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Napoléon : l'alliance du sabre et de la plume

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Personnages : biographies
Vie, oeuvre, biographies de personnages ayant marqué l’Histoire de France (écrivains, hommes politiques, inventeurs, scientifiques...)
Napoléon : l’alliance du sabre et de la plume
(Source : Office et Culture)
Publié / Mis à jour le mardi 27 avril 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
Bien que des milliers de livres aient été consacrés à la vie et l’œuvre de Napoléon, il est une facette du personnage restée largement ignorée : le lecteur boulimique et l’épistolier infatigable. « La lecture, pour lui, est fondamentale. C’est un énorme lecteur, très assidu. Il ne peut pas se passer de livres », souligne Jean Vittet, le conservateur en chef du château de Fontainebleau. « Il est dans un perpétuel besoin. On a des factures, c’est colossal ! »

Dormant peu, lisant vite, l’empereur dévorait des livres à longueur de nuits, essentiellement pour y trouver des informations liées à ses préoccupations du moment. Adepte de l’approche historique en matière de stratégie, il commençait toute campagne militaire en étudiant le pays et ses habitants dans les nombreux ouvrages (historiques et géographiques) qu’il avait à sa disposition. Ses lectures lui permettaient, entre autres, de se faire une idée de l’ennemi qu’il allait affronter et de la topographie du pays afin de déterminer les sites les plus favorables aux batailles qu’il allait livrer.

Autre exemple de son formidable travail en amont, lors du Concordat, il lit quantité de livres sur les religions et le gallicanisme, cette doctrine qui fait prévaloir la supériorité de l’autorité du pouvoir temporel, représenté par le roi de France, sur l’autorité pontificale ; il demande aussi qu’on fasse des recherches sur les Templiers, sur les souverains qui avaient suspendu ou déposé un pape et sur les prérogatives des rois et des pontifes. Il est très attentif à l’actualité et se fait remettre chaque jour, à partir du 23 juillet 1801, une analyse des articles politiques et religieux parus dans les quotidiens nationaux comme étrangers, estimant qu’un général ne doit rien négliger pour être instruit de l’adversaire.

Napoléon dans son cabinet de travail (et bibliothèque) avec un enfant (son fils ?). Illustration anonyme publiée en 1921 par Raymond Guyot
Napoléon dans son cabinet de travail (et bibliothèque) avec un enfant (son fils ?).
Illustration anonyme publiée en 1921 par Raymond Guyot

Pour se détendre, il lit aussi, mais des romans, de la poésie et du théâtre. Ses goûts sont ceux d’un honnête homme du XVIIIe siècle. Ils reflètent son éducation avec un penchant pour les auteurs antiques : Homère bien sûr, mais aussi Virgile, Suétone, Tite-Live, César, Thucydide... Il est également admirateur de Voltaire, Rousseau et Montesquieu, dont L’esprit des lois l’a beaucoup influencé. « Il se nourrit de livres et il sait ce qu’il veut », précise David Guillet, directeur des collections au château de Fontainebleau. « Il lui arrive de se plaindre de n’avoir pas reçu tel ou tel livre, et ceci, quelles que soient les circonstances, comme ce fut le cas pendant la campagne de Russie ! », ajoute Jean Vittet.

Pendant la campagne de Prusse qui s’acheva par la bataille d’Iéna, le 14 octobre 1806, s’étonnant de ne recevoir aucune nouveauté de Paris, il réclama des livres, « deux ou trois volumes, tous les jours, par le courrier qui part le matin. » En revanche, à d’autres moments, il lui arrive de demander l’arrêt de l’envoi de romans ou de recueils de poésie qu’il juge « superficiels ». Si, en voyage, un livre ne lui plaît pas, il le jette par la portière de sa berline.

Il accorde aussi une grande attention aux meubles contenant les ouvrages, prêtant plus d’attention à leur qualité et à leur fonctionnalité qu’à leur style. Il surveillera lui-même la réalisation de toutes les bibliothèques qu’il créera : à la Malmaison (en 1804), puis au Trianon, aux Tuileries, à Saint-Cloud, à Compiègne, à Rambouillet, à Laeken (aujourd’hui résidence des souverains belges, proche de Bruxelles) et à Fontainebleau. Chacune, riche d’environ 30 000 ouvrages, était aux yeux de l’empereur un conservatoire du savoir qui devait être accessible à la cour et aux savants français et étrangers.

