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Au clair de la lune

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Patrimoine : Chansons d’antan
Airs anciens, paroles populaires d’autrefois, chansons reflétant les moeurs, usages et opinions en France à diverses époques
Au clair de la lune
(D’après « Les légendes de l’art. Musiciens », paru en 1896)
Publié / Mis à jour le mercredi 19 décembre 2018, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 9 mn
 
 
 
Une légende affirme que les paroles de cette célèbre chanson sont le fruit de l’inspiration d’un pâtissier-rimeur parisien ayant acquis la surprenante habitude de ne s’exprimer qu’en vers, et qui un jour fut sollicité pour la rédaction d’un placet par Jean-Baptiste Lulli, jeune marmiton bientôt conquis par les vers du poète au point d’en composer la musique

Vers l’an 1650, on voyait à Paris, à l’un des angles d’un carrefour peu éloigné de Saint-Eustache, une pâtisserie d’assez pauvre apparence, tenue par un certain Crépon, excellent homme, mais très médiocre pâtissier. Il est vrai que sa profession était le moindre de ses soucis, et qu’il lui préférait de beaucoup une occupation d’un genre tout différent ; ce qu’il exprimait lui-même par ces deux méchants vers, qu’il se plaisait à répéter :

Tout homme de bon goût et de bon sens estime,
Qu’aucun pâté ne vaut une excellente rime.

C’était donc au talent de rimeur que prétendait l’honnête pâtissier, et il était parvenu à rimer, sinon bien, du moins très facilement, en sorte qu’il parlait en mauvais vers presque aussi vite que l’on parle généralement en prose. Mais ce succès lui avait coûté cher ; car sa manie l’avait peu à peu conduit à la misère.

Au clair de la lune. Chromolithographie publicitaire du XXe siècle pour l'alcool de menthe Ricqlès

Au clair de la lune. Chromolithographie publicitaire du XXe siècle pour l’alcool de menthe Ricqlès

Pour rien au monde, il n’eût donné à un de ses garçons un ordre ou une explication qui ne fût en vers, et, si l’expression exacte de sa pensée ne pouvait aisément s’accorder avec la mesure ou avec la rime, Crépon, très humble esclave de l’une et de l’autre, plutôt que de se soustraire à leurs exigences, sacrifiait sa pensée et disait tout autre chose que ce qu’il voulait et devait dire. De là des malentendus qui, mécontentant ses clients et décourageant ses garçons, finirent par éloigner les uns, chasser les autres et faire de sa pauvre pâtisserie une parfaite solitude.

Il est vrai qu’une clientèle d’un autre genre ne tarda pas à remplacer celle que Crépon avait perdue ; mais pour bien comprendre ceci, il faut que nos lecteurs sachent que, vis-à-vis la boutique du pâtissier, se trouvait l’échoppe d’un écrivain public. Pierre Janrat, c’était le nom de ce personnage, écrivait pour tous ceux qui ne savaient pas écrire, et leur prêtait, moyennant quelques sous, sa plume, son style, son éloquence. Ce métier, qui consistait à vivre de l’ignorance d’autrui, était assez lucratif à une époque où le nombre des ignorants était fort grand parmi les gens du peuple ; aussi, autant la boutique du pâtissier était déserte, autant l’échoppe de l’écrivain était fréquentée.

Un jour, une cuisinière à la recherche d’une place, ayant voulu s’adresser à Janrat, ne le trouva point dans son échoppe ; apercevant Crépon sur la porte de sa boutique, elle lui demanda si l’écrivain rentrerait bientôt, Crépon répondit :

Vous me demandez, cuisinière,
Quand mon voisin Pierre Janrat,
Dans son échoppe rentrera,
Quand rentrera mon voisin Pierre ?

Mais je vous déclare, ma chère,
Que je ne sais rien de cela,
Et que, sur cet article-là,
Je suis d’une ignorance entière.

