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Un chevalier français tragiquement séparé de sa promise durant le siège du mont Saint-Michel

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Légendes, Superstitions
Légendes, superstitions, croyances populaires, rites singuliers, faits insolites et mystérieux, récits légendaires émaillant l’Histoire de France
Chevalier (Un) français tragiquement
séparé de sa promise durant le
siège du Mont-Saint-Michel
(D’après « Notice historique du mont Saint-Michel
et de Tombelaine » (par Louis Blondel) paru en 1816
« Le Mont-Saint-Michel » (par Ephrem Hoüel) paru en 1839
« L’écho des feuilletons » paru en 1858
et « Histoire géologique, archéologique et pittoresque
du mont Saint-Michel au péril de la mer » (1843))
Publié / Mis à jour le lundi 13 août 2018, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
Au cours d’un siège mené par les Anglais contre le mont Saint-Michel au début du XVe siècle, Robert de Beauvoir, l’un des 120 chevaliers défendant la place, apprenant que sa promise, à l’extérieur, s’est donné la mort plutôt que de sceller un mariage non désiré avec un capitaine ennemi menaçant de dévaster la région, jure d’obtenir vengeance et sauve in extremis l’infâme pour mieux le défier plus tard

Lorsque Rouen tombe aux mains des Anglais en 1419, le mont Saint-Michel est alors la seule ville de Normandie résistant à l’envahisseur. Les troupes anglaises occupaient le Mont Tombelaine, dont elles avaient fait leur place d’armes et d’où elles envoyaient plusieurs détachements contre le mont Saint-Michel, qu’elles trouvèrent beaucoup mieux fortifié qu’elles ne croyaient, et défendu par une garnison de plusieurs gentilshommes du pays sous le commandement de Jean de Harcourt. Après de vaines attaques, les Anglais prirent le parti de se retirer, dans l’intention de revenir avec des forces supérieures. C’est ainsi qu’ils reparurent en octobre 1423, tentant un siège du lieu avant d’être défaits au printemps 1424, puis lançant par deux fois mais en vain des assauts en 1425.

Le mont Saint-Michel jouissait depuis quelques années d‘une sorte de trêve armée, qu’il devait moins à la protection mise en place qu’à la terreur dont avait frappé l’ennemi le succès de ses armes, lorsque le baron Thomas de Scales, l’un des principaux commandants anglais de l’époque, prépara un effort désespéré contre cette place. Vivement attaquée, celle-ci, défendue par Louis d’Estouteville — qui en était le gouverneur depuis septembre 1424 — et une poignée de braves chevaliers bretons et normands, fut défendue avec courage et le siège dura trois ans.

Le mont Saint-Michel. Gravure extraite de Topographiae Galliae (1657)

Le mont Saint-Michel. Gravure extraite de Topographiae Galliae (1657)

Ce temps dut sembler long à tout le monde, mais surtout, selon la légende, à un jeune chevalier normand appelé Robert de Beauvoir, qui, la veille de son mariage, avait quitté sa belle fiancée pour voler au poste où le réclamaient l’honneur et le devoir de chevalier. Souvent, durant les heures si lentes du siège, il s’asseyait auprès d’une de ces fenêtres en ogive que l’on remarque encore sur la façade de l’abbaye, et de là, sa pensée, franchissant la distance, s’égarait sur les bords tortueux de la Vire et allait s’arrêter au vieux manoir d’Avenel, où habitait Guillemine, sa future épouse.

Une nuit qu’il s’abandonnait ainsi à ses rêves de bonheur et d’avenir, un messager, qui était parvenu à franchir les postes ennemis, vint tout à coup demander à lui parler. C’était un serviteur de la maison d’Avenel qui apportait au chevalier de bien tristes nouvelles, lui apprenant qu’un certain Burket, un des capitaines de l’armée anglaise, avait demandé la main de sa fiancée. Après avoir essuyé un premier refus, l’Anglais, loin de se décourager, avait eu recours à un moyen indigne : l’armée anglaise occupait le plat pays ; Burket menaça la dame d’Avenel d’incendier la contrée et de passer la charrue sur les ruines de son château si elle ne lui accordait pas la main de sa fille. La châtelaine eut peur : elle était seule et sans appui ; elle pria sa fille de consentir à ce sacrifice. Guillemine pleura, mais elle ne résista point à l’ordre de sa mère. Elle envoya seulement un fidèle serviteur avertir son ami Robert et l’assurer qu’elle n’obéissait qu’à une cruelle nécessité.

