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Légendes, croyances, superstitions. Chêne de l'Évangile à Chanteau (Loiret)

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Légendes, Superstitions
Légendes, superstitions, croyances populaires, rites singuliers, faits insolites et mystérieux, récits légendaires émaillant l’Histoire de France
Chêne de l’Évangile à Chanteau (Loiret)
(D’après « Légendes de l’Orléanais », paru en 1846)
Publié / Mis à jour le mercredi 27 juillet 2022, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
Qui connaît le Chêne de l’Évangile, planté à Chanteau — modeste commune du Loiret située à proximité du riche monastère de Notre-Dame-d’Ambert fondé au XIIe siècle — par trois frères en vue d’assurer à leur mère des moments de confortable lecture sous son ombre, et au pied duquel ils jurèrent de se réconcilier, après la disparition de celle-ci, chaque fois qu’ils viendraient à se quereller ?

La commune de Chanteau, située au milieu de la forêt d’Orléans, ne comptait au milieu du XIXe siècle qu’environ 350 habitants. Les débris de tuiles et de briques que la charrue ramenait au-dessus du sol en divers endroits, faisaient présumer que cette paroisse était plus populeuse autrefois qu’elle ne l’était alors, et celte présomption se change en certitude à la lecture des anciens litres de propriété.

Chanteau aurait partagé ces vicissitudes avec toutes les localités riveraines de la forêt, au secours desquelles l’industrie et l’amélioration des voies vicinales ne seraient pas accourues. Les privilèges concédés par les rois, les princes apanagistes et les tréfonciers — on appelait ainsi le seigneur et le propriétaire du fonds d’un bois soumis à la gruerie, droit de moitié que le roi prenait dans certaines forêts. On nommait aussi tréfoncier le propriétaire d’un héritage, pour le distinguer de celui qui n’en était que l’usufruitier —, furent, croyons-nous, les causes de ces agglomérations d’hommes auprès des bois.

En effet, les habitants durent affluer aux lieux qui fournissaient le pacage — droit accordé aux habitants de faire paître leurs bestiaux, en des temps et des lieux désignés, dans les bois appartenant au roi, aux apanagistes ou à des particuliers. Les usagers du pacage pouvaient aussi cueillir l’herbe qui croissait dans les forêts — et le panage — également appelé glandée, droit que les habitants avaient de faire manger aux porcs les glands et faines des forêts, et qui s’exerçait toute l’année, excepté le mois de mai — pour leurs bestiaux et pour eux-mêmes, l’usage du bois mort et du mort-bois — on appela ainsi originellement les bois qui ne portaient pas de fruit, puis on désigna par ce nom les neuf espèces réputées non forestières, à savoir : saules, marsaules, épine, puines, seur ou sureaux, aulnes, genêts, genièvres, ronces. A ces neuf espèces, on ajouta plus tard le coudre sauvage, le fusain, le sanguin, le troène et le houx.

Mais à mesure que ces privilèges étaient restreints, puis supprimés, hommes et bêtes délaissaient les lieux où ils ne se trouvaient plus les mêmes moyens d’existence. Chanteau possédait, dans son voisinage, une autre source de prospérité ; nous voulons parler de Notre-Dame-d’Ambert, monastère riche et peuplé de nombreux religieux. C’est le roi Louis le Gros qui, en 1134, fonda à Ambert un prieuré où il plaça des religieux de l’ordre de Saint-Victor de Paris ; puis, en 1198, Philippe-Auguste leur donna la chapelle de Chanteau. Ils occupèrent ainsi les deux prieurés jusqu’en 1300. A cette époque, Philippe le Bel fit venir d’Italie douze Célestins auxquels le roi fit don des prieurés d’Ambert et de Chanteau.

Au commencement du XVe siècle, temps où Ambert et Chanteau florissaient, on voyait, à l’extrémité nord de la rue de la Bouverie, s’élever une maison, derrière laquelle s’étendait un jardin séparé de la forêt par le grand chemin d’Orléans à Rebrechien. Cette maison était habitée par une mère et ses trois fils. Le père, attaché dès son enfance au service du monastère, avait su mériter l’amitié du prieur, qui lui avait appris à lire et à écrire. Peut-être le projet du religieux était-il d’attacher Pierre au couvent, en qualité de frère lai ; mais Pierre voulut se marier.

Alors, le monastère lui donna la maison dont nous avons parlé et trois arpents de dépendances, pour en jouir, lui et ses descendants, pendant 199 ans, à la charge de payer 16 sols parisis de rente et 18 deniers de cens, plus la dîme du grain, de deux gerbes par arpent, et celle du vin, d’une jalaye par tonneau — dans le vignoble situé autour d’Orléans, la jalaye équivalait à seize pintes.

