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14 décembre 1826 : mort du géographe Conrad Malte-Brun

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14 décembre 1826 : mort du géographe
Conrad Malte-Brun
(D’après « Annales de géographie » paru en 1975 et « Biographie universelle,
ancienne et moderne. Supplément » (Tome 59) paru en 1835)
Publié / Mis à jour le mardi 14 décembre 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 10 mn
 
 
 
Géographe par hasard et par nécessité, se consacrant aussi au journalisme et s’intéressant à la politique, Conrad Malte-Brun, né au Danemark et s’exilant dans notre pays à l’avènement de Bonaparte, marqua fortement la géographie en France pendant plus d’un demi-siècle, la popularisant par ses vues élevées, ses couleurs locales, ses aperçus piquants, son érudition sans pédantisme, ses tableaux animés et ses ingénieux rapprochements entre la terre et l’homme, entre le monde matériel et le monde moral

Conrad Malte-Brun, de son nom d’origine Malthe Conrad Bruun, naquit à Thisted dans le nord de la province du Jutland, au Danemark, le 12 août 1775. Son père, ancien militaire, magistrat et administrateur des domaines de la couronne, fit donner au jeune Conrad, aîné d’une famille de six enfants, une excellente éducation. Disposant, à titre de seigneur de paroisse, de quelques bénéfices ecclésiastiques, il destina le jeune Maltheau ministère du Saint-Évangile. Alors âgé d’à peine quinze ans, le jeune homme entrait brillamment à l’Université de Copenhague, où ses talents et sa précocité semblaient le destiner une carrière dans l’Église luthérienne.

Pourtant, vite écœuré par la théologie, Malte-Brun se passionne au contraire pour les langues vivantes, les littératures étrangères et surtout la poésie. Pour rendre la scission plus complète, il fait des vers qui ont beaucoup de succès et promettant au Danemark un grand poète. Mais l’écho de la Révolution française brise bientôt cette carrière littéraire commençante. Les idées philosophiques et révolutionnaires de la France de 1789 envahissent le Danemark : fermentant dans quelques jeunes têtes et contraignant le ministre Andreas Peter von Bernstorff à quelques réformes libérales, elles exaltent l’âme ardente de Malte-Brun qui, après de brillantes études, compte déjà parmi les écrivains distingués de son pays.

Conrad Malte-Brun. Portrait gravé par Ferdinand Delannoy (1822-1887)

Conrad Malte-Brun. Portrait gravé par Ferdinand Delannoy (1822-1887)

En 1795-1796, il collabore en effet à diverses feuilles avancées, milite en faveur de la liberté de la presse et de l’affranchissement des paysans. la feuille périodique qu’il rédige sous le titre de Réveille-matin (Voekkeren), aux postes avancés de la presse libérale, est saisie, condamnée, et l’amende encourue ne fait qu’irriter le jeune écrivain qui se venge de l’autorité dans son Catéchisme des aristocrates, autre publication périodique plus âpre que la première, et qui attaque ouvertement la constitution du pays.

De nouvelles poursuites obligent Malte-Brun à se réfugier dans l’île suédoise de Hven, célèbre par la résidence de l’astronome Tycho-Brahé. Sa muse s’y réveille ; il chante la bataille navale livrée aux Barbaresques par les Danois, et la gloire du comte de Bernstorff, le ministre qui dirige le prince Frédéric vers de sages réformes. Cette ode, l’un des plus beaux poèmes de la littérature danoise, fut couronnée par l’Académie de Stockholm. C’était mieux que de beaux vers, c’était une oeuvre de reconnaissance : Bernstorff, en mourant — le 21 juin 1797 —, recommande Malte-Brun à la bienveillance du prince royal.

