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Déracinement, société citadine. Attrait des villes, exode rural, paysans et citadins

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Société (La) de l’avenir : un monde
de déracinés oubliant de vivre ?
(D’après « Le Gaulois », paru en 1898)
Publié / Mis à jour le dimanche 8 juillet 2018, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 4 mn
 
 
 
S’interrogeant à la fin du XIXe siècle sur les funestes conséquences d’une société excitant l’Homme à fuir sa terre natale pour se brûler aux trompeuses lumières des villes, le poète et romancier Edmond Haraucourt pointe l’absurdité d’une existence déracinée, tournant le dos aux plaisirs simples et produisant un être qui, sans repères ni repaire, finit par perdre l’équilibre : « le monde est son foyer », déplore-t-il encore, ajoutant que « s’il avait labouré le champ que nul ne laboure pendant qu’il s’en vient par les villes, (...) sa vie peut-être eût été chiche, mais n’eût pas été folle ».

Parmi tant de symptômes qui se font alarmants, inquiètent l’époque actuelle et menacent les générations prochaines, il en est un du moins qui nous rassure, et son importance est grande, se console Haraucourt. De toutes parts se manifeste une tendance à retourner, ne fût-ce qu’un instant, vers le pays natal, et à ressusciter ; ne fut-ce que dans une fête, les mœurs et les coutumes qui s’en allaient mourir.

Paysan breton

Paysan breton

Aujourd’hui, c’est aux bords de la Sèvre niortaise, à l’ombre des longs peupliers, une kermesse du Moyen Age qui se restitue avec ses dames et ses chœurs, dans le parc du vieux château. Hier, c’était à Ploujean le mystère de saint Gwennolé, qui se représentait comme autrefois dans le vaste décor des côtes et de la mer, ayant pour toile de fond l’infini des îlots sous le ciel. Auparavant, c’était la joyeuse odyssée des Cadets de Gascogne, Jasmin fêté, les petites capitales chantées, et dans les gorges des montagnes l’excursion chantante vers la source des fleuves nourriciers.

Tout cela serait bien, si cet amour du sol, cette compréhension de ses beautés, ce ressouvenir des usages, ce culte renaissant de la nature et de son histoire, avaient eu sur place leur origine et s’étaient spontanément produits, par l’unique initiative des populations indigènes. Ce serait bien en vérité, de savoir que le peuple se rappelle et veut se rappeler son histoire, ne pas renier ses ancêtres, ne pas dédaigner son berceau.

Mais ce qui nous semble mieux encore, c’est que l’initiative première soit venue de ceux-là mêmes qui l’ont quitté, le sol antique de la petite patrie, et qui, dans leur volontaire exil, tout à coup, au milieu de la vie citadine, outrancière et factice, sentent en plein Paris l’impérieux besoin, l’instinctive urgence de revenir vers la nature abandonnée, et de se retremper en elle. Comme l’Enfant prodigue, ils ont, dès leur adolescence, déserté le champ patriarcal pour s’élancer à la conquête de la vie, et brusquement, dans l’orage de leurs jours électriques, voilà qu’une chose leur manque, la chose qu’ils ont voulu fuir : la paix, le calme, la petite maison, le vaste paysage, les longues journées et les soirs courts, un peu d’air et de simplicité ; tout ce que l’existence moderne travaille à perdre et renier, tout le réconfort dont notre âge s’est privé et dont la privation anémiait nos âmes et liquéfiait nos esprits.

Car la maladie de nos temps, c’est la Ville. Elle travaille la jeunesse des provinces. Endémique, l’amour d’aller au Centre se propage dans tous les êtres jeunes et doués de quelque énergie. Le contagieux microbe s’inocule d’un esprit à l’autre, envahit la race, et toute force se tourne vers le même point : Paris. L’ambition individuelle s’est substituée à l’ambition commune, l’effort solitaire à l’union des efforts. Qu’arrive-t-il ? Pour le pays, pléthore du tronc, hypertrophie de la tête, anémie des extrémités : les racines, qui puisaient leur vie dans le sol, n’y sont plus et la sève manque ; la terre délaissée tombe à nulle valeur et ne fournit plus à nos besoins : l’étranger nous envahit de ses produits, et l’or, sang des peuples, s’en va comme du sang par cette plaie ouverte.

Pour l’individu, le mal est pire encore. A peine quelques-uns de ceux qui sont partis portaient en eux assez de vigueur pour se suffire, et rares sont les élus qui parviennent au bien-être que tous avaient rêvé.

