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Remèdes secrets d'une herboriste confrontée à l'hostilité du monde médical

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Métiers anciens / oubliés
Histoire des métiers, origine des corporations, statuts, règlements, us et coutumes. Métiers oubliés, raréfiés ou disparus de nos ancêtres.
Remèdes secrets d’une herboriste
confrontée à l’hostilité du monde médical
(D’après « Revue d’histoire de la pharmacie », paru en 1992)
Publié / Mis à jour le mardi 24 mars 2020, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
À la fin du XIXe siècle, l’herboriste nantaise Marie Maillard-Sérot offre un cas typique de la distance qu’il y alors de la loi à son application dans le domaine médical : officiant depuis dix-sept ans et affirmant avoir enregistré de nombreux succès, elle tente vainement durant trois ans d’obtenir l’approbation de l’Académie de médecine cependant que sont prohibés par la loi les remèdes secrets, et qu’en outre sont réglementées la fabrication et la distribution des médicaments

L’article 32 de la loi du 21 germinal an XI (11 avril 1803) fixait que les pharmaciens « ne pourront vendre aucun remède secret » et son article 36 prohibait « sévèrement » toute forme de publicité pour cette catégorie de remèdes. Dès le 25 prairial an XIII (14 juin 1805), un décret assouplissait ce régime en levant l’interdiction de l’article 36 pour les remèdes qui avaient été approuvés et dont la distribution avait été autorisée avant la loi de germinal et en autorisant leur vente par leurs auteurs et propriétaires ou leurs agents.

Au milieu du XIXe siècle, par décret du 3 mai 1850, de nouvelles dispositions virent le jour : « Les remèdes qui auront été reconnus nouveaux et utiles par l’Académie nationale de médecine et dont les formules, approuvées par le ministre de l’Agriculture et du Commerce conformément à l’avis de cette compagnie savante, auront été publiées dans son bulletin avec l’assentiment des inventeurs ou possesseurs cesseront d’être considérés comme remèdes secrets. Ils pourront être, en conséquence, vendus librement par les pharmaciens en attendant que la recette en soit insérée dans une nouvelle édition du Codex. »

Carte-réclame pour la Liqueur d'or de Marie Maillard-Sérot
Carte-réclame pour la Liqueur d’or de Marie Maillard-Sérot

En application de ce texte, de multiples dossiers de demandes d’approbation furent soumis, année après année, à l’Académie de médecine. Les Archives Nationales en conservent une longue série qui furent rejetés par la docte compagnie. L’un d’eux a trait à la « Liqueur d’or autrefois employée si avantageusement par les Grecs pour le maintien de leur force » dont la réclame est reproduite ci-dessus. Cette liqueur et l’ « esprit » qui permet qu’ « en une année la tête chauve se trouve couverte de cheveux » vantés dans cette carte laissent entrevoir chez Marie Maillard, née Sérot, se disant dans sa correspondance « herboriste avenue Pasteur, à Nantes », une bonne imagination dans la découverte de remèdes merveilleux.

Son dossier comporte d’ailleurs un prospectus pour un « Pain précieux » de son invention au dos duquel elle a écrit de sa main à l’intention de son correspondant parisien : « Le jury de médecine à l’exposition de Toulouse a admiré mon pain précieux, j’ai obtenu à cette exposition une médaille de bronze et mes produits à l’exposition de Cette [aujourd’hui Sète] m’ont valu une Médaille de Vermeil, du reste chaque fois que j’ai exposé quelques produits, j’ai eu une récompense. Je ne dis pas cela non par orgueil, bien s’en faut, mais pour prouver que mes fabrications sont valables. »

Rien d’étonnant donc à ce que, le 25 juillet 1888, elle écrive en ces termes « à très honorable ministre du Commerce de l’Industrie » pour appeler son attention sur des produits assez divers dont elle est l’auteur :

« Le 12 de ce mois, j’ai eu l’honneur de m’adresser à M. Carnot, Président de la République, à l’effet de me faciliter une réunion d’hommes compétents, pour m’entendre indiquer des moyens selon moi à employer avantageusement contre le phylloxera et autres maladies de nos vignobles, ainsi qu’un moyen favorable pour préserver les chiens de la rage en leur donnant une infusion appropriée à cela ; puis j’ai à soumettre un certain nombre de produits dont je suis seule l’auteur et des plus utiles pour l’intérêt général ; si on me demande où j’ai puisé ces connaissances, je dirai que c’est dans l’étude et l’application des vertus des végétaux que j’emploie depuis bientôt 16 [?] années, alors il m’est facile de savoir ce qui est favorable à chaque chose. Comme je le dis sur ma demande à M. le Président de la République, ce serait bien à tort de ne pas prendre ma demande en considération, on trouve souvent chez une simple dame ce qu’un grand homme n’a pu trouver ».