L'abbaye dans un bois de chênes, par Caspar David Friedrich

L’abbaye dans un bois de chênes, par Caspar David Friedrich (1809-1810)

Après quelques années de mariage, Pierre mourut, laissant à sa veuve et à ses enfants, l’héritage que lui avait donné le couvent, et un livre des Évangiles qu’il tenait de l’amitié du prieur. Jacqueline, ainsi se nommait la veuve, savait que dans le malheur la véritable consolation n’est qu’en Dieu. Elle s’adressa donc à celui qui n’abandonne jamais l’affligé, et le courage lui revint. Elle en avait grand besoin, la pauvre femme, pour nourrir et élever ses enfants.

Parfois le découragement la prenait ; elle se retirait alors au fond de son jardin, et là, assise sur un petit tertre de gazon, elle puisait la résignation dans le livre des Évangiles. Les enfants voyaient-ils leur mère ainsi occupée, ils s’approchaient d’elle doucement et lui disaient : « Mère, raconte-nous donc une des belles histoires de ton livre » ; et Jacqueline lisait quelques-uns des traits de la vie de Jésus-Christ. C’était le paralytique ou l’aveugle-né, lesquels n’avaient dû leur guérison qu’à leur foi ; c’était l’enfant prodigue qui nous révèle l’inépuisable miséricorde de Dieu ; ou bien encore le bon Samaritain.

Un jour Jacqueline racontait la prédilection de Jésus pour l’enfance : « On lui présenta de petits enfants, afin qu’il leur imposât les mains et qu’il priât, et les disciples les repoussaient. Jésus leur dit : Laissez ces enfants et ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume du ciel est pour ceux qui leur ressemblent. » À ce moment, un nuage tout noir vint à passer, et versa une pluie abondante sur la petite famille. Elle s’empressa de gagner la maison.

« — Quel dommage, dit le cadet, que nous n’ayons pas là-bas un de ces beaux chênes qui croissent dans la forêt ! La mère ne craindrait plus le soleil ni la pluie, et elle pourrait lire dans son beau livre autant qu’elle le voudrait.
— Mes enfants, reprit Jacqueline, vous pouvez en planter un.
— La mère a raison ; je le planterai, dit l’aîné.
— Non, non, ce sera moi, reprit le cadet.
— Pas du tout, ajouta le troisième, ce sera le petit Étienne. »

Et chacun de vouloir remporter. La mère intervint encore.

« — Des frères qui s’aiment bien doivent tout faire en commun ; ainsi, Pierre ira chercher un beau plant ; Guillaume fera un trou, dans lequel vous placerez le chêne à vous trois, et Etienne recouvrira de terre les racines.
— C’est cela, dirent les enfants en sautant et en frappant des mains, oh ! comme notre chêne sera beau. »

La chose fut faite ainsi que l’avait ordonné Jacqueline, et tous les jours, il fallait voir les trois frères mesurer leur arbre !

« — Mère, disaient-ils souvent, notre chêne ne grandit pas ?
— Patience, enfants, rappelez-vous le grain de Senevé de l’Évangile : « Ce grain est à la vérité, la plus petite de toutes les semences ; mais quand il a poussé, il est plus grand que tous les autres légumes, et il devient un arbre, en sorte que les oiseaux du ciel viennent et habitent dans ses branches. » Cultivez votre chêne et reposez-vous sur Dieu du soin de le faire croître.
— Il ne nous reste plus, fit observer Guillaume, qu’à donner un nom à notre arbre. »

Pierre et Etienne applaudirent à cette idée ; mais la difficulté était de s’accorder. Pierre voulait l’appeler le chêne des bons enfants ; Guillaume, l’arbre des trois frères ; Etienne, le chêne de la bonne mère. Enfin, pour sortir d’embarras, ils s’adressèrent à Jacqueline. Celle-ci trouva les trois dénominations très jolies ; mais elle pensa que celle de Chêne de l’Évangile conviendrait peut-être mieux. « Oh ! c’est vrai, s’écrièrent les enfants, nous eussions dû y songer. »

Cependant l’arbre poussait, les trois frères grandissaient aussi, et Jacqueline devenait vieille. Bientôt elle tomba malade et sentit sa fin approcher. Un matin, c’était le jour des saints Anges-Gardiens — fête célébrée autrefois le 1er mars. Clément X, qui mourut en 1676, après avoir tenu le siège apostolique pendant six ans et trois mois, la fixa au 2 octobre —, elle voulut que ses enfants la portassent au pied du chêne.

