Coutumes, Traditions Origine, histoire des coutumes, traditions populaires et régionales, fêtes locales, jeux d’antan, moeurs, art de vivre de nos ancêtres Foire de Guibray (Normandie) (D’après « Revue du Calvados » paru en 1841, « La Revue illustréedu Calvados » paru en 1913 et « La Revue normandeet percheronne illustrée » parue en 1894) Publié / Mis à jour le mercredi 1er décembre 2021, par Redaction Temps de lecture estimé : 7 mn Connaissant un essor considérable dès le XIe siècle sous l’impulsion de Robert le Magnifique, duc de Normandie et père de Guillaume le Conquérant, la foire de Guibray, se tenant à côté de Falaise et tirant ses origines d’une réunion de pèlerins commémorant la découverte au début du VIIIe siècle d’une statue de Vierge à l’enfant, était la plus importante après celle de Beaucaire et au nombre des plus fréquentées au début du XXe siècle avant de disparaître dans les années 1960 On rencontre souvent l’expression : « les foires de Guibray ». Il en existait réellement deux : la première, connue sous le nom de la Grande foire de Guibray ou vulgairement la Guibray ou la Grande Guibray, qui occupait quinze jours du mois d’août, la seule très importante ; l’autre foire, connue sous le nom de Petite Guibray ou foire de Sainte-Croix ouvrait le 15 septembre. Dans les premières années du VIIIe siècle, le terrain où est bâti le faubourg de Guibray était couvert d’une forêt de chênes et de châtaigniers. Un berger s’aperçut qu’un de ses moutons, au lieu de paître l’herbe, s’était arrêté à gratter le sol avec une insistance peu ordinaire ; il essaya de le faire rejoindre le troupeau, mais le mouton répondait par des bêlements tout à fait extraordinaires et surnaturels ; puis, il recommençait à gratter avec une nouvelle ardeur. Le berger se décida donc à fouiller la terre avec sa houlette, et bientôt il découvrit une statue de la Vierge Marie tenant un enfant dans ses bras. Église Notre-Dame de Guibray (Falaise, Calvados) On dut alors s’occuper de déposer la relique dans un lieu convenable, où elle pût être exposée à la dévotion des fidèles ; aussi vers l’année 720, époque de cette découverte, on s’empressa d’élever sur le lieu même, au milieu de la forêt, une humble chapelle consacrée à la Vierge. Tel fut le miracle qui devait pendant tant de siècles faire la prospérité de Falaise. Remarquons ici le rôle important que les bergers et les moutons jouaient autrefois dans toutes les découvertes de ce genre ; aujourd’hui, les antiquaires ont beau fouiller partout, ils ne dénichent plus de pareils trésors : il n’est donc pas étonnant si la crédulité publique se prît un jour à considérer les bergers comme sorciers ; mais les pauvres moutons sont restés moutons, et les antiquaires sont toujours antiquaires comme devant. Arrêtons-nous sur l’étymologie du nom de Guibray. Ce faubourg de Falaise, éloigné d’environ un kilomètre de la ville, a tiré son nom, selon les uns, du mot bray, dérivé du celtique braïa, qui signifie terre, boue, et selon les autres, du bray ou cri des druides appelant le peuple à cueillir le gui dans la forêt, ou encore du bray ou bêlement du mouton qui découvrit la statue dont nous avons parlé. Pour repousser cette dernière opinion, il suffit de remarquer que le mot bray entre dans la composition du nom de plusieurs lieux voisins, où le cri des druides et surtout le bêlement du mouton merveilleux ne se sont jamais fait entendre. Quant à la première partie de ce mot, elle a donné lieu également à diverses conjectures. Vient-elle du latin viscus signifiant gui, ou de l’anglo-saxon white qui signifie blanc ? Ce nom serait alors terre du gui ou terre blanche ; nous laisserons le choix au lecteur, en faisant remarquer, toutefois, que le changement du W en G est ordinaire dans l’anglo-saxon et dans