C’était la première fois de sa vie que la cuisinière entendait un semblable langage ; aussi, resta-t-elle ébahie devant Crépon, qui continuait de lui parler sur le même ton, sans plus hésiter que s’il se fût agi de lui dire tout simplement bonjour ou bonsoir. Dans sa surprise, elle ouvrait de si grands yeux et une si grande bouche que le pâtissier, croyant qu’elle avait faim, changea tout à coup de sujet et fit à la cuisinière les offres les plus séduisantes :

J’ai des tartes et des galettes,
Des pâtés chauds, des pâtés froids,
Des tourtes, vrai manger de rois,
Des croquets, manger de fillettes ;
J’ai des massepains excellents.
Des échaudés bons pour les dents,
Des biscuits tout sucre et tout crème,
Des brioches que chacun aime.
Entrez, mangez ; je suis Crépon,
Pâtissier du roi du Japon.

Le roi du Japon arrivait là pour rimer avec Crépon, et l’énumération tout entière n’était en réalité qu’une licence poétique. Mais la cuisinière qui ne connaissait ni les exigences de la rime, ni les licences de la poésie, prit à la lettre la tirade de Crépon, et se figura qu’il fournissait de pâtisserie quelque table royale. Elle entra donc avec empressement dans la boutique ; mais, hélas ! quelle déception ! Au lieu de toutes les friandises annoncées, elle ne trouva que quelques rares croquets, aussi durs que les planches sur lesquelles ils semblaient avoir été depuis longtemps oubliés.

Au clair de la lune. Estampe publiée dans La Musique populaire du 2 février 1882

Au clair de la lune. Estampe publiée dans La Musique populaire du 2 février 1882

Elle allait peut-être demander au pâtissier si c’était le roi du Japon qui avait tout mangé ; mais Crépon ne lui en laissa pas le temps, et par une tirade que la tradition ne nous a pas conservée, il lui demanda quelle affaire l’amenait chez son voisin Pierre. Elle répondit que, se trouvant sans place, elle était venue prier l’écrivain de lui dresser une liste des maîtres avait servis, afin de pouvoir montrer celte liste, comme moyen de renseignements, aux personnes chez qui elle se présenterait.

À l’instant même, Crépon prit un morceau de papier, sur lequel il écrivit, d’après quelques détails que lui donna la cuisinière :

Demoiselle Catherine
Sachant faire la cuisine,
Blanchir, coudre, et cétéra,
A servi seize semaines
Chez le président de Mesmes,
Chez les marquis par douzaines,
Chez le conseiller Bura,
Et chez Clair, marchand de drap.
Ces personnes fort honnêtes,
De sa rare probité
Et de son talent marqué,
Ont été très satisfaites,
Comme s’en assurera
Quiconque leur parlera.

Crépon fit comprendre à la cuisinière que les marquis par douzaines imaginés par lui étaient de ces fictions que la poésie autorise, et Catherine, pénétrée d’admiration pour l’auteur de la pièce remarquable dont elle se trouvait en possession, se mettait en devoir de payer généreusement, lorsque l’honnête pâtissier déclara qu’il n’accepterait rien, et qu’il travaillait uniquement pour la gloire.

Ce trait porta au comble l’admiration et la reconnaissance de Catherine, et, comme elle produisait très facilement, non pas des vers, mais de la prose, la renommée de Crépon poète, de Crépon écrivain, surtout de Crépon travaillant pour la gloire, fut, avant la nuit, répandue dans tout le quartier et au delà, et, dès le lendemain, des clients commencèrent à affluer vers la pâtisserie, transformée en bureau de rédaction.

Point n’est besoin de dépeindre l’étonnement qu’éprouva d’abord Janrat en voyant de nombreuses pratiques arriver à la file chez le pâtissier si longtemps oublié du public, et la colère qui succéda à cet étonnement, lorsqu’il comprit que cette vogue de Crépon était obtenue à son détriment, et que la pâtisserie faisait concurrence à l’échoppe. Mais, plus tard, quand il sut que Crépon exerçait gratis son nouveau métier, sans même se faire payer le papier qu’il employait, il demeura plus que jamais convaincu que cet homme n’était qu’un fou, qui ne tarderait pas à mourir de misère et de faim, et il se consola charitablement dans l’attente de cette conclusion, qu’il regardait comme inévitable.

Il est vrai que Crépon, après avoir subsisté quelque temps en vendant pièce à pièce son matériel de pâtissier, se vit réduit, un jour que la faim le pressait, à vendre jusqu’à son canif, la seule pièce de son matériel d’écrivain dont il pût tirer quelques sous, et, après avoir accompli ce dernier et douloureux sacrifice, à bout de ressources, n’ayant rien pour lui, ne pouvant plus rien pour les autres, il se coucha pour essayer de trouver dans le sommeil un moment de répit à ses cruelles souffrances.

