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Légendes, croyances, superstitions : marquis de Guerrand (Guérand), Vincent du Parc. Sanguinaire, débauché don Juan ? Gwerrand, marquiz brunn. Château Plouégat-Guérand

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Légendes, Superstitions
Légendes, superstitions, croyances populaires, rites singuliers, faits insolites et mystérieux, récits légendaires émaillant l’Histoire de France
Marquis de Guerrand ou Guérand
(Le sanguinaire et débauché)
(D’après « Mélanges bretons et celtiques offerts à J. Loth » paru en 1927)
Publié / Mis à jour le lundi 10 décembre 2012, par LA RÉDACTION
 
 
Temps de lecture estimé : 4 mn
 
 
 
Les chants populaires de Basse-Bretagne ne sont guère favorables aux nobles d’autrefois. Des soixante-dix-neuf gentilshommes mis en scène dans le recueil des Gwerziou et des Soniou Breiz-Izel, quarante-cinq au moins, soit près des deux tiers, y paraissent en posture désavantageuse ou ridicule.

Quand ce ne sont point des meurtriers, des suborneurs, des spadassins, ce sont des larrons ou des dupes. Une douzaine tout au plus y tiennent un rôle honorable, justiciers, défenseurs du faible, âmes charitables et compatissantes.

Eglise de Plouégat-Guérand

Eglise de Plouégat-Guérand

Parmi ces petits tyranneaux dont nos vieilles ballades bretonnes, dit Anatole Le Braz, ne prononcent le nom qu’avec terreur, contre lesquels on les sent animées d’une haine sourde et profonde, les marquis de Coatredrez et du Cludon, les seigneurs de Goashamon, de la Villeneuve, du Rechou, de Kersauzon, de Locdu, de Villaudry, de Boisriou, de Runangoff et bien d’autres, il en est un surtout qui demeure, dans la mémoire des habitants de l’ouest du Tréguier, comme le prototype du « grand seigneur méchant homme ». C’est le marquis de Guerrand : « markiz Gwerrand », « markiz brunn », « markiz Locmaria ».

Le personnage flétri sous cette triple appellation fut, d’après la légende, une sorte de don Juan impérieux, débauché, sanguinaire, faisant l’amour l’épée au poing et la menace à la bouche. Sa rencontre était redoutée à l’égal de celle d’une bête fauve dont il avait le poil roux, l’extérieur sauvage et brutal. Il habitait, entre Morlaix et Lannion, au riant terroir plantureux de Plouégat, l’imposant château de Guerrand, qu’enveloppaient de beaux bois et que cernait un mur d’enclos de près de deux lieues de tour. Sa résidence était somptueuse : on y admirait deux salles, l’une toute argentée, « de la couleur du soleil », l’autre toute dorée « de la couleur de la lune ».

Mais les attraits de cette riche demeure ne le retenaient point.

Il préférait rôder au dehors, battre le pays, le consterner par ses violences, ses facéties cruelles, l’assouvissement de ses passions déchaînées, vérifiant une fois de plus l’ancien proverbe :

Grand seigneur et grand chemin
Sont de forts mauvais voisins.

Quand il sortait, sa mère courait mettre en branle la cloche du château. A ce signal d’alarme, les jolies paysannes abandonnaient les champs pour s’enfermer au logis, les marchands rentraient leurs éventaires, les voyageurs hâtaient le pas de leurs montures, les laboureurs se glissaient furtifs à l’abri des haies ; les mendiants eux-mêmes, aux trousses desquels le marquis eût vite fait de lancer ses chiens, s’éclipsaient vers Lanmeur ou Plouigneau aussi vile que le permettaient leurs jambes perdues. C’était une angoisse, une frayeur universelle.

Guillaume Lejean a narré, en 1846, dans sa Notice sur Plouégat-Guerrand, quelques-uns des tristes exploits attribués au fameux marquis. Celui qui retentit le plus fort dans l’âme populaire fut le meurtre d’un jeune clerc, accompli lâchement, au cours d’une fête d’Aire-Neuve donnée au manoir de Kerhallon. Le clerc était fiancé à une belle fille de la paroisse, que le marquis convoitait de longtemps comme une proie difficile et tentante. Aussi jalousait-il férocement son humble rival et ne recherchait-il qu’un prétexte pour s’en débarrasser. L’occasion lui parut propice. Il se prit de querelle avec le clerc, le provoqua, l’accula à la défensive, et sans vergogne de heurter sa fine épée de gentilhomme au pen-baz d’un fils de paysan, il le perça par traîtrise d’un coup mortel.