Cette recommandation ne fut pas stérile. Après deux ans d’exil, Malte-Brun est rappelé et revient à Copenhague ; mais il n’y revient ni plus prudent ni moins hostile à ce qu’il estime être des abus. Il reprend ses travaux politiques et se fait encore l’adversaire de l’administration, lançant contre elle une brochure assez piquante sous le titre de Tria juncta in uno, qui soulève les plus graves accusations. Il doit s’exiler en Suède d’abord, à Hambourg ensuite, apprenant qu’on le poursuit au Danemark à la requête de l’empereur de Russie et du roi de Suède, comme l’un des chefs de la société secrète des Scandinaves unis, ayant pour but de réunir les trois royaumes du Nord sous une constitution républico-fédérative.

Il est condamné en 1800 par contumace. En France, Bonaparte vient de chasser le Directoire. Malte-Brun, croyant trouver un autre Washington dans le vainqueur de Brumaire, se hâte d’accourir à Paris, où les milieux politico-intellectuels du Directoire le saluent du surnom flatteur de « patriote hyperboréen ». Fervent admirateur de Bonaparte, Malte-Brun ne peut que condamner le coup d’État et il donne dans différents journaux plusieurs articles très hostiles au nouveau maître de la France ; très vite réduit au silence, il conservera un profond ressentiment contre Napoléon.

Comprenant que ce dernier n’est pas de meilleure composition que l’empereur de Russie et que le roi de Suède, Malte-Brun abandonne le terrain dangereux de la politique et cherche un domaine où puissent se déployer sa grande activité et ses aptitudes variées : connaissance d’une bonne partie de l’Europe, pratique de la plupart des langues et littératures européennes, parfaite maîtrise du français, vaste culture générale... Il comprend rapidement que c’est dans le domaine de la géographie qu’il a le plus de chances de réussir.

La France, qui a d’excellents spécialistes de la géographie ancienne comme Gosselin ou Barbié du Bocage, n’est-elle pas en retard dans le secteur de la géographie moderne ? Que pouvons-nous opposer aux vastes Géographies des Allemands Büsching et Gatterer ou des Anglais Guthrie et Pinkerton ? Mais à ce nouveau début de sa carrière, Conrad Malte-Brun, sans patrie, sans protecteurs, sans fortune, parlant difficilement la langue française qu’il maniera plus tard avec tant de supériorité, se voit obligé de ployer son talent aux exigences de sa position. Il accepte la rédaction fort obscure d’un journal bibliographique de la littérature étrangère, et se livre probablement à quelques autres travaux de librairie.

Mais la première ambition de Malte-Brun est d’adapter à l’usage du public français le grand traité géographique de Büsching, maître de l’école politico-statistique, tout en le rendant moins aride et plus « littéraire ». À l’aube du siècle, notre auteur a la chance d’entrer en contact avec Mentelle, qui avait été chargé par la Convention de réformer les manuels scolaires de géographie et avait enseigné cette science à l’École Normale. Par ses relations avec Mentelle, géographe verbeux mais disciple du grand Buache, Malte-Brun plonge dans la brillante tradition géographique du siècle des Lumières. Pour lui, la collaboration avec Mentelle est un tremplin car « il était d’usage que les jeunes savants qui voulaient se faire connaître essayassent leurs premiers pas sous l’égide un personnage honorable. »

Edme Mentelle. Gravure publiée dans Allgemeine geographische Ephemeriden (sous la direction d'Adam Christian Gaspari et de Friedrich Justin Bertuch), année 1801

Edme Mentelle. Gravure publiée dans Allgemeine geographische Ephemeriden
(sous la direction d’Adam Christian Gaspari et de Friedrich Justin Bertuch), année 1801

De son côté, Mentelle ignorant les langues étrangères, avait intérêt à s’attacher un collaborateur qui les possédait parfaitement et renouvelait ainsi sa documentation. De la rencontre du vieux géographe français et du jeune danois sort, de 1803 à 1807, une Géographie mathématique, physique et politique de toutes les parties du monde en seize volumes ; cette vaste compilation assez obscure, « véritable labyrinthe » de l’avis de nombreux contemporains, n’en était pas moins le plus complet des traités de géographie « moderne » alors disponibles en France.