Le chevalier normand entra, à cette nouvelle, dans une grande fureur, et envoya à Burket un message pour lui reprocher sa conduite déloyale et félonne, et pour le provoquer à un combat à mort. Celui-ci, pour toute réponse, hâta les apprêts de son mariage et, dès le lendemain, l’autel était paré de ses plus beaux ornements pour la bénédiction des futurs époux. Mais, lorsque le prêtre qui devait sceller ces liens formés par la violence s’adressant à la jeune fille, lui demanda si elle acceptait Burket pour son mari, si elle lui jurait, devant Dieu, amour et fidélité, on vit la jeune fille pâlir et chanceler. Le capitaine anglais s’avança pour la soutenir :

— Vous tremblez, Guillemine ! dit-il.

— Non, répondit la fidèle amie de Robert ; non, je meurs.

Et le lendemain, il y avait un cercueil de plus dans le caveau du manoir d’Avenel. Robert de Beauvoir pleura amèrement sur la mort de sa fiancée, et se promit d’en tirer vengeance en loyal chevalier.

Un désastre inopiné ranima durant ce siège les espérances des Anglais : un incendie ayant réduit en cendres presque toute la ville, le lundi de la Quasimodo 1433, l’ennemi pensa enfin pouvoir, à la faveur de cette catastrophe, donner enfin satisfaction à sa vengeance ; et Thomas de Scales s’y employa. Une armée de 20 000 combattants se réunit sous ses ordres, et, traînant une artillerie formidable, parut l’année le 17 juin 1434 sur les grèves ; son arrivée était calculée sur l’époque mensuelle des basses eaux.

Les Anglais avaient fait fabriquer deux longues couleuvrines, consolidées avec des cercles de fer. Ces machines de guerre, dressées en batterie sur les grèves, ouvrirent bientôt contre les remparts un feu terrible : ébranlées par le choc multiplié des boulets de granit vomis par ces pièces énormes, les murailles s’ouvrirent, croulèrent avec fracas. Encouragé par ce succès, l’ennemi s’élança avec audace à travers ces décombres ; les assiégés ne se jetèrent pas avec moins de résolution dans la brèche pour en défendre les abords et le passage. Le choc fut terrible. Les chevaliers normands avaient à conserver quinze années de gloire ; les barons anglais voulaient effacer vingt défaites par un succès.

Mont Saint-Michel : les remparts et l'abbaye

Mont Saint-Michel : les remparts et l’abbaye

C’était un jour décisif pour les uns et pour les autres : aussi l’assaut fut-il aussi impétueux que la défense fut héroïque. Aux pierres et aux flèches, qui se croisèrent d’abord de la grève et des remparts, succédèrent bientôt sur la brèche des armes plus terribles : la hache d’armes, l’épée et la lance entamèrent les boucliers et brisèrent les cuirasses. Une lutte corps à corps jette à ces décombres sa sanglante mêlée. Louis d’Estouteville et Guillaume de Verdun électrisent leurs compagnons par les prodiges de leur courage ; l’exaltation de l’ennemi s’épuise en longs et vains efforts.

Dès la première attaque, les Anglais furent forcés de reculer, et se replièrent avec perte sur leurs retranchements de Tombelaine. Au milieu de la mêlée, le chevalier de Beauvoir se battait comme un lion et renversait tout sur son passage. Il cherchait partout son ennemi. Tout à coup, il reconnaît le cimier de Burket dont une masse de combattants le sépare, et se fraye une route jusqu’à son rival ; mais, au moment où il va l’atteindre, il le voit tomber sur la grève, qu’il rougit de son sang, Cependant, comme l’Anglais respirait encore, il fut emmené prisonnier dans la place. Et tandis qu’égorgés sur les remparts ou renversés sur les masses inférieures, les assaillants y jettent un désordre que réparent quelque temps la voix et l’exemple des chefs, l‘ennemi perd pied enfin ; l’épouvante se met dans ses rangs. Les assiégés le pressent avec plus de fureur ; la confusion est à son comble ; la terreur se généralise ; chacun, jetant ses armes, ne songe plus qu’à fuir.

Le siège fut bientôt levé. La blessure de Burket, quoique profonde, guérit en assez peu de temps, grâce peut-être aux soins assidus dont l’entoura un jeune homme qui portait l’habit des novices, et qui ne le quitta guère. Mais à peine fut-il l’établi que les chaînes du prisonnier commencèrent à peser au capitaine anglais, habitué à la vie en plein air et aux émotions du champ de bataille. Il songeait à payer sa rançon, dût-il acheter sa liberté de toute sa fortune, lorsque le même jeune homme, qui lui avait donné tant de soins, entra dans la cellule qui lui servait de prison. « Burket, lui dit-il, personne ne vous retient plus ici, vous êtes libre. »

Le capitaine, transporté de joie, allait se précipiter au cou de Robert — car c’était le chevalier normand qui avait eu recours à un déguisement pour pouvoir approcher de son ennemi et hâter sa guérison par ses soins —, mais Robert le repoussa doucement de la main en détournant la tête.