Mais ceux à qui le sommeil serait le plus nécessaire pour suspendre un peu leurs peines sont d’ordinaire ceux qu’il visite le moins. Le malheureux Crépon se retournait depuis près de deux heures dans son lit sans pouvoir fermer ses paupières brûlantes, ni écarter les sinistres pensées qui l’obsédaient lorsqu’il entendit frapper à sa porte. « Qui est là ? » cria-t-il du fond de son alcôve. Et une voix d’enfant, d’un timbre fort doux, lui répondit en un jargon moitié italien, moitié français, à peine intelligible : « Mossiou lo scrivano poublic, aprile-moi la vostra porla, si ça vous plaît. »

Au clair de la lune. Chromolithographie publicitaire du XXe siècle pour le chocolat Debauve et Gallais

Au clair de la lune. Chromolithographie publicitaire du XXe siècle
pour le chocolat Debauve et Gallais

Crépon, pendant qu’il s’habillait à la hâte, entendit dans la rue les sons d’une mandoline, et, lorsqu’il eut ouvert la porte, il vit un enfant de treize à quatorze ans qui, avec beaucoup d’aisance, promenait son archet sur un petit violon dans le genre de ceux dont se servent les maîtres de danse. L’enfant salua le bonhomme avec beaucoup de grâce, et s’empressa de lui conter, dans le baragouin dont nous avons donné tout à l’heure un échantillon, qu’il était employé comme marmiton dans les cuisines de Mlle de Montpensier, la cousine germaine du roi Louis XIV, mais que cet état lui déplaisait cruellement et que, depuis longtemps, il serait mort d’ennui s’il ne fût parvenu à se procurer une mandoline, son unique consolation ; mais que, sa passion pour la musique devenant de plus en plus irrésistible, il venait prier mossiou Io scrivano poublic de lui rédiger un placet, dans lequel Mlle de Montpensier serait suppliée de daigner lui accorder une position qui lui permît de se livrer sans obstacle à son goût pour la musique et de cultiver ce qu’il croyait pouvoir appeler son talent.

Le bon pâtissier écouta avec un vif intérêt le discours de l’enfant ; mais, faisant bientôt un triste retour sur lui-même, et se rappelant l’absolu dénuement où il se trouvait, il s’écria douloureusement :

Hélas ! mon petit étranger,
Je n’ai ni plume, ni papier,
Ni quoi que ce soit pour vous faire
Votre requête épistolaire ;
Mais peut-être bien que Janrat
Plume et papier me prêtera.

On sera peut-être surpris que Crépon songeât à recourir à un homme que nous avons vu si mal disposé à son égard, mais, depuis que Janrat avait reconnu que son pauvre voisin n’était pas pour lui un concurrent dangereux, il avait cessé d’avoir à son égard des sentiments de haine, et se contentait de diriger contre lui toutes sortes de plaisanteries, tantôt sur les pâtés dont il ornait son écriture, tantôt sur les brioches qu’il introduisait dans son orthographe ou dans son style, au lieu d’en mettre dans son four.

On assure même que c’est par suite de ces plaisanteries de Janrat, que ces expressions empruntées au vocabulaire de la pâtisserie ont été employées dans des acceptions toutes différentes. Quoi qu’il en soit, Crépon, en supportant les plaisanteries de son voisin avec beaucoup de douceur et de bonhomie, avait dissipé le nuage qui s’était un moment élevé entre eux, et se croyait assez avant dans ses bonnes grâces pour pouvoir espérer que celui-ci ne lui refuserait pas le léger service qu’il allait lui demander.