Remarqué par les éditeurs du Journal des Débats (qui devient en 1805 Journal de l’Empire), Malte-Brun donne ses premiers articles en 1804 et devient rédacteur attitré à partir de 1806. La langue française lui était en effet devenue familière ; il possédait la plupart des autres langues de l’Europe ; le personnel des cabinets et leurs intérêts divers lui étaient également connus : autant d’avantages lui valant l’importante spécialité des questions relatives à la politique extérieure.

Au Journal, il rejoint quelques idéologues célèbres comme le critique Dussault, l’helléniste Boissonade, de Bonald, Royer-Collard, Chateaubriand. Ses connaissances linguistiques et politiques font merveille : il fournit inlassablement des articles originaux ou des comptes-rendus d’ouvrages étrangers qui sans lui seraient passés inaperçus (quarante-cinq articles pour la seule année 1807). Les sujets les plus divers sont abordés : voyages, géographie, histoire, langues, antiquités, sciences physiques et morales, littératures...

Véritable chroniqueur de politique étrangère, il s’intéresse avec prédilection aux « contrées peu connues qu’un événement quelconque vient de signaler à l’attention de l’Europe ». Il n’a pas son pareil pour résumer « en peu de mots et en peu de temps les matériaux dispersés dans les colonnes de nombreux journaux étrangers ». Suivant de près la progression des armées impériales, il donne de 1805 à 1807 des études bien documentées sur l’Autriche, la Russie, la Bohême, les divers États allemands et italiens...

Après 1810, ses regards se portent sur les nouveaux départements français : Simplon ou Bouches du Rhin. Sur le plan scientifique, il fait connaître, dès 1808, les premiers ouvrages de Humboldt qu’il salue du titre de « modèle des voyageurs modernes ». En 1811, il présente au public l’Itinéraire de Paris à Jérusalem et montre que le charme du style ne doit pas dissimuler la profondeur de l’érudition géographique et historique de Chateaubriand.

Critique redouté, véritable « dictateur » pour tout ce qui concerne les voyages, la statistique, la géographie, Malte-Brun se trouve bientôt la tête d’une immense documentation historique et géographique qu’il va songer à utiliser de façon plus systématique. En 1807, remarquant qu’une des causes du retard de la France dans les études géographiques est l’absence de recueil périodique, il lance, sur le modèle allemand, les Annales des Voyages. En collaboration avec Eyriès, traducteur de Humboldt, il prolonge ainsi l’Histoire des Voyages de la Harpe et permet au public de suivre aisément le « mouvement géographique », c’est-à-dire le progrès de la découverte de la terre.

La même année, après Tilsitt, il compose en quelques semaines un Tableau de la Pologne, oeuvre de circonstance s’il en fut, sans doute commandée par le ministère des Affaires étrangères Au moment où les Français se passionnent pour la renaissance du valeureux État, Malte-Brun, à partir de sources allemandes et polonaises, est en mesure d’en tracer un excellent panorama historique, géographique, littéraire... que les Polonais rééditeront en 1830.

Ces diverses activités n’empêchent pas Malte-Brun de poursuivre la préparation du grand traité qu’il projette depuis le début du siècle. L’année 1810 voit paraître le premier volume du Précis de la Géographie Universelle qui est son principal titre à la reconnaissance des géographes et dont le septième volume ne verra le jour qu’après sa mort, en 1829. Optant franchement pour la géographie moderne, Malte-Brun, après deux volumes consacrés à l’histoire de la géographie et à la géographie mathématique et physique, consacre la plus grande partie de l’oeuvre « à la description successive de toutes les parties du monde. »


Précis de la Géographie Universelle par Conrad Malte-Brun, Tome 1, édition de 1840

La géographie de Malte-Brun est donc essentiellement descriptive, mais pour lui la description de la terre n’est pas la simple classification des faits observés ; elle doit être vivifiée par les disciplines les plus variées : l’histoire naturelle, les sciences politiques et statistiques, l’étude des mœurs et des institutions. De plus, Malte-Brun veut rompre avec la sécheresse et l’aridité des traités géographiques qui se plient trop souvent à un plan uniforme et systématique.