— Messire, lui dit-il d’une voix calme, ne vous réjouissez pas si vite ; vous êtes libre, mais à condition que vous ferez serment de m’accorder une grâce que j’ai à vous demander.

— Je vous dois la vie, je vous dois la liberté, vous pouvez disposer de moi ; ma vie est à vous.

— C’est ce que nous verrons, murmura Robert.

Puis, parlant à l’Anglais :

— Il y a au monde un infâme qui m’a fait la plus sanglante injure que l’on puisse faire à un homme. Il faut que je sois vengé.

— Son nom . son nom ? dites-le-moi, et je vous jure sur mon épée de chevalier...

— Son nom ?... Il est inutile pour le moment ; mais dans un mois, lorsque vous aurez achevé de recouvrer vos forces, trouvez-vous au point du jour dans la clairière voisine du pont d’Avenel : il y sera. Faites-vous accompagner d’un second, et ayez vos meilleures armes, comme pour un combat à outrance, car il aura les siennes. Y serez-vous, messire, d’aujourd’hui en un mois ?

— J’y serai, foi de chevalier !

— Eh bien, adieu ! et que le ciel protège la bonne cause et l’épée qui la soutiendra !

Le chevalier normand sortit, sans écouter les remerciements et les protestations de l’Anglais. A un mois de là, au petit point du jour, Robert de Beauvoir et son compagnon d’armes étaient déjà au rendez-vous dans la clairière voisine du pont d’Avenel. Deux cavaliers, qui s’avançaient suivis de pages portant des armes de rechange, marchaient aussi silencieusement le long des bords de la rivière de Plaine-Leuvre, à l’endroit où elle reçoit la Vire. Ils eurent bientôt rejoint leurs adversaires. On abrégea, autant que possible, les préliminaires, et après qu’il eût été convenu que Robert et Burket combattraient seuls, le champ fut donné aux champions et la lutte s’engagea.

Elle fut rude, et la victoire longtemps indécise. Après que six lances eurent été rompues, les armures faussées, les cimiers brisés, les hauberts en pièces, les cavaliers descendirent de leurs chevaux haletants de fatigue et se prirent corps à corps. Ils s’étreignaient à briser leur corselet d’acier, et s’épuisaient à chercher le défaut de la cuirasse pour y enfoncer la pointe du poignard. Robert parvint enfin à glisser sa dague sous le gorgerin de son adversaire, et il lui enfonça toute la lame dans la gorge. L’Anglais tomba sans mouvement, laissant échapper son sang à gros bouillons.

Bombardes abandonnées par l'armée de Thomas de Scales lors de l'assaut du 17 juin 1434

Bombardes abandonnées par l’armée de Thomas de Scales lors de l’assaut du 17 juin 1434

Fier de son triomphe et de sa vengeance, Robert se relevait en poussant un cri de victoire, lorsqu’il s’arrêta, interdit par une apparition mystérieuse qui vint tout à coup frapper ses regards. L’image de sa fiancée, belle comme elle lui apparaissait encore au milieu de ses souvenirs, était devant lui, revêtue de gloire et de lumière ; mais son regard était triste, et des larmes coulaient le long de ses joues, blanches comme le lis. Robert tomba à genoux sans pouvoir proférer une seule parole.

« Robert ! Robert ! dit la vision d’une voix douce et mélancolique, qu’as-tu fait, mon bien-aimé ? Était-ce à toi qu’il appartenait de t’établir juge de Burket ? Était-ce à toi que Dieu avait confié le soin de me venger ? Ne sais-tu pas qu’il est écrit : Malheur à celui qui tue ! malheur à celui qui sacrifie à la vengeance et à la haine ! Robert, tu viens de commettre un grand crime ; fais pénitence et pleure, et Dieu peut-être aura pitié de toi ! »

La vision s’évanouit par degrés, en murmurant plusieurs fois le mot adieu l de plus en plus faible, à mesure que l’apparition devenait moins sensible, et que les vagues contours échappaient aux regards. Robert se précipita sur le corps de Burket, l’arrosant de ses larmes et le soulevant dans ses bras pour le rappeler à la vie ; mais tout fut inutile, l’Anglais était mort.

Le chevalier normand, après avoir rendu les derniers devoirs à son ennemi, renonça à la gloire et au monde. Il revêtit le cilice et la haire au monastère du mont Saint-Michel, où il ne passa pas un jour sans prier pour le repos de l’âme de Burket. On ajoute que des voyageurs ont vu, dans l’endroit où se passa la dernière scène que nous avons racontée, des choses mystérieuses qu’ils n’ont pu décrire, mais qu’ils n’ont pu oublier.

 
 
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