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Procession de la Lunade à Tulle (Corrèze) contre la peste. Voeu de la Saint Jean Baptiste

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Coutumes, Traditions
Origine, histoire des coutumes, traditions populaires et régionales, fêtes locales, jeux d’antan, moeurs, art de vivre de nos ancêtres
Procession de la Lunade depuis 1340
pour conjurer peste et famine
(D’après « Revue du traditionnisme français et étranger », paru en 1914)
Publié / Mis à jour le mercredi 20 juin 2018, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 3 mn
 
 
 
Se déroulant chaque année la veille de la Saint-Jean-Baptiste, cette procession est l’une des rares grandes processions médiévales encore observée, le voeu de la Lunade ayant été fait en 1340 en raison de la peste, de la guerre et de la famine qui affectaient alors la région — une autre épidémie de peste survint en 1348, d’où cette date parfois rencontrée pour fixer le début du Tour de la Lunade

Depuis, la veille de la Nativité de saint Jean-Baptiste, on observe, à 7h du soir, chaque année et à perpétuité, une procession solennelle dans la ville de Tulle et les bois alentours jusque dans la cathédrale.

C’est en l’ « année infâme, dit un chroniqueur, que la peste noire étouffa plus de la moitié des habitants de la ville de Tulle. Le souvenir de cette catastrophe et de ces deuils est encore vivant en Limousin, où l’on raconte couramment que « le fléau fut apporté par un oiseau d’une espèce inconnue qui vint tomber mort sur la place du Trech. » Heureusement qu’un prêtre eut l’inspiration de recourir à l’intercession de saint Jean : une procession fut organisée et la peste cessa.

Depuis, la reconnaissance populaire resta fidèle à ce pieu usage, chaque génération firent honneur à l’engagement pris par tes aïeux. Chaque année, la veille de la Nativité du Précurseur, de l’oratoire de saint Jean à la Bachellerie, les ouvriers, les bourgeois, les femmes et les enfants de la ville, suivent le cortège où l’on porte en triomphe la statue du saint, informe et primitive, sculptée par une main inexpérimentée de l’un de ces naïfs artistes des anciens jours qui bien souvent étaient eux-mêmes des saints.

Cela s’appelle le Tour de la Lunade, parce que la procession serpente aux flancs des montagnes, à l’orient de Tulle, le soir, au clair de lune. Dès le crépuscule, la ville s’emplit d’un tumulte joyeux. Du bord du Rocher des Malades, la nuit venue, le touriste surpris peut entendre les détonations des pétards annonçant la fête ; des feux de joie s’allument de proche en proche ; des fusées volantes s’élancent, zébrant le ciel entre les toitures sombres des maisons grises. Le long de la Corrèze, du fond des faubourgs entassés, des chemins creux, éclate un crépitement de fusillade qui fait vaguement songer aux coups de feu, à la lutte haletante dans une ville prise d’assaut.

Procession de la Lunade en 2015

Procession de la Lunade en 2015
© Crédit photo : Diocèse de Tulle (http://www.correze.catholique.fr/)

À travers des volutes de fumée dispersée par des geysers de flammes, du faubourg de Souillac à la Barrussie, oh croit apercevoir des barricades ; mais cette fois-ci ce n’est pas la haine, c’est l’allégresse qui fait parler la poudre. Doucement éclairée par les reflets multicolores des feux de Bengale, la flèche de la cathédrale émerge couronnée d’un double diadème de lumières ; le carillon chante allègrement tandis que là-bas, sur des gradins de montagnes, l’interminable procession ondule, plus joyeuse que recueillie, piquée de milliers de cierges qui scintillent pittoresquement dans la nuit comme autant de lucioles.

Défilé fantomatique, vision troublante de rêve : on dirait une mystérieuse colonne de follets en marche ! Par moments, la brise de l’Est apporte des bouffées d’harmonie lointaine ; puis, tout à coup, c’est le silence et la nuit ; les chants s’engouffrent dans un ravin ; la foule disparaît derrière un rideau d’arbres.

Des campagnards, las des travaux du jour, d’élégants citadins fidèles à la tradition, respectueux de la promesse faite par leurs pères — au total cinq ou six mille personnes — forment cette imposante procession qui glisse à travers la labyrinthe des gorges étroites, sous le couvert des noyers et des châtaigniers.

Tout cela s’écoule lentement dans un murmure de prières ou de cordiale conversation de voisin à voisin. C’est que le Tulliste est aussi familier avec son saint Jean que le Napolitain avec saint Janvier. II y a si longtemps que le vieux saint de bois est parmi eux ! On ne se gêne plus avec lui ; c’est un ami auquel on demande volontiers — comme un léger service — un tout petit miracle : la guérison d’une migraine rebelle, par exemple, ou toute autre faveur de cette importance. En contemplant d’un œil attendri la mine décrépite de la statue, six ou sept fois séculaire et rapetassée en maints endroits, l’ouvrier soupire : « Pauvre diable ! » Puis il rallume sans façon son brûle-gueule et rattrape hâtivement le cortège.

Les antiques pénitents blancs, qui ont l’honneur de porter révérencieusement le Saint sur leurs robustes épaules, abusent parfois de la nuit pour être outrageusement gris. A tous tes carrefours où se trouve un « reposoir », la procession fait halte. Les pèlerins, alors, « passent sous saint Jean » que les porteurs complaisants soulèvent à bout de bras : les gens à migraine le cognent de la tête, plus ou moins fort, selon le degré de leur foi ou l’intensité de la douleur.

Les fervents effleurent respectueusement du bout des doigts la frange d’or de son manteau de pourpre, car Mgr saint Jean ne porte plus, en ces jours de fête, son costume primitif : la peau d’agneau du Précurseur baptisant au bord du Jourdain.

Des mères amènent leurs enfants, amusés ou récalcitrants, pour leur faire baiser au petit bonheur, !e pied ou le genou de la statue. Il n’y a que peu ou point de notes discordantes durant cette touchante et naïve revue qu’a l’air de passer « le pauvre diable ». Cela ressemble bien un peu à une promenade, mais les cierges, les rameaux que chacun porte rappellent le triomphe que célèbrent à l’envi des chœurs de bonne volonté dont les chants roulent d’échos en échos avec plus d’émulation que d’ensemble.

Là-bas, le carillon sonne une marche, les feux de joie étoilent la nuit et la fusillade redouble ; ici ta foute se hâte et s’écoule, durant des heures, flot sur flot, comme un torrent descendu des hauteurs. Sous le couvert des hautes futaies où l’on coupe te rameau de Saint-Jean, protecteur du foyer, frissonnent les vivifiantes effluves de la brise et des fleurs agrestes.

Au fond de cette dévotion de gratitude se glisse beaucoup de routine, et un brin de superstition. D’aucuns, qui accomplissent consciencieusement selon le rite, leur « Tour de la Lunade », se font gloire de ne pas croire en Dieu. Tels, qui semblent honorer le précurseur du Christ, n’auraient plus la foi si on changeait pour une autre la statue vermoulue qu’ils prennent plutôt pour une entité puissante que pour une image commémorative. Mais la tradition reste vivace au cœur du peuple ; les régimes passent mais l’idée survit.

 
 
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