Ayant le choix entre les divisions naturelles des disciples de Buache et les divisions administratives de l’école « politico-statistique », « il ne connaît rien d’absolu et son cadre même change avec son sujet. » Comme la nature, sa marche est pittoresque et variée... S’il s’avance dans un pays bien cultivé, il décrit avec soin les produits d’une terre féconde. Entre-t-il dans le désert ou dans les régions montagneuses, il s’attache aux grands traits physiques de la contrée. Il sait l’art de donner du charme à la sèche topographie... il navigue de rivage en rivage... il ne passe pas au milieu des nations puissantes sans faire ressortir les causes de leur prospérité. » Malte-Brun préfère les tableaux, les peintures aux sèches énumérations ; il s’adresse à l’imagination, à l’intelligence plus qu’à la mémoire mais sa « méthode descriptive », on le voit, diffère peu de celle de Strabon.

L’ambition suprême de Malte-Brun est de réconcilier la géographie et la littérature, et il semble que les contemporains aient été surtout sensibles à « cette composition à la fois littéraire et géographique, neuve par la forme, le style et la pensée. » Pour la première fois dans un ouvrage de géographie, « l’agrément du style tempérait l’aridité du sujet. » II est vrai que Malte-Brun est contemporain de Lamartine et que sa sensibilité est celle des premiers romantiques ; nous ne devons pas nous étonner de trouver sous sa plume cette profession de foi propre à faire frémir les doctes géographes de Institut : « Pourquoi dédaigner de cueillir une fleur qui se présente à nos regards ? Pourquoi une description du monde ne ressemblerait-elle pas à notre terre elle-même, où les déserts les plus arides offrent de temps à autre une source limpide et de frais ombrages. »

La publication du Précis déchaîne l’enthousiasme du public et la hargne des envieux ; quant aux savants, beaucoup trouvent qu’on sacrifie trop au « pittoresque ». Célèbre est la polémique entre Malte-Brun et le géographe anglais Pinkerton, représenté à Paris par son éditeur français J. G. Dentu. Accusé de plagiat, traîné devant les tribunaux, Malte-Brun répond en traitant Pinkerton de « charlatan littéraire » et produit des témoignages extrêmement favorables de Mentelle, J. Banks, Humboldt et surtout Chateaubriand (qui l’a consulté pour la partie géographique de son Itinéraire). Y a-t-il eu réellement plagiat ? En fait Pinkerton et Malte-Brun ont simplement puisé aux mêmes sources, sans toujours les citer suivant la pratique du temps. De toute façon, s’il y a eu des emprunts, Malte-Brun revendique pour lui « le plan, simple et majestueux ; le style animé, varié, élégant. » On voit que notre auteur ne sous-estimait pas ses propres mérites.

La chute de Napoléon en 1814 ne marque pas la fin des travaux de Malte-Brun, bien au contraire. Il va retrouver avec passion sa vocation première : le journalisme et la politique. Dès avril 1814, il entreprend la publication d’un hebdomadaire à la fois littéraire politique et critique, le Spectateur. Soucieux, comme la plupart de ses contemporains, de prendre au mieux le virage de la Restauration, Malte-Brun, « après avoir versé des flots d’encens sur le gouvernement impérial... se (fait), sans la moindre transition, le champion d’un autre système. »

Curieux journal que le Spectateur qui s’ouvre par un article sur l’Alliance de la Monarchie et de la Liberté, et se termine par une Apologie de Louis XVIII. Entre les deux, on trouve un peu de tout : des études politiques (sur la liberté de la presse, l’instruction publique, l’alliance anglaise, la Charte...), des comptes-rendus littéraires (sur Byron, Mme de Staël...), des critiques théâtrales et surtout « les anecdotes du jour », potins de la Cour et de la Ville dont Malte-Brun semble particulièrement friand. Malgré le talent de son créateur, le Spectateur ne semble pas avoir eu les faveurs du public et disparaîtra au lendemain de la seconde Restauration.