Malheureusement, Janrat était déjà couché et probablement endormi ; car, grâce à un petit magot amassé sou par sou, il était à l’abri des inquiétudes qui éloignaient le sommeil des yeux de son pauvre voisin. Crépon frappa un petit coup à la porte : « Voisin Janrat ». Janrat ne répondit pas. Crépon frappa un peu plus fort : « Voisin Pierre ! » Personne ne bougea dans l’échoppe. Crépon frappa deux coups de suite, en disant : « Mon cher Pierrot ! » Il lui sembla alors entendre un petit bruit, et il se dit tout bas : « Cher Pierrot ! ce petit mot d’amitié lui a fait plaisir et il va m’ouvrir. »

Quelque chose s’ouvrit, en effet ; mais, au lieu de la porte, ce fut une sorte de fenêtre ou plutôt de lucarne, qui se trouvait au-dessus, el d’où Janrat cria d’un ton de mauvaise humeur : « Que me voulez-vous donc à une pareille heure ? » Crépon répondit :

Je voudrais, si cela vous plaît,
Écrire un illustre placet.
Le vent a soufflé tout à l’heure
Ma chandelle, et, dans ma demeure,
Je n’ai trouvé, croyez-le bien,
Ni plume, ni feu, ni rien.

« Je le crois aussi, dit Janrat, mais laissez-moi dormir, et allez vous promener. » Et, s’il ne referma pas aussitôt la fenêtre, ce fut parce que le petit musicien avait éveillé son attention.

Le pâtissier Crépon s'adresse en vers à l'écrivain public Pierre Janrat et est rejoint par le jeune Lulli. Illustration publiée dans Les légendes de l'art. Musiciens, paru en 1896

Le pâtissier Crépon s’adresse en vers à l’écrivain public Pierre Janrat
et est rejoint par le jeune Lulli. Illustration publiée
dans Les légendes de l’art. Musiciens, paru en 1896

En ce moment, un nuage qui, depuis quelque temps, voilait la lune, s’écartait, et la reine des nuits brilla d’une vive lumière qui sembla ranimer le génie poétique de Crépon ; car, prenant une pose presque tragique, il dit d’une voix lente et solennelle :

Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot,
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot,
Ma chandelle est morte,
Je n’ai plus de feu ;
Ouvre-moi ta porte,
Pour l’amour de Dieu.

Le pauvre poète avait dit ce vers avec une émotion si vraie, qu’il sentit deux larmes humecter ses yeux, et il les essuya avec un coin de son tablier ; car il portait encore, par habitude, cet ancien insigne de sa profession. Mais ses tabliers se ressentaient naturellement de sa décadence générale, et celui qu’il avait pris à tâtons en accourant à l’appel du petit Italien avait dans le milieu un trou énorme que le malicieux Janrat vit parfaitement, à la faveur du clair de lune. Ne pouvant résister à la tentation de plaisanter là-dessus son pauvre voisin, il lui envoya par la fenêtre cette méchante réponse, qui péchait contre la rime, non moins que contre les règles de l’obligeance et du bon voisinage :

Je n’ouvre pas ma porte
A un pâtissier,
Qui porte la lune
Dans son tablier.

Et il observait, en poussant de gros éclats de rire, l’air stupéfait du pâtissier, cherchant piteusement dans son tablier l’explication des cruelles paroles qu’il venait d’entendre. Mais le petit Italien, s’approchant vivement de Crépon et lui prenant la main d’un air caressant :

— Mossiou, mossiou, s’écria-t-il, ricominciate la canzone ! ricominciate lé parolé Aou clair di la louna.
— Volontiers, dit Crépon, si je puis me les rappeler.

Et, les ayant retrouvées, non sans quelque effort, il les répéta. Quand il eut achevé, le petit musicien, qui, pendant ce temps s’était exercé à un petit bruit, exécuta avec beaucoup de brio, un air simple et mélancolique, si bien adapté aux vers de Crépon, que celui-ci, tout naturellement, se mit aussitôt à les chanter sur cet air, accompagné par l’instrument du petit Italien.

Ce chant, exécuté au milieu du silence de la nuit et à la clarté d’une lune splendide, fit une telle impression sur quelques voisins que le bruit avait attirés à leurs fenêtres, et sur Janrat lui-même, que tous se mirent à chanter en chœur et plusieurs fois de suite la chanson qui ainsi, à peine improvisée, devenait populaire. Bientôt, le petit Italien, d’une main agitant son violon au-dessus de sa tête, en signe de joie, glissa de l’autre, dans la poche du pâtissier-poète, quelques pièces de menue monnaie, et, comprenant sans doute qu’il était en retard, s’enfuit à toutes jambes.