Ce que souhaiterait Marie Maillard — car sa fortune est « trop minime pour faire de grands frais de voyage » — c’est une réunion où présenter en une fois l’ensemble de ces produits. Invitée par le ministre, le 13 août, à lui adresser, pour transmission à l’Académie de médecine, un échantillon, la formule et le mode d’emploi de son remède contre la rage, elle l’en remercie non seulement pour elle-même, mais « pour l’humanité souffrante », car il y a de plus en plus de chiens « gâtés » et permettre à chacun d’avoir sous la main un remède comme le sien serait « un grand bienfait ».

Prospectus de Marie Maillard-Sérot pour son Pain précieux
Prospectus de Marie Maillard-Sérot pour son Pain précieux

Un petit problème toutefois la chagrine manifestement : « Je sollicite de votre ineffable bonté, ajoute-t-elle, la grâce d’être demandée près de ces messieurs pour les faits dont je cite dans ma pétition, mais il me serait pénible si les frais restaient à ma charge, mère de huit enfants qui me restent encore et n’ayant qu’une fortune déjà insuffisante, tous frais inattendus me gêneraient ».

Quoi qu’il en soit, elle envoie le traitement contre la rage par chemin de fer en caisse cachetée. Occasion de préciser ses intentions et d’exprimer ainsi quelque rancœur contre la méconnaissance dont elle est victime : « Je pourrais m’arranger avec l’Académie pour la formule, car je désire que ce soit elle qui seule en tire le bénéfice, je ne me réserverais que le droit de l’employer pour ma famille et quelques amis, et non pour soigner moi-même tel que l’on m’a dit ; si j’offre de le faire connaître, c’est pour l’humanité.

« Depuis 17 ans que j’étudie les vertus des produits de la nature, si j’étais à même de faire le bien, on serait étonné de mes connaissances acquises par tant de fatigue, mais non, malgré les récompenses que me donnent les expositions, on ne veut que m’anéantir et me mettre dans l’impuissance de faire le bien pendant que des millions d’hommes ne trouvent pas de guérison...

« Si j’étais entendue, je convaincrais les incrédules qui croient que bien des maladies ne se guérissent pas, tandis que le créateur a mis pour chacun de nous le remède à côté du mal. La nature peuple les remèdes par mille et milliers. »

Nous voici en septembre. À l’approche de la mauvaise saison, Marie Maillard-Sérot a le cœur qui se serre en songeant à un autre de ses remèdes : « L’automne arrive, avec lui vont paraître les maladies de poitrine, plaide-t-elle auprès du ministre le 12 septembre ; déjà on me tourmente pour en soigner, mais j’ai quitté, la loi m’a interdit de le faire, je me soumets, ma clientèle ne se soumet pas de même, elle veut que je parle, que je ne laisse pas perdre toutes les connaissances que j’ai eu tant de peine à obtenir ; il y a déjà tant d’années que je donne la vie à mes semblables, je puis encore faire le sacrifice de savoir peut-être recevant un refus, mais tant pis, les souffrances humaines sont si compliquées aujourd’hui que le cœur parle avant, si j’ai un échec, je n’aurai toujours rien à me reprocher, j’aurai tout fait pour l’humanité. »

D’un village de Touraine, Avon, près de L’Île-Bouchard, son maire supplie par écrit le ministre d’accueillir favorablement la demande de Mme Maillard (lettre du 3 novembre 1888). Il expose longuement comment son jeune neveu a été sauvé par elle « d’une maladie de poitrine fort grave » et décrit cette cure miraculeuse à base d’un « jus d’herbes pilées » suivi de « remèdes nombreux mais simples » dont « l’effet annoncé se produit exactement et invariablement ». Mme Maillard « ne traite ordinairement que des poitrinaires abandonnés des médecins » et sauve « généralement 17 malades sur 20, soit 85 % ». Bref, en elle « la tuberculose a trouvé son maître ». Mais elle traite « avec un égal succès toutes les maladies ».

Prospectus de Marie Maillard-Sérot pour le traitement destiné à guérir les affections de poitrine
Prospectus de Marie Maillard-Sérot pour le traitement destiné à guérir les affections de poitrine

Sans doute s’agit-il du traitement détaillé dans un prospectus dont nous reproduisons ci-dessus la première page et qui est effectivement assez compliqué. À l’espèce de bouillon concentré à base de mou de veau et au « vin des plantes des hautes-forêts » de cette première page s’ajoutent un « traitement externe » avec cataplasme pour le côté gauche, cataplasme pour le côté droit, eau de Colcothar et alimentation appropriée. Un « deuxième traitement » est proposé, où le remède au mou de veau est remplacé par un sirop régénérateur et où l’usage des cataplasmes est allégé.