Mappemonde en deux hémisphères extraite de l'Atlas complet du Précis de la Géographie Universelle de Malte-Brun par Jean Jacques Nicolas Huot, édition de 1837

Mappemonde en deux hémisphères extraite de l’Atlas complet du Précis de la Géographie
Universelle de Malte-Brun
par Jean Jacques Nicolas Huot, édition de 1837

Cet acte n’empêche pas Malte-Brun de poursuivre sa vaste Géographie Universelle qui est bien plus un traité qu’un précis comme le dit trop modestement le titre. Avant 1815 paraissent les volumes consacrés aux continents extra-européens ; à partir de 1817, voient le jour les volumes sur l’Europe, dont Malte-Brun avait différé la sortie, prévoyant les bouleversements territoriaux consécutifs à la chute de Napoléon. En 1821, Malte-Brun va être associé à une dernière entreprise mémorable : la fondation de la Société de Géographie de Paris. Lancée par Buache de Neuville à la fin du XVIIIe siècle, l’idée avait longuement mûri, et en juillet 1821 un certain nombre de personnalités, venues d’horizons divers — diplomates, marins, politiques, savants — décident de associer pour concourir aux progrès de la géographie par tous les moyens. Parmi les membres fondateurs aux côtés de Malte-Brun, on trouve Barbié du Bocage, professeur à la Sorbonne, Jomard, ancien membre de l’Institut d’Égypte, Langlès, orientaliste distingué, Walkenaer, érudit et futur préfet.

Dès l’origine, Malte-Brun, qui occupe le secrétariat général, fait figure de cheville ouvrière de la Société. Méthodiquement, il trace un plan de travail propre à éviter la dispersion des efforts. D’urgence, la Société doit rédiger une instruction générale « sur les lacunes actuelles de la géographie et les moyens de les remplir ». Ces moyens sont au nombre de deux : 1° L’organisation de voyages. La Société doit guider les futurs voyageurs et leur indiquer clairement les problèmes à résoudre, les « blancs » de la carte à remplir. 2° Les travaux sédentaires. On peut aussi augmenter les connaissances en discutant, en critiquant, en combinant les observations antérieures Seul le géographe de cabinet peut, en « enchaînant » des relations dispersées, constituer un « ensemble méthodique », un corps de doctrine Ainsi passe-t-on du voyage isolé à la géographie. On peut dire que la Société de Géographie ne s’est guère écartée jusqu’à la fin du XIXe siècle des voies sûres tracées par son premier secrétaire-général.

Gros travailleur, Malte-Brun s’est littéralement tué la tâche. Il est vrai qu’il se disperse beaucoup, collabore à divers journaux et donne en 1825 un Traité de la Légitimité qui mécontente à la fois les libéraux et les légitimistes. Négligeant les recommandations de ses amis qui lui conseillaient le repos, il est emporté par une attaque d’apoplexie le 14 décembre 1826, âgé seulement de cinquante et un ans. En pleine vigueur intellectuelle, il mettait la dernière main à l’ultime volume de sa Géographie Universelle qui sera achevée par son disciple Jean Jacques Nicolas Huot. Sa plume, pourtant féconde, ne l’avait pas enrichi, et la Société de Géographie devra secourir sa femme et ses enfants.

Quel jugement peut-on porter sur l’homme et sur son oeuvre ? Malte-Brun a été aidé par des qualités intellectuelles incontestables : puissance de travail, mémoire prodigieuse, esprit critique aigu, lui ont permis d’acquérir une vaste érudition dans les domaines les plus variés. Mais chez lui, la science n’est jamais aride car elle est toujours soutenue par une imagination vive et servie par un style brillant et coloré. Sans doute l’homme a-t-il ses petits côtés. Comme critique, il est souvent dur, cassant, acerbe jusqu’à l’injustice. Il sait reconnaître les vraies valeurs (Humboldt, Chateaubriand...) mais se montre impitoyable envers les médiocres... et les Anglais (le géographe Pinkerton ou le voyageur Bruce en ont su quelque chose). Impulsif et emporté, il s’est fait beaucoup d’ennemis aussi bien dans les milieux politiques que littéraires ou scientifiques. Son ami Bory de Saint-Vincent, qui d’autre part apprécie vivement son oeuvre, nous le montre « avide de louanges pour lui ; avare d’éloges pour les autres. »