« — Mère, lui dirent-ils, l’air est piquant et il a gelé la nuit dernière ; il fait trop dur pour toi dehors.
— Non, non, portez moi sous le chêne. »

Ils obéirent. Lorsque Jacqueline fut placée :

« — Mes enfants, dit-elle, j’ai voulu venir ici pour vous faire mes adieux ; car je sens que je mourrai bientôt. Vous m’avez toujours aimée ; et pourtant il vous est arrivé de vous quereller quelquefois. J’ai réussi, il est vrai, à ramener l’amitié entre vous ; mais quand je n’existerai plus, qui pourra me remplacer ?
— Mère, nous nous aimerons toujours.
— Oui, oui, je l’espère ; mais pour que je meure sans inquiétude, jurez, sur ce livre, que si la discorde naît parmi vous, vous viendrez vous réconcilier au pied de cet arbre que vous avez planté. »

Les trois frères placèrent leurs mains sur l’Évangile que Jacqueline tenait sur ses genoux, et dirent : « Mère, nous le jurons. — Bien, mes enfants, embrassez-moi ; maintenant je mourrai contente. » Le lendemain Jacqueline cessa de vivre, et ses enfants la pleurèrent pendant longtemps. Les trois frères se marièrent. Pierre, l’aîné, garda la maison ; Guillaume et Etienne se fixèrent dans le champ aux Nonains ; le premier, à la Louvetière, et le dernier à Aulaine.

Durant la semaine, chacun se livrait à ses travaux ; mais le dimanche venu, les trois familles se réunissaient, à l’issue de la messe, et prenaient ensemble le chemin de l’habitation de Pierre, où elles passaient le reste de la journée. Quelques instants avant de se séparer, hommes, femmes et enfants se groupaient autour du chêne et écoutaient, avec respect, un passage de l’Ecriture-Sainte. A la suite de cette lecture, les querelles de ménage, les petites divisions intérieures étaient exposées et la paix se faisait. Tous se retiraient contents.

Il était pourtant des occasions où l’on n’attendait pas le dimanche pour se rendre au pied de l’arbre ; c’était lorsque deux des chefs de famille avaient eu une altercation. Ainsi, un jour, Pierre dînait, quand le petit Jehan accourt lui dire : « Oncle, maman vous prie de venir à la Louvetière tout de suite. » Pierre suivit l’enfant. Arrivé chez sa belle-sœur, celle-ci lui apprit que Guillaume et Etienne s’étaient querellés le matin, au sujet de la basse-cour d’Ambert, que chacun voulait prendre à ferme, et qu’ils s’étaient quittés en se faisant des menaces. Pierre alla aussitôt les trouver l’un après l’autre, et leur dit : « Frères, ce soir, après le coucher du soleil, la mère nous attend sous le chêne. »

Guillaume et Etienne se rendirent à cette sommation, et Pierre leur demanda s’ils ne s’étaient pas querellés dans la matinée. « Il est vrai, répondit Guillaume ; mais c’est la faute d’Etienne, qui veut se faire donner la ferme de la Basse-Cour, lorsqu’il sait que messire le procureur me l’a promise. — Et moi, répliqua Etienne, j’ai la parole de monseigneur le prieur. » Après avoir réfléchi, Pierre leur dit : « Toi, Guillaume, tu n’as que des filles ; et tes garçons, Etienne, sont encore enfants. Vous ne pouvez donc, ni l’un ni l’autre, exploiter une métairie, sans vous faire aider par des étrangers. Eh bien ! réunissez-vous, joignez vos quatre bras ensemble, et tout n’en ira que mieux. »

Maison forestière dite du Chêne de l'Évangile

Maison forestière dite du Chêne de l’Évangile, construite au XIXe siècle

Guillaume et Etienne avouèrent que leur frère avait raison, et tous trois, s’étant embrassés, levèrent les yeux vers la cime du chêne, en disant : « Mère, tes enfants ne t’ont pas oubliée. » Quelques jours après, le bail de la métairie d’Ambert était passé au nom des deux frères.

Pierre, Guillaume et Etienne moururent ; mais leur vénération pour le Chêne de l’Évangile avait passé dans l’âme de leurs enfants. Ceux-ci transmirent ce respect à leurs descendants, et c’est ainsi que par la voie de la tradition, cette légende nous est parvenue. La maison de l’Évangile a été détruite vers 1810. Treize ans après, le chêne qui étendait ses branches au-dessus de l’ancien jardin, devenu un vague, vulgairement appelé Placeau, fut compris dans une vente de bois et abattu. Quinze ans s’écoulèrent ensuite, pendant lesquels le souvenir de l’arbre allait s’affaiblissant.

Enfin, l’administration des forêts de la Couronne fit construire, en 1839, une habitation pour deux gardes et un pied-à-terre pour ses officiers. Cette construction simple et d’un très bon goût, fut élevée non loin de l’ancienne maison de l’Évangile, de l’autre côté de la route, qui conduit d’Orléans à Rebrechien, et à l’angle de celle qui va à Neuville.

L’édifice terminé, on défricha une partie du bois qui l’entourait, pour en faire un jardin. Dans ce bois, tout auprès de la route, et vis-à-vis de la place que le Chêne de l’Évangile avait occupée, se trouvait un chêne bien fait et vigoureux ; l’inspecteur des forêts le conserva, afin de perpétuer le souvenir de l’ancien. Le même motif fit donner à l’habitation des gardes le nom de l’Évangile.

 
 
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