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L'art de chanter en France prend son envol sous Louis XIV

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Coutumes, Traditions
Origine, histoire des coutumes, traditions populaires et régionales, fêtes locales, jeux d’antan, moeurs, art de vivre de nos ancêtres
L’art de chanter en France
prend son envol sous Louis XIV
(D’après « Critique et littérature musicales » (par Paul Scudo) paru en 1859
et « L’album musical. Journal dilettante » paru en 1847)
Publié / Mis à jour le dimanche 7 février 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
Jusqu’au commencement du XVIIe siècle et à la percée du maître de chant et compositeur Michel Lambert s’inspirant de la méthode italienne, l’histoire de la musique en France se confond avec celle de toute l’Europe : excepté les chansons et les romances populaires, dont le tour naïf, tendre et malin, témoigne du caractère de la nation qui les a vues naître, il n’y a pas de musique française proprement dite, au grand dam de Bacilly, compositeur contemporain et théoricien de la musique

Les grands contrepointistes belges et français des XVe et XVIe siècles, qui ont tant contribué aux progrès de la partie scientifique de l’art de combiner les sons, n’ont pas de physionomie particulière qui les distingue des autres compositeurs de l’Europe. Ce n’est qu’à partir du changement que subit la tonalité du plain-chant et de l’apparition de la modulation chromatique, que le caractère individuel de chaque peuple se révèle dans les formes mélodiques.

L’art de chanter avait déjà fait des progrès assez sensibles, avant que Jean-Baptiste Lully (1632-1687) vînt lui donner une direction plus large et plus sévère. Sous Louis XIII et pendant la minorité de son successeur, on chantait beaucoup, en s’accompagnant du luth ou du théorbe, les airs de cour à plusieurs parties ou à une seule voix, de Bailly, de Guedron, et particulièrement ceux de son gendre Boesset, qui jouissait d’une grande vogue. Tous trois avaient occupé successivement la place de surintendant de la musique du roi.

Michel Lambert
Michel Lambert

Il y avait aussi une foule d’airs de danse, comme menuets, bourrées, courantes, sarabandes, gavottes, villanelles, brunettes, que l’on composait d’abord pour des instruments, et sous lesquels on plaçait ensuite des paroles plus ou moins appropriées. C’était une imitation de ces canzonette et villote napoletane, qu’on chantait en dansant, pendant le XVIe siècle, dans toute l’Italie.

On sait que Michel Lambert (1610-1696), beau-père de Lully, fut un maître de chant très estimé, dont l’esprit, le goût et le talent le faisaient rechercher par les hommes les plus illustres de son temps, et faisaient le charme de la cour et de la ville : les airs et les cantates de sa composition, qu’il chantait lui-même avec beaucoup de succès, ont bien plus de grâce et de développement mélodique qu’on n’en trouve dans les partitions de Lully, qui, du reste, faisait très grand cas des œuvres de Lambert, dont il empruntait quelquefois les idées.

Il existe un ouvrage intéressant sur l’enseignement du chant à l’époque de Lambert et pendant la première moitié du XVIIe siècle : les Remarques curieuses sur l’art de bien chanter, et particulièrement pour ce qui regarde le chant français, par Bertrand de Bacilly (1621-1690), prêtre de Basse-Normandie qui vécut à Paris au milieu de la meilleure compagnie, se faisant une réputation par des compositions légères. Son livre prouve que c’était un homme d’esprit et de goût, qui avait beaucoup réfléchi sur la musique, et particulièrement sur l’art de chanter.

Dès le premier chapitre, Bertrand de Bacilly donne une très bonne définition de l’art dont il s’occupe et qu’il distingue, avec raison, de la facilité à lire avec promptitude toutes sortes de morceaux ; car, dit-il, « quoique la fin de la musique soit de contenter l’oreille par des sons harmonieux, il n’y a pourtant rien de si équivoque que le mot musique. Tantôt on le prend pour l’art de bien composer des accords, et tantôt pour celui de bien chanter en partie. Moi, je parle de l’art de bien chanter, et je dis qu’il consiste à bien entonner (attaquer) avec justesse chaque note, à bien soutenir la voix, à bien la porter, à bien faire les cadences (trilles) ; et comme le chant ne se pratique guère sans paroles, à les bien prononcer, à les bien exprimer et surtout à bien observer la quantité des syllabes longues ou brèves, qui est le but principal de cet ouvrage. »

L'art de bien chanter, par Bertrand de Bacilly. Édition de 1679
L’art de bien chanter, par Bertrand de Bacilly.
Édition de 1679