Influencé par l’Allemagne où, au XVIIIe siècle, les bibliothèques de couvents et de principautés s’étendaient souvent sur deux niveaux et ressemblaient à des chapelles, il fait aménager la bibliothèque de Fontainebleau dans la chapelle Saint-Saturnin, désacralisée durant la Révolution. La bibliothèque a aujourd’hui disparu, mais une grande partie de ses livres a été rassemblée dans la galerie de Diane par Napoléon III.

En sus de ces grandes bibliothèques, il disposait aussi d’une bibliothèque « de cabinet », réservée à son usage personnel, mais à laquelle pouvait toutefois accéder le cercle restreint de ses intimes. À Fontainebleau, la première fut aménagée dans l’ancienne bibliothèque de Louis XVI où il avait fait installer une baignoire pour pouvoir lire dans son bain. Un an plus tard, elle était transférée dans l’actuelle Grande Chambre et, en 1808, dans la Petite Chambre ; en 1810, elle est définitivement installée dans le salon des jeux de Louis XVI, qui communiquait avec son appartement et où on peut la voir, aujourd’hui encore. Quand il séjournait à Fontainebleau, il y passait une grande partie de son temps, dormant même parfois sur un petit lit de fer, installé dans la pièce.

Ces bibliothèques contiennent beaucoup d’ouvrages antérieurs à son arrivée au pouvoir, comme en attestent les reliures aux armes de grands aristocrates. Ils proviennent du Conseil d’État, de saisies chez des émigrés et de très nombreux achats effectués à la demande de Napoléon. Sur leurs reliures, en maroquin pour les plus prestigieuses et en veau pour les autres, aux armes de l’empire ou de la famille impériale, on retrouve l’abeille (parfois), le N de Napoléon, le B de Bonaparte et, surtout, l’aigle. Chaque livre porte également le nom du lieu où il était conservé et consultable.

Pour gérer une telle quantité d’ouvrages et satisfaire les demandes variées, incessantes et nombreuses de l’empereur, un bibliothécaire et, probablement, plusieurs assistants étaient indispensables. La charge fut tenue par Louis Ripault, de 1799 à 1807, puis par Antoine-Alexandre Barbier, de 1807 à1814. Bibliothécaire à l’Institut du Caire, Ripault rentre en France dans les bagages de Bonaparte, à l’issue de l’expédition d’Égypte ; il est nommé bibliothécaire du premier consul, en janvier 1800, avant de devenir celui de l’empereur. Dépeint comme « aimable, doux et instruit », il est l’auteur d’une histoire philosophique de Marc Aurèle en quatre volumes.

Bibliothèque de l'Empereur des Petits appartements du château de Fontainebleau
Bibliothèque de l’Empereur des Petits appartements du château de Fontainebleau.
© Crédit photo : Béatrice Lécuyer-Bibal

Lui succède, en 1807, Antoine-Alexandre Barbier, grand serviteur de la chose écrite, qui s’était fait connaître dans diverses commissions conservatoires sous la Révolution. Il avait alors sauvé plusieurs bibliothèques menacées de disparition et le Directoire lui avait confié le soin de constituer la sienne. Il était aussi bibliothécaire du Conseil d’État depuis sa création et son Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes l’avait installé au premier rang des bibliographes de son temps. Napoléon l’avait engagé sur les conseils de Claude François de Méneval, son secrétaire et homme de confiance (qui était le seul à posséder les clés du meuble où il enfermait ses documents les plus secrets).

Ripault et Barbier assuraient non seulement la gestion des bibliothèques, mais ils faisaient aussi réaliser pour lui des analyses et des rapports détaillés sur les sujets les plus variés, en fonction des demandes impériales liées ou non à l’actualité. Par exemple, en 1810, la lutte contre la papauté et pour le divorce impérial suscita des demandes d’ouvrages et des analyses sur les querelles de la monarchie et des papes, sur la pragmatique sanction de Bourges, etc. Profitant de leur érudition et de leur expérience, Napoléon pouvait aussi leur confier les missions les plus diverses comme la traduction d’auteurs antiques qui ne l’avaient jamais été ou dont la traduction existante était jugée surannée. Pendant les campagnes, ils envoyaient par estafette les nouveautés littéraires avec notes et jugements, au QG de l’empereur.

Avant son départ pour l’île d’Elbe, Napoléon passe neuf jours à Fontainebleau ; Barbier sélectionne pour lui 691 livres dans la bibliothèque du château, auxquels il ajoute la collection des Décrets et le Bulletin des lois. Dès qu’il arrive à Portoferraio, il s’abonne aux principaux journaux politiques et littéraires et Barbier, resté en France, lui mande dans l’île tous les nouveaux ouvrages susceptibles de l’intéresser.

