de Cham, cherchez même dans le Dictionnaire du XIXe siècle qu’édite M. Larousse, vous trouverez l’explication du mot scie. On appelle généralement du mot scie toute répétition de mot, de phrase, de question ayant pour but d’agacer le lecteur, d’attenter à sa patience, de troubler sa quiétude. Dans certaines carrières, c’est une épreuve à subir. L’Ecole polytechnique a eu ses scies. Les ateliers des grands peintres en sont le continuel théâtre. Le moral de l’homme se juge bien, au contact de ces mystifications.

Mais toute scie a son origine, sa racine, comme une expression dérivée du latin ou du grec. J’ai cherché celle de l’exclamation Eh Lambert ! ajoute Trimm. Et voici ce qui m’a été raconté :

L’autre soir, il y avait 100 000 âmes à Vincennes. On faisait l’école de nuit. On tirait le canon. On lançait les bombes et les obus, à l’extrême satisfaction des Parisiens, amateurs de la poudre. Dans la bagarre, une dame perdit une valeur essentielle. Elle avait peur des voleurs et elle veillait avec soin sur sa montre, sa chaîne, sa broche et son parapluie. Mais on ne s’avise jamais de tout. Elle égara son mari. Et fit retentir les airs de ses douleurs sentimentalement comiques.

Elle s’en allait de batterie en batterie, de buisson en buisson, de place en place, criant avec un soprano légèrement fêlé cette lamentation monotone : « Hé ! Lambert ! » Et tout ce peuple, venu pour rire, que le canon d’artillerie et le canon de vin des vivandières avait mis en gaieté, répéta Hé ! Lambert ! sur tous les tons de la gamme, puis à son retour dans Paris, cette légion de cent mille voix jeta l’appellation, en guise de quolibet, dans tous les quartiers du Paris moqueur.

La chanson elle-même immortalise l’odyssée de la pauvre femme qui a perdu son mari, contre-partie hilarante du Sire de Framboisy qui avait perdu sa femme. Ici, le journaliste en donne un extrait, que nous avons retranscrit précédemment, avant de préciser qu’il existe d’autres versions, nous livrant celle que publie Le Pays :

C’était dans un train de plaisir de Paris à Cherbourg. Toute une bande de jeunes commis merciers occupait un wagon qu’ils remplissaient de bonne humeur et de coqs-à-l’âne. Cette ruche bruyante et roulante était d’autant plus remarquée aux stations du convoi, que, fanatiques de couleur locale, les douze échappés des Villes de France ou de la Ville de Lyon avaient abandonné leurs casquettes pour se coiffer d’immenses bonnets de coton dont les mèches dressées allaient vers les étoiles.

Au buffet de Caen, après de bons coups de fourchette, l’un des gais compagnons, nommé Lambert, avait tout à coup disparu. On monte en voiture, il n’arrive pas. On va partir : Eh ! Lambert ! Ohé ! Lambert ! » crie sur tous les tons la bande aux abois. Enfin Lambert arrive, ce qui n’empêche pas les cris de continuer et de se renouveler crescendo à toutes les stations. Il paraît que la plaisanterie fut fort goûtée, car depuis lors il n’y a pas eu de train de plaisir sans le « Eh ! Lambert ! » consacré.

La légende de Lambert est multiple, poursuit Timothée Trimm, c’est-à-dire que l’origine du mot est encore assez mal définie. Le même journal a raconté l’histoire de cet imprudent qui, le soir, changeant de chemise, dans sa chambre éclairée, avait oublié de tirer les rideaux et se faisait apostropher par les badauds attroupés sous sa fenêtre des cris de « Ohé Lambert ! As-tu vu Lambert ? » Faut-il croire que le berceau de cette étonnante bêtise à la mode soit dans la chambre de cet insouciant personnage ? Nous n’oserions l’affirmer.

Remarquez que les gens qui se nomment vraiment Lambert sont ahuris par la clameur à la mode. Il y en a 122 dans l’almanach des Cent mille Adresses. Il y a le baron Lambert ; Lambert, agent de change ; Lambert, architecte ; Lambert, aumônier des sourds-muets ; Lambert, avocat ; Lambert, banquier ; Lambert, layetier ; Lambert, bottier ; Lambert, boucher ; Lambert, boulanger ; Lambert, libraire ; Lambert, caissier de chemin de fer ; Lambert, chemisier ; Lambert, coiffeur ; Lambert, conseiller référendaire ; Lambert, tapissier ; Lambert, graveur sur bois ; Lambert, papetier ; Lambert, restaurateur ; Lambert, laitier ; Lambert, ancien notaire ; et tant d’autres, sans compter Lambert Thiboust, et Lambert, prix d’honneur du concours général. Ils vont, si cela continue, demander à changer de nom.

O mon joyeux et spirituel peuple de Paris ! croyez-vous que ce nouveau passe-temps soit réellement à la hauteur de votre intelligence et de votre verve habituelles ? Je vous le demande : l’exclamation est-elle bien fine, la pensée bien profonde, l’intention bien subtile ?... Je m’en rapporte à vous — dans cette gaieté de l’atelier, de la rue, de la place publique, qui dénote la santé d’une nation — cette exclamation est-elle d’un atticisme digne de votre renommée ?

Entre nous, sans embarras, sans fausse honte, je vous interroge en ami, je vous interpelle en frère, hé ! Lambert ! Répondez-moi, conclut le journaliste du Petit Journal.

Ainsi, on raconta plusieurs autres anecdotes. Bien entendu les faiseurs de chansons exploitèrent à l’envi la vogue de ce cri remarquablement inepte. Nous avons compté, outre la chanson citée, jusqu’à huit autres ouvrages sur le même thème. Il y eut successivement :

Ohé ! Lambert ! dis donc, Lambert !
Avez-vous Lambert ?
La mort de Lambert.

Pourtant Lambert n’était pas mort, car on eut la joie d’entendre encore :

Il est retrouvé, Lambert !

Etc.

Le cri Hé ! Lambert persista presque avec la même intensité jusqu’à ce que les premiers froids vinssent calmer l’effervescence du peuple le plus spirituel de la terre. On ne peut guère comparer à cette scie, du moins sous le rapport de la popularité, que le cri de « Vive Boulanger ! » qui parvint aussi à son plus complet développement pendant les mois les plus chauds de l’année, en 1887.

Il semble que, plus d’une année avant l’époque dont nous parlons, les marins de la région chantaient le refrain suivant :

O Vierge Marie !
Vous qui voyagez sur les mers,
Ah ! dites-moi, je vous en prie,
Si vous n’avez pas vu Lambert.

Et voici qu’une note publiée par l’Intermédiaire des chercheurs et curieux du 30 juillet 1895 fait remonter l’origine de cette scie jusqu’à 1848. Des gardes nationaux de Paris étant alors venus fraterniser avec ceux de Cherbourg, l’un d’eux se serait égaré. D’où ce couplet qu’on chantait encore, paraît-il, à Cherbourg, en 1851 :

Oh ! dites-moi... je vous en prie,
Vous, messieurs, qui... voyagez sur la mer,
Au nom de la Vierge Marie,
Avez-vous rencontré Lambert ?
Par pitié, rendez-nous Lambert !

 
 
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