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Lieux d'histoire : ville de Provins (Seine-et-Marne)

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Lieux d’Histoire
Origine, histoire de nos villes, villages, bourgs, régions, châteaux, chapelles, moulins, abbayes, églises. Richesses historiques de France
Provins (Seine-et-Marne)
(D’après un article paru en 1862)
Publié / Mis à jour le samedi 16 janvier 2010, par LA RÉDACTION
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 

Il existe, à deux heures de Paris, une ville à qui rien ne manque de ce qui attire le voyageur à cent lieues ; souvenirs glorieux, belles ruines, suaves horizons. Le territoire de Provins est compris dans le bassin de Paris ; il est probablement sorti des eaux après que la Seine eut creusé son lit et quand les bassins intérieurs purent aussi se faire des voies d’écoulement. Le sol recèle des débris d’animaux antédiluviens et des coquillages fossiles. Deux petites rivières, quelques ruisseaux, se réunirent dans un courant commun et formèrent la Voulzie, qui se jette dans la Seine à peu de distance. Les eaux descendirent ainsi des sables dits de Fontainebleau jusque dans la craie, au travers des grès, des meulières, des calcaires, argiles et sables inférieurs.

Vue générale ancienne de Provins. Dessin de Grandsire, d'après Gabriel Prieur.

Vue générale ancienne de Provins.
Dessin de Grandsire,
d’après Gabriel Prieur.

Originairement marécageux dans les vallées et couronné de forêts, le pays fut habité par les Gaulois. L’emplacement de Provins convenait aux habitudes gauloises ; c’est une croupe défendue dans ses parties saillantes par des vallées et coupures naturelles. L’espace entre les vallées était facile à défendre, protégé qu’il était par de grands bois. Les Romains semblent avoir profité de ces avantages ; la ville occupait, sous leur domination, le milieu d’un grand quadrilatère formé de deux côtés par la Seine, et deux autres par deux voies qui se réunissaient à Chailly, près de Coulommiers.

On a prétendu qu’elle fut établie sur un grand camp fortifié, tracé par César, dont la grosse tour porte encore le nom. La campagne recèle une grande quantité de tuiles et de briques romaines ; mais on ne trouve rien de romain dans Provins même. Provins fut, suivant Mézerai, une des premières conquêtes de Clovis, et ne sortit du domaine des rois que pour entrer dans celui des maires du palais. Au temps de Charlemagne, il était le chef-lieu d’un pagus et battait monnaie ; il fut pris par Louis le Germanique, repris par Charles le Chauve, et résista aux invasions normandes.

C’était une puissante place de guerre. La maison de Vermandois, qui supplanta les Carolingiens en Champagne, transmit Provins à la famille des Thibaut, comtes de Blois ; les nouveaux maîtres en firent leur seconde capitale et leur séjour de prédilection ; des fortifications inexpugnables sans cesse augmentées et réparées (onzième et treizième siècle) leur permettaient d’y braver leurs ennemis ; lors de la grande coalition des seigneurs, en 1228, Thibaut le Chansonnier s’y retrancha et fit la paix avant d’y être attaqué.

Quand les comtes de Champagne eurent acquis la couronne de Navarre, Provins négligé commença de déchoir, et les rois de France qui succédèrent aux comtes ne firent rien pour une ville que son industrie et son commerce devaient leur recommander ; les Anglais la prirent et, en 1433, la perdirent ; Henri IV en fit le siège et s’en empara en 1590 : c’est la dernière fois qu’elle ait joué un rôle militaire. Cependant la position en est toujours forte, et le général Haxo regrettait, en 1815, de n’avoir pas eu à la défendre contre l’ennemi qui, après avoir forcé le passage de la Seine à Nogent, se dirigeait sur Paris par Nangis et Mormans.

Au treizième siècle, Provins était un des centres du commerce et de l’industrie en France. Depuis une époque très reculée, deux des foires de Champagne s’y tenaient tous les ans comme à Troyes ; on y venait de tous les pays de France, de Hollande et d’Italie ; les négociants de chaque ville importante y avaient des hôtels ; les Florentins y abondaient : plusieurs d’entre eux s’y établirent et obtinrent des charges municipales ; les Lombards y faisaient le change ; les Flamands importèrent l’art du tissage et de la draperie, source principale de richesse. En l’honneur de cette industrie nouvelle, la monnaie provinoise fut décorée d’un peigne, emblème qui fut reproduit sur la monnaie sénatoriale de Rome.

La ville, dont l’enceinte est vaste encore, renfermait peut-être cent mille âmes ; la cour de Champagne y menait joyeuse vie ; les comtes avaient un palais à l’extrémité même de la ville haute, dans une situation magnifique : de leur terrasse, ils voyaient toute la ville basse et la vallée au loin, couronnée par la forêt du Sourdun. Sur les murs, autour de la salle du festin, Thibaut le Chansonnier, l’un des plus fameux trouvères de son temps, avait fait inscrire ses poésies en lettres d’or.