Dans le dixième chapitre, il énumère les qualités nécessaires à un bon professeur de chant, lequel, dit-il, « doit avoir de la voix pour se faire entendre ; car enfin on n’apprend pas le chant avec des livres ni avec des règles sans exemples ; par la même raison, il faut qu’il puisse exécuter toutes sortes de passages, qu’il sache distinguer le fort et le faible de chaque élève, pour ne pas donner à l’un ce qui convient à l’autre, et qu’il ait avant tout une connaissance approfondie de la langue française. »

Dans un autre passage fort important, Bacilly traite la question de savoir comment les paroles doivent se marier avec la musique. Il s’agit ici de l’une des plus grandes préoccupations de l’école française. « La principale critique, remarque-t-il, qu’on puisse faire d’un morceau, c’est de dire que le chant ne convient pas aux paroles. Il est vrai que la plupart des compositeurs tombent dans ce défaut, soit par ignorance de la langue française, soit pour vouloir trop philosopher et raffiner sur la signification des mots ; car on les blâme souvent mal à propos, et l’on trouve mauvais un air où l’auteur a oublié de mettre les notes élevées sur des paroles qui signifient des choses hautes, comme le ciel, les étoiles, ou des notes basses sur les mots terre, mer, fontaine ; en sorte qu’on s’imagine que le chant est mal appliqué aux paroles, s’il n’exprime le sens de chaque mot en particulier. »

Ces observations, et beaucoup d’autres de Bertrand de Bacilly, sont très curieuses en ce qu’elles nous apprennent que, de très bonne heure, le goût de la nation tendait à chercher dans la musique bien moins l’expression d’un sentiment, que la traduction logique d’une vérité de l’esprit. Sauf la différence des temps et des moyens, on peut affirmer que c’est là le principe qui dirige l’inspiration de Lully, de Rameau, de Gluck, de Grétry et de toute l’école française.

Ce dernier a longuement expliqué dans ses Mémoires la manière dont il procédait dans la création de ses œuvres charmantes, comment chaque mot saillant devenait le point de mire de son imagination. Cette théorie, qui met le respect de la grammaire avant l’émotion du cœur, et qui se préoccupe bien plus de satisfaire les susceptibilités de l’intelligence que de soulever les transports de l’âme, forme le caractère essentiel de notre musique dramatique et du chant français.

L’œuvre de Lully, qui vint compléter les merveilles du grand siècle et doter la France d’un art nouveau, confirme la vérité de cette remarque. Dans les opéras de cet homme de génie, la musique n’est qu’un accessoire de la parole, qu’elle suit d’un pas timide, sans oser s’écarter de l’étroit sentier qu’on lui a tracé. L’idée mélodique n’y est qu’ébauchée, elle est courte, mal assise dans la tonalité, embarrassée de petites notes accessoires et presque dépourvue de rythme.

Le caractère en est habituellement triste et peu varié. À part quelques chœurs et quelques airs de ballet, un opéra de Lully n’est vraiment qu’un long récitatif, une déclamation notée, une sorte de mélopée où la musique sert d’enveloppe rigoureuse et transparente à la parole. On conçoit que, pour interpréter une œuvre pareille, il ne fallait pas une très grande habileté vocale. Une prononciation nette, un organe sonore, la connaissance élémentaire des signes, de la sensibilité et un bon sentiment dramatique, constituaient les principales qualités d’un chanteur de cette époque. Joignez-y quelques ports de voix, c’est-à-dire des traînées de sons en passant d’un intervalle à l’autre ; beaucoup de trilles, l’ornement favori de ce temps et du XVIIIe siècle ; une foule de notes brisées qui produisaient l’effet d’un miaulement plaintif et mignard, et vous aurez une idée assez exacte du talent de la fameuse Rochois, par exemple, la cantatrice bien-aimée de Lully et du siècle de Louis XIV.

Lully n’aimait pas les fioritures d’un certain développement, la succession rapide de plusieurs notes liées ensemble qu’on appelait alors des doubles, et qu’aujourd’hui on nomme roulades, car un jour qu’il faisait chanter par son ténor Boutelou une cantate de Lambert où il y avait de tels ornements, il dit au virtuose : « Gardez les doubles pour mon beau-père, et dites-moi cela simplement ». Il paraît en effet que le style de Lambert était assez fleuri, et que, dans ses compositions comme dans son enseignement, il imitait la méthode italienne, dont il avait pu étudier l’esprit dans les cantates de Carissimi, de Bassani, et dans les duos de Bononcini, qu’on chantait beaucoup à la cour et dans la haute société avant l’avènement de Lully et la création du drame lyrique.