Le lendemain matin, le même enfant reparut chez Crépon, qu’il pria de lui donner par écrit les paroles de la nuit précédente, et, comme il avait prévu l’embarras où sa demande pourrait jeter le pauvre rimeur, il lui remit une petite bourse renfermant quelques pièces blanches. Crépon, transporté de joie, courut bien vite acheter papier, plumes, encrier et canif, et, promptement de retour, se mit à écrire en s’appuyant, faute de table, sur le bord de sa fenêtre, ses vers de la nuit précédente, qu’il ne pouvait s’empêcher de chanter à mesure qu’il les transcrivait.

Janrat, ayant aperçu le petit musicien, vint, attiré par la curiosité, et, voyant de quoi il s’agissait, il dit à l’enfant :

— Monsieur veut-il aussi le couplet que j’ai fait en réponse à mon ami ?
— No, no, dit l’Italien, je ne voglio pas la riposta.

Et il partit emportant seulement le couplet du bonhomme Crépon, qui triomphait du refus essuyé par Janrat. La tradition, moins sévère que le petit musicien, nous a pourtant
conservé l’œuvre de Janrat, laquelle franchement ne le méritait guère, ni par le fond ni par la forme.

Un mois s’était à peine écoulé depuis cette aventure, lorsqu’un jeune page de la cour entra dans la boutique de Crépon en fredonnant :

Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot.

Ce page n’était autre que le petit marmiton-musicien. Il avait de l’or sur toutes les coutures ; néanmoins Crépon le reconnut à l’instant, et lui demanda avec intérêt la cause de sa nouvelle fortune. Le page lui sauta au cou et lui dit en l’embrassant, que sa fortune, il la devait à lui Crépon, et à sa chanson du Clair de la lune. Le bonhomme ne pouvait revenir de son étonnement ; alors le page lui raconta que, dès qu’il avait eu la précieuse chanson, il l’avait apprise à ses camarades dans les cuisines, où elle avait eu un tel succès, que bientôt tout le monde, depuis le chef jusqu’aux derniers gâte-sauces, s’était mis à la chanter en chœur ; que ce chant était parvenu aux oreilles de Mlle de Montpensier, qui l’avait trouvé de son goût, et que, cette princesse apprenant que l’air avait été composé par un de ses gens, avait ordonné à son maître d’hôtel de le lui amener avec sa mandoline ; qu’après avoir exécuté devant cette princesse l’air du Clair de la lune, avec de nombreuses variations, et joué tout ce qu’elle avait daigné lui ordonner, la voyant bien disposée en sa faveur, il s’était mis à genoux devant elle, et lui avait adressé de vive voix la supplique qu’il avait eu la pensée de faire écrire par Crépon, et que la princesse, accueillant gracieusement sa prière, avait ordonné qu’on le mît au nombre de ses pages ; que, pour lui, il n’oublierait jamais la part qu’avait eue Crépon dans cette fortune inespérée, qu’il serait toujours son ami, et quand il le pourrait, son protecteur, et qu’en attendant, il lui apporterait chaque mois, pour l’aider à vivre, ce dont il pourrait disposer ; en conséquence, il lui mit dans la main, une belle pièce d’or.

Lulli enfant. Bronze à patine polychrome, par Adrien Gaudez (1845-1902)

Lulli enfant. Bronze à patine polychrome, par Adrien Gaudez (1845-1902).
© Crédit photo : Expertissim

Exprimer la joie et la reconnaissance du pauvre Crépon, dépeindre son attendrissement, ses transports, serait chose difficile. Du reste, sa joie était fondée, aussi bien que sa reconnaissance ; car son jeune protecteur devint le célèbre Lulli, et bien des années après l’époque à laquelle correspond notre histoire, lorsque Lulli fut devenu un riche et important personnage, on voyait chez lui, avec le titre honorifique de maître d’hôtel, un bon vieillard qui lui parlait presque toujours en rimes. Un jour ce vieillard lui disait :

Monsieur Lulli, vous êtes bien
Le plus fameux musicien
Et le plus grand homme de bien
Que dans tout Paris je connaisse.
Vous me soignez dans ma vieillesse
Et vous souffrez patiemment
Que je vous parle à tout moment
Des choses de votre jeunesse.

On comprend que le vieux maître d’hôtel n’était autre que notre ami le pâtissier-rimeur, et les choses de la jeunesse de Lulli, dont il aimait à rappeler le souvenir, c’était sans doute l’histoire même que nous venons de raconter.

 
 
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