l’anglais moderne : de William, on a fait Guillaume ; de wash, gouache ; de wasp, guêpe ; de wimple, guimpe ; de Wales, Galles : les citations ne finiraient pas. Cependant, est-il bien probable qu’un peuple forme le nom d’un lieu de deux mots tirés de deux langues diverses, si on excepte les noms composés par les savants ? Peut-être la première partie de ce mot ne serait-elle en définitive qu’un nom propre. Quoi qu’il en soit de la manière dont l’image fut trouvée et la chapelle érigée — Rollon, premier duc de Normandie, la visita, dit-on, en 912 —, le bruit du miracle, auquel cette pieuse fondation devait son origine, attira bientôt un nombreux concours de fidèles. Alors accoururent aussi de tous côtés des colporteurs et marchands ambulants, venant s’établir autour de la chapelle pour vendre des images et des reliques de la Vierge. Alors s’élevèrent ces petites échoppes, telles qu’on en voit encore dans le voisinage des lieux fréquentés par les pèlerins. Alors aussi les auberges s’ouvrirent en grand nombre, pour se prêter aux exigences de cette foule toujours croissante. Statue de Robert le Magnifique, une des six statues entourant cellede Guillaume le Conquérant sur la place Guillaume le Conquérant à Falaise Bientôt enfin on comprit les avantages qu’on pouvait tirer de cette assemblée annuelle, et on songea à la fixer d’une manière permanente dans le voisinage de la ville. Croyant sans doute favoriser cette dernière, Robert Ier, duc de Normandie (1027-1035) dit aussi Robert le Magnifique ou encore Robert le Libéral, père de Guillaume le Conquérant, assigna d’abord un emplacement plus voisin de Falaise que ne l’était le premier. Ce fut ce même terrain où, en 1785, on fit des fouilles pour découvrir du charbon de terre, l’emplacement portant encore le nom de Camp ou Champ de Foire. Ce fut également Robert le Magnifique qui érigea, en foire proprement dite, cette réunion qui jusqu’alors s’était faite sans ordre et sans règles. Mais on ne tarda pas à s’apercevoir qu’on ne laissait pas impunément de côté, à cette époque, la patronne dont on avait d’abord cherché la protection. La foire placée plus près de la ville que de la chapelle, perdait trop vite de son caractère religieux ; et cette brusque transition, refroidissant dévots et chalands, on comprit qu’il fallait se rapprocher du lieu où se trouvait l’image protectrice, sous peine de jeter à la fois du discrédit sur la chapelle et sur le marché. Guillaume le Conquérant reporta cette foire sur le lieu même où les premiers marchands s’étaient installés, et où elle existait encore au début du XXe siècle. C’est peut-être cette circonstance qui a fait croire à quelques auteurs et notamment à d’Expilly, que Guillaume le Conquérant en était le fondateur. Toujours est-il que cet établissement lui dut un grand nombre d’immunités et de privilèges qui en firent la prospérité : ce n’est pas étonnant, car il aimait beaucoup Falaise, sa ville natale. L’accroissement rapide de pèlerins et de marchands nécessita, dès les premiers temps, une transformation dans l’édifice ouvert à leur piété ; aussi en 1076 la petite chapelle ayant été abattue, Mathilde, fille de Beaudouin, comte de Flandre, et épouse du Conquérant, devenu roi d’Angleterre, fit reconstruire sur le même lieu une église portant encore le nom de Notre-Dame de Guibray. Dès le XIIe siècle, la fosse aux toiles, la fosse aux draps avec ses loges du sillon derrière la cour du tabellionage, formaient déjà un centre commercial important. Les curés de Guibray multiplièrent leurs efforts pour attirer à l’occasion de la foire une foule considérable à Falaise : peuple, barons, prélats, abbés, moines et religieux, venaient à la foire, et en 1208, qui marque en même temps que la tenue de l’Échiquier la consécration de l’église Notre-Dame de