Que dire de la partie géographique de son oeuvre sinon elle moins vieilli que celle de la plupart de ses contemporains ? Il est vrai que cette géographie essentiellement moderne est plus proche de nous que la géographie historique des Gosselin, des Barbié du Bocage, des Letronne ou des Jomard. Reconnaissant la nouveauté de l’apport de Malte-Brun, certains contemporains se sont demandés s’il n’avait pas un peu présumé de ses forces ; plutôt que de tout rédiger lui-même, il « aurait dû appeler à son aide des collaborateurs à chacun desquels il eût confié un rameau de la science en se réservant le soin de traiter les généralités et de décrire les contrées qu’il connaissait le mieux ; mais il a voulu se charger seul du poids de l’Univers », écrit son disciple préféré Huot, qui le compare au géant Atlas.

Carte de l'Europe extraite de l'Atlas complet du Précis de la Géographie Universelle de Malte-Brun par Jean Jacques Nicolas Huot, édition de 1837

Carte de l’Europe extraite de l’Atlas complet du Précis de la Géographie Universelle de Malte-Brun
par Jean Jacques Nicolas Huot, édition de 1837

On a remarqué, en particulier, que les connaissances de Malte-Brun en géologie et en histoire naturelle étaient souvent insuffisantes alors il excelle dans les parties purement descriptives. Incontestablement sa tournure d’esprit est plus littéraire que scientifique, et il se méfie des systèmes et par dessus tout des « rêves géologiques ». II n’en a pas moins apporté sa contribution à d’importants problèmes de géographie physique en montrant, par exemple, contre Buache, qu’il n’y pas de hautes montagnes au centre de la Russie d’Europe « quoiqu’on y trouve le partage d’eaux entre quelques-uns des plus grands fleuves de l’Europe. » De même, nous le voyons en 1823 féliciter Bory de Saint-Vincent « d’avoir débarrassé l’Espagne de nombreuses chaînes de montagnes que le faux principe du partage des eaux y avait fait dessiner. »

Ce qui est certain, c’est que l’influence de Malte-Brun a été profonde et durable. Il a formé une foule de disciples enthousiastes dont les principaux Huot, Larenaudière, Bory de Saint-Vincent, Lavallée, Balbi, Vivien de Saint-Martin, sans parler de son fils Victor, ont prolongé son oeuvre. Il faut rappeler en effet que Malte-Brun été pillé pendant la plus grande partie du siècle ; jusqu’au début de la IIIe République, la Géographie Universelle été rééditée, revue, corrigée, augmentée ou abrégée... toujours avec le même succès. En 1884, on donne encore des morceaux choisis de Malte-Brun à l’usage de la jeunesse, et nous ne disons rien des multiples traductions, complètes ou partielles, en anglais, en espagnol, en russe, en arabe...

Jusqu’à Reclus, il semble que les géographes français, impressionnés par la majesté du monument, aient préféré adapter Malte-Brun plutôt que de faire oeuvre originale. On comprend l’enthousiasme excessif de l’un d’eux, Larenaudière, qui n’hésite pas à voir en lui le rénovateur de la géographie à l’égal de Humboldt : « II osa faire pour la géographie ce que Buffon avait fait pour l’histoire de la nature ; il créa la science sur de nouvelles bases, sur des bases philosophiques et littéraires. »

Avec un peu plus de recul, nous discernons aujourd’hui que Malte-Brun, en donnant à ses contemporains l’illusion d’une science finie, à laquelle il n’y aurait que quelques retouches à apporter, a sans doute freiné la recherche géographique en France plus qu’il ne l’a stimulée. Humboldt, au contraire, ouvrait les voies nouvelles où n’allaient pas tarder à se presser les véritables novateurs.

 
 
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