Les emplois manquent aux bacheliers, le travail manque aux ouvriers, et voilà dès forces stérilisées, des énergies perdues, des vaillances qui s’aigrissent : la détresse des uns regarde avec envie la richesse des autres. Il fut des siècles où les miséreux se disaient que le sort est injuste ; nous sommes venus au siècle où ils se disent que te monde est mal fait, et qu’il faut le refaire, tout d’abord le défaire. Les mots troublants courent la Ville. Esseulés, ces êtres, venus des villages, traînent par la rue où rôdent les mots, et cherchent sans savoir ce qu’ils cherchent : beaucoup n’ont pas de gîte, plusieurs n’ont pas de pain. Le cerveau fermente et les poings se crispent. La bête se réveille dans l’homme, mais une bête tourmentée par l’esprit, et ce malheur qui chemine est une maladie en marche !

Déracinés ! M. Maurice Barrès a proféré le mot qui révèle leur mal et ses causes, et les a baptisés pour l’histoire. L’homme qui a rompu ses attaches, sans appui, sans secours, perd l’équilibre, prend le vertige. S’il n’est un héros, demi-dieu trouvant en lui-même le recours et l’appui, sa tête tourne au bord du vide qu’il a créé tout alentour.

– Luigini Luccheni (qui assassina le 10 septembre 1898 Élisabeth de Wittelsbach, impératrice d’Autriche et reine de Hongrie, connue sous le nom de Sissi), pourquoi avez-vous commis ce crime ?
– C’est mes opinions.
– Avez-vous des complices ?
– Je suis seul.

Paysan vosgien

Paysan vosgien

Il doit dire vrai, plus vrai encore qu’il ne croit dire. Il est le type de l’isolé, l’errant, le sans-patrie. Il va d’un pays à l’autre et n’a point de pays. Les frontières lui sont inconnues ; il ne les constate que par la différence du langage, et y prend garde à peine, étant chez lui partout, puisque nulle part il n’est chez lui. Italien ? Sur des registres, soit. Il est le cosmopolitain. Le monde est son foyer. A force d’être seul et de le sentir trop, et de trop en souffrir, cet esprit inquiet, qui se ramassait sur lui-même, a rêvé des frères, tant de frères que, par contraste à sa solitude, il a conçu la fraternité universelle.

Toutefois, comme il est de pauvre intellect et trop petit pour un rêve si vaste que jadis il y fallut un Dieu, le malheureux être s’égare, comme une âme sans flambeau : pour préluder à l’œuvre fraternelle, il commence par l’assassinat, et promène le meurtre par le monde.

Quelle sera la victime ? Où s’accomplira la tâche ? Peu lui importe, pourvu qu’il se déplace et tue. Sa fonction est de tuer ailleurs. Ses proches n’ont rien à craindre, s’il en a. Car il opérera partout, pourvu qu’il ne soit pas chez lui, si toutefois il existe sur terre un petit coin qui jadis fut le sien. Il a déserté la demeure : c’est l’Enfant prodigue du crime. Mais il marche, il doit marcher. Il vague. Il est l’Ashavérus du crime, et ne doit jamais revenir. C’est pour toujours qu’il a quitté la terre natale et bienfaisante, la petite patrie, le clocher, si toutefois il en eut un. Vicieux, jouisseur, pervers ? Il n’est même pas cela. Il est déraciné. Il a quitté, la terre. Il croit planer et tombe en écrasant quelqu’un.

S’il avait labouré le champ que nul ne laboure pendant qu’il s’en vient par les villes, pour maigre que fût la glèbe, pour mince que fût la récolte, il aurait pris souci du vent et de la pluie au ciel plus que des empereurs et des rois sur leurs trônes. Sa vie peut-être eût été chiche, mais n’eût pas été folle ; peut-être elle se fût écoulée dans une misère traversée d’espérances, mais non dans une douleur lancinée de désespoirs qui unit par aboutir au crime.

Mais quoi ? Ces temps sont et veulent être citadins. Du moins ce forcené eut-il une excuse, non pas à son forfait, mais à la condition de ses jours préalables, qui l’ont amené là. Il était né dans le vent, n’avait connu ni clocher, ni famille, et les deux seuls gîtes où sa place fut marquée et son lit assigné, c’était l’hôpital et la caserne. Tristes asiles !

Cet homme du pavé ne savait même pas qu’il vînt de la nature, ni que la nature existât : sa lugubre silhouette apparaît comme une exaspération du mal dont souffre notre époque. Son âme misérable, née de la ville, est morte par la ville. Et, comme toujours il sied qu’une leçon se dégage des choses et que quelque bien sorte du mal, ce type d’enragé nous jette une leçon, que l’on peut, dans la boue sanglante, ramasser auprès de sa lime : « Prends garde aux villes ! Souviens-toi d’un petit clocher ! »

 
 
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