Guibray par Hugues de Morville, évêque de Coutances, l’époque de la foire fut choisie comme terme de paiement de certaines redevances. Ce serait à la fin du XIIIe siècle que les boutiques légères construites en bois, couvertes en toile, firent place à des constructions en pierre et en bois. Cela devenait nécessaire en raison du nombre des marchands et la valeur de leurs apports qui se trouvaient ainsi à l’abri des intempéries de la saison ; les causes d’incendies, qui préoccupaient toujours les autorités, devinrent ainsi moins fréquentes. Au XIVe siècle, des marchands drapiers de Rouen, d’Elbeuf, de Darnetal, d’Amiens, de Cherbourg, de Vire, des marchands de toile fine, de mousseline, de frocs de Lisieux, des marchands de serge de Saint-Lô, des bonneteurs, des marchands d’épices, des corroyeurs viennent à la Guibray. Foire de Guibray. Détail d’une gravure de Noël Cochin réaliséed’après un dessin de François Chauvel, sieur de Cantepie en 1658 En 1414, une peste terrible qui régna dans tout le pays et y fit de cruels ravages, empêcha l’existence des foires. Les mesures énergiques prises par l’administration pour chasser le fléau en permirent le rétablissement l’année suivante. Le siège de Falaise commencé le 4 septembre 1417 par Henri V, roi d’Angleterre, et la capitulation honorable pour la ville le 2 janvier 1418 et pour le château le 16 février de la même année, ne portèrent pas de préjudice au commerce. En 1532, François Ier enleva aux bourgeois et aux marchands certains privilèges qu’il prétendait avoir été usurpés par ceux-ci ; mais malgré ces ordonnances toutes fiscales, cette foire prit un développement tel, qu’elle devint bientôt la première en France, après celle de Beaucaire. Aux XVIe et XVIIe siècles, Guibray fut souvent le théâtre de rixes sanglantes, faits qui n’étaient malheureusement pas rares : pour une simple querelle au cabaret ou au tripot à la suite de libations prolongées, on sortait et l’on dégainait séance tenante ; la maréchaussée n’arrivait pas toujours à temps pour arrêter les combattants en temps utile. Un jour, pendant la foire de 1541, François de Fontenay, écuyer et homme d’armes de la compagnie du comte de Brienne, tira l’épée contre le peuple et causa avec son valet une émeute qui fut difficile à calmer. Le roi Henri III (1574-1589) supprima la foire pour punir les habitants de Falaise d’avoir embrassé la cause des Guises par lettres patentes, « interdisant et défendant la tenue de la foire de Guibray, défendant à tous marchands régnicoles, étrangers et autres, de n’y plus aller pour le fait d’icelle foire, y porter ou faire porter marchandises de quelque sorte que ce soit pour y trafiquer ou négocier, sous peine de contravention aux édits et la confiscation d’icelles marchandises. » Il transféra la foire à Caen. Il est inutile d’insister sur le préjudice que causait à Falaise cette suppression. C’était une ruine pour tous les commerçants de la ville et des environs ; c’était une impossibilité pour les habitants de s’approvisionner d’une foule de choses que la difficulté des voyages et des moyens de transport leur empêchait de pouvoir se procurer. Le siège de Falaise, par Henri IV, en décembre 1589 et janvier 1590, augmenta encore la ruine du pays. Les habitants demandèrent donc à une de leurs concitoyens, Nicolas Le Sassier, sieur de la Roche, avocat et député aux États-Généraux pour l’année 1590, d’aller intercéder en leur faveur près du roi. Foire de Guibray au début du XXe siècle Il partit donc et s’acquitta si bien de sa mission que Henri IV rétablit le 19 juillet 1590 la foire de Guibray dans son enceinte accoutumée, avec tous ses droits et privilèges. Le retour de Le Sassier fut un triomphe, car ses concitoyens lui exprimèrent toute leur reconnaissance. Sa pierre tombale dans l’église