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Police sous Louis XVI : réformes massives à l'initiative de l'atypique lieutenant Lenoir

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Coutumes, Traditions
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Police sous Louis XVI :
réformes massives à l’initiative
de l’atypique lieutenant Lenoir
(D’après « Ma revue hebdomadaire illustrée », paru en 1907)
Publié / Mis à jour le mercredi 25 octobre 2017, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
Une figure emblématique de l’influence, sur la société, de la police du temps de Louis XVI, est celle du lieutenant général Jean-Charles Lenoir succédant au plus connu Antoine de Sartine : mettant sur pied un surprenant et économique réseau d’espions, il oeuvra dans le même temps au bien-être de ses concitoyens, qui en substituant aux lanternes à chandelles parisiennes des réverbères à huile pour sécuriser la capitale, qui en imposant le Mont-de-piété jadis supprimé sous la pression des usuriers, qui en obtenant la désaffection du cimetière des Innocents représentant une menace sanitaire

Né à Paris, en 1732, après avoir exercé diverses charges judiciaires ou administratives, Jean-Charles-Pierre Lenoir (orthographié également Le Noir) fut nommé lieutenant général de police en 1774, sur la recommandation d’Antoine de Sartine qui l’avait précédé dans cette place durant quinze ans. Un conflit avec Turgot, au sujet des approvisionnements de Paris, l’obligea à abandonner à quelque temps ses fonctions qui lui furent rendues bientôt après et qu’il ne commença à exercer réellement que le 10 juin 1776. Le public avait accueilli sa nomination avec des manifestations presque unanimes de sympathie. Il ne trompa pas la confiance qu’on lui témoignait.

Jean-Charles-Pierre Lenoir (1732-1807). Gravure de Chevillet d'après un portrait réalisé par Jean-Baptiste Greuze

Jean-Charles-Pierre Lenoir (1732-1807). Gravure de Chevillet
d’après un portrait réalisé par Jean-Baptiste Greuze

Ce n’était pas une sinécure que de diriger la police de Paris, même en ce temps-là. Sartine avait été un magistrat consciencieux, actif et habile, mais il laissait cependant bien des choses à faire. Prenons par exemple l’éclairage. En 1774, c’est-à-dire à l’époque où Sartine se relira, il y avait à Paris 8 000 lanternes, avec des chandelles. Jean-Charles Lenoir leur substitua des réverbères éclairés à l’huile.

C’était un premier progrès. Il n’était pas encore suffisant. On avait en effet l’habitude de faire à l’entrepreneur de l’éclairage des rues de Paris des retenues pour les époques où la lune, sans exiger aucune rétribution, se chargeait elle-même ou était censée se charger de cet éclairage. « La lune, dit une comédie du temps, comptait sur les réverbères, les réverbères comptaient sur la lune ; il n’y a plus ni réverbères ni lune, et ce qu’il y a de plus clair, c’est qu’on n’y voit goutte. » La chose arrivait assez fréquemment, et point n’est besoin de remarquer avec quel plaisir les voyous de l’époque s’empressaient d’en profiter.

Les retenues en question formaient un fonds de gratifications qu’on appelait du nom bizarre de pensions sur le clair de lune. Lenoir se décida à les supprimer, à la satisfaction générale, et il compléta l’heureux effet de cette mesure en portant à 1 200 le nombre des réverbères à huile. « Autrefois, constate Mercier dans le premier volume de son Tableau de Paris publié en 1781, 8 000 lanternes, avec des chandelles mal posées que le vent éteignait ou faisait couler, éclairaient mal et ne donnaient qu’une lumière pâle, vacillante, incertaine, entrecoupée d’ombres mobiles et dangereuses. Aujourd’hui l’on a trouvé le moyen de procurer une plus grande clarté à la ville et de joindre à cet avantage la facilité du service. Les feux combinés de 1 200 réverbères jettent une lumière égale, vive et durable. »

En 1785 on plaça pour la première fois devant les maisons des commissaires de police, afin de les signaler davantage à l’attention, des lanternes d’une forme spéciale, en attendant d’y mettre des lanternes en verres de couleur. Cette innovation donna lieu à une épigramme assez réussie et qui vise on ne sait quel fonctionnaire dont l’intelligence laissait un peu à désirer :

Le commissaire Baliverne
Aux dépens de qui chacun rit,
N’a de brillant que sa lanterne
Et de sombre que son esprit.

Indiquons en quelques lignes les principales réformes de Jean-Charles Lenoir. Il fit construire les halles aux veaux, aux cuirs et à la marée et recouvrir les halles au blé et aux toiles. Il institua en 1777 un Mont-de-piété, installé rue des Blancs-Manteaux, et qui détruisit l’odieux commerce des prêteurs sur gages. Il exigea la suppression des vaisseaux de cuivre des laitières et des comptoirs de plomb des marchands de vin, qui avaient causé d’assez nombreux empoisonnements. Il obtint la désaffectation du cimetière des Innocents, qui, saturé de cadavres, formait au cœur de Paris un foyer d’épidémie.