Après Waterloo, il demanda à Barbier de lui commander des livres sur les États-Unis, pays où il espérait pouvoir se retirer. Mais il prit finalement la direction de Sainte-Hélène où il ne put emporter que 588 livres de la bibliothèque du Trianon au lieu des 2 200 qu’il avait sélectionnés. Le mamelouk Ali devint son bibliothécaire. Moins connu que Roustan, il resta fidèle à Napoléon jusqu’à sa mort. Comme son nom ne l’indique pas, Ali était français et s’appelait Louis-Étienne Saint-Denis.

À Longwood, la résidence de l’Aigle déchu dans l’Atlantique Sud, il fut un témoin clé de ses dernières années ; en 1826, il publia ses souvenirs qui nous éclairent sur bien des aspects de la vie du souverain, notamment, là encore, sur les rapports qu’il entretenait avec les livres et ses goûts en matière littéraire. Il nous confirme que Napoléon aimait particulièrement Homère qu’il relisait souvent en totalité, car personne, à ses yeux, n’avait pu rendre « le vrai et le beau mieux que lui ». Parmi les livres religieux, la Bible avait sa préférence. Les mœurs et la vie patriarcale du désert qui y sont décrites reflétaient fidèlement, disait-il, ce qu’il avait vu lors de la campagne d’Égypte. Il prenait beaucoup de plaisir à lire Essai sur les mœurs et l’esprit des nations de Voltaire ainsi que des articles de son Dictionnaire philosophique. Il se délassait à la lecture de romans comme Don Quichotte. Mais ce qu’il avait « presque constamment sous les yeux », c’étaient les ouvrages consacrés à l’art de la guerre et aux campagnes des grands capitaines. On ne se refait pas.

Ali nous apprend encore qu’il « lisait avec le pouce » et il ajoute cependant que rien du contenu ne lui échappait. « Il le possédait si bien que, longtemps après, il pouvait en faire une analyse très détaillée et même citer, pour ainsi dire textuellement, les passages qui l’avaient le plus frappé. »

Quand arrivaient des envois de livres, on lui passait les volumes les uns après les autres. Il les feuilletait rapidement, mettait sur une table ceux qui lui paraissaient intéressants et laissait les autres, en tas, pour une lecture ultérieure. La sélection achevée, il faisait porter les heureux élus dans son cabinet, où ils étaient placés sur un guéridon. Alors que les ouvrages qu’il consultait en France étaient peu annotés, à Sainte-Hélène, il avait le temps de longuement les apostiller.

De même, dès l’arrivée des journaux, il lisait avidement tout ce qui pouvait l’intéresser. « Dans ces moments, ce n’était plus le même homme : son port, sa voix, son geste, tout annonçait que le feu circulait dans ses veines (...). Il semblait encore commander à l’Europe. »

Napoléon Bonaparte lisant. Dessin d'Édouard Detaille publié dans l'édition 1902 de Napoléon intime par Arthur Lévy
Napoléon Bonaparte lisant. Dessin d’Édouard Detaille
publié dans l’édition 1902 de Napoléon intime par Arthur Lévy

Grand lecteur, Napoléon fut aussi un immense épistolier. Les 40 500 lettres qu’il signa entre 1784 et 1821 ont été éditées par la fondation Napoléon et publiées chez Fayard, en quinze volumes (Napoléon Bonaparte : correspondance générale). Le dernier tome est sorti en 2018, mais, depuis, on continue de découvrir en moyenne une lettre inédite par semaine, fait remarquer l’historien François Houdecek qui a coordonné la publication.

Bien évidemment, il a dicté la plupart d’entre elles, d’autant qu’à partir de 1793, pour une raison inconnue (le stress, peut-être) son écriture devient de moins en moins lisible. Dès 1794, il n’y a plus de lettres de service écrites de sa main ; les seules missives autographes sont destinées aux impératrices ou à son frère Joseph. Durant la période du Consulat où il délégua la signature des lettres de nomination, Napoléon signa toujours sa correspondance lui-même. Il lui arrivait de dicter jusqu’à sept lettres simultanément comme le raconte Christophe Beyeler, conservateur général du patrimoine et des collections au château de Fontainebleau (dans une scène d’Austerlitz, le film d’Abel Gance, on voit Pierre Mondy/Napoléon dans cet exercice).

Une grande partie de ces lettres concernait l’administration de l’État. Elles étaient directes et allaient à l’essentiel. Nul besoin de fioriture quand on donne ses ordres ! Au plus fort de son activité, en 1812, son cabinet comptait une cinquantaine de personnes.

Francis Gouge
Office et culture

 
 
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