Jean-Baptiste Lully. Lithographie de 1830 (coloriée ultérieurement) de Henri-Joseph Hesse d'après la peinture de Paul Mignard (1639-1691)
Jean-Baptiste Lully. Lithographie de 1830 (coloriée ultérieurement) de Henri-Joseph Hesse
d’après la peinture de Paul Mignard (1639-1691)

Jean-Philippe Rameau (1683-1764) ne fit que continuer le système de Lully, en l’agrandissant un peu par des chœurs plus nourris et par des accompagnements plus variés. Sa phrase mélodique est aussi courte et aussi tourmentée, et les opéras de ce musicien remarquable n’ont eu aucune influence bienfaisante sur l’art de chanter. Mlle Fel et Jeliotte, pour qui il a composé les principaux rôles de ses ouvrages, n’étaient guère plus habiles que la Rochois et Boutelou, leurs prédécesseurs. C’était toujours la même déclamation pompeuse, parsemée de trilles, de ports de voix et de coulés, qui étaient pour l’oreille ce que le style rocaille est pour les yeux. Personne ne se doutait alors de ce qu’était filer un son et conduire une phrase.

Cependant le goût et l’art de l’Italie pénétraient en France et s’y créaient de nombreux partisans parmi les hommes les plus éclairés de la nation. Une troupe de bouffons qui vint à Paris en 1752 et qui fit entendre les opéras charmants de Pergolèse, de Vinci, de Leo, souleva une polémique bruyante entre les partisans exclusifs de la musique française et ceux de la musique italienne, dont Jean-Jacques Rousseau fut le champion le plus éloquent, si ce n’est le plus impartial.

Les fameux virtuoses Farinelli et Caffarelli étaient venus aussi chanter successivement aux concerts spirituels de Paris, où ils avaient émerveillé le peu de vrais amateurs qui s’y trouvaient. Enfin Duni, Monsigny, Grétry, inspirés par la mélodie élégante, douce et facile de Galupi et de ses contemporains, empruntèrent à l’Italie une nouvelle forme de l’art et donnèrent à la France la comédie lyrique. C’est au milieu de ce mouvement de rénovation musicale qu’apparut, en 1774, le génie de Christoph Willibald Gluck (1714-1787).

Que venait-il faire ? Réformer aussi le drame lyrique, où la musique, purgée de toutes les sensualités vocales, de tous les concetti dont l’avaient surchargée les virtuoses de l’Italie, ne fut plus que l’expression sévère de la passion. Le despotisme des sopranistes et des prime donne avait empiété d’une manière intolérable sur le domaine de la création. Le compositeur et le poète n’étaient souvent que des espèces d’ouvriers chargés de tracer un canevas dans lequel pussent se déployer la fantaisie et les caprices de l’interprète. C’était la subversion de toute vérité et de toute illusion dramatique.

Gluck voulut que tous les éléments d’un opéra fussent subordonnés à l’intérêt des situations, et que le chant des Muses fît cesser celui des Sirènes, selon sa belle expression ; mais, poussé par la contradiction, il exagéra son principe, et, à part les heureuses inconséquences que commit son imagination aussi tendre que gracieuse, et les progrès que la musique avait faits depuis un siècle, on peut affirmer que l’œuvre de Gluck est le développement du système de Lully et de Rameau. C’est encore de la déclamation plus voisine de la parole que de la musique, dont l’expression énergique frappe l’esprit plus qu’elle ne charme l’oreille et touche le cœur.

Christoph Willibald Gluck. Peinture de Joseph Siffrein Duplessis (1775)
Christoph Willibald Gluck. Peinture de Joseph Siffrein Duplessis (1775)

Aussi l’art de chanter, en se modifiant un peu, ne fit que changer de défauts, car, dit un critique du temps, « en rapportant en France un nouveau genre de musique, M. Gluck a dû changer la manière de chanter. Au lieu de l’exécution fade et languissante qu’on avait avant lui, il en a demandé une ferme et rapide : on y a répondu par des saccades et des sons heurtés ; on a poussé des cris où il ne voulait que de la force, on a dénaturé le chant pour le rendre expressif. Nos chanteurs étaient en deçà du vrai point, l’impulsion que M. Gluck leur a donnée les a portés au delà. C’est lorsqu’ils auront saisi le juste milieu que les Français pourront se vanter d’avoir une méthode. »

Ce système dura à peu près jusqu’à l’arrivée de Rossini (1792-1868) en France. Cet admirable génie, en faisant subir une nouvelle transformation à notre musique dramatique, força les chanteurs à faire des études de vocalisation, auxquelles on ne les avait pas soumises jusqu’alors. Cette méthode, consistant à unir la flexibilité vocale des Italiens à la prosodie française, la vérité de la déclamation à l’expansion du sentiment dans une forme mélodique, fut le résultat de l’influence exercée par le Théâtre-Italien depuis l’époque où il s’ouvrit à Paris, en 1789, jusqu’à la fin de la Restauration. Une méthode qu’on enseignait à l’école du musicologue et professeur de musique d’Alexandre-Étienne Choron (1771-1834), où fut élevé le ténor Gilbert Duprez (1806-1896).

 
 
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