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Accès gratuit musées français. Débat en 1902, polémique au sein de la Chambre des députés. Entrée payante en 1922

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Événements marquants
Evénements ayant marqué le passé et la petite ou la grande Histoire de France. Faits marquants d’autrefois.
Accès (L’) gratuit aux musées français
fait débat et divise les députés en 1902
(D’après « Les Annales politiques et littéraires », paru en 1902)
Publié / Mis à jour le jeudi 12 juillet 2012, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
En 1902, tandis que certains plaident en faveur d’une entrée des musées payante, la gratuité grevant dangereusement le budget alloué à l’acquisition d’œuvres dont seuls les pays étrangers ont les moyens financiers de s’emparer, un journaliste des Annales politiques et littéraires déplore les « petites phrases » et autres arguments démagogiques auxquels se réduit un débat parlementaire ne menant qu’à une paralysie politicienne : la Chambre des députés repousse un projet de réforme qui sera adopté vingt ans plus tard.

Un de nos spirituels confrères de la presse parisienne, M. Henry Lapauze, vient de soulever une question qui intéresse un peu tout le monde. et c’est pourquoi je crois devoir l’aborder ici. Vous n’ignorez pas que, l’entrée des musées, en notre bon pays de France, est partout gratuite. Il n’en va pas de même à l’étranger. Dans beaucoup de villes d’Allemagne, de Belgique, d’Italie, d’Angleterre, vous êtes forcé d’acquitter un droit si vous voulez admirer les chefs-d’œuvre que renferment leurs palais.

Le Louvre et ses jardins

Le Louvre et ses jardins

Nul ne se plaint de ce léger impôt, qui offre, à côte d’un petit inconvénient, de grands avantages. Il alimente la caisse des musées et permet, quand l’occasion s’en présente, de les enrichir. Nous sommes, chez nous, réduits à la portion congrue. Le budget de la direction des Beaux-Arts porte, au chapitre 34, la mention suivante : « Subvention de l’Etat aux musées nationaux, pour acquisition d’objets d’art et d’archéologie : 160 000 francs. »

Joignez-y les subsides provenant des diamants de la couronne et qui furent affectés, en 1895, sur la proposition de MM. Georges Leygues et Poincaré, au même emploi, vous arrivez à une rente totale de 400 000 francs. C’est une misère pour une nation comme la France, qui doit la plus pure gloire qu’elle possède à son rayonnement artistique. Aussi, qu’arrive-t-il ? Elle est obligée de s’effacer, dans la plupart des ventes célèbres où les autres musées d’Europe vont s’alimenter ; elle s’abstient d’y paraître par un sentiment de fausse honte ou de pudeur que chacun comprendra. Le directeur des Beaux-Arts n’a pas besoin de s’y rendre, puisqu’il serait contraint d’y rester les bras croisés, dans une posture fort humiliante.

Nous avons vu, de la sorte, nous passer sous le nez les chefs-d’œuvre des collections Suermontt, Hamilton et Van Praëtt, où se vendirent le fameux Homme à l’œillet, de Van Heck, et quelques tableaux incomparables de Botticelli, de Vélasquez et d’Holbein. Notre Louvre ne peut compter, pour s’accroître, que sur la munificence des amateurs. Elle lui est quelquefois acquise et l’on n’a pas oublié le merveilleux cadeau qu’il vient de recevoir de M. Tomy Thierry, grâce à l’ingénieuse entremise de l’expert, M. Mallet. De telles éventualités ne suffisent point. Comment remédier à cette regrettable pénurie ?

Charger davantage nos dépenses, il n’y faut, guère songer. Le ministre n’arrive pas à les équilibrer et MM. les députés et les sénateurs songent trop à flatter ceux qui les élisent pour demander la suppression d’un seul bureau de tabac. Alors, de sages esprits se sont avisés d’un expédient très simple. Ils se sont dit : « Que ceux qui aiment les musées et qui les fréquentent contribuent à leur splendeur par un petit sacrifice pécuniaire. Cela est de toute justice. Un citoyen français ne trouve point mauvais de payer sa place quand il passe sa soirée à l’Opéra ou à la Comédie, théâtres subventionnés par l’Etat. Or, la vue des toiles, des sculptures, des objets d’art, est aussi un spectacle et qui mérite une rémunération. De même qu’à de certains jours, l’Opéra ouvre gratuitement ses portes à la foule, de même aussi, et dans une plus large mesure, le Louvre accorderait aux promeneurs, plusieurs fois par semaine, le libre accès de ses galeries. Ainsi, nul n’aurait le droit de se plaindre. »

Georges Trouillot, député du Jura

Le Louvre et ses jardins

C’est à peu près en ces termes que plusieurs législateurs, entre autres MM. Léon Bourgeois, Trouillot, Denêcheau et Georges Berger, rédigèrent un vœu, destiné à être soumis aux Chambres. Ils pensaient que la chose irait de soi et passerait comme une lettre à la poste. Ah ! mes amis, ils étaient loin de compte. Leur proposition, pourtant bien innocente, souleva, sur les bancs de la Chambre, un infernal tapage. En vain M. Berger s’efforça-t-il de l’apaiser, en faisant entendre de sages paroles :

« On prétend que cette mesure serait anti-démocratique ; on a le droit de se demander pourquoi et comment ? Il ne s’agirait pas, en effet, de faire payer tout le monde et tous les jours. Le dimanche et le jeudi, l’entrée serait gratuite ; le lundi continuerait à être réservé pour le nettoyage, quand il le faudrait absolument. Un droit d’entrée de un franc serait fixé pour les autres jours, et peut-être pourrait-on élever ce droit d’entrée, pendant l’un de ces jours.