Ce forfait souleva une vague d’indignation telle que le meurtrier crut prudent de quitter la Bretagne afin de se soustraire aux poursuites judiciaires entamées contre lui. Quand il reparut au Guerrand, vingt ans plus tard, les dures expériences de la vie l’avaient assagi et transformé. Il se racheta d’avoir été l’épouvante et le scandale du canton en en devenant l’édification et l’exemple. Son château fut désormais une sorte d’hôpital, de rendez-vous des miséreux, qui s’enhardirent vite à en franchir le portail, assurés d’avance du plus charitable accueil. Après les avoir nourris, réconfortés, soignés, le marquis se retirait dans son oratoire. Là, sans témoins, il priait avec larmes jusqu’à une heure avancée. Lorsqu’un passant attardé s’étonnait d’y voir briller encore de la lumière, on lui répondait : « C’est le marquis de Guerrand qui veille ; il supplie Dieu à genoux de lui pardonner sa jeunesse ».

La mort du repentant grand seigneur fut celle d’un juste. Avant d’expirer, il dicta un interminable testament où il s’efforçait d’indemniser ses victimes, où il faisait de multiples aumônes et legs pieux à toutes les églises et chapelles des alentours, où il fondait, pour ses chers pauvres, un hôpital au bourg de Plouégat. Mais cette longue expiation, ce dévouement aux miséreux, ces libéralités posthumes ne suffirent point, dit-on, à satisfaire si tôt la justice divine. Bien des années après, les laboureurs qui regagnaient de nuit leurs chaumières en longeant le sombre étang de Goasquéden, endormi au fond d’un ravin sinistre, rencontraient souvent, errant dans les ténèbres, un cavalier silencieux, monté sur un cheval noir. Alors, tout frissonnants, ils hâtaient leur marche et murmuraient à voix basse, tête nue, une oraison pour le repos de l’âme en peine du marquis de Guerrand.

Château Guérand à Plouégat-Guérand. En ruines, il fut rasé vers 1840 et avec ses matériaux on en rebâtit un nouveau en 1902, détruit par un incendie le 1er janvier 1940

Château Guérand à Plouégat-Guérand. En ruines, il fut rasé vers 1840 et avec ses matériaux
on en rebâtit un nouveau en 1902, détruit par un incendie le 1er janvier 1940

Ainsi peut-on résumer brièvement le cycle des légendes qui se sont formées autour de ce nom redoutable. Il n’a pas été recueilli moins de seize chansons populaires - dont plusieurs, il est vrai, ne diffèrent entre elles que par des détails - sur le thème de l’immoralité, des crimes et de l’expiation du trop célèbre « markiz brunn ».

Ces complaintes bretonnes se divisent, en trois catégories. Les premières contiennent le récit, plus ou moins dramatisé, de la fatale Aire-Neuve du manoir de Kerhallon, qui coûta la vie au clerc. Les deuxièmes ont trait au repentir de son assassin, ou plutôt au testament réparateur que celui-ci ordonna, avant de paraître devant Dieu. Les dernières enfin font allusion, soit aux moyens de séduction employés par l’opulent seigneur pour faire, parmi les filles jolies et pauvres du voisinage, de faciles conquêtes ; soit aux divertissements et aux fêles qu’il offrait à ses pairs dans les vastes salles du château.

Auquel des possesseurs de ce domaine, dont nous avons la liste depuis le XIVe siècle, faut-il identifier le malfaisant héros des traditions trégorroises ? Inutile de remonter au-delà de l’époque de Louis XIII, en raison de certains traits qui ne peuvent convenir à une époque antérieure. Emile Souvestre qui, le premier, en 1836, a publié une traduction incomplète du Testament ar markiz, ne précise point de quel personnage il s’agit ; mais La Villemarqué, dans son Barzaz-Breiz paru en 1839, n’hésite pas à accuser Louis-François du Parc, marquis de Locmaria, fils aîné de Vincent du Parc, créé marquis de Locmaria et de Guerrand en 1637 pour ses services militaires, et de Claude de Névet ; et il cite au sujet de ce jeune et brillant gentilhomme l’opinion enthousiaste de Mme de Sévigné, qui le vit et l’admira fort, aux Etats de Vitré, en 1671.

Quant à Guillaume Lejean, le futur explorateur de l’Abyssinie, sa Notice sur Plouégat-Guerrand, parue dans le journal hebdomadaire l’Écho de Morlaix, en 1846, désigne Charles-Marie-Gabriel du Parc, marquis de Locmaria et fait de lui le fils de Louis-François, alors qu’il n’était que son arrière-neveu, dernier rejeton d’une branche cadette sortie du tronc principal dès la fin du XVIe° siècle. Cette opinion erronée a été adoptée par Luzel, mais ne semble pas défendable.

En réalité, l’examen attentif de diverses données éparses dans le texte des chansons populaires, ou fournies par des pièces d’archives, mène à une conclusion différente de celle des auteurs ci-dessus. Il semblerait que le terrible Markiz Guerrand n’était, ni Charles-Marie-Gabriel du Parc, ni même Louis-François du Parc, mais le père de celui-ci, Vincent du Parc.

 
 
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