Chambord, théâtre de la première représentation du Bourgeois gentilhomme de Molière

En faisant édifier Chambord pour célébrer sa gloire naissante, François I^er a voulu un palais grandiose. Léonard de Vinci, qui meurt l’année même du début de la construction (1519), en aurait dessiné les plans. Sans qu’il en reste une seule preuve matérielle. Mais, quel que soit l’architecte de ce chef-d’œuvre destiné à accueillir la cour lors des chasses royales dans la forêt des alentours, il a oublié d’y installer un théâtre.

Molière et sa troupe

Il faut dire que François I^er n’y fera que de brefs séjours : il ne dormira que 72 nuits à Chambord ! Alors, quand un siècle et demi plus tard, Louis XIV désire se distraire en assistant aux comédies-ballets commandées à Molière, au maître de danse Pierre Beauchamp et à Lully, il faut bâtir de toutes pièces un théâtre provisoire en bois. Des plans datant du XVII^e siècle, conservés à la Bibliothèque nationale, le situent au premier étage, dans la branche sud. Il est monté une première fois en 1669 pour une représentation de Monsieur de Pourceaugnac.

Pas un applaudissement
Le 14 octobre 1670, le théâtre accueille la première du Bourgeois gentilhomme. Molière, ses comédiens, les danseurs de Pierre Beauchamp et les musiciens de Lully attendent l’arrivée du jeune souverain de 32 ans pour commencer le spectacle. Toute la cour s’entasse dans le maigre espace disponible. Certains occupent même les marches de l’escalier. Le Bourgeois gentilhomme est une pièce de cinq actes en prose, entrecoupée de ballets. Molière s’y moque d’un riche bourgeois désirant imiter la façon de vivre et de s’exprimer de la noblesse. La cour, qui a entendu parler du thème de la pièce, et qui a probablement même pris connaissance de son contenu avant qu’elle ne soit jouée, a peu apprécié la description peu amène des courtisans et autres petits marquis. Elle a donc fait pression sur le souverain pour qu’elle ne soit pas jouée, la traitant de ridicule.

Louis XIV laisse dire et, surtout, laisse jouer. Durant les cinq actes, pas un applaudissement. Les spectateurs haussent les épaules et écoutent avec pitié. Le roi ne laisse rien paraître, ne dit rien. Après la pièce, Molière s’approche de lui, craignant le pire. Déjà les courtisans triomphent. Assez froidement, Sa Majesté fait savoir à son comédien qu’il désire une deuxième représentation. Celle-ci est donnée cinq jours plus tard.

À la fin du spectacle, Molière s’approche une nouvelle fois du souverain qui lui dit : « Je suis tout à fait content de votre comédie, voilà le vrai comique et la bonne et utile plaisanterie ; continuez à travailler dans ce même genre, vous me ferez plaisir. » Joie de Molière. Rage des courtisans.

Frédéric Lewino et Anne-Sophie Jahn
Le Point