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Comédiens et clergé : une discorde née d’une ancestrale méprise

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Coutumes, Traditions
Origine, histoire des coutumes, traditions populaires et régionales, fêtes locales, jeux d’antan, moeurs, art de vivre de nos ancêtres
Comédiens et clergé : une discorde
née d’une ancestrale méprise
(D’après « Le Mercure du XIXe siècle », paru en 1825)
Publié / Mis à jour le dimanche 26 juin 2016, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
Jusqu’au XVIIIe siècle, et particulièrement en France, une coutume consistait à excommunier les acteurs de théâtre, les comédiens se voyant contraints de renoncer aux planches avant de se marier. S’appuyant sur des textes canoniques, cette habitude était cependant absurde, s’appliquant à des artistes qui, jouant dans un premier temps moralités et mystères, n’avaient pas le moindre lien avec les bateleurs gallo-romains contre lesquels ces foudres avaient commencé d’être lancées au IVe siècle de l’ère chrétienne.

Transportons-nous à quelques siècles de notre époque. Un comédien meurt ; le curé de la paroisse qu’il habitait refuse de recevoir dans son église la dépouille mortelle de cette brebis égarée ; le peuple s’ameute ; la gendarmerie s’avance ; on prend des pierres d’une part ; on tire le sabre de l’autre… mais le sabre a toujours raison dans un étal bien policé, de sorte qu’en définitive le char funèbre, repoussé de la maison du seigneur se dirige, au travers des murmures et des jurements, vers le cimetière, pour rendre à la terre un peu de cette poussière anathématisée. Le soir il n’est bruit que du fait dans les salons ; le lendemain plusieurs, journaux contiennent des articles malins et ironiques que le curé se garde bien de lire ; sur ces entrefaites, l’eau court, le temps vole, les événements marchent... un autre soleil et l’on n’en parlera plus !

Un pareil scandale, légion jusqu’au XVIIIe siècle, offre alors à la multitude un motif d’accusations haineuses contre les ministres du culte : il perpétue d’opiniâtres préventions et place l’autorité dans une situation difficile : car enfin, que répondra le magistrat au pasteur qui lui dit en substance : Un comédien est excommunié ; or, ma conscience me défend d’admettre aux prières publiques de l’église le corps d’un excommunié. On a bientôt fait de crier au fanatisme, de se moquer du curé et de sa conscience ; mais ce n’est pas là le moyen de s’éclairer, et la discussion reste précisément au même point.

Représentation d'un mystère au Moyen Age

Représentation d’un mystère au Moyen Age

Il ne sera pas inutile de considérer l’existence des comédiens aux trois âges de l’art dramatique : sous les dynasties mérovingienne et carolingienne, on voit les bateleurs ou histrions qui avaient succédé à ces acteurs du cirque, flétris chez les Romains, mériter, par leurs jeux obscènes et leurs farces grossières, les censures de l’Église et les châtiments du bras séculier. Les conciles d’Elvire, d’Arles, les placent en dehors de la communion chrétienne, et Charlemagne les poursuit de ses ordonnances. Bientôt ils tombent dans un discrédit total, et il n’en est plus fait mention sous les premiers Capétiens.

C’est sur cette législation protectrice des bonnes mœurs à une époque reculée et dirigée de concert par l’État et par l’Église contre des excès répréhensibles, que se fondaient les membres du clergé, au XIXe siècle encore, pour refuser la sépulture chrétienne aux comédiens morts sans avoir abjuré. Beaucoup très certainement ignoraient que telle était la base des principes qui leur avaient été transmis et qui réglaient leur conduite : c’est réellement parce que Charlemagne avait proscrit quelques bateleurs du VIIIe siècle, qu’au XIXe leur était refusée la miséricorde divine.

Et toutefois il y a là une grave erreur ; car si l’on suit avec attention l’histoire dramatique des siècles postérieurs, il devient évident que c’est par une fâcheuse méprise qu’on a cru voir le berceau de nos comédiens modernes parmi ces troupes d’histrions anathématisés dès le premiers âges de l’ère chrétienne ; qu’on ne peut, sans mauvaise foi, les regarder comme les successeurs de ces derniers, et qu’il serait tout au plus permis de considérer comme tels ces acteurs en plein air, dont les parades précèdent dignement la représentation en cire de la Chaste Suzanne ou du Jugement de Salomon.

Comédiens ambulants

Comédiens ambulants

En effet, les véritables auteurs de nos jeux scéniques sont ces pèlerins qui, revenant de la Palestine, chantaient aux peuples émerveillés les événements anciens ou récents dont cette terre sacrée avait-été le théâtre. C’est à eux qu’il faut remonter pour en retrouver l’origine réelle. Isolés dans les premiers temps, ces pèlerins reconnurent qu’ils pouvaient avoir beaucoup plus de succès en réunissant leurs efforts et en se distribuant les divers personnages qui figuraient dans leurs complaintes : de-là, les Confrères de la Passion, institués par lettres-patentes, en 1402, pour représenter à Paris des comédies pieuses.

Ces comédies, appelées dans la suite moralités et mystères, furent tellement goûtées qu’on en joua bientôt dans tout le royaume. L’Église favorisait ce genre de spectacle, qu’elle regardait comme susceptible d’édifier les fidèles ; les membres du clergé y assistaient ; quelques-uns même y prenaient part.