de Guibray porte cette inscription : « Ci-gît Me Nicolas Le Sassier, sieur de la Roche, avocat en l’élection de Falaise, député en 1590 pour les cahiers des États de cette province vers la Majesté du roy, notre sire, duquel il obtint le rétablissement des foires de Guibray. Il décéda la 8 octobre 1597. » Les bourgeois de Caen, pour se dédommager, réclamèrent et obtinrent du roi, en mai 1594, une foire franche « pour être tenue par chacun an pendant 15 jours ouvrables entiers et sans intermission, commençant le 1er juillet, à l’instar de la foire de Guibray et aux mêmes privilèges ». Cette date émut les Falaisiens qui adressèrent une requête pour que la foire de Caen fût reportée six mois après celle de Guibray. Après bien des démarches, elle fut fixée au premier dimanche de Carême et l’année suivante (23 janvier 1599) reportée au premier dimanche après la Quasimodo. Henri IV révoqua par mandement donné au camp de Saint-Denis « le 19ème jour de juillet de l’an de grâce 1590 » les lettres patentes de son prédécesseur qu’il avait cependant confirmées le 1er octobre 1589. La foire de Guibray continua dès lors de se développer, sinon sans à-coups, du moins assez régulièrement. Son importance était telle qu’il fallait prendre des mesures d’ordre de plus en plus sérieuses, au sujet de la circulation, des risques d’incendie, de la taxe du pain et de son poids, des heures de fermeture des loges et des cabarets. Des renforts de forces de maréchaussée venaient à Guibray pour empêcher pendant la foire « de faire la guerre aux bourses ». C’était une foire très fréquentée et en laquelle — chose rare pour le temps — les précautions de sûreté et les mesures de prévoyance commerciale donnaient toutes sortes de garanties aux vendeurs comme aux acheteurs ou aux promeneurs, et augmentant ainsi la sécurité des marchés et la loyauté des affaires, assuraient à ces assises plus de réputation et plus d’activité. Par ailleurs, il avait été nécessaire, vu l’affluence sur le champ de foire, des représentants des différentes industries, d’établir des syndics chargés des intérêts des marchands des villes de Paris, Rouen, Caen et Falaise, dans les contestations qui s’élevaient fréquemment au sujet de la location des loges. Par arrêt du 27 mai 1721, l’intendant de la généralité d’Alençon ordonna que des barrières seraient établies aux avenues de la foire et préposa son subdélégué à l’examen des marchandises. La foire aux chevaux à la Guibray au début du XXe siècle La pose des barrières revêtait une certaine solennité : le clergé de l’église de Guibray, à l’issue des vêpres, le jour de l’Assomption, parcourait toute la foire et aussitôt après, l’ouverture était par ce fait déclarée, et les barrières apposées. Le lendemain une quête pour les pauvres se faisait chez tous les marchands. La durée de la foire était fixée à 15 jours, mais c’était dans la première semaine, appelée la grande semaine ou semaine des franchises, que se faisaient toutes les affaires ; et même les plus considérables étaient terminées dès les quatre premiers jours. On ne pouvait à l’origine vendre ni dresser d’échoppes en dehors des limites prescrites, mais ce règlement n’était guère bien observé les derniers temps d’existence de la foire. Vers 1778, selon Coquebert de Monbret qui a puisé ses renseignements dans les archives du commerce, les opérations s’élevaient à 7 ou 8 millions, Rulhières les portant même à 25 millions, et Galeron pensant qu’elles ont dû beaucoup approcher de ce chiffre. Mais dès 1780, cette foire commença à perdre de son importance, et depuis ce temps toujours déclina : d’un côté, la facilité des communications, et de l’autre, le refroidissement des fidèles pour la patronne lui portèrent un coup funeste. 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