Réverbère à chandelle

Réverbère à chandelle

Très préoccupé d’améliorer le sort des pauvres, de tous ceux pour qui la société se montrait dure ou indifférente, il organisa, aussi bien qu’on le pouvait dans ces dernières années du XVIIIe siècle, les hospices (pour les incurables notamment), les secours aux blessés par accident, l’éducation des enfants appartenant à la classe indigente, et le bureau des recommandaresses pour les enfants en nourrice, situé rue de Grammont, au coin de la rue Neuve-Saint-Augustin : « C’est à ce bureau, note un guide de Paris en 1787, que doivent s’adresser les particuliers qui veulent avoir des nourrices, ainsi que les nourrices qui veulent avoir des nourrissons. On y obtient justice gratuite et prompte, par M. le lieutenant général de police, sur les plaintes que l’on aurait à faire contre les nourrices, en s’adressant à Mme Honque d’Hamecourt, recommandaresse. »

Un poète du temps, un poète satirique, a caractérisé ainsi l’homme dont nous essayons de faire revivre la figure : « Le Noir qui d’espions garnissait tous les lieux... » Ce lieutenant de police usa en effet largement des espions, qu’on appelait alors des mouches, et il trouvait même le moyen, ce qui est le comble de l’art, de les avoir à très bon compte. Il avait à son service, comme observateurs gratuits le plus souvent, des laquais chargés d’espionner leurs maîtres, des colporteurs à qui on n’accordait des autorisations de vendre leur marchandise que lorsqu’ils avaient su les mériter, des teneurs de banques, même des filous qui sentaient toujours sur eux la main de la police et qui n’échappaient à la prison que par l’espionnage.

Avec cette armée de mouchards, dont quelques-uns avaient un nom très honoré, Lenoir était au courant de bien des secrets. Tous les bruits, tous les scandales venaient aboutir à son cabinet. Formidable puissance dont il ne faisait pas, on doit le constater, un mauvais usage. Au contraire, cet honnête homme, servi par tant de coquins, semblait n’avoir d’autre préoccupation que de maintenir l’ordre dans Paris et l’honneur dans les familles. Ce n’était pas une tâche bien facile.

De tous les côtés, et même pour des démêlés et des embarras d’une très médiocre importance, sans jamais lasser son zèle, on s’adressait à lui. Ainsi, une grande dame le pria de la débarrasser d’une femme de chambre qu’elle accusait, à tort ou à raison, de parler un peu plus qu’il ne fallait et de raconter trop facilement ce qui se passait, et même ce qui ne se passait pas, dans la maison de sa maîtresse. Il fit aussitôt « comparaître » cette soubrette à la langue trop bien pendue, et, sur son ordre, elle signa cette déclaration qui nous a été conservée et reproduite avec son orthographe... un peu fantaisiste :

« Je soussigne promets à monsieur le lieutenan generalle de police de ne jamés ouvrire la bouche à qui que sois des intérêts de ma-, dame la marquis de B... et ce sous penes de punisiont n’ayant qua me louer de madame. Novembre 1777. »

Bien souvent il n’attendait même pas qu’on recourût à son intervention. Un jour, par exemple, il convoqua dans son cabinet un jeune officier aux gardes suisses, nommé Biss, qu’il connaissait quelque peu, et lui reprocha d’être allé dans un de ces tripots, comme il en existait beaucoup, à Paris, à la fin du XVIIIe siècle, et où d’habiles escrocs vivaient de l’argent des imbéciles. Biss avoua qu’il y avait passé une soirée, par curiosité, mais qu’il s’était bien gardé d’y jouer.

« Je suis fâché, lui dit Lenoir, de voir que votre passion pour le jeu vous entraîne à une dissimulation indigne de votre caractère et de votre situation ; vous avez joué au milieu de voleurs ; vous avez perdu deux cents louis que je me suis fait apporter et que je vous rends, dans l’espérance que ceci vous servira de leçon et que vous fuirez dorénavant une compagnie que ma place m’oblige de tolérer, et qui n’est pas digne de vous. » Le jeune officier promit de ne plus jouer, et, ce qui est très surprenant, il tint parole.

Au Mont-de-piété

Au Mont-de-piété

L’administrateur qui maintient les abus s’attire beaucoup d’ennemis, mais il s’en attire bien davantage, celui qui cherche à les supprimer. Lenoir en fit l’expérience. Sa retraite, le 10 août 1785, fut saluée par bon nombre de chansons satiriques, parmi lesquelles nous ne citerons que ce méchant couplet où l’on jouait sur son nom :

Dans ce monde tout varie,
L’esprit et le sentiment ;
Chacun son goût, sa manie,
L’un veut noir, l’autre veut blanc ;
Pour moi, fier de ma patrie,
Un lis aurait mon espoir,
Et je méprise le noir.

Ces attaques laissèrent indifférent l’ancien lieutenant de police qui connaissait assez les hommes pour ne pas compter sur leur gratitude. En 1789, il eut encore à subir, à l’assemblée du bailliage de Meaux, de la part du comte de Clermont-Tonnerre, une violente mercuriale. On lui reprocha des actes d’arbitraire, très réels, mais dont il n’était peut-être pas complètement responsable, et il fut exclu des états généraux, où son expérience et son amour du bien public auraient pu rendre des services.

Il émigra en 1790, apprit pendant son exil la mort d’un de ses neveux, Michel-Etienne Lenoir, conseiller au parlement de Paris, exécuté le 27 avril 1794, et ne rentra en France qu’en 1802.

Quoiqu’il eût exercé de grandes charges, dans lesquelles d’autres n’avaient pas négligé de s’enrichir, il était pauvre. Le gouvernement autorisa le Mont-de-piété à lui fournir une pension de 4 000 livres, et un homme qu’il avait obligé — et qui s’en souvenait — lui abandonna une petite maison dans la banlieue de Paris.

C’est là qu’il mourut, le 17 novembre 1807. Pendant ses dernières années, il venait souvent à Paris, et Fouché, qui l’estimait beaucoup, et à qui sans doute il ne le rendait pas, aimait à le consulter sur l’organisation de celte ancienne police de Paris, qui, à la grande surprise du duc d’Otrante, avait si bien fonctionné avec peu d’argent. Lenoir aurait pu répondre, mais il était trop poli pour le faire, que tout cet argent ne servait qu’au public et qu’il n’en mettait pas un denier dans sa poche.

 
 
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