Hélas, tous ces efforts sont vains et se brisent sur les froides décisions prises par l’Académie de médecine sur le rapport de Henri Moissan — pharmacien, membre de l’Académie de médecine (22 mai 1888) et de l’Académie des sciences, il recevra le Prix Nobel de chimie en 1906 — au nom de sa commission permanente des remèdes secrets et nouveaux. Le 24 septembre 1889, l’Académie refuse son approbation au traitement contre la maladie de poitrine, « d’ailleurs très compliqué », dont l’auteur se borne à indiquer la manière de se servir de ses médicaments sans en faire connaître la composition et où l’on ne trouve donc rien qui soit « de nature à être pris en considération par l’Académie ».

Le même jour, la docte assemblée constate que « rien de positif » ne vient à l’appui des assertions de Mme Maillard sur son traitement anti-rabique et son remède pour régénérer les vignobles : il n’y a donc « pas lieu de donner suite à cette affaire ». Enfin, le 12 novembre suivant, l’Académie, saisie d’une autre demande concernant un médicament que Mme Maillard emploie « pour les maladies d’estomac, pour la phtisie, pour la guérison des tumeurs, etc. », mais dont elle ne donne pas la formule, décide qu’il n’y a pas lieu de s’y arrêter.

Informée de ces décisions, l’intéressée fait répondre, le 10 décembre, par une secrétaire, que si elle n’a pas fourni la composition du remède contre la rage, c’est qu’elle souhaitait que l’on en fît d’abord l’expérience sur trois personnes atteintes de la maladie, après quoi elle en aurait cédé la formule à l’Académie. Pour ce qui est des maladies incurables, ce qu’elle voulait, c’est d’être « mise à Paris à même de travailler en présence des docteurs ».

La suite est plus amère et plus incisive. Seuls les médecins ayant diplôme en règle peuvent traiter des malades. Mais s’ agissant de quelqu’un qui a fait preuve de sagesse et guéri des milliers d’abandonnés, ne peut-il y avoir une exception ? Surtout alors que cette personne ne demande qu’à faire ses preuves : elle vient encore de faire une nouvelle découverte concernant l’anémie et elle est prête à la soumettre à l’épreuve. Que le ministre y réfléchisse : « Songez que si, sur la terre de notre France, un jour l’on peut dire qu’il n’y a plus de maladies incurables, ce sera Vous, Vous, Monsieur, qui aurez aidé cette grande œuvre régénératrice que l’on bénira. »

La nécessaire herboriste. Estampe de Charles Philipon (1828-1829)
La nécessaire herboriste. Estampe de Charles Philipon (1828-1829)

Vaine éloquence ! Le 8 janvier 1890, Mme Maillard revient à la charge : « Toujours nourrissant l’espoir d’avoir une solution dans les diverses demandes que j’ai eu l’honneur de vous adresser, ainsi que primitivement à M. le ministre de l’Industrie et du Commerce sur différents points mais tous tendant à demander que l’on veuille bien solliciter près l’Académie de médecine pour qu’elle me favorisât de me permettre de donner les preuves convaincantes qu’énormément de maladies rebelles que l’on cite ne pouvant se guérir, que c’est à tort de le croire, ainsi que l’on me mette aux preuves en me permettant de travailler sous la surveillance de ces Messieurs, voilà toujours ce que je vous demanderai de nouveau.

« Je puis fournir les preuves convaincantes des vertus des produits composés par moi par un travail constant, dans le but de l’humanité souffrante, il y en a tellement qui gémissent de ne pouvoir guérir. Je suis venue à Paris [elle est au Grand Hôtel du Mans, 45 boulevard Montparnasse] pour faire mes efforts pour avoir enfin une solution, chacun me pousse à en activer le moment. »

Cette solution favorable, le dossier, en s’arrêtant là, donne à penser que l’herboriste nantaise ne l’obtint pas. Cependant, bien que ne cessant d’inventer des remèdes et de prescrire des traitements en se rendant officiellement coupable d’exercice illégal de la pharmacie et de la médecine, elle semble n’avoir pas été inquiétée par l’autorité publique. Il nous faudrait mieux connaître la personnalité et la vie de notre Nantaise pour évaluer sa sincérité et apprécier sa référence constante au bien de l’humanité. Mais si elle gonfle certainement le nombre des guérisons qu’elle s’attribue, il reste qu’elle avait sans doute à son actif de réels succès.

 
 
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