« L’administration distribuerait largement des cartes personnelles accordant la fréquentation gratuite des musées aux artistes, aux ouvriers de l’art décoratif et à toutes les personnes qui justifieraient de leur besoin de pénétrer dans les musées pour leurs études ; mais elle pourrait se montrer moins prodigue de permissions envers certains copistes qui encombrent les galeries et viennent, en définitive, y exercer une industrie lucrative. Est-il donc d’une démocratie bien entendue d’ouvrir les portes de nos musées et de nos palais nationaux aux vagabonds qui s’y introduisent pour se chauffer l’hiver et prendre le frais l’été ? Les églises profitent de troncs et:de quêtes pour les frais du culte. Les musées sont les sanctuaires de l’art. »

Vous vous imaginez qu’on écoutait l’orateur, qu’on pesait ses arguments ? On n’y songeait guère. La discussion dévia. M. Paschal Grousset bondit à la tribune et enfourcha son grand cheval de bataille. « Cette mesure, s’écria-t-il, serait un véritable défi aux principes sacrés de la République ! » M. Dujardin-Beaumetz, non moins tumultueux, surenchérit. Il s’écria, avec un geste à la Mirabeau : « Vous ne permettrez pas qu’il soit dit que, si la première République a créé le Louvre, la troisième y a mis un tourniquet ! »

Cette superbe apostrophe enleva le vote du Parlement. La motion fut repoussée à une énorme majorité. Une fois de plus, les mots vides et sonores l’avaient emporté sur le sens commun. Ce n’est pas la première fois que pareil phénomène se produisait dans l’enceinte du Palais-Bourbon, et ce ne sera sans doute pas la dernière. Le bon sens échoue ordinairement là où la passion est en jeu, et la passion s’allume dans la discussion la plus calme, dès que la politique y intervient. Pour un peu, MM. Dujardin-Beaumetz et Paschal Grousset eussent traité leurs confrères, y compris M. Bourgeois, de réactionnaires, parce que ceux-ci avaient l’exorbitante prétention d’arracher une pièce de vingt sous aux Anglais trimbalés par l’agence Cook.

Le projet tomba dans l’eau. M. Henry Lapauze tente, en ce moment, de le repêcher ; il a organisé, fort adroitement, une enquête auprès des artistes nationaux et étrangers ; il a visité la plupart des musées d’Europe ; il a rapporté, de ces diverses consultations, des documents instructifs. A vrai dire, beaucoup des:personnages qu’il a interrogés se prononcent en faveur de la gratuité complète. Le plus piquant, c’est que quelques directeurs de musées payants de Belgique et d !Angleterre se donnent, eux aussi, le luxe de défendre les grands principes « démocratiques et civilisateurs ». C’est une attitude avantageuse. Ils condamnent l’état de choses qui leur est imposé, mais ils en jouissent. Ils ressemblent à ces bourgeois, férocement égoïstes, qui proclament les beautés du communisme et de l’anarchie.

Le Louvre. Pavillon Richelieu

Le Louvre. Pavillon Richelieu

La vérité, comme il arrive toujours, est à mi-chemin de ces opinions extrêmes. M. Maurice Faure, dont le civisme ne saurait être contesté, l’a développée dans une page excellente : « Sans porter atteinte aux droits actuels du public, écrit-il, on peut augmenter, par des mesures intelligentes, les ressources de la Caisse des musées. Pourquoi ne pas rendre les visites du matin payantes ; exiger, à de certains jours, une rétribution des touristes voyageant en troupes et qui envahissent les salles du Louvre et troublent, par leur tapage et leur cohue, les gens paisibles ? »

Cette boutade, chaudement appuyée par MM. Denys Puech, Cormon, Chéramy et P. de Nolhac, me remet en mémoire une anecdote qu’aimait à conter Arsène Houssaye. Il se trouvait, un jour, à dîner avec Alfred de Musset et M. de Nieukerque, qui était alors surintendant des Beaux-Arts. Musset se montra étincelant d’esprit et de grâce, quoique la cruelle maladie qui devait l’emporter commençât à altérer son humeur. « Que pourrais-je faire pour vous être agréable, mon cher poète ? dit Nieukerque. Vous ne m’avez jamais rien de mandé. – Prenez garde, je vais abuser de la permission. – Abusez ! – Ce que je vais solliciter, me l’accorderez-vous vraiment ? – C’est juré ! – Eh bien ! monsieur le surintendant, je désire que vous m’enfermiez tout seul, pendant une nuit, dans la salle du Louvre où se trouve la Joconde, après avoir eu soin de l’illuminer en y mettant des centaines de flambeaux. »

M. de Nieukerque s’exécuta-t-il ? Arsène Houssaye reste muet sur ce point. Il est probable que le surintendant des Beaux-Arts n’osa exposer la Joconde à des chances d’incendie. Il eût encouru une responsabilité trop grave. Alfred de Musset ne fut pas exaucé. Mais comme je comprends sa fantaisie de poète ! Il n’est pas de plaisir plus délicieux que de s’isoler loin de la foule, et de contempler des chefs-d’œuvre dans le recueillement et le silence. Nous pourrions avoir, à de certains moments, cette joie, qui ne léserait personne.

Mais voilà ! Le pire des obstacles se dressé contre une réforme que la sagesse réclame, un obstacle qui naît des passions politiciennes. On peut appliquer à cette damnée politique la célèbre réflexion du moraliste : « Elle a des raisons que la raison ne connaît pas. »

 
 
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