Mais comme notre nation ayant toujours aimé le mot pour rire, on ne tarda pas à trouver que les mystères étaient un peu graves ; et les confrères, pour varier le spectacle, s’adjoignirent insensiblement quelques bons fils de famille ou enfants sans souci, comme il y en a dans tous les siècles, qui se chargèrent d’égayer ceux dont les saints tableaux avaient rembruni l’imagination ; de sorte qu’au XVIe siècle s’introduisit presque généralement l’usage de représenter les histoires du Vieil et du Nouveau Testament avec la farce au bout, pour récréer les assistants.

Par malheur on prit goût à la farce, et d’accessoire elle devint bientôt le principal : comme elle offrait une fidèle et naïve image des désordres du temps, elle ne pouvait être très pure et devait quelquefois causer du scandale : c’est ce qui détermina, en 1546, les révérends Pères de la Trinité à expulser de leur maison les confrères de la Passion, qui y avaient eu jusque-là leur théâtre. Ceux-ci, établis d’abord à l’hôtel de Flandre, puis à l’hôtel de Bourgogne, obtinrent en 1548 un arrêt du parlement qui les confirmait dans tous leurs privilèges, sous la condition de ne jouer que des sujets profanes, licites et honnêtes.

« C’est ici, dit le baron d’Hénin de Cuvillers dans son ouvrage intitulé Des comédiens et du Clergé, le troisième âge de l’existence des comédiens en France et l’origine certaine des comédiens de nos jours : car il est bien avéré que les confrères étaient de vrais comédiens, montant sur le théâtre et débitant des scènes. Le parlement dans sa sagesse leur fit défense de représenter des mystères ; mais il les autorisa à jouer des sujets profanes, et l’arrêt du parlement est confirmé par des lettres-patentes du roi (1559). Par conséquent, la comédie fut donc instituée, approuvée et consentie par les autorités suprêmes du royaume. »

Comédiens ambulants

Comédiens ambulants

Il n’y a plus qu’un mot à dire maintenant, car les comédiens, qui se succédèrent depuis cette époque jusqu’au grand homme à qui le curé de Saint-Eustache refusa la sépulture chrétienne, Molière, tinrent tous directement leurs droits des Confrères privilégiés, et furent obligés de faire une réserve sur leurs bénéfices pour payer l’autorisation qui leur était accordée. Vers le milieu du XVIIe siècle même, des comédiens de province, qui fondèrent la théâtre du Marais où furent représentées les pièces de Jodelle, de Garnier et enfin de Corneille, se virent tenus à payer par chaque représentation un écu tournois aux Confrères de la Passion. C’était l’Hôpital-Général qui profitait alors de cette redevance.

Les ordonnances, les diplômes et les lettres-patentes des rois, les arrêts des parlements, les règlements de police formaient une réunion d’actes publics qui constituaient et consacraient, de la manière la plus authentique, la profession de comédien en France. Cette législation faisait de ceux qui l’exercent de véritables citoyens, supportant les mêmes charges et remplissant les mêmes devoirs que les autres. Bien plus, il avait été fait en leur faveur une exception qui prouvait le degré de considération dont on voulait les honorer : les commerçants perdaient le privilège de noblesse et les comédiens le conservaient. Une ordonnance de Louis XIII, du 16 avril 1641, et un arrêt du parlement rendu en 1668, à la requête de Josias de Soulas, écuyer et comédien à l’hôtel de Bourgogne, en font foi.

Dans on ouvrage consacré à ce sujet, le baron d’Hénin montre que, dans les principes de l’Église gallicane, l’excommunication, fût-elle réelle, n’étant pas consacrée par la loi civile et personnellement dénoncée, un ecclésiastique se rendait coupable d’un véritable délit lorsqu’il refusait les prières publiques à un comédien.

Tabarin (1584-1626), bateleur et comédien du Théâtre de la foire. Gravure d'Auguste Joliet

Tabarin (1584-1626), bateleur et comédien du Théâtre de la foire. Gravure d’Auguste Joliet

Mais il semble qu’au XVIIe siècle on était loin d’avoir sur cette profession, en général, les idées qui régnèrent plus tard. En effet, on refuse d’admettre le corps de l’illustre auteur du Tartufe ; mais en même temps on inhume , dans nos églises mêmes, Turlupin, Gautier-Gargouille, Gros-Guillaume, et plusieurs autres : en 1689, à l’époque où les comédiens français vinrent s’établir dans la rue des Fossés-Saint-Germain, nous voyons les capucins, cordeliers et Augustins de ce quartier leur adresser d’humbles suppliques pour avoir part au prélèvement qu’ils faisaient sur leur recette en faveur des indigents. Celle des cordeliers se termine ainsi : « L’honneur qu’ils (les bons pères) ont d’être vos voisins, leur fait espérer que vous leur accorderez l’effet de leurs prières, qu’ils redoubleront envers le Seigneur pour la prospérité de votre chère compagnie. »

Enfin, observons qu’en 1669, c’était l’abbé Perrin qui remplissait les fonctions de directeur de l’Opéra : ainsi, un abbé réglait alors les roulades et les pirouettes de ces dames ! La chose dura trois ans ; il céda son privilège à Lully en 1672. On ne voit pas qu’il ait été le moins du monde inquiété par le corps auquel il appartenait.

 
 
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