Provins était une commune active et puissante ; des chartes de 1190, 1230, 1252, 1272, constatent et réglementent l’administration municipale, qui peut-être remonte aux Romains ; dès 1153, on peut croire que la commune existe, ou au moins une sorte d’autonomie. Autour de Provins s’étendaient un vilois et une banlieue qui comprenaient environ la moitié de I’arrondissement moderne ; la grande commune y avait ses mairies vassales qu’elle affermait, ses serfs, ses bourgeois, ses mainmortables et taillables.

De 1230 à 1350, on a la liste des maires qui étaient élus annuellement ; ils semblent avoir eu, en certains cas, l’exercice de la justice criminelle. Leurs fonctions n’étaient pas sans danger, et l’un d’eux, G. Pentecoste, fut assassiné au Pinacle, où il demeurait.

Vue ancienne du château de Provins. Dessin de Grandsire, d'après Gabriel Prieur.

Vue ancienne du château de Provins.
Dessin de Grandsire,
d’après Gabriel Prieur.

La décadence commença vers la fin du treizième siècle : des impôts excessifs accablèrent l’industrie et les ouvriers en renchérissant les matières colorantes et tous les objets de nécessité ; les foires, négligées par les rois, ne rivalisèrent plus avec les foires de Saint-Denis et de Lyon. D’autre part, les officiers royaux ne cessèrent d’empiéter sur le pouvoir municipal ; des procès, des tracasseries sans nombre, suscités par la lutte que le peuple soutenait contre l’aristocratie bourgeoise et administrative, amenèrent une interruption dans la succession des maires. Il n’y eut plus que des procureurs de ville. La mairie fut rétablie en 1564, ou plutôt en 1610, mais sans reprendre son ancienne importance. Provins était désormais déchu.

Parmi les personnages qui méritent une mention particulière, citons d’abord trois saints. Au dixième siècle, Lucence, pauvre fileuse de laine, accusée d’impureté, prit un charbon ardent et dit : « Qu’il me brûle si je suis coupable. » L’épreuve réussit, et la ville fit sa patronne de cette vierge si confiante en son innocence.

Un enfant de Savins, près de Provins, poursuivi, dit-on, par des païens, préféra le martyre à l’abjuration ; décapité, il porta sa tête comme saint Denis : c’est lui qu’on nomme saint Lyé. Des érudits ont fait ici un rapprochement entre Lyé et Lyaeus, et ont voulu voir dans la légende de saint Lyé un souvenir local du culte de Bacchus. Au douzième siècle, Thibaut, parent des comtes, à la veille de recevoir la ceinture militaire, s’échappa de la ville ; il alla servir des charbonniers, puis passa en Italie, et fit de nombreux miracles ; une église, dont il restait peu de choses au milieu du XIXe siècle, lui fut dédiée à Provins, et une fontaine a conservé son nom.

Provins eut ses guerriers : sans parler de ses comtes, dont l’un fut roi de Jérusalem (Henri II, 1192), on peut vanter Milon le Breban ou de Provins. Il fut à la croisade de 1209, se trouva au siège de Constantinople dont il devint gouverneur ; c’est alors qu’il envoya à Provins le chef de saint Quiriace, juif qui découvrit la vraie croix, et dont l’église de la ville haute porte le nom. Il fit une grande quantité de donations aux établissements ecclésiastiques : c’était un moyen de conserver son nom.

Si nous venons aux gens de robe et d’église, nous trouvons Jean Desmarets, dont l’hôtel existe encore. Son père fut maire ; quant à lui, on connaît le rôle important qu’il joua durant la minorité de Charles VI et durant les troubles des Bourguignons et des Armagnacs. Il louvoya Iongtemps avec art entre tous les partis ; mais il fit la faute de se porter médiateur entre Paris révolté et la cour. Il avait des ennemis qui tournèrent contre lui sa sagesse ; il périt victime des réactions politiques. Les d’Aligre, longtemps abbés de Saint-Jacques, fournirent à Louis XIII un chancelier de France, et à Louis XIV un ambassadeur financier, conseiller d’État, qui parvint comme son père à la chancellerie.

Les érudits et les gens de lettres ne nous manquent pas non plus. C’est d’abord frère Guyot de Provins, comme l’appellent les manuscrits, auteur d’un ouvrage satirique nommé Bible-Guyot (douzième et treizième siècle) ; puis Thibaut, comte de Champagne, roi de Navarre, amant de Blanche de Castille, et qu’on surnommait le Chansonnier. Roger de Provins était physicien de saint Louis. Toussaint Rose, secrétaire de Louis XIV, qui écrivait et signait pour le roi, membre de l’Académie française, naquit à Provins (son père fut maire). Son fauteuil fut occupé plus tard par M. Lebrun, auteur de Marie Stuart, qui, élevé à Provins, s’y plaisait comme dans son pays natal. Toussaint Rose était fort instruit, et I’on conte sur lui un plaisant tour qu’il fit à Molière : comme celui-ci lui récitait après dîner la chanson du Médecin malgré lui, « Bouteille, ma mie... », « C’est fort bien imité », dit l’académicien ; et il récita sur-le-champ une traduction si exacte en vers latins, que Molière fut forcé de croire qu’il s’était rencontré mot pour mot avec un auteur ancien.

 
 
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